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Articles avec #film de guerre tag

Un long dimanche de fiançailles

Publié le par Rosalie210

Jean-Pierre Jeunet (2004)

Un long dimanche de fiançailles

"Un long dimanche de fiançailles" est l'un des rares films de Jean-Pierre Jeunet que je n'avais pas encore revu. Maintenant, je me dis que c'est le destin d'avoir gardé ce film en réserve pour pouvoir rendre hommage à Gaspard Ulliel dont c'était le premier rôle majeur, couronné par le César du meilleur espoir masculin. On peut d'ailleurs saluer la qualité et la variété de la distribution qui certes, reprend une bonne partie du casting de "Delicatessen" et de "Le Fabuleux destin de Amélie Poulain" (de Audrey Tautou à André Dussollier en passant par Dominique Pinon, Ticky Holgado, Jean-Claude Dreyfus ou Urbain Cancelier) mais en ajoute pas mal de nouveaux, venus d'autres horizons comme Albert Dupontel, Denis Lavant, Clovis Cornillac, Jean-Pierre Daroussin, Julie Depardieu, Jodie Foster, Jean-Paul Rouve, Michel Vuillermoz ou bien alors des nouveaux venus à l'aube d'une belle carrière: outre Gaspard Ulliel, l'étoile montante Marion Cotillard confirmait son talent en obtenant le César du meilleur second rôle alors qu'elle n'apparaît que huit minutes dans le film (mais dans un rôle de justicière qui redouble celui de Mathilde la détective).

Cette densité de talents au mètre carré se retrouve dans l'intrigue et dans l'image. L'histoire, adaptée du roman de Sébastien Japrisot mêle deux récits (le passé de la guerre en couleurs sombres, le présent de l'après-guerre en sépia) et est originale en ce sens que c'est une femme (handicapée qui plus est) qui en est le centre et le moteur. La première guerre mondiale et ses horreurs* est évoquée en effet en fonction des progrès de l'enquête que Mathilde mène en 1920, seule contre tous ou presque à croire que son fiancé a survécu sur la foi d'une intuition intime (que l'on peut comparer à la quête de Tintin à la recherche de Tchang dans "Tintin au Tibet" alors que tout le monde le croit mort). L'obstination de ce petit bout de femme à découvrir la vérité l'amènera à croiser d'autres destins et à recouper leurs témoignages pour en démêler le vrai du faux. La scène cruciale de l'Albatros, l'avion allemand qui tire sur Manech alors qu'il grave les lettres de son amour à Mathilde (MMM) sur le tronc d'un arbre calciné est ainsi revue plusieurs fois, la version de cet épisode variant selon les témoins (français ou allemand, depuis la tranchée ou dans le no man's land à la manière d'un "Râshomon"). Quant aux lieux, ils sont superbement reconstitués avec tout le savoir-faire méticuleux d'un réalisateur attentif au moindre détail. Et si le récit tient en haleine avec un sens du rythme qui n'est plus à démontrer et des rebondissements perpétuels, il ménage des pauses solitaires et mélancoliques dans lesquelles les deux éternels fiancés pensent l'un à l'autre dans le désert, l'un en gravant ses lettres d'amour éternel dans le bois au milieu de l'enfer et l'autre en jouant du tuba face à la mer.

* La première guerre mondiale a fait l'objet de nombreuses oeuvres marquantes auquel le film de Jeunet fait référence, des BD de Jacques Tardi (dès les premières images, j'ai reconnu le cadavre du cheval pendouillant dans un arbre) jusqu'aux "Sentiers de la gloire" de Stanley Kubrick (les exécutions pour l'exemple).

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Capitaine Conan

Publié le par Rosalie210

Bertrand Tavernier (1996)

Capitaine Conan

J'ai eu il y a quelques années un "faux départ" avec "Capitaine Conan". Enthousiasmée par "La Vie et rien d'autre" (mon film préféré de Bertrand Tavernier) j'ai voulu enchaîner avec le DVD de son autre grand film sur l'après-guerre (de la première guerre mondiale) mais j'ai baissé les bras au bout de cinq minutes, découragée par l'argot des tranchées dont j'étais loin de connaître tous les termes qui plus est débité à une cadence infernale.

