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Articles avec #film de guerre tag

Oppenheimer

Publié le par Rosalie210

Christopher Nolan (2023)

Oppenheimer

"Oppenheimer" est l'adaptation du livre de Kai Bird et Martin J. Sherwin "Robert Oppenheimer: Triomphe et tragédie d'un génie". En VO, le titre compare Oppenheimer au mythe de Prométhée ce qui est repris dans le film dès la citation qui accompagne les premières images. Ce qui est intéressant dans ce mythe, c'est la versatilité de son interprétation au fil du temps lié au fait que dans la réalité comme dans le mythe (qui est justement une manière d'expliquer le monde), le bien et le mal sont indissociables. Vu d'abord comme un héros positif associé aux progrès de la civilisation occidentale, Prométhée est aujourd'hui associé aux dangers de la "science sans conscience" et Robert Oppenheimer illustre bien cette double facette du Titan: le savant qui vole le feu/l'arme ultime de destruction massive aux Dieux afin de donner un avantage décisif à son camp qu'il pense être celui du bien pour voir ensuite sa création lui échapper, devenir le bouc-émissaire d'une Amérique en pleine paranoïa anti-communiste et être torturé par sa conscience face aux terribles conséquences de l'usage de cette arme entre les mains des grandes puissances.

"Oppenheimer" repose donc sur un matériau solide et une excellente interprétation, Cillian Murphy en tête qui est un habitué des films de Christopher Nolan mais accède enfin à un grand rôle. Son Oppenheimer particulièrement complexe est à la fois proche d'Einstein par son approche scientifique et radicalement opposé à lui sur tout le reste. Aussi les rencontres entre les deux hommes, le vieux sage retiré du monde et le carriériste hanté par les conséquences de son pacte faustien et notamment le final, superbe, en dit très peu et en suggère beaucoup. Des scènes de cette puissance, il y en a d'autres comme l'essai nucléaire qui précède le largage des bombes sur le japon ou la conférence durant laquelle Oppenheimer prend conscience de l'horreur qu'il a rendu possible. Dans les deux cas le décalage entre l'image et le son amplifie la sensation d'apocalypse. Le parallèle entre la basse vengeance de Lewis Strauss, le président de la commission à l'énergie atomique des USA (AEC) sur Oppenheimer puis la revanche des scientifiques au Sénat sur celui-ci vaut aussi son pesant d'or d'autant que si Strauss (Robert Downey Junior) est un personnage simple (un aigri bouffi d'ego), la façon dont Oppenheimer utilise ses démêlés extra-judiciaires pour échapper à sa culpabilité en se posant en victime du maccarthysme est troublante.

Hélas avant cela, il faut subir ce qui s'apparente à une interminable purge de paroles creuses émises par des personnages qui le sont tout autant. Les détracteurs de "Oppenheimer" ont raison au moins sur un point. Le film est "trop": trop long, trop bavard, trop rempli d'effets de style et de personnages secondaires inutiles (tous ces scientifiques au nom et au visage interchangeable auraient pu être réduits de moitié, on aurait pu se passer des scènes de sexe avec l'amante communiste etc). Mais un film plus épuré, plus posé, moins grandiloquent aurait sans doute été moins grand public, aurait moins fait le buzz et Christopher Nolan n'aurait pas pu y greffer ses marottes formalistes. Dommage, il n'en aurait été que plus fort.

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Underground

Publié le par Rosalie210

Emir Kusturica (1995)

