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Le Ciel peut attendre (Heaven Can Wait)

Publié le par Rosalie210

Ernst Lubitsch (1943)

Le Ciel peut attendre (Heaven Can Wait)

Avant-dernier film de Ernst LUBITSCH (il décèdera quatre ans plus tard), le seul en couleur, "Le ciel peut attendre" est une oeuvre testamentaire dont le maître-mot est une fois de plus l'élégance. Car en plus d'être une étude de moeurs assez piquante sur le couple, "Le ciel peut attendre" est aussi un film sur la mort. "La vie est une entreprise de démolition" disait Fitzgerald et le fait est que le temps est un protagoniste à part entière du film. Les anniversaires de Henry Van Cleve (Don AMECHE) qui scandent le film apportent avec eux de plus en plus de mélancolie et de gravité au fur et à mesure que les pertes s'accumulent et qu'avec le temps "tout s'en va" (la jeunesse, la santé, le pouvoir de séduction, les êtres chers et finalement la vie) alors que son environnement aristocratique est condamné à disparaître avec lui "autre temps, autres moeurs". Néanmoins, si le film reste une comédie, c'est que cette gravité est compensée par la légèreté de moeurs de Henry Van Cleve, coureur de jupons invétéré dont le désir pour le beau sexe durera jusqu'à sa mort comme le montre la séquence de l'échange des infirmières. Une légèreté elle-même tempérée par les sentiments qu'il éprouve pour son épouse Martha (Gene TIERNEY) qui n'est elle-même pas avare de paradoxes. Derrière son apparence de jeune femme rangée, bonne épouse et bonne mère, n'est-elle pas littéralement allergique aux conventions régissant la conjugalité bourgeoise (incarnées par le parfaitement ennuyeux Albert, cousin de Henry ainsi que par ses propres parents, englués dans une guerre domestique sans fin), lui préférant le frivole, amoral et aventureux Henry dont elle n'est jamais dupe? Le délicieux grand-père de Henry (impayable Charles COBURN) est la figure tutélaire unissant le couple (la mise en scène le place souvent entre Henry et Martha, en chair et en os puis en portrait), encourageant les frasques de Henry tout en étant profondément attaché à Martha. Laquelle a compris que "pour rendre son mari heureux" (ou plutôt son ménage heureux), il fallait accepter qu'il soit traversé par "le tourbillon de la vie". Sa tendre indulgence vis à vis de son "petit Casanova" est bien sûr mise à l'épreuve dans un cadre qui semble aujourd'hui bien obsolète (monsieur trompe, madame se tient à carreau pour deux et pardonne). Il n'en reste pas moins que par sa franchise et sa tolérance, Martha échappe aux conventions au point qu'avec un peu de malice, on peut imaginer qu'elle vit par procuration. Dans ses oeuvres pré-code, les femmes sont libres de leurs désirs et envoient valser la morale aussi bien que ne le fait Henry. Le jugement final du diable, qui est le double de Ernst LUBITSCH ne laisse guère de doute sur ce qu'il pensait du puritanisme chrétien.

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Le Voleur de bicyclette (Ladri di biciclette)

Publié le par Rosalie210

Vittorio De Sica (1948)

Le Voleur de bicyclette (Ladri di biciclette)

