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Je suis un fugitif (They made me a fugitive)

Publié le par Rosalie210

Alberto Cavalcanti (1947)

Je suis un fugitif (They made me a fugitive)

Malgré les apparences, il n'y a pas plus cosmopolite que "Je suis un fugitif": film noir britannique réalisé par le franco-brésilien Alberto CAVALCANTI et produit par La Warner dans l'après-guerre. Cependant, si les codes du film sont américains, l'identité qui ressort le plus est britannique avec une brutalité, un pessimisme et un humour noir typiquement british. "Je suis un fugitif" est ainsi un exemple de "spiv film", genre de l'après-guerre désignant les malfrats de petite envergure ("spiv" dans le langage argotique anglais) régnant sur des bas-fonds creusés par la misère, les privations et le rationnement. Venu du documentaire, Alberto CAVALCANTI peut ainsi affûter son sens de l'observation de la réalité sociale sordide régnant dans les grandes villes britanniques au sortir de la guerre. Les décors eux-mêmes rappellent fortement les bas-fonds du Londres de Charles Dickens tandis que les deux acteurs principaux incarnent des personnages qui font penser pour Narcy (abréviation de Narcisse) joué par Griffith JONES à Dorian Gray et pour Morgan à un prolongement du rôle joué par Trevor HOWARD dans "Breve rencontre" (1945) de David LEAN. Le parallèle que je fais entre Narcy et Dorian Gray est lié à son apparence quelque peu dandy, à la façade de respectabilité qu'il recherche en recrutant Morgan et au plan déformant son visage dans le miroir où il apparaît pour ce qu'il est, un psychopathe particulièrement sadique envers les femmes. Morgan est quant à lui un vétéran de guerre alcoolique qui pour tromper son désoeuvrement fait l'erreur de s'acoquiner avec la bande de Narcy, laquelle, comme Lime et ses comparses dans "Le Troisieme homme" (1948) (film contemporain de celui de Alberto CAVALCANTI) se livrent à toutes sortes de trafics. Autre point commun avec le film de Carol REED, l'expressionnisme avec une superbe lumière de Otto HELLER. Car Narcy, figure profondément malfaisante jusqu'à son dernier souffle de vie (comme Lotso dans le final mémorable de "Toy Story 3") (2010) règne sur un monde gangrené d'où il s'avère impossible de s'échapper. La violence et la désespérance sont omniprésentes, on n'est pas prêt d'oublier la scène où Morgan en cavale se réfugie chez une femme qui veut l'utiliser pour abattre son mari. Morgan lui-même est un desperado qui sait que la rédemption est hors de sa portée (les symboles sont nombreux jusqu'à la bagarre spectaculaire et hitchcockienne sur un toit surmonté des lettres "RIP") lancé dans une course contre le temps qui se dérobe.

@solaris_distribution

@bepolar.fr

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Les Infiltrés (The Departed)

Publié le par Rosalie210

Martin Scorsese (2006)

Les Infiltrés (The Departed)

