Les (désopilantes) mésaventures d'un riche compositeur hollywoodien en pleine crise de la quarantaine qui tombe raide dingue de la vision dans une rue de L.A. d'une créature de rêve, sorte de James Bond girl dissimulée sous des atours virginaux jouée par Bo Derek. A partir de ce postulat, c'est un festival de gags burlesques agencés avec le savoir-faire du génial Blake Edwards, maître de la mécanique de précision nécessaire au jaillissement de l'étincelle comique. Le corps du pauvre George (Dudley Moore, aux faux airs de Michel Sardou des seventies) en voit de toutes les couleurs à chaque fois qu'il tente de se rapprocher de l'objet de sa convoitise: ce sont ses pieds qui le brûlent, ses plombages qui déforment son visage et sa voix, son nez qui enfle après avoir été piqué par un insecte, sa tenue de plage inadaptée qui le fait transpirer abondamment. Mais le plus drôle reste le télescope qui lui sert à mater chez un voisin à la sexualité débridée qui prend plaisir à exhiber ses orgies festives. Cependant lorsqu'il passe de l'autre côté de la barrière, cela tourne au fiasco. Rien de graveleux ne ressort du film en effet à cause de l'élégance du réalisateur et de la candeur définitive de son personnage principal qui se donne des airs d'obsédé mais qui est incapable "d'assurer" quand il faut passer à l'action tant il s'avère avoir une âme d'adolescent fleur-bleue dans un corps mature. La mélancolie perce sous le jour du burlesque, les femmes que rencontre George s'avérant aussi seules, perdues et insatisfaites que lui. De quoi lui mettre un peu de plomb dans la cervelle en comprenant que plutôt que de courir après une chimère, il vaudrait mieux se contenter de ce qu'il a: mieux communiquer par exemple avec sa compagne chanteuse, jouée par la sublime Julie Andrews qui durant tout le film contemple, mi-indulgente, mi-consternée l'ampleur de ses égarements. Il faut bien que jeunesse "tardive" se passe semble-t-elle dire! Et on la comprend: Blake Edwards rend George tellement touchant, hilarant et craquant qu'on lui pardonne facilement ses frasques (il nous a fait tellement rire aussi) et on n'a plus qu'une envie, c'est lui faire un "big hug"!
Ce deuxième volet de la Panthère rose m'a paru moins réussi que le premier. Certes, l'inspecteur Clouseau (Peter SELLERS) qui était un personnage secondaire (et maltraité) dans le premier film a pris du galon. On le voit même sur une photo serrer la paluche au général de Gaulle. Mais justement, cette reconnaissance officielle le rend moins touchant et plus inoffensif que dans le premier film dans lequel il était la risée de tout le monde mais où par contraste, il faisait ressortir l'aspect factice et corrompu du monde dans lequel il vivait. D'autre part, si la séquence du pré-générique rappelle par sa virtuosité les ballets millimétrés du premier film, la suite est nettement plus terne en terme de mise en scène. Le matériau d'origine (une pièce de théâtre sans rapport avec l'univers de Clouseau et qui n'a pas marqué les mémoires) explique sans doute le caractère plan-plan (et terre à terre voire parfois lourdingue) de l'intrigue et l'aspect théâtre filmé de certaines séquences est peu compatible avec le déploiement de l'énergie (et du génie) burlesque. Certes la maladresse de Clouseau donne lieu à de nombreux gags mais ceux-ci ne servent pas d'amorce à une mécanique plus large façon domino, faute de relai. C'est dommage. Reste tout de même le génie comique de Peter SELLERS et le savoir-faire de Blake EDWARDS qui parfois fait mouche. Outre la scène du pré-générique, celles dans lesquelles un mystérieux tueur tente de s'en prendre à Clouseau font penser à une parodie des films de Alfred HITCHCOCK ou de Orson WELLES.
