Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Articles avec #cinema yougoslave tag

Underground

Publié le par Rosalie210

Emir Kusturica (1995)

Underground

Voilà un film qui n'existait dans ma mémoire que par sa formidable BO que, à l'image de "Arizona Dream" (1993), je n'ai cessé d'écouter en boucle. A cela s'ajoutait quelques images oxymoriques d'une mariée volant à l'intérieur d'une cave. Mais l'histoire, je l'avais complètement oubliée car je n'avais sans doute pas à l'époque compris les enjeux. "Underground" est une fresque historique de la Yougoslavie s'étirant sur plus d'un demi-siècle, de la seconde guerre mondiale jusqu'à la guerre de Bosnie (qui n'était pas terminée quand Emir KUSTURICA a tourné le film) par le biais d'un traitement allégorique, celui de la caverne platonicienne. En effet comme le titre l'indique, la majeure partie des personnages du film vivent confinés dans une cave pendant près de deux décennies, manipulés par un profiteur qui par intérêt personnel les maintient dans l'illusion que la seconde guerre mondiale n'est pas terminée. On pense à "Goodbye Lenin" (2001) qui repose sur un postulat semblable (un fils cache à sa mère alitée les changements historiques en cours en inventant un monde parallèle dans lequel le communisme ne se serait pas effondré) et plus près de nous à "Onoda, 10 000 nuits dans la jungle" (2021) où en vertu des ordres qui lui ont été donné et de son abandon par l'armée japonaise sur une île isolée, Onoda se persuade pendant trente ans que la guerre n'est pas finie. Cette manière de produire un récit uchronique à l'intérieur d'un récit historique est une évidente métaphore du cinéma créateur de fictions au coeur du monde réel. D'ailleurs à la manière d'un Robert ZEMECKIS, Emir KUSTURICA retouche les images d'archives pour y introduire ses personnages de fiction. La confusion entre les deux dimensions est telle que lorsque Blacky et son fils Jovan sortent enfin de la cave, ils tombent en plein tournage d'un film qui reconstitue leur histoire pendant la guerre mais croient qu'il s'agit de la réalité. Et d'une certaine manière, ils ont raison. Car l'imaginaire slave mis sous cloche durant un demi-siècle par la dictature communiste a rejoué sans cesse la même partition belliqueuse qui lui a tenu lieu d'identité. C'est encore le cas en Russie qui vit dans la nostalgie de l'URSS et des victoires contre le nazisme. Aussi l'image des partisans fabriquant de façon immuable des armes à la chaîne sur un atelier circulaire ou bien l'orchestre tzigane tournant sur lui-même comme une toupie illustre bien la folie autarcique s'étant emparé des peuples de l'est emmurés vivants et coupés de l'histoire en marche. Peuples qui une fois déconfinés retournent leur folie guerrière contre leurs semblables sous forme de règlements de comptes et de fractures religieuses, métaphoriquement illustrée par la dérive des continents. Mais le film-somme de Emir KUSTURICA se caractérise aussi par son caractère baroque, ses images oniriques (à l'exemple de la mariée qui vole ou qui nage au fond des eaux) et son rythme frénétique martelé par une fanfare tzigane qui est un personnage du film à part entière. Film paradoxal ayant existé en amont sous forme de pièce de théâtre (grâce à son unité de lieu) et en aval sous forme de mini-série (grâce à son caractère de fresque historique). Oeuvre définitivement hors-norme et quelque peu ogresque qui a valu à son réalisateur d'obtenir sa deuxième Palme d'or en 1995.

Voir les commentaires

Chat noir, chat blanc (Crna mačka, beli mačor)

Publié le par Rosalie210

Emir Kusturika (1998)

Chat noir, chat blanc (Crna mačka, beli mačor)

C'est la première fois que je revois "Chat noir, chat blanc" de Emir Kusturica, réalisateur incontournable des années 90, et c'est toujours aussi bien. Son talent se mesure au fait qu'en dépit du rythme endiablé du film, celui-ci reste toujours lisible grâce à une mise en scène profondément étudiée. Résultat, au lieu d'être accablé par l'hystérie ambiante, on est galvanisé par toute cette énergie dévorante que le réalisateur orchestre de main de maître. Entre musique frénétique, agitation burlesque et esthétique du joyeux chaos, le monde sans âge des tziganes des Balkans avec leurs installations de bric et de broc se mêle aux objets modernes "customisés" au milieu d'un ballet d'oies, de cochons dévoreurs de carcasses de Trabant (histoire de rappeler qu'on est dans un monde post-guerre froide) et d'un couple de chats antagonistes et inséparables à la fois (le vrai titre est "chatte noire, chat blanc", évidemment intraduisible tel quel). L'histoire sur fond de petits et de gros trafics mafieux d'une noce arrangée que les jeunes mariés sont bien décidés à déranger avec la complicité de papys faussement refroidis dans le grenier ^^ se transforme en vaste bouffonnerie avec des personnages qui semblent sortis d'une BD ou d'un cartoon: Ida* a l'allure d'Olive dans "Popeye", Zare avec son chapeau de paille fait penser à Tom Sawyer au bord d'un Danube qui pourrait être le Mississippi, la minuscule mais charmante Bubamara ("coccinelle") aux faux airs d'Elodie Bouchez se cache sous des souches d'arbre comme R2D2 et flashe sur Grga Veliki le géant, sans parler de l'inénarrable grand frère bling-bling de Bubamara accro à la techno et à la coke, "pitbull... terrier-ier-ier". Et tout ça est en plus une merveille pour les oreilles (les fanfares des BO de Kusturica sont mythiques) et pour les yeux (la scène d'amour dans les champs de tournesols par exemple). 