Il serait pourtant vraiment dommage de se laisser arrêter par cet obstacle (gênant surtout au début, après, on s'y habitue ou alors on prend un lexique pour s'aider). Les films historiques de Bertrand Tavernier, saisissants de réalisme et de dynamisme comme s'ils étaient une sorte de reportage de terrain "pris sur le vif" font partie des meilleurs qui existent par le fait d'être capable de donner vie et chair au passé, par le fait qu'il s'agit d'un cinéma humaniste, un cinéma filmé à hauteur d'homme, sans aucun manichéisme. Une scène en particulier illustre bien "l'esprit Tavernier" dans "Capitaine Conan": celle de l'armistice du 11 novembre 1918 qui est totalement démythifié. On y voit des soldats torturés par la dysenterie dont certains partent se cacher derrière le premier obstacle venu pour se soulager plutôt que d'écouter un discours officiel aux allures de pétard mouillé, au sens propre d'ailleurs puisqu'il pleut des cordes. D'ailleurs cette armistice n'en est pas un pour Conan et ses hommes que l'on envoie en Roumanie traquer le Bolchévik. Et même s'ils avaient été démobilisés, la guerre aurait de toute façon continué dans leur tête et dans leur corps.

Car ce que le film de Bertrand Tavernier montre d'une façon admirable, c'est comment la "culture de guerre" c'est à dire la sauvagerie vécue au quotidien imprègne des hommes au point qu'ils ne peuvent plus revenir à la civilisation une fois celle-ci terminée. La décision d'envoyer le corps franc du capitaine Conan terroriser les roumains plutôt que de les faire revenir en France est d'un cynisme révoltant. Un redoutable commando dont la France a bien su se servir en temps de guerre comme champions du combat au corps à corps mais dont elle cherche ensuite à se débarrasser en temps de paix quand ces comportements deviennent ceux de hors la loi, délinquants et criminels en se défaussant de ses responsabilités et en "refilant le bébé" à d'autres pays. C'est pourquoi, sans excuser les exactions dont se rendent coupables ces soldats, Bertrand Tavernier montre comment ceux-ci sont à la fois des bourreaux et des victimes. Et dresse au passage deux admirables portraits, non moins admirablement joués, celui de leur capitaine, Conan (Philippe Torreton, magistral), un dur à cuire fruste issu du peuple qui partage le sort de ses hommes et les défend corps et âme au point de prendre tous leurs errements sur lui et celui du lieutenant Norbert (Samuel Le Bihan) issu d'un milieu intellectuel et bourgeois donc bien plus policé et conscient des lois mais qu'une amitié indéfectible lie à Conan. Norbert décide d'accepter la mission de commissaire-rapporteur pour faire régner la justice au milieu du chaos. Non une justice désincarnée mais une justice humaine pour redonner des repères à ces hommes perdus et les protéger du pire tout en protégeant également la société de leur dérive. Cela ne va pas sans tensions avec Conan qui accuse Norbert d'être un vendu (la vision que Conan -et derrière lui Bertrand Tavernier- a de l'Etat-Major est digne de celle de Stanley Kubrick dans "Les Sentiers de la gloire" même si le personnage du lieutenant joué par Bernard le Coq vient nuancer le propos) mais leur conflit lié à leur différence de classe et d'éducation renforce au final leur amitié. Au point que l'on voir Conan faire ce qu'aucun membre du tribunal militaire ne daigne faire: aller sur le terrain pour comprendre comment un jeune soldat a pu perdre les pédales au point de se livrer à l'ennemi avec des secrets militaires dans la poche (haute trahison qui le rend passible du peloton d'exécution). La valeur du geste étant lié au fait que ce soldat est pourtant issu de l'aristocratie, sa mère étant même liée aux membres de l'Etat-Major. On comprend ainsi comment le fait de se comporter en homme d'honneur sur le champ de bataille peut transcender les barrières de classe sociale (soit exactement ce que démontrait Jean Renoir dans "La Grande Illusion" autre grand film sur cette période). La scène finale, d'une grande force émotionnelle montre aussi comment une fois sorti pour de bon de la guerre, Conan qui faisait office de pilier pour tous les autres s'avère rongé de l'intérieur par le mal incurable de ce qu'il a subi et infligé. Une scène si forte qu'elle vous poursuit bien au-delà du visionnage du film*.

* Que Philippe Torreton ait reçu le césar du meilleur acteur et Bertrand Tavernier celui du meilleur réalisateur pour ce film n'est que justice.

