Intéressant décryptage de la filmographie de Blake EDWARDS par des spécialistes du septième art qui soulignent son mélange de sophistication et de trivialité, de même que son talent pour marier le vaudeville et le slapstick. Le "gag à combustion lente" dont il s'est fait une spécialité est analysé notamment à travers "La Party" (1968), bijou de satire sociale et burlesque et sommet de sa collaboration avec Peter SELLERS (sa principale "muse" avec Julie ANDREWS). Mais on parle aussi beaucoup de "Diamants sur canape" (1961), la musique de Henry MANCINI, son compositeur attitré et l'art de camoufler une histoire de prostitution sous des airs de comédie romantique. Car les intervenants évoquent la parenté évidente du cinéaste avec Billy WILDER (alcoolisme, grivoiserie, travestissement, satire du monde hollywoodien et jusqu'à un plan d'ascenseur quasi-identique) mais aussi avec Robert ZEMECKIS notamment dans "La Mort vous va si bien" (1992). Blake EDWARDS a inventé des personnages devenus en effet des stars du cartoon, à commencer par la panthère rose dont une peluche se promène dans les décors du documentaire, mais aussi les "Les Fous du volant" (1968) dérivés de "La Grande course autour du monde" (1965). Mais Blake EDWARDS n'était pas qu'un prince de la comédie et l'un des meilleurs réalisateurs burlesque du parlant, il s'est également essayé à d'autres genres, du western ("Deux hommes dans l'Ouest") (1971) au thriller ("Experiment in Terror" (1962) qui a influencé David LYNCH pour "Twin Peaks") et au drame avec "Le Jour du vin et des roses" (1962) qui évoque l'addiction à l'alcool dont il a souffert. Un autre de ses tourments majeurs concerne l'identité sexuelle. Le mâle alpha y est particulièrement malmené, ses pulsions le menant dans une incertitude proprement vertigineuse comme dans "Victor Victoria" (1982) ("un homme amoureux d'une femme se faisant passer pour un homme qui interprète des rôles de femme") quand il n'est pas obligé de se réincarner "Dans la peau d'une blonde" (1991).
Troisième film que Blake EDWARDS a consacré à la Panthère rose après "La Panthere rose" (1963) et "Quand l'inspecteur s'emmele" (1964), "Le retour de la Panthère rose" pose les jalons du meilleur film de la saga, "Quand la panthere rose s'emmele" (1976). "Le retour de la Panthère rose" est la suite directe du premier film (le deuxième, "Quand l'inspecteur s'emmêle" était une pièce de théâtre dans laquelle Clouseau avait été rajouté à la dernière minute). On retrouve en effet le gros diamant qui donnait originellement son nom à la saga, avant que la panthère du générique ne le détrône dans la mémoire collective. En revanche, l'inspecteur Clouseau passe au pemier plan, permettant à Peter SELLERS, le véritable bijou du film de déployer son talent burlesque dans un écrin conçu pour lui. Chaque séquence le mettant aux prises avec son environnement devient un espace de jeu dans lequel l'acteur peut déployer son sens de l'improvisation. Avec lui, la destruction des décors devient un art que Peter SELLERS pousse à son paroxysme. A titre personnel, j'ai particulièrement ri dans les scènes jouant sur le comique de répétition où Clouseau tente de conduire des véhicules utilitaires pour s'introduire chez les bourgeois sous couvert de réparations sur leur piscine ou leur téléphone. Il y parvient, mais pas d'une manière conventionnelle! Et disons que l'entrée ou le bureau de ces derniers subissent quelques désagréments, sans parler des utilitaires qui ont intérêt à être amphibie! Cette inventivité à tout mettre sans dessus dessous nous rappelle le caractère subversif du burlesque qui met en pièce l'ordre bourgeois ("La Party" (1968) en est l'exemple le plus achevé). On savoure d'autant plus que Clouseau est à la base un inspecteur de police chargé donc du maintien de l'ordre (de même qu'il détruit tout au lieu de réparer). Il serait cependant injuste de ne pas mentionner le commissaire Dreyfus (Herbert LOM), que sa haine à l'égard de Clouseau fait progressivement basculer dans la folie furieuse. Un ennemi délirant que l'on retrouvera pour notre plus grand plaisir dans le quatrième volet. Il en va de même de l'autre partenaire de jeu de Clouseau, son serviteur asiatique Cato (Burt KWOUK) qui lui saute à la gorge, caché dans les endroits les plus improbables. Enfin le comique verbal n'est pas oublié concernant des films parlants avec notamment de nombreux quiproquos liés à l'accent très particulier de Clouseau.