Underground

Voilà un film qui n'existait dans ma mémoire que par sa formidable BO que, à l'image de "Arizona Dream" (1993), je n'ai cessé d'écouter en boucle. A cela s'ajoutait quelques images oxymoriques d'une mariée volant à l'intérieur d'une cave. Mais l'histoire, je l'avais complètement oubliée car je n'avais sans doute pas à l'époque compris les enjeux. "Underground" est une fresque historique de la Yougoslavie s'étirant sur plus d'un demi-siècle, de la seconde guerre mondiale jusqu'à la guerre de Bosnie (qui n'était pas terminée quand Emir KUSTURICA a tourné le film) par le biais d'un traitement allégorique, celui de la caverne platonicienne. En effet comme le titre l'indique, la majeure partie des personnages du film vivent confinés dans une cave pendant près de deux décennies, manipulés par un profiteur qui par intérêt personnel les maintient dans l'illusion que la seconde guerre mondiale n'est pas terminée. On pense à "Goodbye Lenin" (2001) qui repose sur un postulat semblable (un fils cache à sa mère alitée les changements historiques en cours en inventant un monde parallèle dans lequel le communisme ne se serait pas effondré) et plus près de nous à "Onoda, 10 000 nuits dans la jungle" (2021) où en vertu des ordres qui lui ont été donné et de son abandon par l'armée japonaise sur une île isolée, Onoda se persuade pendant trente ans que la guerre n'est pas finie. Cette manière de produire un récit uchronique à l'intérieur d'un récit historique est une évidente métaphore du cinéma créateur de fictions au coeur du monde réel. D'ailleurs à la manière d'un Robert ZEMECKIS, Emir KUSTURICA retouche les images d'archives pour y introduire ses personnages de fiction. La confusion entre les deux dimensions est telle que lorsque Blacky et son fils Jovan sortent enfin de la cave, ils tombent en plein tournage d'un film qui reconstitue leur histoire pendant la guerre mais croient qu'il s'agit de la réalité. Et d'une certaine manière, ils ont raison. Car l'imaginaire slave mis sous cloche durant un demi-siècle par la dictature communiste a rejoué sans cesse la même partition belliqueuse qui lui a tenu lieu d'identité. C'est encore le cas en Russie qui vit dans la nostalgie de l'URSS et des victoires contre le nazisme. Aussi l'image des partisans fabriquant de façon immuable des armes à la chaîne sur un atelier circulaire ou bien l'orchestre tzigane tournant sur lui-même comme une toupie illustre bien la folie autarcique s'étant emparé des peuples de l'est emmurés vivants et coupés de l'histoire en marche. Peuples qui une fois déconfinés retournent leur folie guerrière contre leurs semblables sous forme de règlements de comptes et de fractures religieuses, métaphoriquement illustrée par la dérive des continents. Mais le film-somme de Emir KUSTURICA se caractérise aussi par son caractère baroque, ses images oniriques (à l'exemple de la mariée qui vole ou qui nage au fond des eaux) et son rythme frénétique martelé par une fanfare tzigane qui est un personnage du film à part entière. Film paradoxal ayant existé en amont sous forme de pièce de théâtre (grâce à son unité de lieu) et en aval sous forme de mini-série (grâce à son caractère de fresque historique). Oeuvre définitivement hors-norme et quelque peu ogresque qui a valu à son réalisateur d'obtenir sa deuxième Palme d'or en 1995.

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Apocalypse Now

Publié le par Rosalie210

Francis Ford Coppola (1976)