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Monsieur Batignole

Publié le par Rosalie210

Gérard Jugnot (2002)

Monsieur Batignole

Il y a deux parties dans "Monsieur Batignole". La première dresse le portrait d'un français moyen attentiste comme 90% de ses compatriotes pendant la seconde guerre mondiale. Un boucher-charcutier (Gérard Jugnot) un peu beauf et pas très regardant sur les méthodes qu'utilise Pierre-Jean son futur beau-fils collabo zélé (Jean-Paul Rouve, tellement convaincant qu'il a décroché le César du meilleur espoir) pour leur obtenir divers privilèges en terme de logement, moyen de locomotion et généreux client. Les deux premiers sont des biens spoliés à des juifs et le troisième est le SS dont Pierre-Jean est le larbin. Arrive alors la seconde partie, quand Edmond Batignole est confronté aux conséquences de ses actes et se voit obligé de prendre parti. Simon (Jules Sitruk), le fils cadet de la famille juive dont les Batignole ont récupéré l'appartement parvient à échapper à la déportation et à revenir frapper à la porte de son ancien chez-lui. La peinture de la camionnette de livraison s'écaille, révélant les étoiles de David cachées dessous. Et Pierre-Jean s'avère être un dangereux psychopathe qu'il est impossible d'amadouer. La vie de Edmond Batignole bascule alors dans le danger et la clandestinité lorsqu'il décide de sauver Simon et ses cousines au point qu'il finit par s'identifier au père biologique de Simon (et au sort des juifs en général).

"Monsieur Batignole" est un film humaniste qui dresse un portrait intéressant d'un français ordinaire confronté à des événements qui le dépassent et l'obligent à se dépasser. Si le début se situe dans une veine réaliste à tendance satirique et ne manque pas de mordant, la suite relève davantage du conte de fée tant les rebondissements sont invraisemblables. Ainsi Batignole se transforme-t-il comme par magie en super-héros capable de terrasser n'importe quel "méchant" (de Pierre-Jean à un flic par trop fouineur), de séduire la fermière esseulée et de redresser les entorses comme les torts. Cet aspect spectaculaire nécessaire aux rebondissements dramatiques n'est pas la manière la plus fine d'évoquer les actions des Justes de France pour contrecarrer le programme génocidaire des nazis. Seule la sensibilité du jeu des acteurs (Jugnot inclus) permet d'échapper à la caricature.

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Attaque! (Attack!)

Publié le par Rosalie210

Robert Aldrich (1956)

Attaque! (Attack!)

Excellent film de Robert ALDRICH, puissant et sans concessions de bout en bout qui n'est pas sans faire penser au beaucoup plus connu "Les Sentiers de la gloire" (1957) sorti l'année suivante. Bien que l'intrigue de "Attaque!" se déroule en 1944 au sein de l'armée américaine dans une ambiance de huis-clos étouffant, même dans les scènes d'extérieur (le scénario est tiré d'une pièce de théâtre, ceci explique cela), on retrouve la dénonciation de ce qui est au coeur du futur film de Stanley KUBRICK: la culture de l'obéissance et de l'irresponsabilité au sein de l'armée, minée par les hiérarchies sociales et la corruption. C'est ainsi qu'un peloton mené par le lieutenant Da Costa (Jack PALANCE) se fait absurdement décimer en raison de l'incompétence et de la lâcheté de leur supérieur, le capitaine Cooney (Eddie ALBERT) dont les agissements sont couverts par le colonel Bartlett (Lee MARVIN). Il apparaît que Cooney occupe le poste parce que c'est un fils à papa qui a des relations dont espère profiter le colonel Bartlett qui ambitionne de faire une carrière politique dans le civil. Mais l'incapacité de Cooney à faire face à la situation évolue vers une démarche suicidaire pour la compagnie toute entière. Plus l'étau de l'ennemi se resserre, plus l'étendue de la névrose de celui-ci se révèle dans toute son horreur alors que le calculateur colonel ne pense qu'à tirer un profit personnel de la situation. Face à ce commandement pourri jusqu'à la moëlle, le film met en avant des hommes rudes mais qui se soucient les uns des autres, serrent les coudes et tentent de rester fidèles à une ligne de conduite honorable. Jack PALANCE est particulièrement impressionnant. Robert ALDRICH n'y va pas avec le dos de la cuillère quand il s'agit de martyriser les corps et de montrer la violence dans toute sa sécheresse et sa brutalité et on reste hanté par la vision frontale de son visage de cire aux yeux révulsés et à la bouche grande ouverte, figé dans sa rage par une mort violente qu'aucune retouche de thanatopracteur ne vient atténuer.

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Au nom de tous les miens

Publié le par Rosalie210

Robert Enrico (1982)

Au nom de tous les miens

Je ne pensais pas pouvoir revoir un jour "Au nom de tous les miens" que j'avais découvert sous forme de série télévisée de huit épisodes d'une heure dans les années 80. La version cinématographique qui ne fait que 2h20 est d'ailleurs bancale avec des coupes brutales et des problèmes de raccord. D'autre part elle est déséquilibrée: les années qui suivent la guerre sont expédiées en vingt minutes. De façon plus générale la qualité du film laisse à désirer. Entre autre la pellicule accuse son âge et la distribution (dominée par Michael York, Jacques Penot, Macha Méril et Brigitte Fossey) est inégale. On est plus proche du téléfilm (bien qu'il y en ait d'excellents, dans ce domaine aussi la nuance s'impose) que du film de cinéma.