N'ayant vu que les deux premiers films de la Panthère Rose, cela m'embêtait de passer directement au quatrième qui est proposé en ce moment en replay par Arte (je ne compte pas "Inspector Clouseau" (1967) qui n'est pas réalisé par Blake EDWARDS et dans lequel ne joue pas Peter SELLERS). Mais en fait cela n'a pas beaucoup d'importance. Ce quatrième volet est un moment de pur bonheur cinéphilique. Le générique par exemple ne se contente pas de recycler le célèbre thème jazzy de Henry MANCINI et la créature animée non moins célèbre de Fritz Freleng (qui était censé être un bijou dans le premier volet mais est passé à la postérité sous les traits du félin qu'il a créé pour les génériques). L'inspecteur Clouseau y apparaît lui-même en personnage de cartoon rejoignant derrière l'écran d'une salle de cinéma la panthère en train de se glisser dans la peau de Alfred HITCHCOCK ou de remplacer les personnages principaux dans des films extrêmement célèbres de l'histoire du cinéma comme "King Kong" (1931), "Chantons sous la pluie" (1952) ou "La Mélodie du bonheur" (1965) (avec dans le rôle principal l'épouse de Blake Edwards, Julie ANDREWS). Il cite également et pastiche par la suite toute une tradition du cinéma d'épouvante allant de "Le Fantôme de l'opéra" (1925) à "Dracula" (1931) et y ajoute une dose de science-fiction à la "Fantômas se déchaîne" (1965). Du cartoon au burlesque, il n'y a qu'un pas, d'ailleurs le générique montre une façade qui s'écroule, un gag récurrent de Buster KEATON qui est aussi l'auteur de "Sherlock Junior" (1924) auquel on pense forcément en regardant ce générique dans lequel Clouseau est à la fois spectateur devant l'écran et acteur derrière, représenté en dessin 2D, en mannequin de papier mâché grandeur nature dans le pré-générique avant d'apparaître en chair et en os. Car Clouseau est un pur corps burlesque qui est au centre du film. Qu'il soit seul ou bien qu'il ait un partenaire de jeu (Cato ou bien Dreyfus), on peut être sûr que partout où il passe, les décors trépassent. S'y ajoute l'art à la Keaton de chorégraphier les gags: ainsi en est-il de cette scène dans laquelle Clouseau est poursuivi sans qu'il s'en rende compte par des dizaines de tueurs et par une savante mécanique du mouvement bien huilée qui ressemble à un tout de passe-passe, les tueurs se neutralisent mutuellement au lieu d'atteindre leur cible. Mais le film joue aussi sur un comique verbal lié à l'accent de l'inspecteur ou à des dialogues absurdes.
Enfin le comique de cet opus tourne beaucoup autour la sexualité. Que ce soit l'hilarant quiproquo du pré-générique dans lequel deux femmes aux réactions opposées croient assister à des ébats amoureux homosexuels ou bien la scène du cabaret de travestis qui fait déjà penser à "Victor Victoria" (1982) ou encore tout ce qui tourne autour d'une espionne russe qui a plutôt chaud que froid (jouée par Lesley-Anne DOWN, vue il y a plusieurs décennies dans "Nord et Sud") (1985), on peut dire qu'il n'y a pas que dans ses enquêtes que l'inspecteur s'emmêle les pinceaux.