Un pied dans le cartoon* (la célèbre panthère des génériques), l'autre dans le burlesque (ou l'art de semer la zizanie et de tout détruire) et le troisième dans le nonsense british (le désopilant zèbre fait penser à du Monty Python), voici la quintessence de l'art du génial Blake EDWARDS secondé par le non moins génial Peter SELLERS dans ce qui s'est avéré être le premier volet d'une série de films à succès. Catastrophe ambulante, partout où l'inspecteur Clouseau passe les objets trépassent ^^. Sa science du dérèglement mise en scène avec une précision d'horlogerie (car la mise en scène c'est l'art de l'agencement des corps dans l'espace et le comique jaillit ici de scènes chorégraphiées comme des ballets) fait particulièrement merveille dans les scènes de groupe comme ce sera le cas quelques années plus tard dans "La Party" (1968). Comme tous les grands burlesques, Clouseau se débat dans un monde qui n'est pas fait pour lui et dont il ne comprend pas les codes. Bien que "La Panthère rose" soit par moments très drôle**, il y a une cruauté sous-jacente à voir la façon dont le pauvre inspecteur est abusé et manipulé par son épouse rouée et ses complices. L'opposition entre la vision candide du burlesque et celle, cynique de la bourgeoisie dans lequel il évolue ne révolutionne en effet pas le monde comme dans "La Party" (1968) qui s'inscrit dans un contexte soixante-huitard. Clouseau est voué à servir de victime expiatoire à cet ordre social corrompu.
* L'oeuvre de Blake EDWARDS a non seulement inspiré la série animée de la Panthère rose avec le personnage créé par Friz FRELENG et le célébrissime thème de Henry MANCINI mais aussi celle des Fous du volant d'après "La Grande course autour du monde" (1965).
** C'est le timing des gags qui fait toute l'originalité de Blake EDWARDS plus que la nature des gags en eux-mêmes, souvent repris de films antérieurs (les gorilles se déplaçant en miroir font penser à une célèbre scène de "La Soupe au canard" (1933), la cachette dans la baignoire pleine à "Certains l aiment chaud" (1959) etc.)
Si "Deux hommes dans l'ouest" est le seul western réalisé par Blake Edwards, il ne faut pas croire pour autant que ce dernier était un novice dans le genre. Il avait en effet scénarisé et/ou joué dans plusieurs westerns au début de sa carrière. Si "Deux hommes dans l'ouest" est aussi peu connu c'est qu'il a souffert des démêlés entre le réalisateur et les studios MGM qui ont massacré sa grandiose fresque de trois heures. Le film a été amputé de plus d'une heure, la fin a été changée, des ralentis superflus ont été rajoutés. Tout cela n'a pas sauvé le film qui fut un échec commercial. Une version plus fidèle a la volonté du réalisateur a vu le jour en 1986 qui est celle qui est aujourd'hui visible mais celle de trois heures est à jamais perdue. On en voit les traces dans une composition en actes avec ouverture et entracte qui peut faire penser par exemple à "2001, l'Odyssée de l espace" (1968) de Stanley KUBRICK. Lequel est également indirectement présent au travers de l'acteur Ryan O NEAL quatre ans avant qu'il ne tourne "Barry Lyndon" (1975). Quant à William HOLDEN, il avait tourné deux ans auparavant "La Horde sauvage" (1969) dans un rôle assez proche. De fait "Deux hommes dans l'ouest" aurait pu être tourné par Sam PECKINPAH tant il rappelle son style.
En effet ce film couturé mérite le détour. D'abord parce qu'il est parfaitement interprété, ensuite parce qu'il traduit l'esprit d'une époque hippie et punk de façon remarquable. William HOLDEN et Ryan O NEAL campent deux cow-boys liés par une solide amitié à caractère filial qui décident de tout plaquer du jour au lendemain. Après avoir dérobé l'argent de la banque, ils se lancent dans une odyssée où ils peuvent enfin étancher leur immense soif de liberté (scène magnifique où Ross apprivoise un cheval sauvage tandis que Frank fait des cabrioles dans la neige). Mais avec les fils revanchards de leur ancien patron à leurs trousses qui incarnent une sorte de fatalité, on sent bien que cette échappée belle finira mal. D'autant que les deux hommes n'ont rien de truands en cavale. Leur disposition pour le banditisme est tellement nulle que Ross dédommage le banquier les autres ouvriers avant de s'enfuir avec le reste de l'argent tandis que Frank ne trouve pas mieux d'embarquer un chiot dans sa fuite, tellement il le trouve mignon. La suite est à l'avenant: ils flânent, planent, profitent de l'instant, suivent leurs envies avec une insouciance qui leur sera fatale. Une fatalité accueillie d'ailleurs avec une étrange résignation comme si c'était le prix à payer pour ces quelques moments de liberté et qu'il n'y avait rien d'autre à espérer de la vie que des rêves impossibles à concrétiser. Un état d'esprit nihiliste très seventies qui donne à ce western pourtant souvent frais et joyeux une teinte crépusculaire.
