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Les Européens

Publié le par Rosalie210

James Ivory (1979)

Les Européens

D'une grande sensibilité littéraire, James IVORY a souvent porté à l'écran des adaptations d'écrivains célèbres. Parmi elles, trois oeuvres de Henry James: "Les Bostoniennes" (1984), "La Coupe d'or" (2000) et la première des trois "Les Européens" à la fin des années soixante-dix. L'histoire porte en effet sur l'un de ses thèmes fétiches: le choc des cultures, présent dès son remarquable deuxième long-métrage de fiction "Shakespeare-Wallah" (1965). Dans "Les Européens", le choc en question porte sur la rencontre entre deux branches de la même famille, vivant chacune de part et d'autre de l'Atlantique. D'une part les Wentworth, des bostoniens puritains vivant dans l'austérité. De l'autre, leurs cousins désargentés, un frère et une soeur venus d'Europe, plus bohèmes et libérés qui espèrent faire un beau mariage. Si la situation de Félix, jeune peintre célibataire d'une nature franche et joyeuse est parfaitement claire, ce n'est pas le cas de sa soeur, Eugénie qui porte le titre clinquant de baronne de Münster mais dont le mariage est en réalité en voie de dissolution. Par conséquent leurs destins vont diverger. Félix s'éprend de Gertrude Wentworth qui n'attendait que ça. Dès la première scène, "la messe est dite". Alors qu'elle ne connaît pas Félix, on la voit fuir le corseté pasteur Brand qui la courtise ainsi que tourner le dos à l'église où il l'invite à entrer au profit d'une nature automnale qui chez James IVORY symbolise le flamboiement des sentiments. C'est en ce lieu qu'elle rencontre Félix et celle-ci a la nature de l'évidence, finissant même par être bénie par le pasteur qui se console avec la soeur de Gertrude beaucoup plus conforme à ses attentes. Eugénie qui en revanche se comporte en grande dame s'ennuie assez vite dans la société provinciale très ascétique de ses cousins. Elle joue par ailleurs un jeu trouble entre Clifford, le fils des Wentworth qui souffre d'un penchant pour la boisson et leur riche cousin Robert Acton qui en pince pour elle mais n'ose se déclarer franchement, sans doute parce qu'elle est trop libre pour lui. Ainsi on peut penser qu'en choisissant de retourner en Europe et en renonçant à ce beau parti, elle se protège d'une nouvelle déception tout en échappant à une société qui ne convient guère à ses aspirations. Le casting, un peu inégal tout comme le rythme est dominé de la tête et des épaules par la superbe Lee REMICK dans le rôle d'Eugénie.

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L'Homme de Rio

Publié le par Rosalie210

Philippe de Broca (1964)

L'Homme de Rio

L'Homme de Rio, deuxième collaboration entre Philippe de Broca et Jean-Paul Belmondo (après "Cartouche") c'est le film qui fait la liaison entre les aventures de Tintin et la saga Indiana Jones. Les emprunts aux albums du célèbre reporter sont légion et rappellent que L'Homme de Rio est issu d'un projet d'adaptation de l'oeuvre de Hergé: les statuettes dissimulant un secret? "L'Oreille Cassée". Les enlèvements d'ethnologues? "Les Sept boules de cristal". La superposition des trois parchemins? "Le Secret de la Licorne". Le héros suspendu juste au-dessus d'un crocodile affamé? "Tintin au Congo". Ou cascadeur le long d'un immeuble? "Tintin en Amérique". Les fléchettes empoisonnées? "Les Cigares du pharaon". Cette ligne claire par son extrême précision se combine avec une vitesse d'exécution sans pareille, d'immenses espaces à défricher (la jungle), ou à investir (Brasilia), les qualités athlétiques de Jean-Paul Belmondo qui ne cesse de courir, sauter, grimper, nager, se bagarrer du début à la fin du film à pied, en vélo, en voiture, en avion ou de liane en liane (mais toujours en ligne droite, de case en case!) et un zeste du rire unique de Françoise Dorléac. La dynamique de leur couple rappelle les meilleures comédies américaines, les séquences de saloon font penser au western, celle où le héros grimpe le long d'un mur et les bagarres où le décor est détruit aux burlesques muets et juste retour des choses, le film sera à son tour une source d'inspiration majeure pour Spielberg (qui découvrira ensuite par ricochet l'oeuvre belge d'origine et lui rendra hommage en 2011). L'ensemble défie les lois de l'apesanteur dans une esthétique bariolée proche de son modèle original, la BD mais aussi de la légèreté de la Nouvelle Vague (décors naturels, faux raccords privilégiant le rythme à la cohérence).