Les (désopilantes) mésaventures d'un riche compositeur hollywoodien en pleine crise de la quarantaine qui tombe raide dingue de la vision dans une rue de L.A. d'une créature de rêve, sorte de James Bond girl dissimulée sous des atours virginaux jouée par Bo Derek. A partir de ce postulat, c'est un festival de gags burlesques agencés avec le savoir-faire du génial Blake Edwards, maître de la mécanique de précision nécessaire au jaillissement de l'étincelle comique. Le corps du pauvre George (Dudley Moore, aux faux airs de Michel Sardou des seventies) en voit de toutes les couleurs à chaque fois qu'il tente de se rapprocher de l'objet de sa convoitise: ce sont ses pieds qui le brûlent, ses plombages qui déforment son visage et sa voix, son nez qui enfle après avoir été piqué par un insecte, sa tenue de plage inadaptée qui le fait transpirer abondamment. Mais le plus drôle reste le télescope qui lui sert à mater chez un voisin à la sexualité débridée qui prend plaisir à exhiber ses orgies festives. Cependant lorsqu'il passe de l'autre côté de la barrière, cela tourne au fiasco. Rien de graveleux ne ressort du film en effet à cause de l'élégance du réalisateur et de la candeur définitive de son personnage principal qui se donne des airs d'obsédé mais qui est incapable "d'assurer" quand il faut passer à l'action tant il s'avère avoir une âme d'adolescent fleur-bleue dans un corps mature. La mélancolie perce sous le jour du burlesque, les femmes que rencontre George s'avérant aussi seules, perdues et insatisfaites que lui. De quoi lui mettre un peu de plomb dans la cervelle en comprenant que plutôt que de courir après une chimère, il vaudrait mieux se contenter de ce qu'il a: mieux communiquer par exemple avec sa compagne chanteuse, jouée par la sublime Julie Andrews qui durant tout le film contemple, mi-indulgente, mi-consternée l'ampleur de ses égarements. Il faut bien que jeunesse "tardive" se passe semble-t-elle dire! Et on la comprend: Blake Edwards rend George tellement touchant, hilarant et craquant qu'on lui pardonne facilement ses frasques (il nous a fait tellement rire aussi) et on n'a plus qu'une envie, c'est lui faire un "big hug"!
Ce deuxième volet de la Panthère rose m'a paru moins réussi que le premier. Certes, l'inspecteur Clouseau (Peter SELLERS) qui était un personnage secondaire (et maltraité) dans le premier film a pris du galon. On le voit même sur une photo serrer la paluche au général de Gaulle. Mais justement, cette reconnaissance officielle le rend moins touchant et plus inoffensif que dans le premier film dans lequel il était la risée de tout le monde mais où par contraste, il faisait ressortir l'aspect factice et corrompu du monde dans lequel il vivait. D'autre part, si la séquence du pré-générique rappelle par sa virtuosité les ballets millimétrés du premier film, la suite est nettement plus terne en terme de mise en scène. Le matériau d'origine (une pièce de théâtre sans rapport avec l'univers de Clouseau et qui n'a pas marqué les mémoires) explique sans doute le caractère plan-plan (et terre à terre voire parfois lourdingue) de l'intrigue et l'aspect théâtre filmé de certaines séquences est peu compatible avec le déploiement de l'énergie (et du génie) burlesque. Certes la maladresse de Clouseau donne lieu à de nombreux gags mais ceux-ci ne servent pas d'amorce à une mécanique plus large façon domino, faute de relai. C'est dommage. Reste tout de même le génie comique de Peter SELLERS et le savoir-faire de Blake EDWARDS qui parfois fait mouche. Outre la scène du pré-générique, celles dans lesquelles un mystérieux tueur tente de s'en prendre à Clouseau font penser à une parodie des films de Alfred HITCHCOCK ou de Orson WELLES.