Remake américain de "Infernal Affairs" (2002), j'ai trouvé "Les Infiltrés" franchement réussi. Nerveux dans son montage mais aussi grâce à une musique du tonnerre, entre pop-rock (Rolling Stones en tête de gondole comme souvent dans les films de gangsters de Scorsese) et cornemuses-hard rock ("Shipping Up to Boston" du groupe punk celtique Dropkick Murphys décoiffe). Cette chanson est d'ailleurs particulièrement bien choisie: l'histoire est transposée à Boston (la chanson est devenue d'ailleurs l'hymne officiel de son équipe de baseball) et les origines ethniques des personnages sont soulignées, en particulier celles, irlandaise, du chef de la mafia, Frank Costello (Jack NICHOLSON) qui a un compte personnel à régler avec le clergé catholique et la pédophilie de nombre de ses prêtres couverte par la hiérarchie. Alors certes, Martin SCORSESE et son scénariste cassent la symétrie qui existait entre le parrain de la mafia et le chef de la police dans l'oeuvre d'origine pour donner la part du lion à Jack NICHOLSON mais le duo complémentaire Martin SHEEN-Mark WAHLBERG fonctionne bien, seul Alec BALDWIN est de trop. Quant aux infiltrés, si Matt DAMON est un peu trop lisse pour le rôle trouble qu'il interprète, Leonardo DiCAPRIO qui était alors à son zénith est absolument remarquable en taupe de la police infiltré chez les truands, écorché vif, toujours sur la corde raide entre son identité d'emprunt et son identité réelle. Par ailleurs la construction du film est plus rigoureuse que dans le film hong-kongais d'origine qui a donné lieu à deux suites assez confuses. Dans "Les Infiltrés", c'est la fatalité qui guide les personnages vers une issue que l'on devine être la mort, chacune étant précédée ou accompagnée par la lettre x placée quelque part dans l'image par Martin SCORSESE de façon plus ou moins subliminale. Un hommage direct au "Scarface" (1931) de Howard HAWKS. Quant aux téléphones portables qui jouaient un rôle clé dans le le jeu de pistes du film de Andrew LAU et Alan MAK, ils sont repris ainsi que d'autres outils technologiques (ordinateurs, vidéo-surveillance, micros) avec la même efficacité. On a donc à la fois une reprise des meilleurs ingrédients du film d'origine et un oeuvre personnelle car imprégnée de l'univers propre à Martin SCORSESE le tout mené de main de maître en terme de rythme, de dramaturgie ou encore de direction d'acteurs (et quels acteurs!)

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French Connection

Publié le par Rosalie210

William Friedkin (1971)

French Connection

Le décès récent de William FRIEDKIN m'a rappelé que je n'avais jamais vu en intégralité "French Connection", son premier grand succès. Même s'il y a quelques scènes tournées à Marseille (orthographié "Marseilles") puisque le film est l'adaptation du livre éponyme de Robin Moore publié en 1969 qui raconte l'enquête de deux policiers new-yorkais concernant le trafic de drogue en provenance de la cité phocéenne, c'est New-York qui est le théâtre majeur d'un film qui a marqué l'histoire du cinéma par son réalisme âpre (l'histoire est elle-même tirée de faits réels) et son caractère nerveux et immersif qui trouve son apothéose dans sa course-poursuite d'anthologie entre une voiture et un métro aérien. On colle aux basques des flics dont le film suit le rythme de l'enquête, tantôt lent lors des moments (nombreux) d'attente et tantôt frénétique lorsque la filature s'emballe. Un jeu du chat et de la souris à l'ambiance nouvelle vague filmé en décors naturels et souvent sur le vif (et illégalement). Ce qui frappe aussi c'est le contraste entre deux univers, celui, vraiment sordide de la piétaille de la drogue survivant au ras du bitume (consommateurs, revendeurs-intermédiaires et flics aux méthodes de voyous) et celui, huppé des caïds. Une scène l'illustre particulièrement, celle dans laquelle Popeye (Gene HACKMAN qui en a bavé pour incarner le rôle mais quel résultat!) fait le pied de grue en se gelant les miches devant un luxueux restaurant dans lequel sont servis des mets raffinés à Charnier (Fernando REY, fripouille VIP habituelle du cinéma de Luis BUNUEL) et son associé. Popeye lui doit se contenter d'un morceau de pizza et d'un verre de vin si mauvais qu'il le renverse à terre. La caméra ne cesse de jouer sur la profondeur de champ pour nous signifier et ce bien avant la fin que les flics sont des losers dont les trafiquants se moquent et donc que les chats et les souris ne sont pas ceux que l'on croit. Cela préfigure la célèbre scène dans laquelle Charnier réussit à semer Popeye dans le métro (qui bénéficie d'une mise en scène très chorégraphiée) et celle où celui-ci est pris pour cible par l'associé de Charnier, Pierre Nicoli (Marcel BOZZUFFI), un tueur froid semant la mort et la terreur sur son passage. La course-poursuite complètement folle qui s'ensuit est une réaction de rage de Popeye qui tente de reprendre le dessus, d'abord sur Nicoli, puis lors des dernières scènes, sur Charnier, allant jusqu'à le narguer avec le même geste que celui-ci lui avait adressé dans le métro. Mais "French Connection" démythifie la police jusqu'au bout. Non seulement elle patauge misérablement dans un New-York cradingue et prend des libertés déontologiques considérables au point qu'on peut à peine la distinguer de ses proies mais en plus elle ne fait même pas le poids face à la pègre, reflétant là encore la réalité. Pas étonnant que Popeye, le plus dangereux des deux policiers (l'autre, "Cloudy" est joué par Roy SCHEIDER) ne le supporte pas et retourne l'arme contre les siens voire contre lui-même (le coup de feu final hors-champ).

