"La Ciociara" est un film puissant qui hante longtemps après l'avoir vu. Vittorio DE SICA a réussi à combiner dans un même film l'adaptation d'un roman (celui de Moravia au titre éponyme), un terreau néoréaliste d'où il est issu et qui nourrit sa chronique paysanne et des influences américaines mélodramatiques portées par Sophia LOREN qui avait passé plusieurs années à Hollywood mais qui renoue avec ses origines italiennes. Si dans "La Ciociara" elle magnétise l'écran et laisse peu de place aux autres personnages, son interprétation bouleverse et renforce la puissance globale du film. C'est avec "Une journee particuliere" (1977) son interprétation la plus forte, comparable à celle de Romy SCHNEIDER dans "Le Vieux fusil" (1975). Mais le propos de "La Ciociara" est plus complexe et plus subtil tant au niveau de l'histoire individuelle qu'à l'échelle collective. Sophia LOREN interprète le rôle de Cesira, une jeune veuve de caractère vivant à Rome qui décide de retourner dans son village natal pour mettre sa fille Rosetta à l'abri des horreurs de la guerre. Or le titre à lui seul souligne que la campagne offre une sécurité illusoire: la Ciociara désigne une région rurale d'Italie qui a été le théâtre de crimes de guerre en 1944 de la part des soldats, notamment marocains, du corps expéditionnaire français en Italie commandés par le général Juin qui remontaient vers Rome à la suite de la bataille du Mont-Cassino. C'est donc vers l'horreur que s'acheminent les deux femmes. Les signaux de danger ne manquent pas (l'attaque de l'avion, le comportement lubrique des miliciens). Néanmoins la vie en communauté apporte une sécurité précaire. Aussi l'erreur la plus tragique de Cesira est de se séparer du groupe pour rentrer à Rome alors que la guerre n'est pas terminée et que les alliés considèrent l'Italie comme un territoire conquis. La terrible agression dont elle et Rosetta sont victimes dans l'Eglise outre son caractère symbolique introduit une rupture dans la dernière demi-heure de film qui souligne que le temps de l'insouciance et de l'innocence est révolu. Cesira perd son assurance (à tous les sens du terme) en perdant sa fille qui s'est coupée d'elle et part à la dérive. La relation mère/fille au coeur du film laisse peu de place aux personnages masculins même si Michele (Jean-Paul BELMONDO) dont Rosetta est amoureuse mais qui lui préfère Cesira introduit la première faille dans la relation mère/fille.
"Le voleur de Bicyclette" est un film illustre de l'histoire du cinéma qui a inspiré par la suite nombre de réalisateurs. Chef-d'oeuvre du néoréalisme italien ayant contribué à son existence au même titre que "Rome, ville ouverte" (1944), il s'agit d'un drame de la précarité, traité avec une simplicité et une justesse qui explique pour beaucoup la réussite du film. Autant par nécessité financière que par choix artistique et politique, le cinéma italien de l'après-guerre connaît une refondation sur les ruines de celui qui s'était fourvoyé dans la propagande fasciste. Il recherche la plus grande proximité possible avec les sujets qu'il filme, pris dans la réalité âpre d'un pays défait et miné par la crise économique et sociale. Ainsi Vittorio DE SICA, ancien acteur passé à la réalisation dans l'après-guerre tourne son film avec peu de moyens, un scénario réduit à l'extrême et sans effets visuels, en version muette (il sera ensuite post synchronisé), en extérieur et en décors naturels, avec des acteurs non-professionnels et dans les lieux les plus déshérités de Rome ce qui confère à son long-métrage un caractère proche du documentaire et lui donne une grande valeur historique comme chez Roberto ROSSELLINI. De plus, le drame social de De Sica est d'une grande justesse dans sa description des rapports humains. D'un côté, la pauvreté et la précarité qui touchent une large partie de la population italienne réduite au chômage et à l'indigence ont annihilé les liens de solidarité, transformant la société en jungle où chacun essaye de s'en sortir au détriment des autres. Le périple d'Antonio à la recherche de sa bicyclette volée sur laquelle repose son seul espoir de s'en sortir lui fait traverser des destins aussi infortunés que le sien voire pire et la fin souligne combien la frontière est fragile entre pauvreté et délinquance (en VO le titre est au pluriel). Quant aux structures d'aide, elles sont impuissantes (la police), indifférentes (le syndicat), illusoires (la voyante) ou intéressées (l'Eglise). De l'autre, "Le voleur de bicyclette" est un grand film humaniste qui observe les pauvres essayer de survivre avec compassion, sans les juger. Surtout à travers le regard de Bruno, le fils d'Antonio, témoin sensible des malheurs de son père, "Le voleur de bicyclette" a des airs de "Le Gosse" (1921) de Charles CHAPLIN avec un final qui s'y réfère directement. La relation père-fils est en effet aussi importante que le contexte social dans lequel ils évoluent. Le film repose sur un équilibre miraculeux entre le témoignage documentaire et la dimension intimiste et émotionnelle, l'un empêchant l'autre de verser dans le mélodrame ou à l'inverse dans le documentaire stérile froidement distancié.
