Tout un symbole: l'année même où mourrait Laurence Olivier dont le premier film en 1944 avait été "Henry V" sortait sur les écrans la version de Kenneth Branagh dont c'était également le premier film. Au Royaume-Uni on l'appelait déjà le nouveau Laurence Olivier en raison de sa jeune (il n'avait pas encore 30 ans en 1989) et brillante carrière théâtrale dans les adaptations de pièces de Shakespeare.
Film au départ confidentiel, réalisé avec peu de moyens, "Henry V" tapa dans l'oeil de Gérard DEPARDIEU qui partageait avec Branagh l'amour des Belles Lettres et le sens de la démesure. Il finança sa distribution en France et supervisa le doublage. C'est ainsi que Kenneth Branagh se fit connaître outre-Manche.
"Henry V" est un modèle d'adaptation réussie. Ne pouvant financièrement se permettre une reconstitution fastueuse, Branagh privilégie la stylisation afin de stimuler l'imagination à la manière de John Boorman dans "Excalibur". L'excellence de l'interprétation, le souffle épique de la musique (signée Patrick Doyle), l'atmosphère onirique créée par les plans filmés en clair-obscur, l'emphase des ralentis lors de la bataille d'Azincourt ont une puissance d'évocation dont des films plus réalistes sont privés.
La pièce de Shakespeare fait partie d'un ensemble de chroniques historiques des rois d'Angleterre participant à la construction du "roman national". Autrement dit: guerre, conquête, héroïsme, sang versé... Un programme peu excitant en soi mais outre la beauté du film c'est une passionnante réflexion sur la responsabilité que donne le pouvoir. Un pouvoir charnel fait de renoncements (les flashbacks sur le passé de débauche du roi montrent qu'il a dû sacrifier ses compagnons de beuverie à sa nouvelle fonction) de trahisons, de doutes et de tourments. La fin avec Emma Thompson offre une rupture de ton bienvenue et annonce le marivaudage de "Beaucoup de bruit pour rien".
"L'homme que j'ai tué" réalisé au début des années 30 est un film peu connu de Lubitsch car il s'agit d'un drame et non de l'une de ces comédies sophistiquées dont il avait le secret et qui ont fait sa gloire. Pourtant c'est une œuvre remarquable que la relecture d'Ozon avec "Frantz" en 2015 a permis de redécouvrir.
Adaptation d'une pièce de théâtre de Maurice Rostand, "L'homme que j'ai tué" est un film profondément antimilitariste, humaniste et pacifiste. Source d'inspiration française permettant à un réalisateur d'origine allemande d'interroger ses racines. L'ouverture, géniale, superpose bruits de bottes et coups de canon célébrant le premier anniversaire de l'armistice de 1918 aux stigmates et aux cris des soldats mutilés dans leur chair et dans leur âme. Cette charge virulente contre des sociétés qui glorifient la puissance de destruction continue tout au long du film. Allemagne et France sont renvoyées dos à dos. C'est le héros, Paul, révolté par le discours du prêtre qui l'absoud de sa responsabilité puisqu'il n'a fait "que son devoir" en tuant un Allemand. C'est le père de Walter, mis au ban de la communauté parce qu'il a accueilli Paul, qui condamne un à un tous les pères et professeurs qui ont envoyé leurs enfants à la mort tout en se réjouissant d'en avoir fait des tueurs.
Face à ce système perverti (Lubitsch souligne particulièrement le ressentiment allemand, condition d'une nouvelle guerre dont il ausculte les prémices "9 millions de morts et déjà on parle d'une autre guerre qui en fera 90 millions") les réponses ne peuvent être qu'individuelles. Paul refuse la culture de la déresponsabilisation et de l'oubli qu'on veut lui imposer. En tuant, il a été amputé d'une partie de lui-même (celui qu'il a tué aurait pu être son frère jumeau) et il refuse de se laisser déposséder de ce qui lui reste d'humanité. Sa démarche consistant à remplacer le défunt auprès de sa famille est une manière de se racheter par le don de soi (un aspect christique fortement souligné) Elsa, la fiancée de Walter lui dit d'ailleurs que leurs personnes comptent peu au regard de l'acte du pardon et du rachat. La scène de fin, sublime, permet la communion de toutes ces âmes meurtries.