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Une affaire de femmes

Publié le par Rosalie210

Claude Chabrol (1988)

Une affaire de femmes

Après la déception qu'a représenté pour moi "L'Evénement" qui sous prétexte d'universalité décontextualise outrageusement l'histoire de sa protagoniste, j'ai voulu m'offrir un point de comparaison avec un film abordant un thème identique et lui aussi tiré d'une histoire vraie, "Une affaire de femmes" réalisé par Claude Chabrol et interprété par Isabelle Huppert, dix ans après sa première collaboration avec le cinéaste pour "Violette Nozière". Le résultat est d'un tout autre niveau. Sans occulter les tares de son personnage féminin, cupide, égoïste, opportuniste sans scrupules et en même temps bêtement inconsciente des risques pris comme du mal infligé à autrui, le film dresse un réquisitoire féroce contre une société complètement délétère, celle du régime de Vichy. Alors que celui-ci s'agrippe à ses valeurs conservatrices ("travail, famille, patrie") censées régénérer un pays purgé de ses ennemis intérieurs (juifs, communistes etc.), on observe au contraire la désorganisation des couples et des familles sous le joug de la guerre, de l'occupation et de la collaboration. Le sort réservé à Marie, exécutée pour l'exemple détruit une famille en laissant deux orphelins. Et ce n'est que l'une des contradictions d'un régime qui se dit préoccupé par la dénatalité mais traque, arrête et déporte massivement les femmes et les enfants juifs alors que sa jeunesse masculine quand elle n'est pas prisonnière est envoyée sur l'ordre de l'Allemagne au STO* ou massacrée lorsqu'elle résiste. Si bien que derrière les intentions affichées, le régime de Vichy accouche d'une société qui lui ressemble: faible, servile, lâche, délatrice et corrompue. Les hommes y sont de pauvres diables ayant perdu toute dignité (et toute virilité) comme Paul (François Cluzet), l'époux de Marie ou bien des collabos prêts à toutes les bassesses pour obtenir des privilèges comme son amant, Lucien (Nils Tavernier). Libérées du poids pesant du patriarcat par cet affaiblissement du masculin, les femmes tendent vers l'émancipation économique, sociale et sexuelle mais quand elles vont trop loin comme Marie qui fait son beurre sur les avortements clandestins, la collaboration horizontale par procuration et les chambres de passe sous la houlette de Lucie (Marie Trintignant), elles se font impitoyablement rattraper par un régime bourgeois, conservateur et lui-même patriarcal (dans son gouvernement, son administration, sa police et sa justice) dont l'intransigeance abjecte est un aveu d'impuissance. Au passage, le film égratigne quelques mythes ayant la vie dure comme celui de la bonne épouse et bonne mère et aussi celui de l'instinct maternel (le personnage joué par Dominique Blanc qui enchaîne les grossesses faute de contraception avoue qu'elle n'aime aucun de ses enfants qu'elle considère juste comme un fardeau).

Remarque: Marie Bunel qui joue Ginette, la première femme à utiliser les services d'avorteuse de Marie réapparaît dans le téléfilm "Le Procès de Bobigny" (2006) mais cette fois dans le rôle de l'avorteuse. Elle y retrouve Sandrine Bonnaire dans le rôle de la mère de la jeune fille se faisant avorter, rôle qu'elle a repris récemment dans "L'Evénement".

* Service du travail obligatoire instauré en 1942 pour compenser la perte de main-d'oeuvre allemande envoyée sur le front soviétique.