"Le voleur de Bicyclette" est un film illustre de l'histoire du cinéma qui a inspiré par la suite nombre de réalisateurs. Chef-d'oeuvre du néoréalisme italien ayant contribué à son existence au même titre que "Rome, ville ouverte" (1944), il s'agit d'un drame de la précarité, traité avec une simplicité et une justesse qui explique pour beaucoup la réussite du film. Autant par nécessité financière que par choix artistique et politique, le cinéma italien de l'après-guerre connaît une refondation sur les ruines de celui qui s'était fourvoyé dans la propagande fasciste. Il recherche la plus grande proximité possible avec les sujets qu'il filme, pris dans la réalité âpre d'un pays défait et miné par la crise économique et sociale. Ainsi Vittorio DE SICA, ancien acteur passé à la réalisation dans l'après-guerre tourne son film avec peu de moyens, un scénario réduit à l'extrême et sans effets visuels, en version muette (il sera ensuite post synchronisé), en extérieur et en décors naturels, avec des acteurs non-professionnels et dans les lieux les plus déshérités de Rome ce qui confère à son long-métrage un caractère proche du documentaire et lui donne une grande valeur historique comme chez Roberto ROSSELLINI. De plus, le drame social de De Sica est d'une grande justesse dans sa description des rapports humains. D'un côté, la pauvreté et la précarité qui touchent une large partie de la population italienne réduite au chômage et à l'indigence ont annihilé les liens de solidarité, transformant la société en jungle où chacun essaye de s'en sortir au détriment des autres. Le périple d'Antonio à la recherche de sa bicyclette volée sur laquelle repose son seul espoir de s'en sortir lui fait traverser des destins aussi infortunés que le sien voire pire et la fin souligne combien la frontière est fragile entre pauvreté et délinquance (en VO le titre est au pluriel). Quant aux structures d'aide, elles sont impuissantes (la police), indifférentes (le syndicat), illusoires (la voyante) ou intéressées (l'Eglise). De l'autre, "Le voleur de bicyclette" est un grand film humaniste qui observe les pauvres essayer de survivre avec compassion, sans les juger. Surtout à travers le regard de Bruno, le fils d'Antonio, témoin sensible des malheurs de son père, "Le voleur de bicyclette" a des airs de "Le Gosse" (1921) de Charles CHAPLIN avec un final qui s'y réfère directement. La relation père-fils est en effet aussi importante que le contexte social dans lequel ils évoluent. Le film repose sur un équilibre miraculeux entre le témoignage documentaire et la dimension intimiste et émotionnelle, l'un empêchant l'autre de verser dans le mélodrame ou à l'inverse dans le documentaire stérile froidement distancié.

"Le voleur de Bicyclette" marque les débuts de Sergio LEONE au cinéma. Engagé comme assistant, il joue également un petit rôle (celui d'un séminariste) et son futur cinéma doit beaucoup à celui de Vittorio DE SICA.

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Devdas

Publié le par Rosalie210

Sanjay Leela Bhansali (2002)

Devdas

"Devdas" qui en 2002 a donné au public occidental l'occasion de découvrir le cinéma bollywoodien est une splendeur. Du grand spectacle à savourer sans modération. L'usine à rêves de Mumbai lui préfère les excès en tous genres, sollicitant les sens à l'extrême. "Devdas", ce sont 3h magiques dans un palais des 1001 nuits rempli d'acteurs et d'actrices à la beauté stupéfiante (Aishwarya RAI par exemple n'est rien de moins que la Miss Monde 1994!), d'or, de perles, de paillettes, de lumière, de cristaux, de voiles, de grelots, de couleurs, de parfums, de larmes, de danses et de chants absolument envoûtants. Je me souviens avoir découvert le film lors de l'exposition "Musique et cinéma" organisée à la Cité de la Musique à Paris en 2013. Au milieu d'extraits d'autres films, on pouvait voir l'ébouriffante séquence durant laquelle Paro (Aishwarya RAI) et Chandramukhi (Madhuri DIXIT) chantent et dansent sur "Dola re Dola" que j'ai revue depuis des dizaines de fois avec toujours le même émerveillement. Quant à l'histoire, mélodramatique à souhait (d'où le torrent de larmes que déversent les personnages), elle provient d'un classique de la littérature indienne datant de 1917 et adapté plusieurs fois au cinéma. On peut d'ailleurs voir sur les bonus du DVD une comparaison entre la fin choisie par le réalisateur de la version de 2002, Sanjay Leela BHANSALI et celle en noir et blanc de 1955. Derrière l'histoire d'amour impossible entre Paro et Devdas qui rappelle chez nous Roméo et Juliette (les castes se substituant aux rivalités claniques), le film se nourrit d'une symbolique traditionnelle porté par les couleurs, le rouge en particulier qui domine le film ainsi que par l'union de l'eau et du feu, deux éléments omniprésents. Quant aux danses qui sont si importantes dans le pouvoir d'envoûtement du film, elles puisent leurs chorégraphies dans des genres eux aussi traditionnels, disséqués là aussi dans les bonus du DVD qui décryptent notamment leur gestuelle. Tout comme les couleurs et la musique, elles permettent d'exprimer ce qui ne peut être montré frontalement, la passion physique en premier lieu.