Une prise de risque payante: 20 ans après ses débuts comme réalisateur, Dupontel confirme tout le bien que je pense de lui en réalisant un grand film, plus accessible, complexe et ambitieux que ses œuvres précédentes mais sans abdiquer une once de sa personnalité: chapeau!
"Au revoir là-haut" est d'abord un film historique précieux de par sa justesse, son caractère de film engagé et sa capacité à éclairer notre présent à l'aide du passé. Les premières minutes dans les tranchées sont saisissantes de réalisme (on les a comparées au début du soldat Ryan et elles feront date) tandis que l'anomie (perte des repères légaux et moraux) permise par les guerres permet d'identifier en pleine lumière la violence économique et sociale, plus sournoise en temps de paix. Dans la lignée des "Sentiers de la gloire" auquel on pense plus d'une fois, on voit des officiers aristocrates avides de gloire envoyer à la mort ou tuer eux-même la chair à canon de leur propre camp. Le personnage d'Henri d'Aulnay-Pradelle joué par Laurent Lafitte est en réalité un véritable dégénéré qui une fois la paix revenue fait son beurre sur le commerce de charognes (vraies ou fausses). Le tout avec la complicité hypocrite de l'Etat qui après avoir sacrifié 1,5 millions d'hommes pour un résultat nul prétend honorer leur mémoire. Trois victimes (une orpheline de guerre et deux vétérans, l'un traumatisé moralement, l'autre gueule cassée, tous deux victimes du dernier raid insensé de Pradelle et qui se sont sauvés l'un l'autre) vont unir leurs souffrances et se venger. Une vengeance à la "Robin des bois" typique de Dupontel qui n'est pourtant pas l'auteur de cette histoire, c'est dire si elle lui va comme un gant. Il est d'ailleurs à noter que si Louise, l'orpheline et Albert, le vétéran traumatisé joué par Dupontel sont issus des "branches basses" (jolie expression employée dans le film), Edouard est lui issu de la grande bourgeoisie mais c'est un artiste en révolte contre son père, grand banquier joué par Nils Arestrup dont le gendre n'est autre que... Pradelle. Le personnage de Madeleine (Emilie Dequenne) étant lui-même bien plus complexe et cynique que ce que sa façade de soeur éplorée laisse croire.
Mais le film n'est pas que cela. Il est profondément romanesque, comme chez Dumas ou chez Sue, avec des rebondissements qui nous tiennent en haleine. Il contient aussi des aspects burlesques, cartoonesques et poétiques, marque de fabrique de Dupontel qui s'harmonisent parfaitement avec le reste. La mort de Pradelle (mi ange de la mort, mi loup de Tex Avery) par exemple fait penser à celle de Lee Van Cleef dans "Le Bon, la Brute et le Truand" alors que les somptueux masques d'Edouard ne sont pas sans rappeler ceux des films de Franju ("Les yeux sans visage" pour le masque blanc, "Judex" pour le masque d'oiseau etc.)
L'année 2017 a été fertile en anime japonais de qualité. Une semaine après "Lou et l'île aux sirènes" qui a reçu le cristal du long métrage au festival d'Annecy, le prix du jury attribué à "Dans un recoin de ce monde" vient de sortir. L'occasion unique d'apprécier la diversité de la production nippone même s'il faut pour cela quitter le circuit des grandes salles et se rendre dans les quelques cinémas art et essai qui la diffusent (encore qu'à Paris, le MK2 Bibliothèque a déroulé le tapis rouge aux deux films, invitant même le réalisateur de "Dans un recoin de ce monde", Suano Katabuchi à une projection en avant-première.)