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Belle (Ryū to sobakasu no hime)

Publié le par Rosalie210

Mamoru Hosoda (2021)

Belle (Ryū to sobakasu no hime)

Après "Le Garçon et la Bête", Mamoru Hosoda nous propose une version 2.0 de "La Belle et la Bête" qui rend hommage à la version Disney dont Hosoda est fan mais qui s'en éloigne cependant sensiblement ainsi que du conte d'origine pour se rapprocher de ses thèmes fétiches: la dualité (tant des univers que des personnages), l'altérité, l'animalité. Très riche graphiquement et narrativement, n'hésitant pas à jouer sur des ruptures de ton, le film possède plusieurs trames et plusieurs niveaux de lecture. Au premier abord, on a l'impression d'une redite de "Summer Wars" car la scène d'introduction est quasiment identique: l'exposition d'un gigantesque monde virtuel nommé U (dans "Summer Wars", il s'appelle Oz) où chaque membre possède un avatar qui le définit par rapport à sa personnalité intérieure (on pense aussi forcément à "Ready Player One" et à l'OASIS). Cependant si "Summer Wars" insistait surtout sur les dangers de l'IA pour le monde réel, "Belle" en montre au contraire les possibles bienfaits. Le monde virtuel devient une extension de soi et s'apparente autant à un réseau social qu'à une oeuvre d'art en mouvement. Le style graphique en 3D fait ressortir formes et couleurs et s'apparente par moments à une toile abstraite ou surréaliste alors que le monde réel en 2D est dans l'ensemble naturaliste. Néanmoins, Mamoru Hosoda n'hésite pas à brouiller les frontières du réel et du virtuel et à déjouer nos attentes. D'abord parce que le virtuel a des retombées concrètes dans le monde réel. Ainsi Suzu, l'héroïne (alias "Belle" dans le monde virtuel) est appelée à revivre la situation traumatique dans laquelle elle a perdu sa mère sauf que c'est désormais elle qui se retrouve dans le rôle du sauveur et du protecteur au lieu d'être dans celui du témoin impuissant. Mais pour cela, elle doit tomber le masque qui lui permettait de s'affirmer dans le monde virtuel (dans un rôle de pop idol qui m'a fait penser quelque peu aux films de Satoshi Kon, "Perfect Blue" et "Paprika"). Ensuite parce qu'à l'inverse, la fille dont elle s'est inspirée pour créer son avatar dans U s'avère être en réalité peu sûre d'elle lorsqu'il s'agit d'aborder l'élu de son coeur, un garçon un peu bizarre qui n'est pas un parangon de beauté. Cela donne lieu à une scène franchement burlesque en plan fixe basée sur des entrées et sorties de champ qui est en rupture par rapport au style réaliste du film dans le monde réel. Enfin un des enjeux du film est la révélation de la véritable identité de la Bête (surnommée "Le Dragon" dans U) qui lorsqu'elle survient donne au récit une tournure d'une gravité et d'une profondeur inattendue. Contrairement à ce que j'ai pu lire dans certaines critiques superficielles, les super-héros chargés de faire la police dans U en révélant la véritable identité des avatars pour ensuite les expulser ne sont pas de simples commodités. Ce sont des figures de justiciers sorties d'un système de valeurs réactionnaire (patriarcal et manichéen) que Suzu va battre en brèche, parallèlement au fait qu'elle va dévoiler l'hypocrisie d'un père qui donne de lui une belle image en société mais dont le vrai visage ne se révèle que dans l'intimité du foyer. Cela montre l'ambivalence des outils technologiques qui dépendent de l'usage que l'on en fait: Big Brother peut se muer en lanceur d'alerte. Et on pense au rôle capital joué par les photos, les vidéos et les enregistrements sonores dans la révélation de malversations et de crimes, à échelle individuelle ou collective.  