Apocalypse Now
Apocalypse Now

Après "L'Esprit de la ruche" (1973) il y a quelques jours qui évoquait l'imaginaire d'une petite fille face à la mort dans un contexte de dictature franquiste, "Apocalypse Now" (1976) est le deuxième film que je visionne baignant presque entièrement dans la lumière dorée des heures magiques de l'aube et du crépuscule, prolongées en nocturne par la lueur des flambeaux. Le dantesque chef-d'oeuvre que Francis Ford COPPOLA a consacré à la guerre du Vietnam est un voyage dans l'espace-temps dont la dernière demi-heure atteint des sommets de mysticisme magnifié par la renversante photographie. Le colonel Kurtz (Marlon BRANDO) et son alter ego le capitaine Willard (Martin SHEEN) sont filmés comme des idoles de sang et d'or à demi noyées dans l'obscurité. Des idoles condamnées à un crépuscule éternel. Car si le film s'ouvre et se ferme sur "The End" des Doors, il est composé comme une relecture de la tétralogie de Wagner: l'Or du Rhin, c'est le fleuve Congo de la nouvelle de Joseph Conrad "Au coeur des ténèbres" ayant servi de base scénaristique au film. C'est aussi une métaphore: "Apocalypse now" est un film-fleuve. C'est enfin le Nung, nom du fleuve vietnamien que remonte Willard et son équipage à la recherche du colonel Kurtz devenu un seigneur de la guerre vivant avec ses fidèles à la frontière du Cambodge. Pour avoir accès au fleuve, Willard doit faire appel au lieutenant-colonel Bill Kilgore (Robert DUVALL) qui lui fraie un chemin avec sa cavalerie d'hélicoptères au son de la chevauchée des Walkyries. Une séquence entrée dans la légende du cinéma d'autant que l'épique y est modéré par l'horreur et le grotesque qui souligne que Francis Ford COPPOLA n'est pas dupe des images qu'il filme en coupant court à toute héroïsation. Car personne n'a oublié la petite phrase de Kilgore regardant brûler la jungle avec satisfaction "j'aime l'odeur du napalm le matin" alors que sur son ordre deux de ses hommes surfent en terrain pas tout à fait conquis. Puis le film se mue en fleuve-movie oscillant entre séquences introspectives (la lecture des lettres de Kurtz qui "hante" l'ensemble du film bien avant qu'il ne se matérialise en chair et en os) et rencontres symboliques et oniriques qui forment autant de jalons expérimentaux dans la quête de ce nouveau Sigfried qu'est Willard. Outre des soldats abandonnés à eux-mêmes continuant absurdement le combat tels "Onoda, 10 000 nuits dans la jungle" (2021), l'une des plus saisissantes est celle des colons français qui a été rajoutée lorsque Francis Ford COPPOLA a pu remonter le film a postériori. Baignant elle aussi majoritairement dans une lumière crépusculaire, elle peut s'interpréter comme une halte au pays des revenants d'une époque révolue vivant en vase clos hors-sol, celle de l'Indochine française dont la disparition avait donné lieu à une première guerre dans laquelle les USA avaient soutenu la France. Francis Ford COPPOLA parvient ainsi à une rare osmose entre mythologie, histoire et critique: "La Charge héroïque" (1948) du lieutenant-colonel Kilgore avait elle-même de relents de conquête de l'ouest génocidaire du XIX° siècle. Et que dire de la fin avec son décor d'autel païen rempli d'offrandes sanglantes à un monstre terré dans son antre se prenant pour un Dieu et incarnant de même que la lumière en clair-obscur la dualité humaine ("qui fait l'ange fait la bête"). Monstre qui doit être sacrifié par un double adoubé sorti des eaux comme Nessie et devant lequel on se prosterne pour que l'Amérique puisse conserver la conscience claire.

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Promenade avec l'amour et la mort (A Walk with love and death)

Publié le par Rosalie210

John Huston (1969)

Promenade avec l'amour et la mort (A Walk with love and death)

Le XIV° siècle en 1968, il fallait y penser! Les points communs entre la guerre de 100 ans et le soulèvement de la jeunesse occidentale contre les institutions ne semblent pas évident au premier abord. Pourtant John HUSTON entremêle les deux événements historiques (le Moyen-Age du film, la révolution de 1968 contemporaine du tournage) avec bonheur. Aux antipodes de la reconstitution historique spectaculaire et héroïque, il choisit d'adapter l'oeuvre de Hans Koningsberger avec une certaine humilité. Il parvient à rendre ces événements lointains intemporels et donc proches de nous. Pour cela, il fait le double choix du réalisme (comme Bertrand TAVERNIER) et de l'épure (comme Ingmar BERGMAN), le film se déroulant pour l'essentiel dans des paysages naturels (forêt, dunes) ou dans des décors dépouillés de châteaux et d'abbaye. Et il se concentre sur un aspect méconnu de la guerre de 100 ans et beaucoup plus important et structurant dans l'histoire de la France que ceux qui sont mis en avant dans les films consacrés à cette période: la guerre civile qui oppose les nobles aux paysans révoltés. En réalité cette guerre de castes a commencé dès la mise en place de l'ordre féodal vers l'an mille et s'est poursuivie par intermittences jusqu'à la Révolution française huit siècles plus tard (et même un peu plus tard comme le raconte Eugène le Roy dans "Jacquou le Croquant" qui se déroule sous la Restauration). La guerre de 100 ans étant une période de chaos, elle a entraîné la résurgence des actes de jacquerie contre les châteaux, férocement réprimés par les nobles et condamnés par l'Eglise. John HUSTON qui fait une brève apparition dans le film joue un noble "Robin des bois" qui soutient la paysannerie et accable particulièrement le puritanisme religieux, faisant ainsi le lien avec mai 1968. C'est en effet dans ce contexte troublé que deux jeunes gens déracinés, Heron de Foix et Claudia de Saint-Jean errent à la recherche d'un lieu où ils seraient libres de s'aimer en paix. Mais la violence rattrape partout le couple "love and peace" au point que leur désir de s'échapper par la mer apparaît de plus en plus comme une chimère. Il y a une parenté très frappante entre la dramaturgie de ce film et celle de "The African Queen" (1951) à savoir un rapprochement amoureux entre deux êtres a priori éloignés jetés dans un "trip movie" sur l'eau ou sur les chemins en pleine nature et en pleine guerre et ce jusqu'au final à savoir un mariage improvisé dans une situation désespérée. Ce sont les premiers pas à l'écran de Anjelica HUSTON alors âgée de 16 ans et dont la beauté singulière m'a fait penser à celle de Alana HAIM, l'interprète de Alana Kane dans "Licorice Pizza" (2021). Amusant quand on sait que son partenaire à l'écran, Assaf Dayan est le fils d'un héros de guerre israélien qui a préféré comme son personnage choisir la vie de bohème. John HUSTON aura eu ainsi la particularité d'avoir dirigé au cours de sa carrière son père, Walter HUSTON et sa fille, Anjelica HUSTON.