"Dans un recoin de ce monde" contrairement à "Lou et l'île aux sirènes" est un film plutôt réservé aux adultes. Il s'agit d'une chronique familiale qui se déroule sur 13 ans, de 1933 à 1946 soit durant la dictature militaire et la seconde guerre mondiale. L'époque est dépeinte avec beaucoup de réalisme et certains passages ne sont pas exempts de dureté. Mais l'originalité du film est liée au fait qu'il adopte le point de vue d'une jeune fille un peu particulière, Suzu. Si extérieurement, elle paraît soumise, faisant tout ce qu'elle peut pour se conformer à ce que la société attend d'elle, elle est toujours en retrait et le plus souvent, complètement dans sa bulle. Intérieurement, elle fait preuve d'une grande liberté d'esprit allié à des talents artistiques notamment pour le dessin. On voit ainsi comment tout en subissant son destin (un mariage arrangé, les privations, les bombardements, les traumatismes physiques et moraux) son imagination et son art viennent à son secours pour l'aider à s'y adapter, à le surmonter et même à le recréer.
Death Mills ("Les moulins de la mort" en VF) est le premier documentaire montrant ce que les alliés découvrirent lorsqu'ils libérèrent des camps de concentration et d'extermination en 1945. Il s'inscrit dans le cadre de la politique de dénazification menée par les USA dans l'Allemagne occupée. Il était destiné à être projeté aux allemands et aux autrichiens dans le but de leur ouvrir les yeux sur les crimes de leurs dirigeants. C'est pourquoi il fut tourné à l'origine avec une bande-son allemande et c'est pourquoi il insiste tant sur la notion de responsabilité collective. Il montre notamment comment les américains ont obligé les habitants des villes qui se trouvaient à proximité des camps à venir voir de leurs propres yeux les horreurs qui s'y trouvaient et à enterrer les cadavres de leurs propres mains.
Le manque de recul du documentaire (que l'on peut qualifier d'exemple "d'histoire immédiate") explique la large confusion qui y règne dans la qualification des crimes commis par les nazis. Les américains et leurs alliés ont principalement libéré des camps de concentration allemands (Dachau, Buchenwald, Bergen-Belsen etc.) Par conséquent la litanie des crimes égrenée par la voix off dans le documentaire témoigne de l'horreur concentrationnaire (privations de toutes sortes, exécutions, expériences médicales et autres tortures diverses) et non de la spécificité de la Shoah qui fut connue bien plus tard. En effet la Shoah se concentra dans 6 centres de mise à mort en Pologne dont 4 furent totalement rasés par les nazis en 1943. Les deux autres (Maidanek et Auschwitz) étaient mixtes c'est à dire qu'ils combinaient la concentration et l'extermination et ne furent que partiellement détruits. Ces deux camps furent libérés par les russes alors alliés des USA. Dans le documentaire, on voit surtout des images du camp de concentration d'Auschwitz I (les camps de concentration portaient l'inscription ironique "Arbeit macht frei") néanmoins et sans en mesurer le caractère spécifique, le documentaire évoque l'extermination des juifs à Birkenau (le pillage des biens des juifs, l'exploitation des corps, le gazage au Zyklon B qui contrairement à ce qu'il affirme n'était utilisé qu'à Birkenau, les fours crématoires).
Billy Wilder qui avait fui le nazisme et perdu une partie de sa famille à Auschwitz a réalisé ce film coup de poing entre Assurance sur la mort et Le Poison. Deux films aux titres assez évocateurs même si leur intrigue n'a rien à voir avec les crimes nazis. Le meilleur témoignage qu'il apportera sur l'après-guerre dans un film de fiction sera La Scandaleuse de Berlin en 1947.
"La parole est d'argent, le silence est d'or". C'était par peur de se dévaluer, de se diluer dans la médiocrité que Chaplin a résisté au parlant plus de dix ans après sa généralisation dans la production cinématographique. C'est pourquoi son premier film parlant est une si formidable réflexion sur la parole en politique en même temps qu'un acte engagé d'un incroyable courage. On ne mesure peut-être pas aujourd'hui en effet le courage qu'il a fallu à Chaplin pour réaliser ce film, quasiment seul contre tous. En 1939-40 les USA avaient alors un positionnement isolationniste vis à vis de l'Europe et donc une attitude de neutralité vis à vis de l'Allemagne nazie. Cette neutralité voulue par la majorité de l'opinion publique était aussi un moyen pour de nombreuses entreprises (y compris à Hollywood) de faire de bonnes affaires avec les nazis. C'est pourquoi Chaplin subit toutes sortes de pressions et de menaces pour qu'il renonce à son projet d'alerter les USA et le reste du monde sur le danger du nazisme. Seule son indépendance artistique et financière acquise depuis 1919 lui permit d'aller jusqu'au bout.
