Librement inspiré de la vie de Lenny Bruce, "Lenny" qui a été réalisé entre "Cabaret" (1972) et "Que le spectacle commence" (1979) n'est pas une comédie musicale. Néanmoins on y retrouve la centralité du monde du spectacle et le caractère jusqu'au-boutiste du personnage principal, véritable tête brûlée contestataire et libertaire dont le malheur est d'avoir émergé 10 ans trop tôt. Pionnier du stand-up moderne, Lenny Bruce a été le modèle avec Andy Kaufman (à qui Milos FORMAN a rendu hommage dans "Man on the Moon") (1999) d'humoristes "poil à gratter" comme Guy BEDOS et Pierre DESPROGES en France et Bob DYLAN lui a consacré une chanson-hommage. Remarquablement construit, le film commence par nous montrer un artiste qui se cherche et n'est pas particulièrement drôle avant de se produire dans des shows où il pulvérise le politiquement correct en abordant des sujets délicats (religion, racisme, sexualité) et en employant les mots qui fâchent pour déconstruire haine, préjugés et hypocrisies. Utilisant un noir et blanc travaillé (dû au chef opérateur de Clint EASTWOOD, Bruce SURTEES) et ponctué par les propos face caméra des acteurs jouant ses proches, le film revêt un aspect kaléidoscopique et morcelé de faux documentaire qui fait penser à du Woody ALLEN ou à "Citizen Kane" (1940). Mais on ne saura pas quel était l'origine de la colère qui poussait l'acteur à cette guerre contre l'Amérique puritaine, jalonné d'arrestations et de procès. Le caractère autodestructeur du personnage à la vie pleine d'excès et qui mourut d'une overdose à 40 ans dans une position de martyr de la liberté d'expression est bien mis en valeur, de même que sa judéité qui a aiguisé son esprit critique. Dustin HOFFMAN met beaucoup d'engagement dans le rôle, de même que Valerie PERRINE dans celui de sa femme.
"All that jazz" est l'avant-dernier film de Bob FOSSE qui a obtenu la palme d'or à Cannes en 1980. Il m'a fait penser à une version musicale, flamboyante et sombre de "Le Testament d'Orphee" (1959) de Jean COCTEAU. D'autres le comparent à "Huit et demi" (1963) de Federico FELLINI. Parce que Joe Gideon (Roy SCHEIDER), c'est Bob FOSSEqui sent venir sa fin prochaine et décide de faire un dernier tour de piste avant de tirer sa révérence. Alors dans "All that jazz" ("Tout ce tralala"), il y a du très bon, du surprenant mais aussi de l'agaçant. Le très bon, c'est l'élaboration d'un spectacle "sexe, drogue and rock and roll" fait pour choquer les producteurs conservateurs et qui atteint parfaitement son objectif. Quelques chorégraphies plus intimistes avec la compagne, l'ex-femme et la fille de Gideon fonctionnent aussi très bien. Le surprenant est la juxtaposition d'Eros et de Thanatos. Evoquer en musiques et en images à l'aide d'un montage percutant et d'une musique entraînante la vie à cent à l'heure, l'opération chirurgicale et la mort est inhabituel: d'un côté les corps nus, chauds, vibrants de désir de l'autre la viande saignante et froide. Enfin pour ce qui est de l'agaçant, le bilan d'une vie tourne parfois trop à l'exercice de style narcissique où le "moi moi moi" supplante le chorégraphe de talent. Il faut dire que Gideon est un être excessif, travailleur acharné mais aussi jouisseur et coq de basse-cour, trônant en majesté au milieu de ses danseuses, des coups d'un soir pour la plupart au milieu desquelles se détachent son ex-femme, sa maîtresse et sa fille. L'exercice d'introspection penche ainsi vers l'autocélébration complaisante (même la mort prend la forme d'une jeune et jolie femme: Jessica LANGE) et si Bob FOSSE peut se le permettre étant donné son talent, cela coupe l'émotion.
"Cabaret", chef-d'oeuvre de ce que l'on peut appeler le "musical politique" des années 70 est une mise en abyme de l'art lui-même en tant que miroir déformant du monde extérieur pour mieux révéler ses enjeux. Pour montrer comment l'Allemagne est peu à peu gangrenée par la montée en puissance du nazisme dans les dernières années du régime de Weimar, le film joue sur deux tableaux. Le montage associe étroitement les numéros qui se succèdent au Kit-Kat-Club et ce qui se passe au même moment dans la rue et dans la vie des personnages. Loin de constituer une évasion du réel, les numéros on stage se font l'écho grotesque de la tragédie qui se joue en coulisses et jouent plutôt le rôle d'exutoire pour le public. Mais le cabaret et le monde extérieur sont unis par la même atmosphère décadente, poisseuse et inquiétante qui imprégnait la peinture d'Otto Dix et les films de cette époque comme "M le Maudit" (1931) avec la fanatisation des foules et surtout "L'Ange Bleu" (1930) qui se situe lui aussi dans un cabaret avec une femme fatale... sauf qu'en 1972, "Cabaret" bénéficie d'un recul que n'avait pas "L'Ange bleu" et qu'il déconstruit aussi cette figure de la femme fatale, laquelle apparaît plutôt comme une petite fille égocentrique, perdue et manipulable avec son pathétique besoin de reconnaissance qui la fait se vendre en échange de promesses fallacieuses. Son ami/amant Brian (Michael YORK) n'est pas plus assuré qu'elle avec son identité sexuelle incertaine et son manque de fermeté morale. En dépit de leur complicité et de leur tendresse mutuelle, ils renvoient une image infantile inquiétante qui laisse le champ libre à l'emprise d'un homme charismatique tel que Maximilien (Helmut GRIEM) l'aristocrate aryen qui soutient le nazisme dans l'espoir vain de le manipuler pour neutraliser le communisme. Ces âmes faibles et désorientées sont de parfaites proies pour les forces obscures qui sont en train de prendre possession du pays. Joel GREY le maître de cérémonie ("Wilcommen, Bienvenue, Welcome") déclame avec une bouffonnerie grinçante les passions tristes à l'œuvre dans le pays bien secondé par l'abattage de Liza MINNELLI (l'hommage à son père, le grand réalisateur de comédies musicales Vincente MINNELLI est évident). Joel GREY fait un peu penser à Klaus Nomi, autre artiste de cabaret inclassable ayant émergé dans une période particulièrement sombre, celle des années sida. La seule lueur d'espoir que montre le film se situe justement dans ce que la société allemande est en train de rejeter: la culture juive. C'est sa rencontre avec Natalia (Marisa BERENSON) qui permet à Fritz (Fritz WEPPER), l'ami de Brian dépeint également comme un ensemble vide au départ de reprendre contact avec ses origines qu'il avait renié au point de finir par s'y réaffilier.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.