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La Conférence (Die Wannsee Konferenz)

Publié le par Rosalie210

Matti Geschonneck (2023)

La Conférence (Die Wannsee Konferenz)

"La Conférence" fait référence à la conférence de Wannsee qui réunit en janvier 1942 une quinzaine de dignitaires nazis dans le but de planifier et systématiser le génocide des juifs d'Europe. Celui-ci avait en effet déjà commencé à l'est à la suite de l'invasion de l'URSS le 22 juin 1941. A la date de la conférence, 500 mille juifs avaient déjà péri, essentiellement par balles. Deux téléfilms ont été déjà consacré à cet événement, une production austro-allemande en 1984 sous la direction de Heinz SCHIRK et une autre en 2001 pour la BBC "Conspiration" (2001) avec des acteurs britanniques (dont Kenneth BRANAGH et Colin FIRTH). Mais il s'agit de la première adaptation pour le cinéma. Un huis-clos tourné dans la villa où eut lieu la véritable conférence, en temps quasi-réel (elle dura 1h48 soit la durée totale du film). Aucune fioriture: le film colle le plus possible aux faits, tels qu'on les connaît par le procès-verbal de 15 pages qui fut rédigé à cette occasion par la secrétaire d'Eichmann et distribué en trente exemplaires. Aucune musique ne vient s'immiscer dans le film ni avant, ni pendant, ni après. C'est austère, rigoureux, un peu compliqué à suivre pour le néophyte qui a peu d'éléments auxquels se raccrocher étant donné que la majorité des hommes présents ce jour-là étaient des seconds couteaux dont les noms sont inconnus du grand public. Mais cela n'en illustre que mieux les rouages bureaucratiques de la machine de mort nazie. Ce qui ressort en effet de leurs échanges durant cette conférence, c'est la volonté de rationaliser la haine antisémite et l'assassinat de masse en l'enfermant dans une logique d'efficacité ordonnée, normée, froide, abstraite, administrative, chiffrée. La planification de la Shoah se réduit à une série de problèmes techniques à régler (celui des transports, du mode opératoire etc.), de querelles d'ego à "gérer" (entre celui qui ne veut pas que l'on détricote "ses" lois de Nuremberg, celui qui se soucie des questions de main-d'oeuvre qualifiée à préserver temporairement pour l'économie de guerre, celui qui n'accepte d'accueillir sur son sol les structures d'extermination que si "ses" juifs sont "traités" en priorité etc.) et de questions financières (faire payer aux juifs leur propre anéantissement sur leurs biens confisqués). "La Question humaine" (2007)* est quant à elle presque totalement évacuée des débats, de la même manière que les juifs seront "évacués" vers l'est. Presque, car tout de même à deux ou trois reprises, elle fait brièvement surface dans les préoccupations d'un ou deux de ces dignitaires. Lorsqu'il s'agit de mesurer les ravages psychologiques des fusillades de masse sur les bourreaux ou encore lorsqu'il s'agit de trancher sur le cas des couples mixtes et de leurs enfants, les nazis entrevoient l'aspect autodestructeur de leur entreprise et préfèrent alors botter en touche ou contourner le problème en invisibilisant le meurtre de masse par les chambres à gaz et une main d'oeuvre d'esclaves en sursis pour assurer leur fonctionnement.