Il n'en reste pas moins que "Au nom de tous les miens" mériterait de sortir de l'oubli car il occupe une place intéressante dans l'histoire de la mémoire de la Shoah. Contemporain du documentaire fleuve de Claude LANZMANN sur les centres d'extermination polonais, il appartient à cette même ère d'avènement du témoin. Il s'agit en effet de la transposition des mémoires d'un des rares survivants de l'insurrection du ghetto de Varsovie, Martin Gray dont le destin fut hors-norme puisqu'il réussit également à s'évader du camp d'extermination de Treblinka. Une telle "baraka" suscita à sa sortie des polémiques sur la véracité des faits relatés. En effet plusieurs historiens dont Pierre Vidal Naquet, bien connu pour son travail sur les négationnistes pensaient que Martin Gray et son "nègre", l'historien Max Gallo qui rédigea le livre en 1971 avaient enjolivé les faits voire en avaient inventés certains, mettant en doute plus particulièrement le passage de Martin Gray à Treblinka. Mais il lui fut impossible tout comme aux autres de démêler ce qui relevait de la fiction et ce qui relevait de la réalité.

En réalité, je dirais "peu importe", finalement l'essentiel n'est pas là. Romancé ou pas, le témoignage de Martin Gray reste très riche (sur le fonctionnement du ghetto notamment) et sa vie exceptionnelle fait s'interroger sur le concept de résilience. En effet celui-ci partage avec Roman POLANSKI également juif polonais rescapé de la Shoah le fait d'avoir perdu deux fois sa famille à plus de vingt ans d'écart dans des circonstances tragiques et de s'en être relevé pour la reconstruire une troisième fois tout en poursuivant une oeuvre d'utilité publique. Le "merveilleux malheur" de Boris Cyrulnik (lui-même un rescapé) s'y incarne de façon très concrète au travers de ces acharnés de la survie qui ont puisé leur force de vivre et de témoigner dans leurs drames personnels.

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Le Silence de la mer

Publié le par Rosalie210

Jean-Pierre Melville (1949)

Le Silence de la mer

"Le Silence de la mer" d'après la nouvelle éponyme de Vercors est le premier film de Jean-Pierre MELVILLE. Tourné dans l'après-guerre, dans des conditions très difficiles et dans la clandestinité (car Melville n'avait pas les droits d'adaptation du livre), il révéla le cinéaste qui devint l'un des inspirateurs de la nouvelle vague (comme on peut le constater par exemple dans "À bout de souffle" (1959) dans lequel Jean-Pierre MELVILLE fait une apparition dans son propre rôle).

"Le Silence de la mer" est une oeuvre magnifique sur les ravages que la guerre cause à l'humanité, d'autant plus magnifique qu'elle fonctionne à un niveau métaphorique extrêmement dépouillé qui en fait toute sa force. Vercors et Melville (pseudo de Jean Bruller et de Jean-Pierre Grumbach) ont été Résistants et de cette expérience, ils ont su immédiatement tirer la substantifique moëlle puisque le livre a été écrit en 1941 et le film, réalisé entre 1947 et 1949. Pour mémoire, il s'agit d'un quasi huis-clos entre trois personnages: un homme d'une soixantaine d'années, sa nièce et un officier allemand que ces derniers se voient obligés d'héberger chez eux. Pour manifester leur opposition, l'oncle et la nièce décident de faire comme si l'officier n'existait pas. Chaque fois que celui-ci tente d'entrer en contact avec ses logeurs, il se heurte donc à un mur de silence buté. Pourtant il ne se décourage pas et c'est avec une grande habileté que Jean-Pierre MELVILLE parvient grâce aux cadrages, à la lumière et à la composition des plans à faire comprendre comment évolue leur relation, la voix off de l'oncle ne servant que de point d'appui. Ainsi la première apparition de l'officier dans l'encadrement de la porte ne met en avant que ce qu'il représente: l'ennemi nazi en uniforme. Mais les deux personnes apparemment impassibles qui semblent ignorer son existence lorsqu'il monologue auprès d'eux sont aussi en représentation. Des plans plus détaillés ou agencés autrement révèlent à certains mouvements du corps (les mains notamment) qu'il n'en est rien et que chacun souffre en réalité du rôle dans lequel il est enfermé. Car le cadre intimiste du salon le soir et la personnalité de l'officier, idéaliste, sensible, amoureux de la France et qui ouvre son coeur et son esprit à ceux qui l'hébergent pousse au rapprochement. Car c'est un mouvement naturellement humain alors que la guerre elle, est inhumaine. D'ailleurs lorsque l'oncle se rend à la Kommandantur et qu'il croise l'officier, tous deux sont sous le choc. Ils sont filmés à travers des cadres (en représentation donc) qui leur rappellent le rôle de chacun alors qu'ils l'avaient presque oublié. Pour renforcer cette impression, l'officier qui est en uniforme (alors que pour mettre à l'aise l'oncle et la nièce, il ne se montre chez eux qu'en civil) est placé sous un portrait d'Hitler. Et voilà comment Vercors et Melville parviennent à montrer le gâchis humain de la guerre. Dans une autre vie, Werner (Howard VERNON qui est magnifique de sensibilité dans le rôle de cet homme d'honneur qui découvre avec horreur le véritable visage du nazisme) aurait épousé la nièce (Nicole STÉPHANE) et l'oncle (Jean-Marie ROBAIN qui a un petit air de Georges BRASSENS) serait devenu son beau-père.

