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Articles avec #polar tag

Le Voyeur (Peeping Tom)

Publié le par Rosalie210

Michael Powell (1960)

Le Voyeur (Peeping Tom)

J'avais beaucoup, beaucoup entendu parler de ce film et pourtant je ne l'avais jamais vu. C'est maintenant chose faite et j'ai tout de suite pensé après l'avoir vu que, bien qu'étant contemporain de "Psychose" (1960), il était le chaînon manquant entre le cinéma de Alfred HITCHCOCK et celui de Brian DE PALMA pour qui il est d'ailleurs une référence (tout comme pour d'autres réalisateurs de cette génération, Martin SCORSESE par exemple qui est un grand admirateur du cinéma de Michael POWELL). Alfred HITCHCOCK est un grand réalisateur de la pulsion scopique qui est un des ressorts majeurs du cinéma (en ce sens beaucoup de ses films sont aussi des méta-films comme "Fenêtre sur cour") (1954) et l'oeil en gros plan qui ouvre "Le Voyeur" fait aussitôt penser à celui de "Vertigo" (1958). Cependant, "Le Voyeur" préfigure non seulement le cinéma de Brian DE PALMA par son côté trash exacerbé par l'utilisation de la caméra subjective* mais aussi les oeuvres les plus tardives de ce même Alfred HITCHCOCK comme "Frenzy" (1972) dans lequel les meurtres de femmes sont filmés crûment et où l'on retrouve la même actrice, Anna MASSEY. Pourtant rien ne laissait prévoir que Michael POWELL, réalisateur de films raffinés avec son compère Emeric PRESSBURGER allait se lancer sur le terrain des futurs "slashers" et autres "snuff movies". Ni que l'époux de Romy SCHNEIDER dans la série des Sissi, Carl BOEHM allait tenir le rôle du tueur à la caméra (rôle que l'on aurait bien vu interprété par Dirk BOGARDE mais celui-ci avait décliné l'offre). Ceci étant, Carl BOEHM est parfait car après tout il joue le rôle d'un fils à papa (lequel lorsqu'il apparaît dans les images d'enfance de Mark est joué par Michael POWELL, la mise en abyme tourne à plein régime) avec une apparence de gendre idéal, sauf qu'à la différence des Sissi il est mentalement dérangé, ayant été lui-même objet du voyeurisme malsain de son père. On pourrait parler de dédoublement de personnalité, tout comme son appartement et le film lui-même. Il y a un côté "Blue Velvet" (1985) dans "Le Voyeur". D'un côté le tournage d'un film de studio tout ce qu'il y a de plus classique, un salon cosy, un jeune homme de bonne famille avec un certain standing social. De l'autre, le laboratoire caché, sombre, saturé de couleurs violentes dans laquelle ce même jeune homme développe et projette les images interdites qu'il a filmées sur son propre appareil, celles que l'inconscient censure et qui l'obsèdent: le sexe et la violence*. Ce dédoublement n'est pas seulement une réflexion sur le cinéma, il est tout autant une peinture sociologique sur l'hypocrisie du puritanisme british. Ainsi la boutique dans laquelle Mark fait des extras en photographiant des filles dénudées se présente comme un magasin de journaux et les clients repartent avec le vrai objet de leur désir emballé dans une enveloppe où est ironiquement écrit qu'il s'agit de "livres éducatifs". Pas étonnant qu'à sa sortie, le film ait été rejeté: il était trop avant-gardiste, trop dérangeant... et totalement "visionnaire".

* L'ouverture de "Blow Out" (1981) ressemble à celle du film de Michael POWELL sauf qu'on ne voit pas la mire de l'appareil qui filme à l'intérieur des douches une scène avatar de "Psychose" (1960).

* La caméra au pied transformé en arme meurtrière étant un évident substitut phallique.

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Marché noir (Koshtargah)

Publié le par Rosalie210

Abbas Amini (2020)

Marché noir (Koshtargah)

"Marché noir" a reçu Le Prix du Jury lors du festival du Film Policier -Reims Polar pour sa 38ème édition, édition qui a également récompensé un autre polar iranien "La Loi de Téhéran" (2021) avec le Grand Prix.