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Un si doux visage (Angel Face)

Publié le par Rosalie210

Otto Preminger (1953)

Un si doux visage (Angel Face)

"Un si doux visage" (pour de si noirs desseins) est un film dérangeant qui épouse les codes du film noir pour mieux s'en démarquer. D'une part on a donc un film ancré dans un genre dont on reconnaît certains archétypes tels que la femme fatale et le "pauvre type". Mais dans "Un si doux visage", la tragédie antique se nourrit d'une vision particulièrement sombre du film de procès. Tragédie antique oui car Diane Tremayne (Jean SIMMONS) est une sorte d'Electre moderne extrêmement jalouse et possessive. Elle ne supporte pas que son père ait refait sa vie et échafaude une sombre machination pour éliminer sa belle-mère avec l'aide involontaire de l'homme qu'elle manipule, Frank Jessup (Robert MITCHUM). La relation entre les deux membres du couple maudit est un classique du film noir (et nourrie de la misogynie propre à l'époque) avec d'un côté une riche héritière dominatrice qui se compare (et ce n'est pas anodin) à une sorcière et de l'autre, un type ordinaire issu d'une classe sociale inférieure qui se laisse manipuler par ses pulsions sexuelles. Bien que conscient d'être un pion dans un plan qui le dépasse, Frank Jessup montre une certaine passivité (ou faiblesse de caractère ou manque de volonté), se laissant porter par les événements sans vraiment s'y impliquer (comme le montre sa relation à Mary Wilson, sa précédente petite amie avec qui il ne veut pas s'engager mais qu'il ne cherche pas non plus à quitter si bien que c'est elle qui doit prendre la décision à sa place). Mais là où le film se démarque le plus, c'est dans la manière dont est traité le procès et plus largement le monde judiciaire. En effet et de façon très habile, Otto PREMINGER en fait un élément majeur de la tragédie. Comme son compatriote Billy WILDER, Otto PREMINGER critique la société américaine en faisant le portrait d'un avocat de la défense prêt à toutes les manipulations pour gagner le procès. Cet aspect du film est d'ailleurs très moderne car en jouant sur le prétendu amour entre Diane et Frank qu'il pousse à se marier sous les flashs pour influencer le jury, il préfigure les candidats de télé-réalité faisant semblant d'être amoureux pour influencer les votes du public ou les people utilisant les paparazzi (et vice-versa) pour accroître leurs ventes ou leur popularité. L'ironie de l'histoire c'est qu'en réussissant son coup, l'avocat écrit une histoire qui ne peut plus être changée au grand désespoir de Diane qui cherche depuis le début et en vain à endosser seule le crime pour tenter de sauver sa relation avec Frank Jessup qui s'est dégoûté d'elle. Celle-ci qui semblait tirer les ficelles devient alors la victime impuissante d'un système cynique qui la dépasse et au final l'entraîne vers le précipice à l'égal de ceux dont elle aura fait le malheur.

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Infernal Affairs 3 (Mou gaan dou 3 : Jung gik mou gaan)

Publié le par Rosalie210

Andrew Lau, Alan Mak (2003)

Infernal Affairs 3 (Mou gaan dou 3 : Jung gik mou gaan)