Dans le Dictateur, Chaplin ouvre donc la bouche pour la première fois mais c'est pour prendre ses responsabilités. Face à un leader charismatique ayant mis le peuple allemand à sa botte et aveuglé le reste du monde, Chaplin joue à fond son rôle de miroir réfléchissant. Tout le monde a souligné la ressemblance entre Hitler et le réalisateur-acteur de l'année de naissance jusqu'à la fameuse petite moustache. Mais on a pas assez souligné la responsabilité du deuxième en tant que guide du peuple. Depuis l'affaire Dreyfus à la fin du XIX°, les intellectuels et les artistes ont un rôle à jouer dans la sphère publique, celui de mettre leur intelligence, leur talent et leur culture au service du plus grand nombre. C'est exactement ce que fait Chaplin dans le Dictateur. Tout en soulignant la ressemblance entre le barbier juif et Hynkel (traduction: tous les hommes sont de la même espèce et le racisme est une absurdité), il oppose deux manières de s'exprimer, deux manières de prendre la parole. Hynkel se caractérise par un sabir proche de l'éructation et de l'aboiement et dont la traduction fait ressortir l'absolue vacuité. Hynkel parle pour ne rien dire. L'homme en lui a capitulé et laissé la place à une bête assoiffée de haine et de désir de vengeance, capable de susciter les réactions pavloviennes de la foule hypnotisée et de ses collaborateurs aux noms évocateurs (Herring-Hareng pour Göring et Garbitsch-Ordure pour Goebbels). Par contraste le petit barbier juif amnésique a très peu de dialogues. La plupart du temps il se tait ou s'exprime très discrètement. Sauf à la fin lorsqu'il doit prendre la place de Hynkel (= ses responsabilités) et parler au peuple pour lui redonner de l'espoir. Son discours de six minutes d'un vibrant humanisme, les yeux dans les yeux de son public (et surtout par delà l'écran avec les spectateurs de chaque nouvelle génération qui découvrent le film) est si fort qu'il reste d'actualité près de 80 ans plus tard à l'heure du retour en force des nationalismes et de l'échec visible des progrès techniques à rapprocher les hommes.
C'est un voyage en eaux troubles. Celles du trou de mémoire d'un vétéran israëlien de la guerre du Liban qui part à la reconquête de ses souvenirs. Les camarades de son ancien régiment qu'il interroge ne se contentent pas de lui raconter cliniquement ce qu'ils ont vécu. Lui racontent-ils d'ailleurs vraiment ce qu'ils ont vécu? "La mémoire est dynamique, vivante, il manque des détails, il y a des trous remplis de choses qui ne sont jamais arrivées". Ce qu'ils font remonter à la surface, ce sont des sensations, des impressions (ici une odeur de patchouli, là un tube des années 80...), des rêves aussi. Et peu à peu dans la tête de l'ex-soldat Ari, une image émerge du brouillard, une seule, toujours la même celle de lui-même et ses camarades sortant nus de la mer sous les tirs de fusées éclairantes. Une image ambiguë tant la scène est irréelle. Peu à peu, Ari réussit à retrouver le souvenir traumatique qui se cache derrière cette image. Les eaux troubles, ce sont aussi celles des pulsions humaines d'ordinaire les mieux enfouies et qui dans un contexte de guerre, éclatent au grand jour. La scène irréelle d'un soldat qui danse sous les balles en tirant en rafales devant un portrait de Bachir Gemayel, le président chrétien de la République libanaise qui vient d'être assassiné l'exprime parfaitement. En effet c'est la soif de venger cet assassinat (et la fascination érotique que suscite Gemayel chez ses partisans) qui pousse les milices chrétiennes phalangistes à faire une orgie de sang dans les camps de réfugiés palestiniens de Sabra et Chatila en 1982. Le tout avec la complicité de l'armée israélienne qui tire des fusées éclairantes pour permettre aux phalangistes de continuer leur sale besogne pendant la nuit. Ce massacre des innocents est le point d'orgue d'une rage de destruction qui touche toutes les formes de vie (la scène "prémonitoire" du massacre des chiens puis des pur sangs arabes de l'hippodrome de Beyrouth).