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Les Infiltrés (The Departed)

Publié le par Rosalie210

Martin Scorsese (2006)

Les Infiltrés (The Departed)

Remake américain de "Infernal Affairs" (2002), j'ai trouvé "Les Infiltrés" franchement réussi. Nerveux dans son montage mais aussi grâce à une musique du tonnerre, entre pop-rock (Rolling Stones en tête de gondole comme souvent dans les films de gangsters de Scorsese) et cornemuses-hard rock ("Shipping Up to Boston" du groupe punk celtique Dropkick Murphys décoiffe). Cette chanson est d'ailleurs particulièrement bien choisie: l'histoire est transposée à Boston (la chanson est devenue d'ailleurs l'hymne officiel de son équipe de baseball) et les origines ethniques des personnages sont soulignées, en particulier celles, irlandaise, du chef de la mafia, Frank Costello (Jack NICHOLSON) qui a un compte personnel à régler avec le clergé catholique et la pédophilie de nombre de ses prêtres couverte par la hiérarchie. Alors certes, Martin SCORSESE et son scénariste cassent la symétrie qui existait entre le parrain de la mafia et le chef de la police dans l'oeuvre d'origine pour donner la part du lion à Jack NICHOLSON mais le duo complémentaire Martin SHEEN-Mark WAHLBERG fonctionne bien, seul Alec BALDWIN est de trop. Quant aux infiltrés, si Matt DAMON est un peu trop lisse pour le rôle trouble qu'il interprète, Leonardo DiCAPRIO qui était alors à son zénith est absolument remarquable en taupe de la police infiltré chez les truands, écorché vif, toujours sur la corde raide entre son identité d'emprunt et son identité réelle. Par ailleurs la construction du film est plus rigoureuse que dans le film hong-kongais d'origine qui a donné lieu à deux suites assez confuses. Dans "Les Infiltrés", c'est la fatalité qui guide les personnages vers une issue que l'on devine être la mort, chacune étant précédée ou accompagnée par la lettre x placée quelque part dans l'image par Martin SCORSESE de façon plus ou moins subliminale. Un hommage direct au "Scarface" (1931) de Howard HAWKS. Quant aux téléphones portables qui jouaient un rôle clé dans le le jeu de pistes du film de Andrew LAU et Alan MAK, ils sont repris ainsi que d'autres outils technologiques (ordinateurs, vidéo-surveillance, micros) avec la même efficacité. On a donc à la fois une reprise des meilleurs ingrédients du film d'origine et un oeuvre personnelle car imprégnée de l'univers propre à Martin SCORSESE le tout mené de main de maître en terme de rythme, de dramaturgie ou encore de direction d'acteurs (et quels acteurs!)

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Shanghai Express

Publié le par Rosalie210

Josef von Sternberg (1931)

Shanghai Express

Jamais Marlene DIETRICH n'a été aussi fascinante que dans "Shanghai Express" (1931), le quatrième film de sa collaboration avec Josef von STERNBERG qui regorge de plans iconiques dont celui où elle lève les yeux vers les ciel, le visage sculpté par le clair-obscur. La photographie de James WONG HOWE, chef opérateur qui a contribué à construire le cinéma hollywoodien l'habille tout aussi somptueusement que les costumes de Travis BANTON. Le parallèle avec l'autre grande diva de l'époque, Greta GARBO s'impose d'autant plus que dans les deux cas, leur rayonnement efface complètement le partenaire masculin avec lequel elles sont censé vivre une grande passion. Clive BROOK est particulièrement fade, laissant le champ libre à l'histoire d'amour entre Marlene DIETRICH et une caméra fétichiste qui s'attarde longuement sur son visage et sur ses mains, prises en gros plan lorsqu'elle se met à prier pour sauver son amour.