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Voyage au bout de l'Enfer (The Deer hunter)

Publié le par Rosalie210

Michael Cimino (1978)

Voyage au bout de l'Enfer (The Deer hunter)

"Voyage au bout de l'enfer" est un titre bien réducteur par rapport à celui d'origine "Le Chasseur de cerf" ("The Deer Hunter"). Qu'on l'apprécie ou non, le fait est qu'il s'agit d'un des plus importants films jamais réalisés non sur la guerre du Vietnam en particulier (dont la représentation confine à l'abstraction et donc à l'universalité) mais sur l'épreuve que constitue toute guerre et les conséquences qu'elle provoque chez l'être humain, à l'échelle individuelle mais aussi collective. Sa double structuration est pour beaucoup dans la portée du film: trois temporalités d'une heure à peu près chacune (avant, pendant, après) comme autant d'actes d'une pièce de théâtre et deux échelles: celle de la communauté, celle de l'individu. D'autre part, une bonne part de la fascination et de l'empreinte durable laissée par le film est liée au fait que Michael CIMINO dépasse son sujet en tournant le dos au réalisme au profit du symbolisme. A travers les gouttes de vin sur la robe de la mariée "tombant sous la feuille en gouttes de sang", la chasse au cerf ou la roulette russe (qui a donné lieu à des critiques à côté de la plaque étant donné que justement, ce jeu de la mort fonctionne comme une allégorie et non comme un documentaire), le film s'élève jusqu'à une méditation morale et philosophique sur la perte d'une certaine forme d'innocence (ou d'ignorance? On parle bien "d'oie blanche") et les rapports entre l'homme et la/sa nature (d'où un titre en VO tellement plus approprié que celui en VF!)

La première heure fait penser à l'ouverture du premier volet de la trilogie de "Le Parrain" (1972). Pas seulement à cause de la présence de John CAZALE dont ce fut le dernier film et Robert De NIRO même si ce dernier n'apparaît que dans le deuxième volet. C'est surtout le procédé qui présente des similitudes. Il consiste à nous présenter les personnages au sein d'une cérémonie de mariage dans un milieu d'immigrés, ici russes. Ce caractère immersif permet au spectateur de cerner la relation de l'homme à son environnement socio-culturel, communautariste (Angela, la mariée est qualifiée "d'étrangère" par la mère du marié, sous-entendu étrangère à la communauté), grégaire et en même temps minoritaire et défavorisée dans le pays qui l'a intégrée. Les trois personnages centraux sont trois jeunes ouvriers métallurgistes destinés à devenir de la chair à canon pour les USA: c'est le sort que les pays impérialistes, grands foyers d'immigration réservent à tous leurs déclassés. En même temps, Michael CIMINO réussit l'exploit (avec l'aide des acteurs), à bien distinguer les trois profils. On comprend presque immédiatement la différence entre Mike (Robert De NIRO), Nick (Christopher WALKEN) et Steven (John SAVAGE). La maîtrise de soi du premier allié à son sens des responsabilités ainsi qu'un certain décalage par rapport aux logiques de groupe (qui portent justement à l'immaturité et l'irresponsabilité) le fait paraître bien plus âgé que le reste de la bande, Stan (John CAZALE) étant le plus immature. Mais Stan ne part pas au Vietnam contrairement à Nick et Steven dont la ressemblance physique (sans parler du fait qu'ils se sont partagés la même femme, l'un en tant que père de son enfant, l'autre en tant que mari) laissent penser qu'il s'agit en fait des deux facettes d'une même personne.