Valse avec Bachir qui est largement autobiographique est donc à la fois un film historique, un film sur la mémoire, un film-enquête et un film-thérapie. Comme L'image manquante de Rithy Panh, la reconstitution du passé retravaillé par la mémoire passe par l'animation qui fait la part belle à l'imaginaire (et lui donne paradoxalement sa vérité). Seule la séquence de fin recourt aux archives documentaires qui témoignent mais ne retranscrivent pas l'expérience subjective de l'individu.
Il y a plusieurs façons d'aborder Amen. En tant que film historique, on peut le trouver simpliste, inexact, partial voire provocateur à l'image de son affiche polémique qui assimile la croix chrétienne et la croix gammée. De fait il y a des erreurs dans le film. Par exemple le Zyklon B est le seul gaz utilisé pour tous les camps alors qu'en réalité seul Auschwitz-Birkenau l'employait, les autres ayant recours au monoxyde de carbone. D'autre part Le film s'inspire du "Vicaire", une pièce de théâtre pamphlétaire des années 60 qui prenait des libertés avec la vérité historique. Le film a suscité un certain nombre de débats sur l'attitude du Vatican pendant la seconde guerre mondiale vis à vis de l'Allemagne nazie et vis à vis des juifs. Le fait est qu'aucune prise de position officielle claire n'a été prise mais qu'il y a eu des manœuvres en coulisses. Des manœuvres qui ont peut-être permis de cacher ponctuellement des juifs mais certainement pas de contrecarrer la Shoah en Europe ni même en Italie. Et le film rappelle aussi la collusion bien réelle entre certains nazis et certains ecclésiastiques au plus haut niveau qui a permis leur exfiltration en Amérique latine.
Ces réserves ne doivent pas occulter que le film soulève des questions pertinentes et montre certains rouages de la Shoah avec justesse. La dimension implacablement technique et administrative du massacre est bien démontrée à travers la circulation des dossiers ou les plans des chambres à gaz. La logique inhumaine des diplomaties d'Etat s'oppose aux efforts d'individus isolés qui finissent broyés par le système. Enfin, l'attitude à géométrie variable des Eglises catholiques et protestantes selon la nature des victimes de l'épuration raciale est remarquablement soulignée. Ainsi, il est rappelé que même si les nazis étaient antichrétiens et ont tout essayé pour diminuer l'influence des églises, ils avaient peur de leur opinion publique. Aussi lorsque les églises ont protesté contre le programme T4 d'euthanasie des handicapés, Hitler a dû faire arrêter la procédure ou du moins la rendre plus discrète. En revanche aucune autorité politique ou religieuse ne s'est opposée publiquement à l'extermination des juifs alors que la plupart des chancelleries étaient informées du massacre. C'est ce grand silence politique que Costa-Gavras dénonce, les petits calculs, l'indifférence, la lâcheté face à l'innommable, l'indicible.
Si la mise en scène très didactique s'efface parfois derrière son sujet, l'interprétation est globalement remarquable. On retrouve le brillant trio de la "Vie des autres", Ulrich Tukur dans le rôle du SS Kurt Gerstein, personnage réel dont le comportement de Juste ne sera reconnu que 20 ans après sa mort, Ulrich Mühe dans le rôle d'un médecin nazi particulièrement pervers (inspiré de Mengele) et enfin Sébastian Koch dans un rôle de SS plus mineur. Quant au jésuite Ricardo Fontana, il est joué avec sensibilité par Kassovitz mais son personnage pâtit de son manque d'approfondissement.