* Le film de Nicolas KLOTZ adapté du livre de François Emmanuel établit la parenté évidente entre le vocabulaire déshumanisé des nazis et celui des entreprises capitalistes. J'ai d'ailleurs lu une critique de "La Conférence" qui établit ce même parallèle dans le magazine en ligne "Close-up" sous le titre évocateur de "libéralisation du fascisme" daté du 14 avril 2023 qui compare Heydrich qui présidait la conférence à Steve Jobs, Apple étant remplacé par le génocide. Extrait choisi: "Dans cette salle, on ne parle pas d’humains, mais d’une figure jugée inférieure, de chiffres qu’il faut liquider. On ne tue pas, on évacue, on traite spécialement, on règle un problème d’hygiène raciale… Il n’y a pas d’affect, juste une froideur calculatrice qui permet de se détacher de la moindre morale. Ces hommes sont persuadés de faire la bonne chose, d’être les héros de l’histoire qu’ils souhaitent écrire pour le futur. Victimes de leur propre arrogance, le compte-rendu de cette conférence dont ils sont si fiers servira de preuves lorsque le temps de les condamner pour leurs atrocités sera venu. Dans une gravité et des proportions bien différentes, une entreprise se rapproche de ces raisonnements lorsqu’elle délocalise dans un but purement lucratif. Elle ne se soucie pas des dégâts qu’elle inflige à des régions entières, des vies essorées par des années de travail qu’elle brise du jour au lendemain. Les humains sont des données que l’entreprise peut déplacer d’un continent à l’autre. Tant que les bénéfices sont maintenus, rien d’autre importe. Les dirigeants prennent la décision entre deux réunions, sans le moindre regard sur les conséquences de leurs actes. Après la conférence de Wannsee, Heydrich et ses comparses s’envolent pour régler d’autres questions subalternes. La décision d’éliminer des millions de personnes n’était qu’un point banal dans une journée banale. L’horreur n’a pas besoin de monstres ou de tueurs, elle réside dans cette indifférence malheureusement toujours présente de nos jours. L’indifférence du “eux” et du “nous”, entre “ceux qui dirigent” et “ceux qui doivent être dirigés”, comme si nous n’étions pas tous membres d’un groupe commun : l’Homme." A méditer en ces temps troublés.

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Dieu seul le sait (Heaven Knows Mr Allison)

Publié le par Rosalie210

John Huston (1957)

Dieu seul le sait (Heaven Knows Mr Allison)