"Marché noir" évoque l'économie parallèle qui s'est développée en Iran autour du trafic des devises, principalement des dollars américains. La première séquence du film est extrêmement prometteuse car le film commence directement par une scène de crime. La tension est là d'emblée avec la pression croissante de la famille des trois hommes disparus qui ne cesse de s'accroître sur les épaules du personnage principal. Il s'agit d'Amir, jeune homme au passé aussi chargé que ses tatouages qui est devenu l'homme de confiance du meurtrier, un patron véreux pour aider son père qui travaille comme gardien dans son abattoir. Abattoir qui comme on l'apprend très vite n'est qu'une couverture dissimulant un marché noir de transactions financières menacé par les descentes policières mais aussi par les règlements de comptes entre les trafiquants.

"Marché noir" est un polar efficace et bien structuré autour de son axe principal (le crime sera-t-il découvert? Amir finira-t-il par craquer?) Néanmoins il y a quelques grosses ficelles scénaristiques (on a du mal à croire à la naïveté du patron qui vient se jeter dans la gueule du loup et à celle d'Amir qui l'a attiré en pensant que la famille des défunts veut seulement lui parler). D'autre part, Amir est un personnage bien peu consistant. Il semble subir tout ce qui lui arrive, être ballotté au gré des événements, tiraillé entre son père avec lequel il a une relation conflictuelle (mais à peine ébauchée) et Asra, parente de l'un des défunts, tenace et perspicace (seul personnage féminin important du film qui d'ailleurs a le dernier mot mais qui méritait lui aussi d'être davantage creusé) sans avoir de volonté propre.

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Mauvais sang

Publié le par Rosalie210

Leos Carax (1986)

Mauvais sang

Poème cinématographique non identifié, "Mauvais sang" est le film le plus culte de Leos CARAX. Les références s'y côtoient pêle-mêle (Arthur Rimbaud, les films noirs américains, "Scarface" (1931) en tête, la nouvelle vague française, Jean-Luc GODARD et Jean-Pierre MELVILLE avec un Serge REGGIANI qui plane physiquement et vocalement sur le film d'ailleurs il travaille dans un aérodrome ^^, Jean COCTEAU, Louise BROOKS, Charles CHAPLIN, Louis-Ferdinand Céline, Ingmar BERGMAN dans son volet expérimental etc.) pour composer une symphonie eighties d'un romantisme aussi sombre que flamboyant. Le mauvais sang évoque le sida, plaie de la décennie qui est évoqué de façon métaphorique pour frapper de plein fouet une jeunesse éprise d'une liberté hors de sa portée. On ne compte plus les courses vers quelque impossible ailleurs, celle de Denis LAVANT sur "Modern Love" de David BOWIE étant passé à la postérité (et ce passage porte aussi la marque de son époque, celle du vidéo-clip qui faisait alors concurrence au cinéma avant que cette opposition ne soit dépassée comme le montre la présence de Mylène FARMER au jury de Cannes en 2021). Course à pied mais aussi en voiture et à moto (ce qui préfigure "Annette" (2021) et son amour dangereux). Mais la mort est au bout du chemin, le piège se referme comme de nombreux plans le suggèrent (la toile d'araignée du parachute, les rayons laser protégeant l'antidote au virus) et c'est un autre texte et un autre clip qui s'impose à moi, postérieur de cinq ans à "Mauvais sang" mais qui préfigure aussi "Holy Motors" (2012), celui de "Osez Joséphine" Alain BASHUNG et son parolier-poète, Jean Fauque. Car si la mort est au bout du chemin, la flamme de la jeunesse et sa quête d'absolu s'incarne à travers l'amour fou mais impossible de Alex le prestidigitateur ventriloque pour Anna (Juliette BINOCHE à l'aube de sa carrière) sous la coupe d'un truand qui pourrait être son père mais qui est aussi un avatar du père d'Alex (joué par Michel PICCOLI) tandis qu'une autre jeune fille s'épuise à courir après Alex (Julie DELPY). Respectivement âgés en 1986 de 25, 22 et 17 ans, Denis LAVANT, Juliette BINOCHE et Julie DELPY font hennir les chevaux du plaisir sans pour autant s'opposer à la nuit.