La saga "Infernal Affairs" aurait dû en rester au premier film, un petit bijou qui se suffisait à lui-même. Les suites s'avèrent inutiles et laborieuses. "Infernal Affairs 3" est un patchwork mal ficelé de scènes se déroulant pour certaines avant et pour d'autres après la mort de Yan mais qui n'apportent rien de neuf à l'histoire. Ce qui est mis en avant (la solitude, la confusion mentale, le brouillage des frontières entre la police et la pègre) veut apporter un éclairage plus intimiste mais le résultat est confus et maladroit d'autant que de nouveaux personnages dont on se fiche viennent se rajouter. Au moins retrouve-t-on les acteurs du premier volet, Tony Leung et Andy Lau, mais seul ce dernier sort son épingle du jeu, le premier étant cantonné à des flashbacks sans intérêt sur sa relation compliquée avec Sam ou avec sa psy. Je pense même que cette volonté (non dénuée d'arrière-pensées financières, comme quoi il n'y a pas que les américains qui exploitent leurs succès jusqu'à la lie) d'essayer de tout dire est contre-productive. Ce qui fait l'aura de ces personnages réside aussi dans leur part de mystère. Imagine-t-on un traitement pareil pour Jeff, le personnage de tueur mutique et inexpressif joué par Alain Delon dans "Le Samouraï" de Jean-Pierre Melville? Entendre Ming répéter qu'il veut être quelqu'un de bien surligne à gros traits ce que le spectateur avait compris dès le premier volet comme s'il était un idiot incapable de comprendre la suggestion!

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Infernal Affairs 2 (Mou gaan dou 2)

Publié le par Rosalie210

Alan Mak, Andrew Lau (2003)

Infernal Affairs 2 (Mou gaan dou 2)

Si certains considèrent que la préquelle de "Infernal Affairs" lui est supérieure, ce n'est pas mon cas. Tout d'abord elle n'était pas nécessaire, le premier film se suffit parfaitement à lui-même. Ensuite l'absence de Tony LEUNG Chiu Wai et de Andy LAU se fait cruellement ressentir. Les acteurs qui les incarnent jeunes n'ont pas leur charisme et sont renvoyés à la périphérie de l'histoire. Surtout si la pilule du changement d'acteurs passait dans le premier film dont la datation restait vague et les renvois au passé, limités, le deuxième fait jouer les deux jeunes acteurs de 20-25 ans jusqu'en 1997, soit l'année de la rétrocession de Hong-Kong à la Chine, cinq années seulement avant les événements du premier film où tous deux sont quadragénaires. Mais ce n'est qu'une incohérence parmi d'autres. Cet opus souffre de façon générale d'une inflation de personnages que l'on a d'autant plus de mal à retenir qu'ils ne sont pas développés, que leur comportement est erratique et que l'on connaît par avance leur destin puisqu'on sait qui va mourir et qui va vivre. Et là où "Infernal Affairs" apportait une intrigue originale, sa préquelle fait penser à une variation de "Le Parrain" (1972) et des films de gangsters de Martin SCORSESE. Bref, il y a trop de tout dans ce film plein comme un oeuf (sa durée est d'ailleurs très supérieure au premier volet) qui ouvre des pistes sans véritablement les creuser ni se soucier de leur cohérence. C'est dommage car au vu de l'effacement de l'histoire des deux taupes, leurs patrons respectifs à savoir l'inspecteur Wong (Anthony WONG Chau-Sang) et Sam le mafieux (Eric TSANG) sont beaucoup plus mis en avant et l'intrigue joue beaucoup sur un "effet miroir" qui brouille les frontières entre la pègre et la police. Et ce d'autant plus que Yan, le flic infiltré aux allures de rocker rebelle a fait de multiples séjours en prison et est le demi-frère d'un caïd de la pègre tout ce qu'il y a de plus "bureaucrate" alors que Ming le truand est au contraire un bureaucrate qui présente bien en surface.

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Infernal Affairs (Wu jian dao)

Publié le par Rosalie210

Alan Mak, Andrew Lau (2002)

Infernal Affairs (Wu jian dao)

A l'occasion de la sortie en salles de la trilogie "Infernal Affairs" en mars 2022 (sortie et non ressortie car les deuxième et troisième volets étaient inédits en France), j'avais été invitée à voir les trois films à la suite mais une grève de métro m'en avait empêchée. C'est à cette occasion que j'avais appris que Martin SCORSESE s'en était inspiré pour en faire sa propre version avec "Les Infiltres" (2006). Moins connu, les co réalisateurs de la trilogie, Andrew LAU et Alan MAK ont eux-mêmes puisé leur source d'inspiration dans un film hollywoodien réalisé par un cinéaste Hongkongais, John WOO "Volte/Face" (1997). La boucle est bouclée!