Entre "The African Queen" (1951) (un récit d'aventure et d'amour entre deux contraires contraints de survivre en huis-clos dans la jungle tropicale et dans un contexte de guerre mondiale) et "La Nuit de l'iguane" (1964) (reptile qui comme la tortue dans "Dieu seul le sait" symbolise les désirs sexuels refoulés de personnages eux aussi très polarisés ou écartelés et dans lequel joue aussi Deborah KERR dans un rôle assez proche de soeur Angela), "Dieu seul le sait" est un film magnifique, une sorte de huis-clos insulaire d'une très grande intensité entre un Marine de la guerre du Pacifique sauvé des eaux comme Moïse et une bonne soeur, seule rescapée de sa congrégation qui sans lui, n'aurait pas survécu. L'affection immédiate qu'éprouvent l'un pour l'autre le caporal Allison et la soeur Angela (et qui reflétait l'amitié réelle qui unissait Robert MITCHUM et Deborah KERR) et qui a quelque chose d'ingénu et de profondément émouvant se transforme peu à peu en quelque chose de plus trouble lorsqu'ils sont forcés de se cacher dans une grotte lors de l'invasion de l'île par les japonais. Et la grotte n'est pas le seul élément (avec la tortue) symbolique du film. L'évolution des vêtements des deux protagonistes en est un autre. Sorte d'armure qui les enferme dans leurs sacerdoces respectifs, ils sont amenés à les quitter une première fois lorsque les japonais relâchent la pression en quittant temporairement l'île. Si cela n'a aucun effet sur Angela qui depuis les premières images baigne dans une blancheur immaculée complètement irréelle après des jours et des nuits passées dans la jungle et dans la grotte, le bain transforme le caporal hirsute et aux abois depuis les premières images en homme séduisant et détendu qui pour la première fois exprime ses sentiments à Angela qui lui oppose ses fiançailles avec Dieu. Arrive alors le deuxième moment de basculement lorsqu'après avoir tenté de noyer sa frustration dans l'alcool, le caporal qui a laissé échapper de nouveau son amour et son amertume provoque la fuite d'Angela sous la pluie dont l'apparence connaît alors une métamorphose spectaculaire: ses vêtements se mouillent et s'encrassent presque immédiatement et ne reviendront jamais à leur état initial ce qui est un indice qui se passe de mot sur l'évolution que connaît le personnage, en proie subitement à une forte fièvre et qui se retrouve comme Madeleine dans "Vertigo" (1958) nue sous des couvertures, sa chevelure flamboyante jusque là dissimulée apparaissant au moment même où le caporal lui donne sa veste, laissant alors apparaître toute son animalité. Ne reste plus à Angela, une fois rétablie à prendre soin à son tour du caporal lors d'une fin (qui est aussi celle de la délivrance américaine de l'île) ouverte à tous les possibles.

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Week-end à Zuydcoote

Publié le par Rosalie210

Henri Verneuil (1964)

Week-end à Zuydcoote

Voilà un film à redécouvrir et à réévaluer. En ayant été catalogué comme un film commercial et comme une commande, on a oublié ce qui pourtant, saute aux yeux et fait si cruellement défaut au "Dunkerque" (2017) de Christopher NOLAN: l'expérience intime. Car de la première à la dernière image, on sent le vécu, celui de l'auteur du livre, Robert MERLE qui a scénarisé son adaptation au cinéma. Pas étonnant que "Week-end à Zuydcoote" soit particulièrement sombre, en décalage avec un cinéma de guerre vantant alors largement l'héroïsme de la Résistance. Rien de tel dans "Week-end à Zuydcoote" qui se situe à hauteur d'hommes ordinaires confrontés à une situation désespérée (la poche de Dunkerque qui se referme comme un piège, les conditions dantesques de l'évacuation). Si la camaraderie et l'amour sont présentés comme des refuges, ils ne tiennent pas bien longtemps face à la sauvagerie de la guerre. La mort du personnage incarné par François PÉRIER parti chercher l'eau pour le café en est un symbole tout comme la destruction du bateau à bord duquel tentait de fuir un couple binational. Par contraste, le personnage de combinard joué par Pierre MONDY qui annonce la collaboration, celui d'enragé qui tire dans le tas à la manière de "Full Metal Jacket" (1987), provoquant l'exécution d'un parachutiste allemand tombé sur la plage ainsi que les détrousseurs de cadavres et les deux violeurs français incarnent l'anomie de la guerre. Le personnage central de Maillat joué remarquablement par Jean-Paul BELMONDO erre ainsi sans succès durant tout le film en plein cauchemar, à la recherche d'une issue introuvable, éprouvant l'absurdité de nombre de situations, l'horreur de nombre d'autres échouant à ramener l'un des deux violeurs à son humanité en essayant de lui parler comme il échoue à fuir en Angleterre. Seul gros bémol du film: le personnage d'écervelée capricieuse (mal) joué par Catherine SPAAK qui semble en décalage total avec le reste du film et dont le comportement hors-sol n'est pas crédible. Elle ne pense qu'à sauver sa maison dont on se demande bien comment elle peut tenir encore debout et ne semble presque jamais éprouver la moindre crainte. Ou alors c'est une manière subliminale de nous dire qu'elle n'est pas humaine ce qui explique qu'elle puisse regarder à la jumelle les avions de combat depuis la fenêtre de sa maison ou se promener tranquillement sur la plage de Dunkerque avec deux valises et une robe rouge vif alors que les avions allemands ne cessent de l'arroser de leurs bombes. Mais il y a mieux que le coup de l'ange pour terminer un film qui se veut réaliste.