Un pied dans le cartoon* (la célèbre panthère des génériques), l'autre dans le burlesque (ou l'art de semer la zizanie et de tout détruire) et le troisième dans le nonsense british (le désopilant zèbre fait penser à du Monty Python), voici la quintessence de l'art du génial Blake EDWARDS secondé par le non moins génial Peter SELLERS dans ce qui s'est avéré être le premier volet d'une série de films à succès. Catastrophe ambulante, partout où l'inspecteur Clouseau passe les objets trépassent ^^. Sa science du dérèglement mise en scène avec une précision d'horlogerie (car la mise en scène c'est l'art de l'agencement des corps dans l'espace et le comique jaillit ici de scènes chorégraphiées comme des ballets) fait particulièrement merveille dans les scènes de groupe comme ce sera le cas quelques années plus tard dans "La Party" (1968). Comme tous les grands burlesques, Clouseau se débat dans un monde qui n'est pas fait pour lui et dont il ne comprend pas les codes. Bien que "La Panthère rose" soit par moments très drôle**, il y a une cruauté sous-jacente à voir la façon dont le pauvre inspecteur est abusé et manipulé par son épouse rouée et ses complices. L'opposition entre la vision candide du burlesque et celle, cynique de la bourgeoisie dans lequel il évolue ne révolutionne en effet pas le monde comme dans "La Party" (1968) qui s'inscrit dans un contexte soixante-huitard. Clouseau est voué à servir de victime expiatoire à cet ordre social corrompu.
* L'oeuvre de Blake EDWARDS a non seulement inspiré la série animée de la Panthère rose avec le personnage créé par Friz FRELENG et le célébrissime thème de Henry MANCINI mais aussi celle des Fous du volant d'après "La Grande course autour du monde" (1965).
** C'est le timing des gags qui fait toute l'originalité de Blake EDWARDS plus que la nature des gags en eux-mêmes, souvent repris de films antérieurs (les gorilles se déplaçant en miroir font penser à une célèbre scène de "La Soupe au canard" (1933), la cachette dans la baignoire pleine à "Certains l aiment chaud" (1959) etc.)
Si "Deux hommes dans l'ouest" est le seul western réalisé par Blake Edwards, il ne faut pas croire pour autant que ce dernier était un novice dans le genre. Il avait en effet scénarisé et/ou joué dans plusieurs westerns au début de sa carrière. Si "Deux hommes dans l'ouest" est aussi peu connu c'est qu'il a souffert des démêlés entre le réalisateur et les studios MGM qui ont massacré sa grandiose fresque de trois heures. Le film a été amputé de plus d'une heure, la fin a été changée, des ralentis superflus ont été rajoutés. Tout cela n'a pas sauvé le film qui fut un échec commercial. Une version plus fidèle a la volonté du réalisateur a vu le jour en 1986 qui est celle qui est aujourd'hui visible mais celle de trois heures est à jamais perdue. On en voit les traces dans une composition en actes avec ouverture et entracte qui peut faire penser par exemple à "2001, l'Odyssée de l espace" (1968) de Stanley KUBRICK. Lequel est également indirectement présent au travers de l'acteur Ryan O NEAL quatre ans avant qu'il ne tourne "Barry Lyndon" (1975). Quant à William HOLDEN, il avait tourné deux ans auparavant "La Horde sauvage" (1969) dans un rôle assez proche. De fait "Deux hommes dans l'ouest" aurait pu être tourné par Sam PECKINPAH tant il rappelle son style.