Blake EDWARDS s'amuse avec l'âge d'or d'Hollywood, ses paillettes et ses scandales. Le film est une satire qui entremêle les genres (western, polar, comédie burlesque) et de nombreuses références: il fusionne Chaplin et Hearst dans le personnage d'acteur et producteur Alfie Alperin joué par Malcolm McDOWELL, il fait revivre la rencontre entre le premier cow-boy de l'histoire du cinéma Tom Mix (Bruce WILLIS) et le marshall Wyatt Earp (James GARNER) qu'il doit interpréter au cinéma, il fait allusion à l'affaire du viol et du meurtre de Virginia Rape, faits pour lesquels Roscoe ARBUCKLE a été injustement accusé ainsi que d'autres affaires de décès non élucidées (le réalisateur Thomas Ince, l'actrice Natalie Wood), il recréée la première cérémonie des Oscars. Le titre en VO et l'époque (passage du muet au parlant) peuvent faire penser à "Sunset boulevard" de Billy Wilder qui évoquait les remugles nauséabonds du même microcosme. La phrase répétée telle un mantra "tout est vrai, à un ou deux mensonges près" évoque la fameuse citation du film de John FORD, "L Homme qui tua Liberty Valance" (1962) "Entre la légende et la vérité, imprimez la légende".
Bref, sans être un grand film (car la charge satirique est plus ludique que sérieuse et l'intrigue est volontairement confuse pour coller aux polars de type Chandler), "Meurtre à Hollywood" vaut mieux que ce que sa réception à l'époque de sa sortie (où il avait raflé un "razzie award") peut laisser penser. C'est juste un divertissement certes, mais haut de gamme.
20 ans avant "Victor/Victoria", Blake Edwards jouait déjà avec la confusion des genres. Son sixième film "Opérations jupons" est un modèle de subversion burlesque. Il y détourne en effet tous les codes virilistes et héroïques du film de guerre des années 50. Le symbole le plus éclatant étant le sous-marin repeint en rose vif (la couleur assignée socialement aux filles) abritant des parturientes, des infirmières et une chèvre pour le lait des enfants! On ne pouvait rêver mieux que Cary Grant pour jouer le rôle du commandant du "Sea Tiger" (en réalité un pétard mouillé dont le moteur explose et glougloute à chaque poussée) qui ne commande plus rien et est totalement dépassé par les événements. A commencer par le fait que l'armée américaine lui coupe les vivres et qu'il doit compter pour son ravitaillement sur le système D. Système incarné par les méthodes peu orthodoxes du lieutenant Holden (Tony Curtis), un play-boy mondain ultra coquet et un peu escroc. C'est lui qui introduit les femmes à bord. Si l'exiguïté des lieux n'est pas propice au déploiement du slapstick, Edwards peut jouer sur l'érotisme qu'une telle promiscuité instaure à la manière de Billy Wilder (la vue en contre-plongée sous les jupes lorsque les filles descendent les échelles, les frôlements des bustes dans les couloirs etc.) D'autre part comme Hawks, il montre au travers des situations conflictuelles que la cohabitation ne manque pas de générer comment les hommes parviennent progressivement à apprivoiser leur part féminine. Au départ vues comme des porteuses de malheur, les femmes révolutionnent le quotidien de l'équipage en le rendant moins pénible. Pas seulement en jouant les infirmières mais en ayant des idées pour améliorer le fonctionnement du sous-marin. Elles introduisent également de la fantaisie et une certaine douceur de vivre symbolisée par l'opulent repas pris sur le bateau.
Blake Edwards regrettait de ne pas être né au temps du burlesque des origines. Mais comme au cinéma tout est possible, le voilà qui se cinétransporte (et nous avec) à la Belle Epoque et pour enfoncer le clou, il dédicace son film à Laurel et Hardy.
De fait "La grande course autour du monde" mélange avec un brio jubilatoire ce sens aigu du burlesque primitif avec une maîtrise tout aussi confondante des mécanismes du cartoon façon Tex Avery. A tel point d'ailleurs qu'a posteriori, le film se déclinera en série animée sous le titre "Les fous du volant" (de la même façon que pour "La panthère rose" créée pour des génériques du film de Blake Edwards puis déclinée en série).
L'ouverture du film est tout simplement tordante. Elle fonctionne selon le principe du premier film de comédie de l'histoire du cinéma "L'arroseur arrosé" qui est aussi un mécanisme cartoonesque. S'y rajoute le duo complémentaire de "Certains l'aiment chaud" clown blanc (Tony Curtis) et Auguste (Jack Lemmon).