"Le voleur de Bicyclette" marque les débuts de Sergio LEONE au cinéma. Engagé comme assistant, il joue également un petit rôle (celui d'un séminariste) et son futur cinéma doit beaucoup à celui de Vittorio DE SICA.
Trois hommes, Antonio un prolétaire (Nino MANFREDI), Gianni un bourgeois (Vittorio GASSMAN) et Nicola un intellectuel (Stefano SATTA FLORES) amoureux de la même femme, Luciana (Stefania SANDRELLI) traversent trente années d'histoire de l'Italie, de la fin de la seconde guerre mondiale jusqu'à l'époque du tournage du film au début des années 70. Leur amitié forgée au sein de la Résistance ne résiste pas au rouleau compresseur de la réalité. Leurs idéaux subissent le même sort, résumé dans cette remarquable phrase-bilan pleine d'amertume "nous voulions changer le monde et c'est le monde qui nous a changé". Ettore SCOLA entremêle destins individuels et histoire collective dans ce qui est l'un de ses plus beaux films, travaillé plus que jamais par le passage du temps. Car il y ajoute un troisième ingrédient fondamental qui soude l'individuel et le collectif: le cinéma italien dont il retrace également l'évolution sur trente années autour de quelques jalons essentiels et sous diverses formes. "Le Voleur de bicyclette" (1948) de Vittorio DE SICA est présent en filigrane tout au long du film parce qu'il résume le parcours des trois hommes. Unis par une même cause au début du film, ils se retrouvent séparés par une infranchissable barrière sociale (et morale) à la fin. De même, lorsqu'il voit enfin en chair et en os 1974 Vittorio DE SICA, l'idole pour lequel il a sacrifié son confort matériel et sa vie personnelle, Nicola subit une terrible désillusion et refuse finalement de le rencontrer. Celle-ci se réfère au fait qu'après avoir été porté aux nues pour sa contribution à la naissance du néoréalisme (décrié par la bourgeoisie), Vittorio DE SICA a été accusé de faire du cinéma commercial et bourgeois à partir des années 60, donc d'avoir trahi ses idéaux. Il est d'ailleurs décédé avant la sortie du film qui lui est dédié (un symbole de la fin de l'âge d'or de ce cinéma?) De manière plus ludique, la reconstitution de la scène de la fontaine de Trevi de "La Dolce vita / La Douceur de vivre" (1960) qui est étroitement insérée dans l'histoire des protagonistes du film puisque Luciana y fait de la figuration (elle n'aura jamais mieux et sa place dans le film symbolise son échec professionnel) est un régal pour le cinéphile car on y voit Federico FELLINI et Marcello MASTROIANNI dans un exercice d'autodérision assez jouissif (le premier est confondu avec Roberto ROSSELLINI, le second tente d'échapper à son étiquette de "latin lover" en portant des lunettes noires ^^). Enfin, Michelangelo ANTONIONI est étroitement lié à l'histoire d'Elide (Giovanna RALLI), la femme bourgeoise de Gianni épousée par intérêt qui se reconnaît dans le personnage joué par Monica VITTI dans "L Éclipse" (1962). Ridicule au début du film, Elide devient de plus en plus émouvante au fur et à mesure que ses efforts pour être à la hauteur des attentes de son mari (sur le plan physique et intellectuel) se heurtent à une froide indifférence et une absence de communication symbolisée par les cadres vides qu'elle accroche au mur.