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The Perfect Candidate

Publié le par Rosalie210

Haifaa Al-Mansour (2019)

The Perfect Candidate

"The Perfect Candidate" donne l'impression, précieuse au cinéma, de capter l'histoire en marche, celle d'un pays islamique fondamentaliste réputé figé et fermé tant vis à vis de l'art que vis à vis des femmes mais qui connaît depuis une dizaine d'années une évolution très rapide. Les premières images suffisent à mesurer le chemin parcouru depuis "Wadjda" (2013), le premier film de Haifaa AL MANSOUR, pionnière du cinéma saoudien. On y voit une jeune femme d'une trentaine d'années, Maryam conduire une voiture* alors qu'en 2013, Wadjda devait se battre pour obtenir le droit d'acquérir et d'utiliser un vélo. "The Perfect Candidate" poursuit le combat de femmes qui décident de prendre leur destin en main, n'hésitant pas à bousculer les traditions au passage. Bien qu'exerçant le métier de médecin dans une clinique locale, Maryam subit au quotidien des vexations liées à son sexe comme celle (que l'on rencontre aussi en France) de vieux patients qui ne veulent pas être examinés par des femmes. On voit également qu'elle n'est pas soutenue par sa hiérarchie dont le mot d'ordre semble être "pas de vagues". Enfin le statut de la santé ne semble pas être une priorité dans sa commune, la route d'accès à la clinique n'étant pas goudronnée. Maryam est donc tentée par l'exil mais elle se heurte aux restrictions de liberté de circulation pour les femmes qui ont besoin d'une autorisation à jour de leur tuteur légal (père ou époux) pour voyager**. Or son père est absent et ne peut lui remplir le document à temps. C'est donc par un concours de circonstances que Maryam se retrouve candidate aux élections municipales***, son engagement presque malgré elle l'amenant à s'exposer face caméra aux préjugés des médias et à des électeurs aux mentalités rétrogrades et ainsi assumer un héritage familial longtemps considéré comme un boulet.

Car ce qui rend le film passionnant est le fait que ce caractère engagé et quasi documentaire se double d'une dimension intimiste à résonance quelque peu autobiographique mais qui donne aussi au film un caractère universel. En effet parallèlement à Maryam, le film dresse un portrait de son père Abdelaziz qui est musicien et veuf inconsolable. Loin des clichés sur les hommes saoudiens, on découvre que la diversité existe aussi en Arabie Saoudite (comme partout ailleurs dans le monde) et que les hommes différents de la norme sont également victimes du système répressif de leur pays. Ainsi les propos de Abdelaziz sur sa femme font comprendre que leur couple était anti conformiste (c'est elle qui l'a choisi, elle était chanteuse et dotée d'une forte personnalité etc.) et que si leurs filles ont été élevées d'une manière libérale et progressiste, elles subissent en retour un certain ostracisme social par le fait notamment d'être plus ou moins exclues du marché matrimonial. Le statut de la musique (et de l'art en général****) longtemps banni du royaume évolue logiquement en parallèle de celui de la femme. Abdelaziz et son groupe obtiennent le droit de partir en tournée et sont recrutés pour former un orchestre national. En ce sens, les scènes de concert où l'on entend des chansons à la gloire des femmes ne sont pas contrairement à ce que j'ai lu un paradoxe. Il s'agit de la sensibilité féminine des hommes qui peut enfin s'exprimer librement, même si la menace des extrémistes fondamentalistes n'est pas occultée. On remarquera ainsi l'audace d'un film dans lequel les rôles genrés sont inversés, Abdelaziz se battant pour chanter et faire de la musique alors que sa fille investit la tribune politique*****.

* Les femmes saoudiennes ont obtenu le droit de conduire en 2018.
** Preuve de l'évolution rapide du pays, cette mesure a été abolie en 2019.
*** Là encore il s'agit d'un droit récent, les femmes ayant pu exercer le droit de vote et d'éligibilité à partir de 2015.
**** Depuis "Wadjda" (2013), des salles de cinéma ont ouvert dans un pays qui avant 2018 n'en comptait quasiment aucune. Et le recrutement des comédiens et conditions de tournage de "The Perfect Candidate" ont été beaucoup plus faciles.
***** Si l'évolution de l'Arabie saoudite suit avec 1/2 siècle de retard celle de la France (où jusqu'en 1944 les femmes ne pouvaient voter et jusqu'au milieu des années 60, voyager ou travailler sans autorisation d'un homme), le poids des femmes en politique et dans les plus hauts postes à responsabilité reste inférieur à celui des hommes. La conquête n'est pas achevée.