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Dunkerque (Dunkirk)

Publié le par Rosalie210

Christopher Nolan (2017)

Dunkerque (Dunkirk)

Immersif et abstrait, le "Dunkerque" de Christopher NOLAN m'a fait penser à "Inception" (2009) avec son montage alterné sur trois temporalités différentes. Une évacuation sur la jetée qui dure une semaine, un bateau de plaisance qui se porte au secours des naufragés sur une journée et un pilote d'avion qui tente de couvrir les opérations sur une heure. Le résultat qui fait penser à un jeu vidéo est cependant brouillon et répétitif. Le scénario est rachitique et les personnages interchangeables, une impression renforcée par le minimalisme des images: ciel, plage, mer presque vides où apparaissent parfois quelques points ou lignes de points. Ennemi invisible, allié français presque inexistant, plage immaculée et ville de Dunkerque anachronique et intacte déréalisent et décontextualisent complètement la guerre. C'est d'ailleurs le but affiché par Christopher NOLAN qui a préféré faire un film de survie. Mieux vaut en effet ne pas être claustrophobe tant les scènes où les soldats sont pris au piège d'une carcasse de bateau ou d'avion qui coule sont nombreuses. On a bien du mal à croire que 300 mille des 400 mille soldats britanniques ont pu être sauvés dans ces conditions tant Christopher Nolan insiste sur les torpillages de bateaux, les mitraillages sur la plage et la sensation d'oppression qui en résulte, renforcée par la musique lancinante de Hans ZIMMER. C'est à peu près la seule sensation qui émerge de ce film qui paradoxalement s'avère étouffant en filmant pourtant des espaces épurés et infinis.

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Un Pont Trop Loin (A Bridge Too Far)

Publié le par Rosalie210

Richard Attenborough (1977)

Un Pont Trop Loin (A Bridge Too Far)

"Un pont trop loin" est le miroir inversé de "Le Jour le plus long" (1962). Les deux films sont l'adaptation d'un livre du même auteur, le journaliste Cornelius Ryan racontant chronologiquement une opération de grande envergure menée par les alliés en 1944. Mais là où "Le Jour le plus long" chronique un moment glorieux de la guerre, l'opération Overlord c'est à dire le débarquement anglo-américain en Normandie du 6 juin 1944, "Un pont trop loin" raconte l'opération aéroportée "Market Garden" de septembre 1944 qui se solda par un fiasco et de terribles pertes humaines. Le plan était celui du général britannique Montgomery: parachuter des dizaines de milliers d'hommes aux Pays-Bas, derrière les lignes ennemies pour qu'ils sécurisent les ponts permettant d'acheminer les blindés jusqu'au Rhin et permettent ainsi aux alliés d'entrer plus vite en Allemagne. L'opération fut avalisée par Eisenhower parce qu'elle permettait en cas de réussite d'écourter la guerre alors que les problèmes logistiques des alliés se faisaient de plus en plus aigus. Sauf qu'elle reposait sur une erreur d'appréciation fondamentale: celle des capacités de résistance de l'armée allemande, certes en repli mais pas encore en déroute. De plus, l'aspect démesuré de l'opération ne laisse guère de doutes sur l'hubris de son concepteur et sa volonté de tirer la couverture à lui pour laisser sa trace dans l'histoire au détriment des autres généraux (Patton par exemple qui était en désaccord avec lui). A propos d'hubris, on peut également évoquer le match des producteurs, celui de "Un pont trop loin", Joseph E. LEVINE désirant faire au moins aussi bien que Darryl F. ZANUCK qui avait produit son "concurrent", "Le Jour le plus long".