Le professeur Fate (Fatalitas en VF), un super méchant (Jack Lemmon, déchaîné!) ourdit avec Max son assistant (Peter Falk, excellent lui aussi) des plans plus diaboliques les uns que les autres pour anéantir son rival, le Grand Leslie, un bellâtre au costume immaculé (Tony Curtis dont les dents étincellent comme celle du rival de Hugo/Godai dans le dessin animé japonais "Juliette je t'aime/Maison Ikkoku"). Evidemment ces machinations déraillent à un moment ou à un autre et se retournent contre son concepteur, provoquant comme dans tout cartoon qui se respecte moultes explosions spectaculaires. Comme il n'en sort pas le moindre du monde découragé ni amoché, le comique de répétition (avec des variations internes) joue à plein. Mention spéciale à sa maison qui s'écroule à chaque nouveau dérapage. Là-dessus se rajoutent des séquences slapstick millimétrées comme celle où Maggie (Nathalie Wood), Lemmon et Falk s'envoient des pif-paf au visage et aux fesses. Ou bien encore une méga séquence de lancer de tartes à la crème qui produit un effet esthétique prodigieux à la manière de l'action painting.
Si Edwards s'était cantonné à cela, le film serait un chef-d'oeuvre absolu du genre (et mériterait 5 étoiles). Mais hélas il a voulu rallonger la sauce et rendre hommage à un maximum de genres: le western (le nom de la ville "Borracho" est un clin d'œil à l'état d'ivresse qui est récurrent dans ses films), l'aventure (type "Le tour du monde en 80 jours"), le film de cape et d'épée, la chronique sociale historique (les suffragettes), le film politique (avec son royaume prussien d'opérette où se trame un coup d'Etat). Si bien que son film dure 2h37 et souffre de sérieux ralentissements de rythme voire de passages à vide (ce qui en fait en fait dans sa globalité un film 3 étoiles). D'où une moyenne de 4 étoiles. Mais que c'est dommage!
Boire et déboires, moins connu et moins apprécié que d'autres oeuvres de Blake Edwards (peut être à cause de son esthétique datée) est le pendant burlesque années 80 du sombre Le jour du vin et des roses des années 60. Les deux films reposent en effet sur les ravages de l'alcoolisme qui fut l'un des démons du réalisateur. Mais dans Boire et déboires, il transforme le pouvoir dévastateur de cette addiction en moyen d'émancipation jubilatoire. Après Victor/Victoria et avant Dans la peau d'une blonde, il confie à une femme (Kim Basinger) le soin de semer la zizanie partout où elle passe. Mais il ne s'agit pas d'une zizanie gratuite. Les "délires" de Nadia lorsqu'elle est sous l'emprise de l'alcool fustigent les apparences et l'hypocrisie comme lorsqu'elle dévoile que la coiffure de la geisha n'est qu'un postiche ou qu'elle déchire le costume de Walter (Bruce Willis alors peu connu) que celui-ci n'arrive pas malgré tous ses efforts à porter avec élégance. Elle révèle ainsi le rôle de femme-objet dévolu aux épouses d'hommes d'affaires et l'imposture de Walter qui a délaissé sa véritable passion (la musique) pour la vitrine de la finance. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si l'un des gags récurrents du film est la voiture de David (le rival dégénéré de Walter joué par John Larroquette) qui enfonce des vitrines. On a même l'impression qu'inconsciemment, Walter cherchait à faire exploser sa fausse vie puisqu'il a fait boire Nadia alors qu'on lui avait formellement déconseillé de le faire (et le titre en VO "Blind Date" renforce cette impression). On retrouve comme dans La Party le goût pour la mise en pièces des soirées guindées (et derrière de l'american way of life et son cortège d'hypocrisies) et l'utilisation d'une maison comme source infinie de gags (ballet de portes, chassés-croisés, chutes, poursuites, dissimulations).