Tout le reste du film découle de cette première heure. L'épreuve de la violence extrême montre que Nick et Steven n'ont pas l'étoffe nécessaire pour y résister, chacun se désintégrant sous nos yeux, physiquement et/ou psychiquement. Une perte d'intégrité irréparable qui montre leur incapacité à affronter la réalité sans le filtre du groupe. Mike en revanche non seulement parvient à rester maître de lui et à faire face à tout ce qui lui arrive, y compris le pire, mais continue à soutenir ses compagnons plus fragiles sans parvenir pour autant à les sauver car Michael CIMINO montre que chacun est responsable de lui-même et ne peut éternellement se reposer sur les autres. "The Deer Hunter" est un film complètement nietzschéen. Les faibles, c'est à dire ceux qui se fondent dans le troupeau par peur de la réalité et du face à face avec eux-mêmes sont éliminés alors que les plus forts (au sens de force morale) en sortent encore renforcés ("ce qui ne me tue pas me rend plus fort"). Une fois de retour, Mike s'affirme en tant qu'adulte autonome en se rapprochant de Linda (Meryl STREEP) avec laquelle il amorce une relation de couple, en fuyant le grégarisme c'est à dire en assumant sa solitude irréductible et en manifestant un rapport à la nature non violent et non dominant (son deuxième face à face avec un cerf, à mon avis l'un des moments les plus importants du film). Son rejet catégorique des jeux dangereux à bases d'armes montre également à quel point son expérience a transformé sa relation à la virilité. Un message de sagesse qui dépasse sa communauté et son époque pour s'adresser à tout un pays gangrené par la violence. Et on voit bien l'intelligence d'avoir rendu la guerre quasi-abstraite car aujourd'hui le Vietnam appartient à l'histoire mais pas le culte des armes érigé au rang de mythe fondateur de la construction des USA, par des hommes cherchant à faire plier la nature et les autres hommes à leurs fantasmes de toute-puissance. Comme le dit Jean-Pierre Bernajuzan "en renonçant à tirer Mike renonce de fait à la chasse. Et s’il renonce à la chasse, il renonce aussi à son fusil, il n’en aura plus besoin. En fait, il renonce aussi aux armes (...) et aux dégâts qu'elles provoquent".

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Les Damnés (La caduta degli dei/Götterdämmerung)

Publié le par Rosalie210

Luchino Visconti (1969)

Les Damnés (La caduta degli dei/Götterdämmerung)

"Les Damnés", en VO "La Chute des Dieux" dans les forges de l'enfer est l'un des plus grands films de Luchino VISCONTI. Avec la puissance opératique qui le caractérise, le cinéaste croise l'Histoire, la tragédie antique et le théâtre shakespearien pour mettre en parallèle l'avènement du nazisme dont il explore les soubassements inavoués et l'autodestruction d'une famille d'Atrides germaniques, les von Essenbeck. Inspirés des magnats de la sidérurgie Krupp qui firent alliance avec Hitler parce qu'ils avaient tout à gagner de la remilitarisation de l'Allemagne (sans parler de plusieurs de ses membres qui devinrent SS), les Essenbeck symbolisent cette aristocratie décadente, fascinante et terrifiante dont Luchino VISCONTI lui-même issu de l'aristocratie s'est fait le peintre. "Les Damnés" est ainsi le premier volet d'une trilogie poursuivie avec "Mort à Venise" (1971) et "Ludwig, le crépuscule des Dieux" (1972) au titre wagnérien ô combien significatif ("La Chute des Dieux" s'en approchait déjà). La séquence quasi-inaugurale des "Damnés" dans laquelle Martin (Helmut BERGER) travesti en Marlene DIETRICH chante "Ein richtiger Mann" évoque tout autant "L Ange bleu" (1930) que le futur "Cabaret" (1972) de Bob FOSSE. Alors c'est quoi "Un homme, un vrai?" pour le nazisme dont on connaît le culte pour la virilité "aryenne"? A cette question, Visconti donne une réponse juste mais qui sent le souffre puisque son principal représentant dans le film, le cousin SS Aschenbach (Helmut GRIEM) décide justement de couronner ce Martin non seulement équivoque mais pervers et meurtrier. Le spectateur a tout le temps de frémir en découvrant ses penchants pédophiles et incestueux mais aussi de comprendre en quoi ceux-ci servent le nazisme. En effet comme tous les totalitarismes (et tous les systèmes fondés sur l'embrigadement), le nazisme a besoin de serviteurs fanatiques totalement contrôlables c'est à dire qui n'ont aucune limite et aucune attache autre qu'eux. Or Martin qui a des points communs avec Hamlet à travers sa haine pour sa mère Sophie (Ingrid THULIN) et l'amant de celle-ci, l'arriviste Friedrich (Dirk BOGARDE) mais aussi avec les perversions sexuelles des notables de "Salò ou les 120 jours de Sodome" (1975) et que sa soif de revanche achève de transformer en monstre passe l'essentiel du film à se déshumaniser et à se désaffilier pour mieux tomber entre les griffes des nazis dont le rapport trouble à l'homoérotisme est également très fouillé notamment lors de ce morceau de bravoure qu'est la nuit des longs couteaux. Le fait qu'en 2016, le metteur en scène Ivo van Hove ait transposé avec succès "Les Damnés" sur scène montre d'une part à quel point ce film reste pertinent (il est également cité dans d'autres films comme "Saint Laurent" (2014) dans lequel Helmut BERGER joue le grand couturier âgé) et à quel point il se prête particulièrement bien à une adaptation théâtrale. C'est même la meilleure façon de relier l'Antiquité, la période élisabéthaine, le grand siècle (époque de la fondation de la Comédie française dont les acteurs ont interprété les rôles dans la pièce) et l'époque contemporaine soit les moments clés de l'histoire du théâtre occidental.