Bien que Josef von STERNBERG n'ait jamais voulu l'admettre, il est impossible de ne pas penser à la nouvelle "Boule de suif" de Maupassant en regardant le film. Il est question en effet de cohabitation durant un voyage entre Pékin et Shanghai entre une poignée de gens "respectables" qui lorsqu'ils sont pris en otages dans un contexte de guerre civile rivalisent de fausseté, de bassesse et de lâcheté (à l'exception du révérend qui est transformé positivement par son expérience) et de prostituées qui révèlent à l'inverse courage et grandeur d'âme dans l'épreuve. S'y rajoute l'exotisme (et le racisme) propre au cadre colonial, même s'il ne s'agit que d'un décorum de pacotille reconstitué en studio. Aux côtés de la "divine" Marlène, Anna May WONG parvient à s'imposer dans le rôle d'une prostituée chinoise avide de vengeance. Actrice américaine d'origine chinoise dont la carrière fut entravée à cause du code Hays aux USA et de la propagande nationaliste en Chine, elle a récemment inspiré le personnage de Lady Fay Zhu dans "Babylon" (2021) de Damien CHAZELLE.

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Nous irons tous au paradis

Publié le par Rosalie210

Yves Robert (1977)

Nous irons tous au paradis

Enfin j'ai réussi à mettre la main sur le DVD de "Nous irons tous au paradis", la suite de "Un elephant ca trompe enormement" (1976). Plus collégial que le premier qui privilégiait Etienne (Jean ROCHEFORT) même s'il reste le narrateur, le ton de "Nous irons tous au paradis" est également plus varié. La comédie reste prédominante, jouant aussi bien sur les dialogues que sur les situations (les surprises de la maison de campagne achetée par les quatre amis, la destruction de la voiture d'Etienne suite à un quiproquo par un Jean-Pierre CASTALDI furax, le chassé-croisé de Roissy). L'adultère attaché au personnage d'Etienne est toujours traité sur un mode burlesque irrésistible qui s'inspire de "La Panthere rose" (1963) de Blake EDWARDS. D'ailleurs cette fois la référence est explicite puisque lorsque Etienne espionne sa femme, il emprunte systématiquement la défroque de l'inspecteur Clouseau alors que la musique de Vladimir COSMA marche sur les traces du saxophone de Henry MANCINI. Mais par moments, le ton se fait plus grave lorsqu'il s'agit d'évoquer la vie sentimentale des trois amis d'Etienne. Si celui-ci et Daniele DELORME incarnent le couple bourgeois bon teint (heureusement transcendé par un humour ravageur), les autres tâtonnent en dehors des conventions. Simon forme un vieux couple avec sa mère possessive Mouchy (Marthe VILLALONGA) à qui il cherche à échapper avec des subterfuges de gamin pour vivre des aventures mais la fin montre que c'est bien elle le grand amour de sa vie. Bouly (Victor LANOUX) le beauf séducteur se retrouve à la tête d'une tribu recomposée de sept enfants dont il doit s'occuper alors que les mères brillent par leur absence. Enfin Daniel (Claude BRASSEUR) est tiraillé entre son homosexualité (montrée plus explicitement que dans le premier volet) et la tentation de "se ranger" avec sa patronne plus âgée que lui.

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L'Enfance d'Ivan (Ivanovo detstvo)

Publié le par Rosalie210

Andrei Tarkovski (1961)

L'Enfance d'Ivan (Ivanovo detstvo)

Le premier film de Andrei TARKOVSKI, le plus grand réalisateur de l'époque soviétique avec Sergei EISENSTEIN recèle des images si belles et si expressives que j'avais réussi à le voir jusqu'au bout alors qu'il n'y avait même pas de sous-titres dans la version qui m'avait été prêtée à l'époque. Il prend place aux côtés d'autres grands films évoquant l'enfance brisée par la guerre tels que "Allemagne annee zero" (1947) avant lui ou "Le Tombeau des lucioles" (1988) après lui. L'URSS a été en effet avec l'Allemagne et le Japon l'un des épicentres de la seconde guerre mondiale.