En effet ce film couturé mérite le détour. D'abord parce qu'il est parfaitement interprété, ensuite parce qu'il traduit l'esprit d'une époque hippie et punk de façon remarquable. William HOLDEN et Ryan O NEAL campent deux cow-boys liés par une solide amitié à caractère filial qui décident de tout plaquer du jour au lendemain. Après avoir dérobé l'argent de la banque, ils se lancent dans une odyssée où ils peuvent enfin étancher leur immense soif de liberté (scène magnifique où Ross apprivoise un cheval sauvage tandis que Frank fait des cabrioles dans la neige). Mais avec les fils revanchards de leur ancien patron à leurs trousses qui incarnent une sorte de fatalité, on sent bien que cette échappée belle finira mal. D'autant que les deux hommes n'ont rien de truands en cavale. Leur disposition pour le banditisme est tellement nulle que Ross dédommage le banquier les autres ouvriers avant de s'enfuir avec le reste de l'argent tandis que Frank ne trouve pas mieux d'embarquer un chiot dans sa fuite, tellement il le trouve mignon. La suite est à l'avenant: ils flânent, planent, profitent de l'instant, suivent leurs envies avec une insouciance qui leur sera fatale. Une fatalité accueillie d'ailleurs avec une étrange résignation comme si c'était le prix à payer pour ces quelques moments de liberté et qu'il n'y avait rien d'autre à espérer de la vie que des rêves impossibles à concrétiser. Un état d'esprit nihiliste très seventies qui donne à ce western pourtant souvent frais et joyeux une teinte crépusculaire.
Blake EDWARDS s'amuse avec l'âge d'or d'Hollywood, ses paillettes et ses scandales. Le film est une satire qui entremêle les genres (western, polar, comédie burlesque) et de nombreuses références: il fusionne Chaplin et Hearst dans le personnage d'acteur et producteur Alfie Alperin joué par Malcolm McDOWELL, il fait revivre la rencontre entre le premier cow-boy de l'histoire du cinéma Tom Mix (Bruce WILLIS) et le marshall Wyatt Earp (James GARNER) qu'il doit interpréter au cinéma, il fait allusion à l'affaire du viol et du meurtre de Virginia Rape, faits pour lesquels Roscoe ARBUCKLE a été injustement accusé ainsi que d'autres affaires de décès non élucidées (le réalisateur Thomas Ince, l'actrice Natalie Wood), il recréée la première cérémonie des Oscars. Le titre en VO et l'époque (passage du muet au parlant) peuvent faire penser à "Sunset boulevard" de Billy Wilder qui évoquait les remugles nauséabonds du même microcosme. La phrase répétée telle un mantra "tout est vrai, à un ou deux mensonges près" évoque la fameuse citation du film de John FORD, "L Homme qui tua Liberty Valance" (1962) "Entre la légende et la vérité, imprimez la légende".
Bref, sans être un grand film (car la charge satirique est plus ludique que sérieuse et l'intrigue est volontairement confuse pour coller aux polars de type Chandler), "Meurtre à Hollywood" vaut mieux que ce que sa réception à l'époque de sa sortie (où il avait raflé un "razzie award") peut laisser penser. C'est juste un divertissement certes, mais haut de gamme.
20 ans avant "Victor/Victoria", Blake Edwards jouait déjà avec la confusion des genres. Son sixième film "Opérations jupons" est un modèle de subversion burlesque. Il y détourne en effet tous les codes virilistes et héroïques du film de guerre des années 50. Le symbole le plus éclatant étant le sous-marin repeint en rose vif (la couleur assignée socialement aux filles) abritant des parturientes, des infirmières et une chèvre pour le lait des enfants! On ne pouvait rêver mieux que Cary Grant pour jouer le rôle du commandant du "Sea Tiger" (en réalité un pétard mouillé dont le moteur explose et glougloute à chaque poussée) qui ne commande plus rien et est totalement dépassé par les événements. A commencer par le fait que l'armée américaine lui coupe les vivres et qu'il doit compter pour son ravitaillement sur le système D. Système incarné par les méthodes peu orthodoxes du lieutenant Holden (Tony Curtis), un play-boy mondain ultra coquet et un peu escroc. C'est lui qui introduit les femmes à bord. Si l'exiguïté des lieux n'est pas propice au déploiement du slapstick, Edwards peut jouer sur l'érotisme qu'une telle promiscuité instaure à la manière de Billy Wilder (la vue en contre-plongée sous les jupes lorsque les filles descendent les échelles, les frôlements des bustes dans les couloirs etc.) D'autre part comme Hawks, il montre au travers des situations conflictuelles que la cohabitation ne manque pas de générer comment les hommes parviennent progressivement à apprivoiser leur part féminine. Au départ vues comme des porteuses de malheur, les femmes révolutionnent le quotidien de l'équipage en le rendant moins pénible. Pas seulement en jouant les infirmières mais en ayant des idées pour améliorer le fonctionnement du sous-marin. Elles introduisent également de la fantaisie et une certaine douceur de vivre symbolisée par l'opulent repas pris sur le bateau.