Car "Infernal affairs" aurait tout à fait pu s'ouvrir sur la citation attribuée à Bouddha qui est mentionnée dans "Le Cercle rouge" (1970) de Jean-Pierre MELVILLE, l'autre cinéaste occidental aux influences asiatiques qui a d'ailleurs tout comme Martin SCORSESE été une source d'inspiration pour John WOO. " Quand les hommes, même s'ils s'ignorent, doivent se retrouver un jour, tout peut arriver à chacun d'entre eux, et ils peuvent suivre des chemins divergents ; au jour dit, inexorablement, ils seront réunis dans le cercle rouge." C'est en effet sous le signe du bouddhisme que s'ouvre un film à la structure de mandala qui évoque un "enfer continu de souffrance éternelle". Le cercle renvoie également à la folie liée à la perte d'identité de deux hommes qui ont échangé leurs places et se neutralisent constamment comme si chercher à découvrir l'autre renvoyait à soi-même dans un jeu de vases communicants permanent. Car pour que le film fonctionne, il doit reposer sur un équilibre empêchant l'une des polarités de prendre l'avantage sur l'autre, que l'antagonisme bien/mal s'incarne dans deux corps ou bien qu'ils fusionnent en chacun d'eux, plaçant l'âme qui l'occupe au bord de la schizophrénie.

Ajoutons qu'à la figure omniprésente du cercle infernal vient s'ajouter celle, complémentaire de la chute et donc de la verticalité. Les flics aiment se percher sur les toits tandis que la pègre a une prédilection pour les parkings souterrains mais la figure centrale de l'ascenseur les relie et l'un des moments clés du film voit une figure tutélaire de ce grand double jeu de dupes s'écraser sur le toit d'une voiture ce qui scelle le sort de l'autre, leurs poulains évoluant désormais en roue libre c'est le cas de le dire.

En dépit de toute cette géométrie, d'un dépouillement certain pouvant confiner parfois presque à l'abstraction, l'aspect humain n'est pas évacué du film. Yan, le flic infiltré dans la mafia est joué par Tony LEUNG Chiu Wai dont on reconnaît la profonde mélancolie qui a fait merveille chez WONG Kar-Wai. Yan dont la véritable identité n'est connue que de son supérieur, le commissaire Wong (Anthony WONG Chau-Sang) ne supporte plus sa condition faite de mensonge, de solitude, de renoncement (la femme qu'il a aimé a refait sa vie) et de tension permanente. Ses seuls moments de réconfort sont ceux qu'il passe chez sa psychologue pour qui il nourrit des sentiments (ce qui est logique étant donné le désert de sa vie affective). Ming (Andy LAU) le truand infiltré chez les flics voit dans son identité d'emprunt le moyen de gagner indépendance et respectabilité, brouillant peu à peu les repères.

A cet aspect humain, on peut même ajouter un contexte géopolitique, celui de Hong-Kong au début des années 2000, rétrocédée à la Chine par le Royaume-Uni mais pas encore absorbée par elle. Cette période de transition ("Un pays, deux systèmes") se ressent évidemment dans un film qui traite d'une identité duale réalisé dans un pays alors écartelé entre sa culture anglo-saxonne et ses origines chinoises.

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La Nuit nous appartient (We Own the Night)

Publié le par Rosalie210

James Gray (2006)

La Nuit nous appartient (We Own the Night)

"La Nuit nous appartient" est le premier film de James GRAY que je vois auquel j'adhère pleinement. Peut-être parce que la tragédie shakespearienne sied bien à sa vision du monde faite d'appartenances étanches les unes aux autres et auxquelles il est impossible d'échapper (alors que dans la vie quotidienne, cette vision fataliste de l'existence m'exaspère). D'ailleurs son dernier film "Armageddon Time" (2021) met en pièces le mythe du melting pot new-yorkais à travers notamment la ségrégation scolaire révélant des fractures sociales et ethnico-religieuses que l'on retrouve également dans le pays ayant inspiré aux USA une partie de ses valeurs: le nôtre.