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Minority Report

Publié le par Rosalie210

Steven Spielberg (2002)

Minority Report

La dernière chose qui reste en possession d'un être humain après qu'on lui ait tout enlevé, c'est son libre-arbitre, c'est à dire sa capacité de décision quelles que soient les circonstances. Mais cela présuppose d'accepter que l'avenir ne soit pas écrit d'avance. Or la prédestination, le déterminisme (ou la fatalité) est une croyance qui a la vie dure tant il s'avère tentant de remettre son destin entre les mains d'une entité autre que soi-même (qu'elle se nomme dieu, hasard, destin ou bien plus prosaïquement chef d'Etat, gourou, mentor ou même ses propres émotions et pulsions non contrôlées par la volonté) ce qui permet de se débarrasser de la responsabilité de sa propre vie et des choix que toute personne est amenée à faire ("j'ai obéi aux ordres", "j'étais en colère", "c'est le destin", "c'était écrit", "c'est la conséquence de mes malheurs" etc. comme autant d'excuses pour refuser d'endosser la responsabilité de ses actes). Sur un plan politique, de telles croyances ont des effets redoutables sur les droits fondamentaux lorsqu'il s'agit de substituer des intentions supposées aux faits avérés. 

Le film de Steven Spielberg, adaptation de la nouvelle de Philip K. Dick écrite en 1956 s'inscrit dans un contexte post-11 septembre 2001 qui est explicitement affirmé par le numéro affecté à John Anderton (Tom Cruise), le 1109 et ce bien que l'action soit censée se dérouler en 2054. En effet le spectre du terrorisme islamiste international a donné corps à une volonté politique de prévenir les attentats en bafouant le droit international et celui des individus. Aux USA cela a donné la guerre "préventive" contre l'Irak en 2003 fondée sur un mensonge d'Etat et dont les effets ont été l'inverse de ceux qui étaient attendus puisqu'elle a instauré un chaos dont le terrorisme a profité pour prospérer ainsi que l'enfermement et les maltraitances sur les "combattants illégaux" sans statut légal, notamment à Guantanamo. Le "Patriot Act" signé dans la foulée des attentats a donné à l'Etat américain le moyen de surveiller la population en perquisitionnant leur domicile ou en obtenant des informations confidentielles. Dans le film, une séquence montre comment la recherche d'un suspect dans un immeuble conduit à violer l'intimité des gens. En France, il a été question dans le débat public d'arrêter les "fichés S" (suspects) à titre préventif là encore et l'Etat d'urgence a conduit à des dérives liberticides, là encore au nom de la sécurité. 

Le film de Steven Spielberg bien que s'inscrivant dans le genre de la science-fiction est donc avant tout un film politique d'anticipation recherchant le plus grand réalisme possible grâce aux pronostics d'experts dans divers domaines. Alors certes, on ne peut pas encore faire changer ses yeux ou enregistrer des films produits directement par le cerveau mais les systèmes de télésurveillance, d'appareils numériques haptiques, tactiles (ou vocaux) ou la reconnaissance faciale, rétinienne ou via les empreintes digitales sont devenus des réalités plus ou moins généralisées. Cette volonté de crédibilité permet donc de démontrer une fois de plus les dégâts de la science sans conscience et le fait qu'aucun système, aussi perfectionné soit-il n'est infaillible puisqu'il reste dirigé par l'humain et que "errare humanum est". De plus, toute cette science s'appuie sur les prémonitions des "précogs", des humains possédant des dons médiumniques ce qui renvoie bien sûr aux bons vieux oracles de l'Antiquité, indissociables du "fatum". Il s'avère que ce n'est pas la vision elle-même qui est déterminante mais son interprétation. Prises au pied de la lettre, elles amènent à emprisonner des innocents puisqu'ils n'ont pas commis de crime au moment où ils sont arrêtés. Or on découvre que ces visions ne disent pas ce qui va arriver mais ce qui pourrait arriver puisque jusqu'au dernier moment le potentiel tueur a le choix de commettre ou non son crime. Et pire encore, ces visions peuvent être manipulées par de véritables tueurs qui s'en servent pour dissimuler leurs crimes bien réels. Bref, de quoi alimenter un abîme de réflexion.

La très grande richesse et la profondeur de ce film ne doit pas pour autant faire oublier les autres qualités de Steven Spielberg, notamment son travail d'orfèvre en ce qui concerne les scènes d'action. La séquence de combat entre Tom Cruise et ses anciens collègues dans une usine automatisée de fabrication d'automobiles à la chaîne est d'une précision virtuose étourdissante qui fait penser à "Le Mécano de la Générale" de Buster Keaton d'autant que la chute de cette séquence est hautement comique "de la mécanique plaquée sur du vivant". L'influence de Stanley Kubrick est également très présente. Ainsi l'homme qui opère les yeux de Tom Cruise utilise le même appareil que l'écarteur de "Orange mécanique", autre grand film sur la criminalité et le libre-arbitre. Les références ne sont pas saupoudrées, elles sont au coeur du film et font sens.