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Monsieur Klein

Publié le par Rosalie210

Joseph Losey (1976)

Monsieur Klein

"M. Klein" est un film brillant, complexe et dérangeant, se prêtant à de multiples niveaux de lecture (et tout autant de pistes d'interprétation, le film apportant plus de questions que ne donnant de réponses). La principale question que l'on peut se poser est la suivante "mais qu'est ce qui fait courir M. Klein derrière son double?" derrière laquelle s'en pose une autre "Qui est ce double"? En effet s'il est établi qu'il y a deux Robert Klein, l'un juif et résistant vivant à Pigalle dans un appartement miteux et l'autre (Alain DELON dans un de ses meilleurs rôles), défini comme un aryen profiteur de guerre vivant dans le luxe rue du Bac, il est tout aussi évident que ces deux Klein finissent par ne plus en faire qu'un. Le premier dont on ne voit jamais le visage s'avère parfaitement insaisissable au point que l'on peut finir par douter de son existence réelle. Une autre piste possible est le fait qu'en découvrant son homonyme, il ait usurpé son identité pour mieux s'évanouir dans la nature. Enfin une troisième piste parfaitement possible réside dans le fait que Robert Klein endosse une identité qui a priori n'est pas la sienne parce qu'il éprouve des remords. Dépeint dès le générique comme un vautour atteint d'une flèche en plein coeur mais qui continue de voler, on le voit s'enrichir sur le dos des juifs obligés de brader leurs oeuvres d'art à cause des persécutions du régime de Vichy qui s'accentuent en 1942. L'un d'entre eux, joué par Jean BOUISE semble particulièrement lui peser sur la conscience puisqu'il refuse de se séparer du tableau qu'il lui a acheté et on le retrouve juste derrière lui au Vel d'Hiv et dans le train de déportés comme une ombre après laquelle il court. Cette ombre (autre piste possible) c'est peut-être aussi un secret de famille. La scène avec le père laisse suspecter que celui-ci lui ment au sujet des origines des Klein. Ce qui expliquerait aussi pourquoi celui-ci traite avec autant de dédain les documents censés soit prouver sa véritable identité soit lui en donner une fausse: peut-être qu'au fond ils se valent tous.

Car c'est l'autre aspect qui rend "M. Klein" fascinant et glaçant, c'est l'un des meilleurs films qui existe sur l'enfer bureaucratique. Le régime de Vichy est montré comme un système kafkaïen servant à fabriquer des ennemis de papier à partir de clichés antisémites stigmatisant le patronyme, l'apparence physique ou certains traits de caractère comme la cupidité. Ce n'est pas la religion qui définit "le juif" aux yeux de ce régime. Officiellement, c'est l'origine des grands-parents (d'où les certificats mais ceux-ci pouvant être falsifiés comme tous les papiers, ils s'avèrent inutiles) mais le fait de s'appeler "Klein" ou d'avoir une physionomie de type sémite ce qui donne lieu à une scène d'introduction glaçante dans laquelle une femme nue est examinée comme un cheval afin de déterminer si "elle en est". Nul doute que le simple fait de se soumettre à un pareil examen médical faisait de vous un suspect. Klein l'a compris mais en revanche il commet l'erreur fatale de se fier aux règles, aux lois et aux institutions pour tenter de retrouver sa véritable identité. C'est en mettant un doigt dans l'engrenage qu'il se retrouve bientôt englué jusqu'au cou dans une vaste machination qui le dépasse dans laquelle ses "amis" apparaissent comme aussi peu certains que lui-même.