L'ouverture de "La Nuit nous appartient" est magistrale car programmatique. Elle est en effet fondée sur un hiatus cinématographique (fixité contre mouvement, noir et blanc contre couleurs, travail contre fête etc.) présentant deux camps que tout oppose entre lesquels le héros va devoir choisir. Le titre est d'ailleurs en soi signifiant. En étant la devise cousue sur les uniformes des policiers de la brigade anti-criminelle de New-York alors que l'on sait parfaitement que la nuit est le royaume des hors-la-loi, celle-ci devient l'enjeu d'une guerre de territoire, "eux" contre "nous". Tout est dit en quelques images avec une efficacité imparable. Mais bien que l'histoire s'inscrive dans un contexte historique (la guerre contre la drogue), c'est son volet intime qui intéresse James GRAY. A savoir le parcours de Bobby (Joaquin PHOENIX) prétendu roi de la nuit mais en réalité roi du "passing". En sociologie, le passing désigne la capacité d'une personne à être considérée comme membre d'un groupe social autre que celui auquel elle appartient réellement. Bobby s'est désaffilié au point de prendre le nom de sa mère et de se choisir un père de substitution en la personne du patron de la boîte dont il est le gérant. Evidemment pour que l'imposture fonctionne, le secret doit être bien gardé. En dehors de sa petite amie, Amada (Eva MENDES), personne ne sait qu'il est issu d'une famille de policiers et lui-même ne veut pas savoir ce qui se trame derrière les paillettes de sa vie d'hédoniste immature (en cela, son personnage préfigure celui de "Two Lovers") (2007). Sauf que lorsque l'heure de vérité sonne, c'est à dire lorsque les liens du sang sont mis en péril, la vie de Bobby bascule en un clin d'oeil exactement comme celle de Michael dans "Le Parrain" (1972) (modèle évident du film de James GRAY). Comme dans le film de Francis Ford COPPOLA, une scène initiatique scelle le destin du héros qui mue de "fils rebelle" à "héritier" qui doit prendre la tête d'une famille dont le père (Robert DUVALL) a disparu et dont le frère (Mark WAHLBERG) a été mis hors-jeu par sa blessure. Une mue douloureuse et payée au prix fort puisque les pertes jalonnent son parcours de plus en plus tumultueux (le point de vue subjectif de la séquence de course-poursuite sous la pluie est un must) et qu'il se retrouve seul à l'arrivée, emprisonné dans un destin qu'il avait fui et qui l'a rattrapé. James GRAY redonne ainsi au mot "lien" tout son sens, remettant en cause la réalité du libre-arbitre du héros au profit de forces qui le dépassent (ce qui est le sens de la tragédie). Et si la mafia russe qui se cache derrière les paillettes des night-clubs est montrée sans aucune complaisance, la police apparaît comme un monde dévitalisé, normatif et intolérant (la façon dont ils renvoient sa petite amie à son origine en la surnommant "la portoricaine" fait comprendre d'emblée qu'elle n'aura pas sa place dans ce monde-là).

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Médecin de nuit

Publié le par Rosalie210

Elie Wajeman (2020)

Médecin de nuit

"Médecin de nuit" concentre tout ce qui fait l'efficacité d'un récit: la règle des trois unités (le lieu, le temps et l'action) permettant de dénouer une crise ou bien de faire basculer un destin. S'y ajoute une ambiance à la Bruno NUYTTEN et des acteurs à contre-emploi comme dans le Paris nocturne cafardeux qu'il avait éclairé dans "Tchao Pantin" (1983). Le résultat oscille entre un aspect vériste assez âpre qu'on aurait aimé voir plus développé (un homme seul face à une humanité en souffrance) et un enjeu dramatique plus artificiel. En effet en une seule nuit, Mikaël doit résoudre le chaos qui règne dans sa vie privée comme dans sa vie professionnelle et pour cela, trancher le lien toxique qui le relie à son cousin, Dimitri (Pio MARMAÏ). Belle idée en soi de relier l'aspect documentaire et l'aspect romanesque par le biais de la toxicomanie mais le réalisateur a du mal à doser, finissant par transformer son humble médecin en "vigilante" armé d'un flingue à la manière de Travis Bickle dans "Taxi Driver" (1976). Impossible de ne pas penser au film de Martin SCORSESE, à l'ambiance nocturne et poisseuse, à son anti-héros solitaire, à la rencontre avec une jeune prostituée qu'il souhaite aider, au pétage de plombs final. Mais bien évidemment la comparaison s'arrête là, le film de Elie WAJEMAN s'en tient à une trajectoire individualiste au lieu d'interroger la société dans son ensemble et les "monstres" qu'elle fabrique et transforme en héros ce qui en limite la portée. Mais l'aspect que j'ai trouvé le plus maladroit, ce sont les dialogues sentimentaux ultra clichés que Mikaël débite à sa femme et à sa maîtresse. Je ne pensais pas entendre dans un film français d'auteur du XXI° siècle des "paroles paroles" telles que "tout va s'arranger tu vas voir, je vais revenir et être là pour toi" ou bien "je n'ai jamais arrêté de t'aimer" ou bien "on va partir ensemble". Il y a donc du bon voire du très bon dans le film mais également des choses à sérieusement affiner.