Richard ATTENBOROUGH, le réalisateur britannique de "Un pont trop loin" a signé par la suite d'autres superproductions mais à caractère biographique telles que "Gandhi" (1982) et "Chaplin" (1992). Outre l'aspect spectaculaire de la reconstitution et un casting de stars long comme le bras (mais qui a pour inconvénient de réduire la part de chacun à la portion congrue, certains s'en sortant mieux que d'autres), le film a une qualité que je n'ai vu soulignée nulle part mais qui m'a frappée: sa capacité à donner un caractère humaniste aux morceaux de bravoure, à ne pas perdre de vue l'intime au coeur de son récit de guerre. C'est la scène dans laquelle le sergent Dohun (James CAAN) brave le danger pour sauver son capitaine gravement blessé qu'il a juré de protéger au début du film; celle dans laquelle Robert REDFORD récite le "je vous salue Marie" alors qu'il est canardé avec ses hommes pendant la traversée d'un fleuve. Ou encore toutes celles qui dépeignent la guerre de position désespérée menée au nord du pont d'Arnhem par le lieutenant-colonel Frost et ses hommes trop peu nombreux qui investissent une maison dont on voit les étapes de la destruction ainsi que celle de leurs propriétaires. Anthony HOPKINS, acteur fétiche de Richard ATTENBOROUGH (il jouera ensuite pour lui dans "Magic" (1978) et "Les Ombres du coeur") (1993) y est déjà intense et bouleversant dans les derniers moments, éclipsant le reste du prestigieux casting à l'exception de Sean CONNERY, lui aussi remarquable.

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La Ligne rouge (The Thin Red Line)

Publié le par Rosalie210

Terrence Malick (1997)

La Ligne rouge (The Thin Red Line)

A la fin de "La Ligne rouge", on entend "God, Yu Tekkem Laef Blong Mi", chanté par une chorale d'enfants mélanésiens, une composition de Hans ZIMMER qui pour l'anecdote a été reprise plus récemment dans la campagne publicitaire des assurances GMF. Une chorale qui répond à un film choral, une communion qui s'adresse à dieu à la manière d'un gospel car pour reprendre la chanson sur l'enfance de Peter HANDKE " Lorsque l'enfant était enfant (...) pour lui, tout avait une âme, et toutes les âmes n'en faisaient qu'une". Aussi, bien que les huit soldats mis en avant dans "La Ligne rouge" aient chacun une individualité qui n'hésitent pas à s'affronter, lorsque le film s'élève vers les cieux, on les écoute penser comme les anges écoutaient les monologues des humains dans "Les Ailes du désir" (1987) et ce que l'on entend nous fait comprendre que ces hommes par delà leurs différences partagent la même nature. Terrence MALICK réussit avec "La Ligne rouge" un authentique exploit. Il nous déroule un récit de guerre limpide et contextualisé (la bataille de Guadalcanal en 1942, l'un des tournants de la guerre du Pacifique) avec une grande précision dans la mise en scène de la prise de la colline 210 et en même temps, il inscrit celle-ci au sein d'une entité plus vaste qui se moque des enjeux géopolitiques et idéologiques qui agitent les armées des pays en guerre ce qui en décentre le propos. "La propriété! Tout ce foutoir, c'est pour la propriété" s'exclame le sergent Welsh (Sean PENN) qui prétend ne croire en rien mais n'hésite pas à risquer sa vie pour soulager un soldat mourant. Il est particulièrement lié au soldat Witt (Jim CAVIEZEL), un mystique qui voit en chaque être l'étincelle divine qui est en lui et n'hésite pas à déserter pour partager la vie simple des indigènes qui vivent en communion avec la nature. Eux aussi se moquent bien de ce qui agite japonais et américains, renvoyés dos à dos lorsqu'ils ne sont plus que de la chair meurtrie ou pourrie que viennent s'arracher les chiens errants ou les vautours. Car la vie reprend toujours ses droits comme le montre la dernière image du film. Mais même lorsqu'il doit se confronter à la laideur de la guerre, Terrence MALICK parvient à en extraire de la beauté, que ce soit le soldat Bell (Ben CHAPLIN) qui se remémore les jours heureux passés avec sa femme ou le lien de confiance qui se créé entre le capitaine Staros (Elias KOTEAS) et ses hommes qu'il veut préserver des décisions va-t-en-guerre du lieutenant-colonel Tall (Nick NOLTE) qui cherche ainsi à dissimuler combien il se sent rongé de l'intérieur. Les quelques images un peu trop "léchées" qui sont prédominantes dans d'autres films du réalisateur n'altèrent ici en rien sa puissance évocatrice.

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