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Marquise

Publié le par Rosalie210

Véra Belmont (1997)

Marquise

Librement inspiré de la vie de Marquise-Thérèse de Gorla dont le nom de scène était Mademoiselle du Parc ou Marquise du parc, le film de Véra BELMONT s'inscrit dans une veine du divertissement historique "qualité française" à grand spectacle populaire, léger et grivois. D'ailleurs cela va de pair avec le choix de Sophie MARCEAU pour l'incarner, celle-ci étant plus remarquable pour sa superbe plastique que pour son jeu de petite fille aguicheuse et boudeuse (surtout lorsqu'il s'agit de jouer Andromaque: le fait qu'elle ait pu inspirer le personnage est risible). L'Histoire est vue par le petit bout de la lorgnette (pour ne pas dire au fond de la cuvette des WC au vu des scènes récurrentes de défécation) et la modernité féministe de ce personnage est toute relative: son ascension est due plus à ses charmes qu'à son talent, Marquise s'avérant être avant tout la maîtresse de Molière qui la relègue à l'arrière-plan de ses pièces puis la muse et la maîtresse de Racine tout en ne laissant pas indifférent Louis XIV. On reste dans un territoire bien balisé, celui des égéries et concubines d'hommes de pouvoir qui dépendent d'eux et de leur désir pour exister. Le film n'est tout de même pas complètement dénué de qualités. La distribution est prestigieuse (avec notamment deux membres de l'ex-troupe du Splendid, ANÉMONE dans le rôle de La Voisin et Thierry LHERMITTE qui campe un réjouissant et inattendu Louis XIV), les dialogues (co-signés par le romancier Gérard Mordillat) sont recherchés et il y a de beaux décors et costumes. Mais dans le genre, je préfère "Ridicule" (1996) sorti peu de temps auparavant et surtout "Que la fête commence" (1974), beaucoup plus profond.

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L'Evénement

Publié le par Rosalie210

Audrey Diwan (2021)

L'Evénement

Je ne sais pas si c'est un hasard mais c'est la deuxième fois que le festival de Venise couronne un film ayant pour sujet l'avortement clandestin après "Vera Drake" (2005). La différence étant qu'au lieu de se centrer sur l'avorteuse, "L'événement" colle aux basques de la jeune femme désirant se faire avorter dans un style naturaliste proche de celui des frères Dardenne (caméra à l'épaule filmant souvent de dos, cadrages resserrés autour du personnage, plans-séquence etc.) Ce style "coup de poing" présent aussi chez Jacques AUDIARD ou chez Xavier DOLAN ou encore chez László NEMES rencontre beaucoup de succès aujourd'hui dans les festivals mais me laisse personnellement de marbre. Déjà parce qu'il floute à l'excès le contexte historique au point que ça en devient gênant. Comme dans "Le Fils de Saul" (2015), "L Événement" (2021) dérive aux confins de l'abstraction spatio-temporelle en dépit du fait que c'est l'adaptation du livre autobiographique de Annie Ernaux. Ensuite, ce dispositif tue toute espèce de sensibilité. C'est un paradoxe mais coller à la peau et aux pas d'un personnage provoque un effet d'éloignement. Le personnage d'Anne a beau être plongé dans un enfer, celui de la société française patriarcale des années 1960 condamnant la sexualité féminine en dehors du mariage (conçu comme un moyen de contrôle des femmes par les hommes) en interdisant la contraception et l'avortement, lequel est considéré pénalement comme un crime, il apparaît tellement froid et distant qu'il n'y a pas d'implication émotionnelle. Il est vrai que l'environnement est peu propice aux épanchements. De quel côté qu'elle se tourne, Anne ne rencontre que réprobation, indifférence voire abus et on ressent bien son enfermement et sa solitude dans le cadre. Mais cela ne justifie pas que le film lui-même soit aussi sec. Montrer l'intimité corporelle de la jeune femme et les tourments liés à sa situation ne suffit pas à lui donner une âme pas plus qu'au film d'ailleurs.