"On n'échappe pas au temps". Cette phrase extraite de "La Jetée" de Chris Marker pourrait parfaitement s'appliquer à l'histoire du film, inspirée du livre au titre éponyme de Giorgio Bassani. En effet face aux persécutions croissantes frappant les juifs italiens entre 1938 et 1943, la bourgeoisie juive de Ferrare choisit dans sa majorité le déni. Cette attitude est incarnée jusqu'à la caricature par la grande famille des Finzi-Contini qui possèdent un manoir et un immense domaine dans lequel ils peuvent se croire à l'abri de la tempête qui gronde à leurs portes. Ils s'y cloîtrent, vivant en autosuffisance, accueillant les autres familles de leur milieu pour leur fournir les services (cours de tennis, bibliothèque) qui leur sont désormais interdits par la politique discriminatoire menée par Mussolini en gage de son alliance avec Hitler. Mais comme Louis XVI et Marie-Antoinette qui se croyaient protégés à Versailles, ils seront rattrapés par l'Histoire en marche. "Le jardin des Finzi-Contini" qui bénéficie d'une très belle photographie vaporeuse renforçant l'idée d'irréalité dans laquelle baignent les personnages est donc une tragique histoire d'aveuglement collectif. Seul Giorgio le narrateur qui appartient à une bourgeoisie moins friquée que celle des Finzi-Contini est capable de regarder la réalité en face. Mais durant tout le film, il se heurte à des murs. Son père tout d'abord à qui il essaye d'ouvrir les yeux mais en vain. Micol (Dominique Sanda) ensuite, la fille des Finzi-Contini dont il est amoureux depuis l'enfance. Mais celle-ci, comme le père de Giorgio est engluée dans une étrange passivité qui se double d'un comportement fuyant dès que Giorgio lui manifeste son amour. Elle préfère se cloîtrer dans son jardin et avoir des relations sexuelles impersonnelles, croyant sans doute ainsi assurer sa sécurité. Une erreur tragique qui la condamne tout comme le reste de sa famille (symbolisée par Alberto, son frère souffreteux dont elle est très proche joué par Helmut Berger) alors que Giorgio prend la place de son père défaillant pour sauver la sienne.
Le contexte historique du film est cependant très imprécis. Mussolini et l'Italie sont dépeint comme des clones du Troisième Reich et de Hitler ce qui est inexact. Le fascisme n'était pas antisémite à l'origine, les juifs italiens étaient bien assimilés et une partie d'entre eux étaient eux-mêmes fascistes. Mais la radicalisation nationaliste du régime, l'alliance avec les nazis et l'imminence de l'entrée en guerre entraînèrent l'exclusion des juifs de la vie publique et de la communauté nationale (interdiction des mariages mixtes) à partir de 1938 pour des raisons essentiellement opportunistes. Cependant l'adhésion populaire à cette politique fut faible, il n'y eu pas de ghettos et de pogroms et la dernière phase, celle des arrestations et déportations à partir de 1943 fut le fait des nazis lorsqu'ils occupèrent l'Italie après l'effondrement du régime de Mussolini. D'ailleurs lorsque les italiens occupèrent le comté de Nice de 1940 à 1943 ce fut une des principales régions-refuge pour les juifs avant que celle-ci ne se transforme en piège lorsque les allemands en prirent le contrôle.
La comédie du remariage à l'italienne réalisée par Vittorio de Sica c'est un mélange de screwball (pour les échanges verbaux électriques entre Sophia Loren et Marcello Mastroianni), de satire sociale fustigeant l'hypocrisie bourgeoise (comme dans le Billy Wilder de "Embrasse-moi idiot", la prostituée rêve d'une vie d'épouse rangée) et de mélodrame. Mastroianni est élégant et très drôle mais il est desservi par la médiocrité de son personnage. La vedette du film, c'est Sophia Loren qui nous offre diverses facettes de son talent. Jeune et naïve ou mûre et désabusée, mégère ou mère courage, séductrice et calculatrice ou femme bafouée dans sa dignité et ses sentiments, on ne sait jamais exactement où se situe la vérité de son personnage complexe. Aime-t-elle Domenico ? Se sert-elle de lui? Se venge-t-elle de tout ce qu'il lui fait subir? Les 3 à la fois dans une belle confusion des sentiments ? Ces questions sans réponses ne rendent son personnage que plus fascinant.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.