* Branka Katić dans un rôle burlesque aux antipodes de celui qu'elle a joué peu de temps après dans "Warriors, l'impossible mission" sur la guerre de Bosnie (d'ailleurs tous les acteurs serbes y interprétaient des bosniaques et vice-versa).

Voir les commentaires

Arizona Dream (The Arrowtooth Waltz)

Publié le par Rosalie210

Emir Kusturica (1993)

Arizona Dream (The Arrowtooth Waltz)

La seule chose que j'avais retenu de ce film, c'était sa BO que j'avais énormément écouté à l'époque et que je connais par coeur. Mais le film en lui-même, je l'avais oublié et pour cause: le scénario, extrêmement faiblard est décousu et répétitif et les personnages sont parfaitement creux. D'ailleurs ils se ressemblent tous. Les jeunes sont des losers paumés assez pathétiques quand ils ne sont pas carrément suicidaires alors que leurs parents qui se comportent en grands enfants vivent dans le déni de leur âge en transgressant les barrières générationnelles. Elaine (Faye DUNAWAY) croque les jeunots pendant que Leo (Jerry LEWIS) épouse une jeune fille qui a le presque le même âge que son neveu, Axel (Johnny DEPP) qui est aussi l'amant d'Elaine, au grand dam de sa belle-fille, Grace (Lili TAYLOR) qui se consume de désespoir pour cet homme qu'elle ne peut pas avoir. Emir KUSTURICA superpose maladroitement leurs rêves (s'envoler, s'évader) avec ceux qui ont fondé la civilisation des USA (la Cadillac, le western, le voyage lunaire et bien sûr le cinéma qui est abondamment cité, de "Autant en emporte le vent" (1938) à "La Mort aux trousses" (1959), "Le Parrain, 2e partie" (1974) et "Raging Bull") (1980). Tout cela fonctionne en autarcie sans guère de lien avec la réalité (le métaphore du ballon est assez explicite) et ne mène nulle part sinon à la mort. Même les quelques effets spéciaux paraissent datés. Bref c'est l'exemple d'un film qui a marqué son époque mais qui avec le temps a révélé sa vacuité.

Voir les commentaires

Dieu existe, son nom est Petrunya (Gospod postoi, imeto i'e Petrunija)

Publié le par Rosalie210

Teona Strugar MITEVSKA (2018)

Dieu existe, son nom est Petrunya (Gospod postoi, imeto i'e Petrunija)

Inspiré d'une histoire vraie ayant eu lieu en 2014 à Stip en Macédoine du nord mais qui semble sortie tout droit du Moyen-Age, "Dieu existe, son nom est Petrunya" a un titre en forme de réponse iconoclaste aux autorités ecclésiastiques locales qui avaient affirmé que Dieu existait et qu'il était un homme. Au delà de la question de la représentation du divin, le désordre créé par le simple fait qu'une jeune femme s'empare d'un objet religieux (une croix) qu'un rituel religieux orthodoxe réserve aux hommes a quelque chose d'absurde mais aussi de glaçant. On découvre à travers ce film qui ne se déroule pas au Moyen-Orient mais bien en Europe combien l'état de droit est fragile face à des traditions archaïques mais âprement défendues par une jeunesse masculine locale aux allures de hooligans soutenue par des autorités religieuses que les autorités civiles sont soucieuses de ne pas heurter au nom du maintien de l'ordre public. C'est ainsi que Petrunya qui n'a commis aucun délit d'après la loi se retrouve pourtant au commissariat qui devient par la suite un refuge précaire face aux menaces de lynchage. La vraie raison d'être des "traditions" apparaît alors comme un moyen de canalisation des pulsions les plus primitives de ceux qui ont les moyens physiques d'imposer leur loi, celle de la jungle. La croix étant une promesse de bonheur et prospérité pour celui qui s'en empare, Petrunya affirme par son geste irréfléchi son droit à y accéder, elle dont l'existence est marquée par l'exclusion: diplômée d'histoire (intellectuelle donc) mais sans travail, vivant à 32 ans toujours chez ses parents et que son physique non conforme rend "imbaisable" par les mâles décideurs du coin. C'est ce désespoir qui la pousse à transgresser les règles sociales afin d'exister enfin. On peut toutefois regretter un discours trop appuyé avec une Petrunya qui passe de personnage léthargique à personnage subversif sans nuances et une journaliste que je trouve tout à fait inutile. Un huis-clos villageois aurait considérablement renforcé la puissance du film.

Voir les commentaires