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Monsieur Batignole

Publié le par Rosalie210

Gérard Jugnot (2002)

Monsieur Batignole

Il y a deux parties dans "Monsieur Batignole". La première dresse le portrait d'un français moyen attentiste comme 90% de ses compatriotes pendant la seconde guerre mondiale. Un boucher-charcutier (Gérard Jugnot) un peu beauf et pas très regardant sur les méthodes qu'utilise Pierre-Jean son futur beau-fils collabo zélé (Jean-Paul Rouve, tellement convaincant qu'il a décroché le César du meilleur espoir) pour leur obtenir divers privilèges en terme de logement, moyen de locomotion et généreux client. Les deux premiers sont des biens spoliés à des juifs et le troisième est le SS dont Pierre-Jean est le larbin. Arrive alors la seconde partie, quand Edmond Batignole est confronté aux conséquences de ses actes et se voit obligé de prendre parti. Simon (Jules Sitruk), le fils cadet de la famille juive dont les Batignole ont récupéré l'appartement parvient à échapper à la déportation et à revenir frapper à la porte de son ancien chez-lui. La peinture de la camionnette de livraison s'écaille, révélant les étoiles de David cachées dessous. Et Pierre-Jean s'avère être un dangereux psychopathe qu'il est impossible d'amadouer. La vie de Edmond Batignole bascule alors dans le danger et la clandestinité lorsqu'il décide de sauver Simon et ses cousines au point qu'il finit par s'identifier au père biologique de Simon (et au sort des juifs en général).

"Monsieur Batignole" est un film humaniste qui dresse un portrait intéressant d'un français ordinaire confronté à des événements qui le dépassent et l'obligent à se dépasser. Si le début se situe dans une veine réaliste à tendance satirique et ne manque pas de mordant, la suite relève davantage du conte de fée tant les rebondissements sont invraisemblables. Ainsi Batignole se transforme-t-il comme par magie en super-héros capable de terrasser n'importe quel "méchant" (de Pierre-Jean à un flic par trop fouineur), de séduire la fermière esseulée et de redresser les entorses comme les torts. Cet aspect spectaculaire nécessaire aux rebondissements dramatiques n'est pas la manière la plus fine d'évoquer les actions des Justes de France pour contrecarrer le programme génocidaire des nazis. Seule la sensibilité du jeu des acteurs (Jugnot inclus) permet d'échapper à la caricature.

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The Limits of Control

Publié le par Rosalie210

Jim Jarmusch (2009)

The Limits of Control

Jim Jarmusch aime se confronter au cinéma de genre pour le retourner comme un gant et en produire un "négatif". Ainsi "The Limits of Control" est de son propre aveu "Un film d'action sans action", autrement dit un anti-James Bond. Pourtant les codes sont les mêmes: tueur à gages flegmatique, opaque et super-classe, déplacements incessants, rencontre avec des intermédiaires faisant avancer la quête à coups d'indices cryptés, fille superbe et très peu vêtue offerte sur le lit de la chambre d'hôtel, son double superbe et très peu vêtue sur le lit de la chambre d'hôtel mais avec un gun dans les mains, grands espaces et architectures magnifiés par la photographie et le cadre, dénouement dans le bunker ultra-sécurisé d'une villa de luxe. Mais en même temps, le héros, homme sans nom impassible et laconique qui n'est pas sans rappeler l'économie de mots, de gestes et d'expressivité d'Alain Delon dans "Le Samouraï" de Melville refuse le sexe, les armes à feu... et les portables. Autrement dit toutes les manifestations de la virilité alpha telle qu'elle se manifeste dans le genre version mainstream destiné au public occidental. D'ailleurs le personnage se définit en creux par ce qu'il n'est pas, ce qu'il ne veut pas, ce qu'il ne sait pas (le négatif) et logiquement il est noir (c'est Isaach de Bankolé qui l'interprète). Logiquement aussi il est un grand adepte de tai-chi, de contemplations, de déambulations et d'expressos en double. Son périple à travers une Espagne fantomatique jalonné de rencontres pittoresques aux terrasses de cafés fait penser tantôt à "Ghost Dog" (La "zen attitude d'un personnage lui aussi inspiré de "Le Samouraï", le multilinguisme), tantôt à "Paterson" (les rituels du café en double et de la bouteille d'eau plate, des exercices de tai-chi, des échanges de boîtes d'allumettes, de diamants et de clés, des postures toujours identiques) tantôt à "Night on Earth" (la galerie de guest-stars qui s'invitent à la table du héros pour monologuer quelques minutes avec lui, de Tilda Swinton à Gael Garcia Bernal en passant par John Hurt), tantôt à "Dead Man" (la progression du voyage de la capitale jusqu'à son terminus dans une région reculée et sauvage) et bien sûr à "Coffee and Cigarettes" (mais sans cigarettes). En dépit des paroles sibyllines et de la nonchalance du héros et du film, celui-ci avance vers sa cible qui apparaît assez limpide, une fois dévoilée. C'est Bill Murray qui incarne le magnat du capitalisme et de ses valeurs honnies (à commencer par la société de contrôle par la technologie, téléphones, écrans et hélicoptères) auquel s'oppose logiquement la liberté des artistes qui aiguillent leur "vengeur" zen, déterminé et incorruptible vers un dernier plan-écran-tableau vierge. Un concentré de Jarmusch.