La fin de la carrière de Blake Edwards recèle de belles pépites. Dans la peau d'une blonde n'a pas le cachet visuel de Victor/Victoria avec ses tenues vestimentaires et coupes de cheveux ringardes et sa photographie proche de la telenovela. Mais peu importe le flacon pourvu que l'on ait l'ivresse et de ce point de vue on est comblé. Blake Edwards réalise une comédie solide, maîtrisée de bout en bout, débridée et joyeusement satirique sur les rapports hommes-femmes. Mais surtout le film est un époustouflant numéro d'actrice. Ellen Barkin porte le film sur ses épaules et réalise une performance absolument prodigieuse. Avec un abattage phénoménal, elle campe un homme macho dans la peau d'une femme plus vrai(e) que nature. La discordance entre le corps et le comportement est une source majeure de situations comiques. Outre une vulgarité masculine portée à des sommets de drôlerie et de mauvais goût, le personnage nous fait ressentir à chaque instant à quel point il est mal dans sa nouvelle peau. Il ne supporte pas ses cheveux, est gêné par ses vêtements trop serrés et ne parvient pas à marcher avec des talons qui sont pour lui une torture perpétuelle. De même, il est dans une confusion sexuelle totale, ne se sentant à l'aise ni avec les femmes, ni avec les hommes. Il a bien conscience de son pouvoir de séduction sur les deux sexes mais il est bloqué par son sexisme et son homophobie. Soit il passe pour une lesbienne soit il vit la situation de la femme abusée. La seule chose qui au final l'apaise et le réconcilie avec lui-même c'est la maternité. Lui dont la rédemption passe par l'amour sincère d'une femme doit donner la vie pour pouvoir enfin rencontrer cet amour et reposer en paix. La comédie fantasque s'achève sur une quête de sens qui n'est pas dénuée de gravité.
Ayant peur d'être enfermé dans la comédie et désireux de prouver l'étendue de ses capacités, Blake Edwards décide au début des années 60 de changer de registre et de réaliser un film noir. De fait "Experiment in terror" (titre en VO) porte bien son nom. Il s'agit effectivement d'une expérimentation qui donne un résultat contrasté.
Le point fort du film ce sont les séquences virtuoses sur le plan technique comme la séquence inaugurale de l'agression dans le garage tournée quasiment en un seul plan où Edwards réussit à créer et à maintenir une tension remarquable alors que la scène est très longue. On retrouve de tels morceaux de bravoure ailleurs dans le film avec par exemple à la fin une séquence de poursuite dans la foule assez anthologique. La mise en scène s'appuie d'autre part sur une photographie N/B magnifique due au chef opérateur Philipp Lathrop et sur une musique tout aussi somptueuse d'Henri Mancini. Ce climat d'angoisse très réussi a vraisemblablement inspiré plus tard David Lynch: le quartier où vit la jeune femme se nomme Twin Peaks.
Mais la forme n'est pas tout et par bien des aspects, le film d'Edwards se limite à un brillant exercice de style. L'intrigue par exemple comporte des moments faibles plus ou moins bien camouflés par les mouvements virtuoses de la caméra (la séquence des mannequins). D'autre part l'un des scénaristes a tellement voulu magnifier le FBI où il avait travaillé quelques années plus tôt que le prétendu réalisme documentaire avec lequel est traité cette institution prête à sourire. Kelly la jeune femme agressée compose leur numéro et ô prodige, ne tombe pas sur un quelconque standard mais sur une huile qui de plus est ô miracle immédiatement disponible et se rend chez elle en moins d'une demi-heure. Un simple coup de fil et le FBI est à votre porte. Si c'est pas beau ça!
Mais la plus grande béance du film est l'absence totale d'épaisseur des personnages, aussi transparents les uns que les autres. Le refus de la psychologie est volontaire et a pour but d'épurer l'intrigue. Mais si cela fonctionne ponctuellement, cela affaiblit l'ensemble du film. Le tueur par exemple est un prédateur sexuel qui s'en prend à des jeunes femmes et les séquences où il est face à Kelly puis face à Toby sont réellement terrifiantes. Même si le code Hays était déjà affaibli à cette époque, Edwards ne pouvait pas tout montrer mais ce qu'il suggère (une main qui se promène sur un corps, l'obligation de se déshabiller devant lui) suffit à faire frémir. Mais hélas il ne peut maintenir durant tout le film ce climat de tension extrême puisque l'on ne peut s'attacher à ces femmes ni à qui que ce soit. Et on ne comprend pas davantage ce tueur qui d'un côté massacre des femmes et de l'autre joue les protecteurs avec celle qui a un enfant hospitalisé. C'est sur le point précis de la psychologie/psychanalyse que l'on mesure toute la distance qui sépare un Blake Edwards d'un Hitchcock. Experiment in terror a des points communs avec Psychose et Lee Remick fait terriblement penser à Tippi Hedren dans la scène de "viol" des Oiseaux. Mais Psychose et les Oiseaux sont au Panthéon du cinéma mondial et pas Expériment in terror et c'est pleinement justifié.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.