L'image d'ouverture du film est célèbre avec son travelling ascensionnel sur un arbre que Andrei TARKOVSKI reprendra pour clore son dernier film "Le Sacrifice" (1985), dédié à son fils "avec espoir et confiance". Mais dans "L'Enfance d'Ivan", l'arbre s'avère être mort ou le fruit d'un songe, celui d'Ivan qui navigue sans cesse de rêves où il baigne dans une nature idyllique en compagnie de sa mère, d'animaux et d'autres enfants et une réalité cauchemardesque où transformé par son désir de vengeance en enfant-soldat, il part dans une terrible fuite en avant qui se termine en cul-de-sac. A y regarder de plus près, les rêves sont contaminés par le cauchemar: Ivan y est englué dans une toile d'araignée ou enfermé au fond d'un puit. Surtout, il revoit encore et encore l'assassinat de sa mère ce qui est évidemment une manifestation de stress post-traumatique. Les hommes du régiment qui l'ont recueilli ne sont pas en meilleur état. Certains comme le lieutenant sont à peine plus âgés qu'Ivan, d'autres le considèrent comme un fils de substitution, sans toutefois s'engager. Comme Macha, l'aide-soignante qui suscite des émois au sein de la troupe, Ivan est considéré comme déplacé dans cet univers guerrier et les officiers cherchent soit à le protéger, soit à le renvoyer à l'arrière, en vain. Les travellings avant sur les bouleaux à perte de vue laissent entendre combien l'horizon est bouché et l'avenir incertain. La conclusion, particulièrement saisissante car elle survient de manière brutale après 1h20 dans le même espace-temps marque aussi une rupture de style. Après une succession de plans sur le théâtre de guerre d'une terrible beauté car composés comme des tableaux et magnifiquement photographiés (on pense à "Valse avec Bachir" (2007), Ari FOLMAN ayant repris l'idée des fusées éclairantes mais aussi à l'onirisme de "La Nuit du chasseur" (1955), place à des images mêlant archives et fiction sur l'agonie du IIIe Reich dans lequel le monde n'est plus que cendre et où plane le fantôme d'Ivan et de tous les enfants sacrifiés par la guerre.

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Les Amours imaginaires

Publié le par Rosalie210

Xavier Dolan (2010)

Les Amours imaginaires

Ma première expérience avec le cinéma de Xavier DOLAN il y a douze ans avec "Laurence Anyways" (2011) avait été assez négative. Je n'avais vu que les "tics" de mise en scène du cinéaste. Depuis j'ai eu le temps de réviser mon jugement tout en découvrant sa filmographie (que je connais mal). J'ai choisi de regarder "Les amours imaginaires" en raison du fait qu'il est cité très souvent dans les numéros de l'émission d'Arte Blow Up qui est l'une de mes sources d'inspiration cinéphile. Soit en raison de sa symphonie chromatique (rouge, vert, bleu), soit en raison de sa musique, omniprésente avec des morceaux récurrents (la suite pour violoncelle de Bach, le "Bang, Bang" en version italienne chanté par Dalida). Le film s'abreuve à de multiples influences issues des autres arts, musique mais aussi peinture, sculpture, dessin, littérature et bien évidemment cinéma. Si Francis ne renvoie qu'à son interprète, Xavier DOLAN himself, les deux autres pôles de son triangle amoureux sont des fantasmes de cinéma sur pattes. Nicolas (Niels SCHNEIDER) est un éphèbe blond et bouclé, sosie de l'Orphée de Jean COCTEAU (cité) et du David de Michel-Ange (cité aussi). Marie (Monia CHOKRI, magnétique) est un mélange de Audrey HEPBURN (star qu'admire Nicolas) et de Maggie CHEUNG (les nombreux ralentis, les costumes et chignons vintage renvoient autant à Givenchy qu'à "In the Mood for Love") (2000). C'est peut-être une manière de signifier que Francis et Marie qui ont flashé en même temps sur Nicolas se font un film dans lequel ils sont eux-mêmes des stars de cinéma. Leur marivaudage et une partie de l'esthétique du film doit beaucoup à la Nouvelle vague française et à Jean-Luc GODARD en particulier (y compris le canotier qu'il porte dans le court-métrage de Agnes VARDA, "Les Fiances du pont Mac Donald") (1961). On pense aussi à "Jules et Jim" (1962) sauf que comme son titre l'indique, il n'y a pas d'amour dans le film de Xavier DOLAN*. Le seul sentiment authentique est l'amitié qui réunit Francis et Marie mais qui est menacée par leur rivalité pour obtenir les faveurs de Nicolas. Une rivalité attisée par ce dernier qui derrière son visage d'ange se révèle être plutôt maléfique, aimant attirer des proies pour s'amuser avant de les rejeter une fois lassé d'elles. Le bref aperçu de la relation entre Nicolas et sa mère séductrice (Anne DORVAL) laisse entendre que c'est là que se niche l'origine du rapport vicié qu'il entretient avec les autres. Toujours est-il que pour son deuxième film, Xavier DOLAN fait montre d'une grande maîtrise des possibilités offertes par l'outil cinématographique et dissèque avec une grande justesse les souffrances générées par l'illusion amoureuse ainsi que la perversité de leur bourreau, captant la moindre des expressions de leur visage en gros plan, y compris dans l'intimité qu'ils partagent avec quelqu'un qui n'est pas leur objet de désir.