Blake Edwards regrettait de ne pas être né au temps du burlesque des origines. Mais comme au cinéma tout est possible, le voilà qui se cinétransporte (et nous avec) à la Belle Epoque et pour enfoncer le clou, il dédicace son film à Laurel et Hardy.
De fait "La grande course autour du monde" mélange avec un brio jubilatoire ce sens aigu du burlesque primitif avec une maîtrise tout aussi confondante des mécanismes du cartoon façon Tex Avery. A tel point d'ailleurs qu'a posteriori, le film se déclinera en série animée sous le titre "Les fous du volant" (de la même façon que pour "La panthère rose" créée pour des génériques du film de Blake Edwards puis déclinée en série).
L'ouverture du film est tout simplement tordante. Elle fonctionne selon le principe du premier film de comédie de l'histoire du cinéma "L'arroseur arrosé" qui est aussi un mécanisme cartoonesque. S'y rajoute le duo complémentaire de "Certains l'aiment chaud" clown blanc (Tony Curtis) et Auguste (Jack Lemmon).
Le professeur Fate (Fatalitas en VF), un super méchant (Jack Lemmon, déchaîné!) ourdit avec Max son assistant (Peter Falk, excellent lui aussi) des plans plus diaboliques les uns que les autres pour anéantir son rival, le Grand Leslie, un bellâtre au costume immaculé (Tony Curtis dont les dents étincellent comme celle du rival de Hugo/Godai dans le dessin animé japonais "Juliette je t'aime/Maison Ikkoku"). Evidemment ces machinations déraillent à un moment ou à un autre et se retournent contre son concepteur, provoquant comme dans tout cartoon qui se respecte moultes explosions spectaculaires. Comme il n'en sort pas le moindre du monde découragé ni amoché, le comique de répétition (avec des variations internes) joue à plein. Mention spéciale à sa maison qui s'écroule à chaque nouveau dérapage. Là-dessus se rajoutent des séquences slapstick millimétrées comme celle où Maggie (Nathalie Wood), Lemmon et Falk s'envoient des pif-paf au visage et aux fesses. Ou bien encore une méga séquence de lancer de tartes à la crème qui produit un effet esthétique prodigieux à la manière de l'action painting.
Si Edwards s'était cantonné à cela, le film serait un chef-d'oeuvre absolu du genre (et mériterait 5 étoiles). Mais hélas il a voulu rallonger la sauce et rendre hommage à un maximum de genres: le western (le nom de la ville "Borracho" est un clin d'œil à l'état d'ivresse qui est récurrent dans ses films), l'aventure (type "Le tour du monde en 80 jours"), le film de cape et d'épée, la chronique sociale historique (les suffragettes), le film politique (avec son royaume prussien d'opérette où se trame un coup d'Etat). Si bien que son film dure 2h37 et souffre de sérieux ralentissements de rythme voire de passages à vide (ce qui en fait en fait dans sa globalité un film 3 étoiles). D'où une moyenne de 4 étoiles. Mais que c'est dommage!
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.