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Articles avec #erice (victor) tag

Fermer les yeux (Cerrar los ojos)

Publié le par Rosalie210

Victor Erice (2023)

Fermer les yeux (Cerrar los ojos)

"Fermer les yeux" est un film magnifique du trop rare Victor ERICE qui pour l'occasion retrouve Ana TORRENT qu'il avait révélé enfant dans "L'Esprit de la ruche" (1973) avant que son visage n'imprime la rétine du cinéma mondial trois ans plus tard dans "Cria cuervos" (1976).

De cinéma, il en est beaucoup question dans "Fermer les yeux" qui s'ouvre sur un film dans le film, "Le regard de l'adieu" dont le grain et le format n'est pas sans rappeler "L'Esprit de la ruche". On apprend assez vite que "Le regard de l'adieu", datant du début des années 90 est resté inachevé en raison de la disparition mystérieuse de l'acteur principal, Julio Arenas au cours du tournage. Vingt-deux ans plus tard (une ellipse temporelle qui se réfère à celle de trente ans durant laquelle Victor ERICE n'a pas tourné de long-métrage), le réalisateur du film, Miguel Garay, retraité, est contacté par une émission de télévision du style "Enquête exclusive" qui souhaite revenir sur la disparition de Julio Arenas. Celui-ci refait alors surface mais son âme elle semble s'être définitivement envolée. A moins que la magie du cinéma ne puisse lui faire retrouver la mémoire, ce à quoi va s'employer Miguel qui va remuer le passé et rouvrir bobines et cinéma jouant à la "Belle au bois dormant" pour projeter à Julio les extraits du film dans lequel il joua autrefois. "Fermer les yeux" est un acte de croyance envers le pouvoir du cinéma à faire revenir les morts à la vie et à restaurer les liens et de ce point de vue, la comparaison avec "Paris, Texas" (1984) m'a sauté au yeux. Seul le type de film diffère: un documentaire en super 8 dans "Paris, Texas", des séquences d'un film de fiction inachevé dans "Fermer les yeux" mais ce que l'on voit à l'image sont des retrouvailles par la médiation d'un tiers. Le frère dans le film de Wenders était le réalisateur du film et c'est lui qui réunissait le père et le fils et Miguel Garay en fait de même avec la fille de Julio. La mémoire du cinéma est également auditive, Julio semblant renaître en partageant une même chanson avec Garay qui semble être son double (un homme seul, vieillissant, fatigué, père avorté, vivant hors du temps en marge du monde). Le film tourné par Garay s'en fait le miroir, père et fille partageant également la même chanson. Et nous spectateurs ne sommes pas oubliés, le film est constellé de références cinématographiques, internes ou externes au cinéma de Victor ERICE. Ana TORRENT, cinquante ans après "L'Esprit de la ruche" (1973) revient lui faire écho de même que le film inachevé de Garay fait écho à celui que Victor Erice n'a pu réaliser "La Promesa de Shanghai". Wim WENDERS est omniprésent et pas seulement au travers de "Paris, Texas (1984)", les origines du cinéma sont évoquées avec "L'Arrivée d'un train en gare de La Ciotat" (1896) et l'une des plus puissantes citations provient encore d'une chanson "My rifle, my pony and me" chantée par Garay et ses voisins de campement qui par-delà "Rio Bravo" (1959) a valeur de signe de ralliement pour les cinéphiles du monde entier souhaitant communier dans la vaste église du cinéma.

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L'Esprit de la ruche (El Espíritu de la colmena)

Publié le par Rosalie210

Victor Erice (1973)

L'Esprit de la ruche (El Espíritu de la colmena)

"L'Esprit de la ruche", premier film de Víctor ERICE se présente comme un conte avec l'expression "Il était une fois" renvoyant à un espace-temps indéterminé symbolisé par une magnifique et surréelle lumière dorée comme le miel passant à travers une porte dont les motifs ressemblent à ceux des alvéoles d'une ruche. S'y ajoute un autre motif récurrent des contes, la forêt, son champignon vénéneux et ses monstres, plus précisément celui qui se promène dans l'imagination d'Ana (Ana TORRENT dont c'était le premier film et qui était déjà magnétique avec ses immenses yeux noirs inquiets) depuis qu'elle a vu lors d'une projection dans son village le "Frankenstein" (1931) de James WHALE. A travers les interrogations qui la hantent et qui tournent autour de la mort (celle de la petite fille et celle du monstre), Ana tente de comprendre le monde qui l'entoure et qui apparaît étrangement dévitalisé. Car le film inscrit cette atmosphère de conte au coeur du réel, le "il était une fois" inscrit sur un dessin d'enfant à la fin du générique étant immédiatement suivi d'une prise de vue réelle et de la mention "quelque part en Castille vers 1940". Ce plan situé en extérieur se caractérise par une lumière grisâtre opposée à la lumière dorée "magique" des plans d'intérieur et tous ceux qui se situent sur un plan réaliste dans le film ont la même tonalité grise, vide et misérable à l'image des façades lépreuses des maisons du village et des bâtiments alentours, perdus au milieu d'un désert. Un instantané de l'Espagne franquiste de 1940 et qui l'était encore en 1973, date de sortie du film: un monde de solitude, de silence et de mort. La famille d'Ana est éclatée, chacun de ses membres monologuant en murmurant dans son coin. Le père qui est apiculteur rumine ses pensées sur les abeilles, la mère écrit des lettres à un mystérieux interlocuteur et la grande soeur Isabel invente des mises en scène macabres dans la lignée de "Harold et Maude" (1971) quand elle ne tente pas d'étrangler son chat. L'intérieur de la maison qui est plongé dans le noir peut d'ailleurs faire penser à un mausolée dont la porte dorée serait le vitrail menant au monde imaginaire (entre pays d'Oz et pays des merveilles). Quant aux abeilles et à la ruche que l'on trouve à l'extérieur comme à l'intérieur de la maison, on peut les voir comme une métaphore de la société laborieuse uniformisée et automatisée vivant sous cloche ou comme une manifestation divine (d'où provient la lumière dorée), la "route de briques jaunes". Pourtant ce n'est pas un monde féérique qui attend l'enfant mais un homme blessé échappé d'un train (vraisemblablement un anti-franquiste) à qui elle tend la main comme le faisait la petite fille vis à vis de la créature de Frankenstein. Ana découvre ainsi que l'horreur ne vient pas de lui mais de la société dans laquelle elle vit. On pense aux grands films américains sur l'imaginaire enfantin face au mal ("Du silence et des ombres" (1962), "La Nuit du chasseur") (1955) et on ressent très fortement la filiation avec le film de Guillermo DEL TORO, "Le Labyrinthe de Pan" (2006).

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