* En cela il est plus lucide que le film de Christophe HONORE, "Les Chansons d'amour" (2007), cité lui aussi à travers le cameo de Louis GARREL.

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Barbie

Publié le par Rosalie210

Greta Gerwig (2023)

Barbie

"Barbie" qui est en passe comme son modèle en plastique de devenir un phénomène de société n'a pas fini de faire couler beaucoup d'encre. L'excellent début du film de Greta GERWIG rappelle quelle (r)évolution cette poupée a représenté pour les petites filles en 1959. Mais plutôt que de le faire sur un mode documentaro-pédagogique, elle a décidé de pasticher la séquence "A l'aube de l'humanité" de "2001 : l'odyssee de l'espace" (1968) dans laquelle un singe, éveillé par le monolithe apprend à se servir d'un os pour abattre ses proies. Le "monolithe" c'est Barbie qui sonne la révolte des petites filles confinées jusque-là au rôle étroit de mère au foyer miniatures et qui envoient soudainement valser dans l'espace leurs dînettes et leurs poupons pour embrasser le vaste monde qui s'offre à elles où tout devient possible, y compris être présidente et cheffe d'entreprise et tout cela dans des tenues chics et variées valorisant la féminité. Un monde dans lequel il est possible de s'autosuffire, l'homme alias Ken étant réduit au rôle de faire-valoir dépendant du regard de Barbie pour exister. Ce début tonitruant (et qui s'approprie déjà un film et une symbolique des plus phalliques) n'est que le début des festivités. Par un jeu de vases communicants entre le monde de Barbie et celui des humains, Greta GERWIG fait une satire souvent bien vue de notre monde réel très éloigné de l'idéal véhiculé par les poupées de Mattel. L'entreprise dont le PDG est joué par Will FERRELL a  beau avoir une déco et un dress code "pinkwashing", son administration est tout ce qu'il y a de plus phallocrate et monocolore, les justifications du PDG tournant en ridicule celles émises depuis des années par les conservateurs de tous poils pour surtout ne rien changer. C'est d'ailleurs malin de la part de Mattel (producteur du film) qui peut ainsi donner un sacré coup de jeune à son image en faisant son autocritique (comme quoi c'est possible aussi dans le monde capitaliste quand il s'agit de rebondir). Mais si ça peut faire réfléchir, tant mieux car la Barbie jouée par Margot ROBBIE dont le "happy face" de rigueur est effacé par une humeur dépressive, de la cellulite, des pieds plats (ceux de la poupée épousent la forme des chaussures à talon) et plein de questions sans réponses reflète en réalité sa propriétaire adulte, une employée de Mattel (America FERRERA) dont le monologue sur les injonctions contradictoires faites aujourd'hui aux femmes tape dans le mille: c'est à la fois une critique du monde réel et du monde idéal de Barbie qui en dépit de toutes ses déclinaisons ethniques et physiques (rappelées dans le film) reste associée à un modèle stéréotypé de blondeur, de jeunesse, de minceur et d'hypersexualisation qu'incarne Margot ROBBIE.