Stalag 17 fut un grand succès à sa sortie en 1953 mais est un peu oublié aujourd'hui. C'est dommage car c'est un excellent cru. Wilder, spécialiste du mélange des genres réussit à panacher avec brio la comédie et le film de guerre, le tragique et l'humour, le huis-clos de la pièce de théâtre d'origine et le grand cinéma populaire, le documentaire historique sur les conditions des vie des prisonniers de guerre et une enquête policière haletante. Une autre caractéristique du cinéma wildérien est particulièrement bien traitée ici: il s'agit des apparences trompeuses. Une taupe se dissimule dans la baraque 4 du stalag 17 (situé sur les bords du Danube) où sont enfermés des prisonniers de guerre américains en 1944. Leurs paroles compromettantes, leurs tentatives d'évasion, leurs cachettes clandestines sont systématiquement dénoncées au sergent Schultz (un faux débonnaire jouant double jeu) ou au commandant Von Scherbach (joué par Otto Preminger parce qu'il avait la réputation d'être aussi sadique que son personnage). Elles se soldent ainsi par des confiscations, exécutions et arrestations. Tous les regards accusateurs se tournent vers le sergent Sefton (William Holden) qui fait figure de coupable idéal. D'une part parce qu'il est farouchement individualiste, se tenant à l'écart des autres et ne leur faisant pas de cadeaux. D'autre part parce que sa moralité est plus que douteuse. Sefton est opportuniste et combinard, n'hésitant pas à extorquer les quelques biens que reçoivent ses camarades pour faire du marché noir avec les allemands et ainsi se payer toutes sortes de petits privilèges. Pourtant Wilder parvient à travers lui à condamner l'arbitraire, la justice sommaire et le lynchage. Plus le film avance, plus le personnage de Sefton gagne en intérêt et en complexité. Ses motivations à démasquer le vrai coupable et à sauver l'une de ses victimes restent ambigües (on peut penser qu'il n'agit que pour pouvoir s'enrichir, ce personnage ayant soif de revanche sociale). Mais il n'en reste pas moins qu'il agit avec sang-froid, clairvoyance et courage et que ses actions servent le "bien". William Holden remarquablement dirigé a reçu un oscar du meilleur acteur pleinement mérité.
Malgré le sérieux du sujet, le film n'a rien de pesant car la vie des soldats prisonniers parfois montrée de façon réaliste est aussi l'occasion de scènes de comédie pure comme celle où toute la baraque se déguise en Hitler pour parodier un rassemblement nazi et la lecture de Mein Kampf!
Un sac de billes est la deuxième adaptation cinématographique du roman autobiographique de Joseph Joffo, quarante deux ans après la première. A l'heure où les derniers survivants et témoins de la Shoah disparaissent et où les temps sont plus que jamais troublés, cette piqûre de rappel s'imposait. Le film dépeint à travers le périple et le regard d'un enfant toutes les facettes de la France durant la période de la seconde guerre mondiale: la zone occupée où l'étau se resserre inexorablement autour des juifs, la ligne de démarcation à franchir pour passer en zone libre au péril de sa vie, le relatif refuge qu'elle offre encore au printemps 42, le havre de paix que constitue Nice occupé par les italiens jusqu'en 43 et sa chute dramatique entre les mains des nazis, la montée en puissance des réseaux de Résistance et face à eux la radicalisation des pétainistes avec les exactions de la milice, la Libération enfin et ses règlements de compte sanglants. On mesure la force de caractère des frères Joffo face à la Gestapo qui s'acharne pendant des semaines à les faire craquer pour qu'ils avouent leurs origines. On peut également constater qu'ils ont eu beaucoup de chance, rencontrant à des moments décisifs les bonnes personnes. L'interprétation est remarquable, Patrick Bruel dans le rôle du père en tête. Mais aussi (et c'est plus surprenant), Christian Clavier et Kev Adams dans des rôles dramatiques. Mention spéciale également au travail sur la photographie avec des paysages et des lumières superbes qui offrent des respirations bienvenues. Le principal bémol outre la mise en scène trop sage concerne l'absence d'un véritable travail sur l'évolution physique et psychologique des enfants qui ne semblent grandir et mûrir que sur le papier.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.