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Les Incorruptibles (The Untouchables)

Publié le par Rosalie210

Brian de Palma (1987)

Les Incorruptibles (The Untouchables)

Dès les premières notes électrisantes du générique, signées par Ennio MORRICONE, on sent que l'on va voir un film iconique, enchaînant les morceaux de bravoure menés de main de maître. Un film à la fois brillant et obscur car derrière la lutte manichéenne du bien contre le mal qui sature le premier plan, le film est parcouru par d'autres enjeux qui lui donnent sa complexité. La première partie, dédiée à la formation et aux premiers succès du quatuor formé par Eliot Ness (Kevin COSTNER), Jim Malone (Sean CONNERY), George Stone (Andy GARCIA) et Oscar wallace (Charles Martin SMITH) se déroule sur une note claire, celle du clairon de la cavalerie sûr de son fait qui culmine dans la scène westernienne triomphale où les quatre hommes attaquent le pont à la frontière vers le Canada. Pourtant si on est attentif, les fausses notes sont nombreuses dans cette première partie. Il y a tout d'abord la fausse bonhommie de Al Capone (Robert De NIRO) qui nous est systématiquement présenté dans des plans en plongée, contre-plongée ou circulaires qui nous enserrent ou nous écrasent, sensation redoublée avec son homme de main cadavérique, Frank Nitti (Billy DRAGO) dont l'acte inaugural (la mort d'une petite fille, allusion à Alfred HITCHCOCK qui dans "Sabotage" (1936) faisait périr un enfant dans un attentat à la bombe) signe l'emprise du mal absolu sur la ville. Face à ces monstres, Eliot Ness fait bien pâle figure, lui et sa famille modèle montrée volontairement c'est Brian DE PALMA qui le dit comme "ce qu'il y a de plus faux dans le film". La séquence où il se fait ridiculiser souligne à quel point il n'est pas de taille. Seuls ses comparses peuvent lui permettre de parvenir à ses fins, mais comme ne cesse de le lui répéter Malone, il n'y a pas de retour possible lorsqu'on est prêt à plonger dans la fosse aux serpents. La deuxième partie du film, plus que jamais sous influence hitchcockienne décline à l'infini le vertige de cette chute à la manière (Brian DE PALMA est un grand maniériste) de "Vertigo" (1958). C'est dans ce cadre que la transposition dans la gare de Chicago de la séquence des escaliers d'Odessa de "Le Cuirassé Potemkine" (1925) prend tout son sens: Eliot Ness doit plonger les mains dans le cambouis s'il veut mettre la main sur le seul homme qui peut compromettre Al Capone en mettant notamment la vie d'un enfant en danger. De même, la seule manière d'en finir avec Nitti ne peut de toute évidence pas être propre. L'héroïsme de la première partie est remplacée par une ambiance crépusculaire voire tragique (scène d'opéra à l'appui) où les hommes qui ont guidé Eliot Ness sont destinés à tomber à leur tour dans un ascenseur (comme dans "Pulsions") (1979) ou au terme d'un long travelling subjectif comme dans les introductions de "Blow Out" (1981) et "Snake Eyes" (1998). Et si Al Capone finit sous les verrous, c'est grâce à l'obscur travail de fourmi du comptable de l'équipe et non grâce à une quelconque "La Chevauchée fantastique" (1939). Car effectivement, je rejoins Claude Monnier dans sa critique du film pour DVDClassik, "Les Incorruptibles" est un John FORD filmé par un Alfred HITCHCOCK. Et Eliot Ness, le chevalier sans peur et sans reproches finit dans de telles eaux troubles qu'il n'est pas loin de rejoindre le monstre que son patronyme suggère.

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