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Shine

Publié le par Rosalie210

Scott Hicks (1996)

Shine

"Shine" commence paradoxalement dans les ténèbres. Il y a d'une part la scène nocturne et pluvieuse durant laquelle David Helfgott (Geoffrey Rush) âme errante en souffrance trouve refuge dans un piano-bar. Et de l'autre le récit de son enfance et de son adolescence sous la férule d'un père tout-puissant et profondément toxique. Les histoires d'éclosion de génies de la musique sont parsemées de mentors tyranniques voire tortionnaires qui se servent de leur protégé pour compenser leurs failles narcissiques. Entre les mains de Peter (Pater?), David n'est qu'un jouet qui n'a pas le droit d'avoir des désirs propres, pas le droit de grandir, pas le droit de s'émanciper. Non seulement il doit être le meilleur au piano pour satisfaire son père qui n'avait pas le droit de faire de la musique quand il était petit mais Peter, survivant de la Shoah qui a emporté ses parents a barricadé sa famille derrière des planches et des barbelés vis à vis d'un monde extérieur perçu comme irrémédiablement hostile. Dans la famille Helfgott, le temps s'est arrêté, l'espace s'est replié. David n'a pas le droit de partir et lorsqu'il le fait en s'aliénant son paternel qui l'efface de son existence (par le feu, c'est dire son degré de folie), il est si fragile qu'il sabote sa carrière en sombrant dans la dépression et la maladie mentale.

Le retour à la vie passe par le détachement psychique avec son père qui s'accomplit lorsqu'il ne ressent plus que de l'indifférence à son égard. Il passe aussi par la réconciliation avec la musique sous un angle de plaisir et de joie et non plus de torture et de compétition. Enfin, David devenu un homme-enfant loufoque, exubérant et volubile (un peu à la manière de Roberto Benigni) se tourne vers des figures à l'opposé de son père: un professeur de musique homosexuel, une poétesse mère de substitution à la forte personnalité (la sienne était transparente, entièrement soumise au père), une pianiste très religieuse qu'il rencontre alors qu'il est interné à l'asile, Sylvia qui l'accueille dans le piano-bar alors qu'il est dans la plus profonde détresse et enfin, l'amie de Sylvia, Gillian qui devient sa femme. Le basculement de l'univers froid, aride et sombre de son père vers sa renaissance par les femmes est symbolisé par l'importance croissante de l'eau dans le film dans laquelle David Helfgott passe l'essentiel de son temps à s'immerger (baignoire, mer, piscine).

"Shine" a révélé Geoffrey Rush qui a reçu l'Oscar du meilleur acteur pour un rôle "à performance". Mais Noah Taylor qui joue David Helfgott adolescent est tout aussi bon, notamment lors de la scène de la désintégration de sa psyché lorsqu'il joue sur scène le très difficile morceau de Rachmaninov voulu par son père. 

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