Mais le film ne s'intéresse pas qu'à Barbie, il accorde une grande place à Ken qui se pose lui aussi des questions sur son identité. Car si Barbie est bouleversée de découvrir que le monde réel n'en a pas fini avec le patriarcat et la considère comme un objet sexuel, Ken qui jusque là n'existait qu'à travers Barbie s'autonomise et va importer les modèles masculins du monde réel dans Barbieland, reproduisant ainsi des comportements paternalistes et machistes bientôt tournés en ridicule par la contre-offensive des Barbies. Ryan GOSLING est très bon dans le registre de l'autodérision, son Ken est désopilant, qu'il soit "beach" ou "cow-boy".

"Barbie" est donc un divertissement intelligent et délicieusement pop, rendant hommage en prime à des films et genres populaires (les comédies musicales, "Toy Story 3" (2010) qui faisait intervenir Barbie et Ken, "Retour vers le futur II") (1989). Je ne suis pas sûre que les 14 films prévus par Mattel pour relancer les ventes de ses jouets seront de la même qualité...

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French Connection

Publié le par Rosalie210

William Friedkin (1971)

French Connection

Le décès récent de William FRIEDKIN m'a rappelé que je n'avais jamais vu en intégralité "French Connection", son premier grand succès. Même s'il y a quelques scènes tournées à Marseille (orthographié "Marseilles") puisque le film est l'adaptation du livre éponyme de Robin Moore publié en 1969 qui raconte l'enquête de deux policiers new-yorkais concernant le trafic de drogue en provenance de la cité phocéenne, c'est New-York qui est le théâtre majeur d'un film qui a marqué l'histoire du cinéma par son réalisme âpre (l'histoire est elle-même tirée de faits réels) et son caractère nerveux et immersif qui trouve son apothéose dans sa course-poursuite d'anthologie entre une voiture et un métro aérien. On colle aux basques des flics dont le film suit le rythme de l'enquête, tantôt lent lors des moments (nombreux) d'attente et tantôt frénétique lorsque la filature s'emballe. Un jeu du chat et de la souris à l'ambiance nouvelle vague filmé en décors naturels et souvent sur le vif (et illégalement). Ce qui frappe aussi c'est le contraste entre deux univers, celui, vraiment sordide de la piétaille de la drogue survivant au ras du bitume (consommateurs, revendeurs-intermédiaires et flics aux méthodes de voyous) et celui, huppé des caïds. Une scène l'illustre particulièrement, celle dans laquelle Popeye (Gene HACKMAN qui en a bavé pour incarner le rôle mais quel résultat!) fait le pied de grue en se gelant les miches devant un luxueux restaurant dans lequel sont servis des mets raffinés à Charnier (Fernando REY, fripouille VIP habituelle du cinéma de Luis BUNUEL) et son associé. Popeye lui doit se contenter d'un morceau de pizza et d'un verre de vin si mauvais qu'il le renverse à terre. La caméra ne cesse de jouer sur la profondeur de champ pour nous signifier et ce bien avant la fin que les flics sont des losers dont les trafiquants se moquent et donc que les chats et les souris ne sont pas ceux que l'on croit. Cela préfigure la célèbre scène dans laquelle Charnier réussit à semer Popeye dans le métro (qui bénéficie d'une mise en scène très chorégraphiée) et celle où celui-ci est pris pour cible par l'associé de Charnier, Pierre Nicoli (Marcel BOZZUFFI), un tueur froid semant la mort et la terreur sur son passage. La course-poursuite complètement folle qui s'ensuit est une réaction de rage de Popeye qui tente de reprendre le dessus, d'abord sur Nicoli, puis lors des dernières scènes, sur Charnier, allant jusqu'à le narguer avec le même geste que celui-ci lui avait adressé dans le métro. Mais "French Connection" démythifie la police jusqu'au bout. Non seulement elle patauge misérablement dans un New-York cradingue et prend des libertés déontologiques considérables au point qu'on peut à peine la distinguer de ses proies mais en plus elle ne fait même pas le poids face à la pègre, reflétant là encore la réalité. Pas étonnant que Popeye, le plus dangereux des deux policiers (l'autre, "Cloudy" est joué par Roy SCHEIDER) ne le supporte pas et retourne l'arme contre les siens voire contre lui-même (le coup de feu final hors-champ).

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