Ajoutons que "M. Klein" est l'un des premiers films reconstituant (même schématiquement) la rafle du Vel d'Hiv car il a réalisé dans les années 70, période où le tabou entourant le rôle du régime de Vichy dans la Shoah commençait à tomber.

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Le Vent se lève (The Wind That Shakes the Barkey)

Publié le par Rosalie210

Le Vent se lève (The Wind That Shakes the Barkey)

Ken Loach (2006)

J'ai beaucoup de mal avec le cinéma de Ken LOACH en général. Il y a en effet deux façons de le considérer. Côté positif, on dira que c'est un auteur "engagé", "enragé", "révolté", "en lutte pour un monde plus juste" etc. Côté négatif, on dira qu'il a tendance à tout voir par le seul prisme de la lutte des classes et qu'il est souvent manichéen ce qui aboutit à une binarité simpliste: "gentils" ouvriers contre "méchants" patrons. De plus, pour mettre les spectateurs de son côté, il utilise des ficelles parfois assez grossières en faisant des capitalistes dominants des brutes épaisses qui imposent leur domination par la force et l'humiliation. La réalité est évidemment infiniment plus complexe et nuancée, tant sur les méthodes de domination que sur les rapports de force qui traversent une société ou encore sur les identités des individus. Et comme j'aime plutôt la complexité et la nuance, ma sensibilité est souvent heurtée par le style "brut de décoffrage" de ce cinéaste qui en plus question mise en scène est loin d'être toujours inspiré. Certains de ces films sont de véritables pensums illustratifs académiques.

Ces réserves faites, "Le Vent se lève" fait partie de ses bons films même si je soupçonne le festival de Cannes de lui avoir attribué la Palme d'Or pour de mauvaises raisons (on ne devrait jamais attribuer un prix à une oeuvre d'art en guise d'étendard politique ou sociétal mais juste en fonction de sa valeur intrinsèque. Or "Le Vent se lève" a bénéficié du contexte de la guerre d'Irak à laquelle le RU participait aux côtés des USA). Il fait partie de ses bons films parce qu'il dépasse en effet son sujet -la guerre d'indépendance irlandaise et la guerre civile qui lui a succédé- pour démontrer de façon efficace certains mécanismes propres à la stupidité humaine:

- Le fait qu'une domination étrangère qui plus est brutale renforce la détermination du peuple opprimé à s'en débarrasser. Aucune guerre asymétrique (armée contre guérilla) ne peut être gagnée par l'occupant, même si elle peut s'enliser sur des décennies voire des siècles. Les USA l'ont appris (?) à leurs dépends au Vietnam, en Afghanistan ou en Irak.

- Le fait que la plupart de ces guerres ont, tout comme les révolutions victorieuses débouché ou entraîné avec elles des luttes fratricides pour le pouvoir, qu'il soit ou non accompagné d'une idéologie, invalidant d'emblée les beaux idéaux au nom desquels on massacre ses anciens camarades de lutte voire ses "amis" ou même comme dans "Le Vent se lève" sa propre famille. C'est la fameuse phrase de Manon Roland "Liberté, que de crimes on commet en ton nom". Tout homme qui abdique son humanité pour supprimer toute voix discordante au nom de sa "cause", quelle qu'elle soit en théorie ne se contente pas de perdre son innocence. Il détruit la cause qu'il sert. On n'impose pas la liberté et l'égalité dans le sang. Mais la spirale infernale de la guerre c'est à dire de la violence conduit à la radicalisation qui libère les pires instincts au détriment de la raison et amène à la binarité la plus simpliste qui soit "tu es avec nous ou bien contre nous" et donc dans ce dernier cas, je te supprime.

Ken LOACH montre très bien tous ces enjeux de façon convaincante puisqu'il évoque la guerre à l'échelle d'une famille et de la petite communauté qui l'entoure. Le titre se réfère à un poème du XIX° qui évoquait le soulèvement de l'Irlande à la fin du XVIII°. Les acteurs sont remarquables de véracité (Cillian MURPHY que j'ai pourtant vu auparavant chez Christopher NOLAN ne fait pas pièce rapportée et semble même être à sa vraie place) et la nature irlandaise est superbement filmée, sans trop d'emphase. Il n'empêche que les réflexes idéologiques de Ken LOACH viennent de temps à autre polluer le film, que ce soit en prenant parti pour les jusqu'au-boutistes qui refusent tout compromis avec les anglais montrés comme des héros ou en insistant lourdement sur les sévices et exactions que ceux-ci infligent aux irlandais, en omettant (hormis les exécutions) les horreurs que ces derniers ont pu commettre pendant la guerre sur les anglais ou sur leur propre peuple. L'arriération de la société irlandaise en matière de moeurs n'est pas du tout évoquée non plus.

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