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Astrid et Raphaëlle (saison 2)

Publié le par Rosalie210

Laurent Burtin, Alexandre de Seguins (2020)

Astrid et Raphaëlle (saison 2)

Alors, quel bilan tirer de la saison 2 de "Astrid et Raphaëlle" diffusée à raison de deux épisodes hebdomadaires entre mi mai et mi juin 2021? Qu'elle se situe dans la continuité de la saison 1 avant tout. Les intrigues policières font la part belle au mystère et à l'occulte, ça fonctionne plus ou moins bien selon les épisodes et les guest stars (l'exhumation de Gérard MAJAX créé un certain choc près de cinquante ans après "Le Grand blond avec une chaussure noire" (1972), on voit également apparaître Pierre PALMADE, Louisy JOSEPH, Emilie DEQUENNE etc.) mais ce n'est franchement pas ça qui fait l'intérêt de cette série. Celle-ci repose avant tout sur la relation de son duo complémentaire d'enquêtrices, la très rentre-dedans Raphaëlle (Lola DEWAERE) aux méthodes peu orthodoxes et la décalée Astrid (Sara MORTENSEN) qui est autiste asperger. Par rapport à la première saison, Astrid apparaît beaucoup plus intégrée et impliquée dans les enquêtes de la brigade criminelle ce qui met en lumière le principal problème qui en résulte: l'épuisement psychique, symbolisé par une jauge mesurée avec des haricots. Quand celle-ci est épuisée, Astrid est en situation de burn-out, la quantité d'énergie dépensée pour supporter l'univers neurotypique s'avérant colossale (très bien soulignée avec le bruit et l'agitation du commissariat qui s'oppose aux sous-sol des archives de la documentation criminelle dans lequel se trouve le QG d'Astrid). La relation entre les deux femmes paraît également plus équilibrée sur le plan affectif, la saison 2 insistant plus sur ce que Astrid apporte à Raphaëlle alors que cette dernière connaît des turbulences sur le plan familial et sentimental. Astrid elle-même montre davantage ses émotions et s'adapte mieux aux situations sociales y compris stressantes sous l'effet d'une meilleure estime/connaissance d'elle-même, de la perte de son tuteur qui l'a rendue indépendante, de l'amitié de Raphaëlle et des sentiments qu'elle éprouve pour le neveu du commerçant japonais chez qui elle fait ses courses, Tetsuo Tanaka. Le rapprochement avec cette culture très pudique, codifiée à l'extrême et peu tactile est très bien vu. Mais la série n'est pas angélique pour autant, le nouveau statut d'Astrid ne repose sur rien de légal et se retrouve donc menacé, posant un défi pour la prochaine saison.

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Les Passagers de la nuit (Dark Passage)

Publié le par Rosalie210

Delmer Daves (1947)

Les Passagers de la nuit (Dark Passage)

"Les Passagers de la nuit" est le troisième (et avant-dernier) des quatre films dans lesquels le couple formé par Humphrey BOGART et Lauren BACALL a joué. Bien que Delmer DAVES soit moins connu que Howard HAWKS et John HUSTON, sa filmographie comporte plusieurs pépites dans le domaine du film noir (comme ici) ou celui du western (j'aime particulièrement "La Flèche brisée" (1949) et "La Colline des potences") (1958).

"Les Passagers de la nuit" est une assez mauvaise traduction du titre en VO, bien plus proche du sens du film. Celui-ci raconte en effet un voyage au bout de la nuit à travers l'itinéraire d'un faux coupable (thème cher à Alfred HITCHCOCK) qui doit changer de peau et d'identité, bref se réinventer pour espérer avoir un avenir. Film non-réaliste, "Les Passagers de la nuit" fonctionne comme un éprouvant cauchemar dans lequel le sol ne cesse de se dérober sous les pas du héros, Vincent Parry qui après avoir été injustement condamné et s'être évadé semble attirer sur lui la poisse sous toutes ses formes, chacun de ses mouvements lui valant d'avoir un fâcheux à ses trousses ou un nouveau mort sur les bras (dont il est accusé évidemment puisqu'on ne retrouve à chaque fois que ses seules empreintes près du corps). Quelques personnes en revanche agissent comme des anges gardiens, la plupart faisant office de deus ex machina. Ils apparaissent et disparaissent comme par enchantement tels le taxi qui lit l'histoire de la personne sur les visages et le chirurgien esthétique chargé de lui refaire le portrait. S'y ajoute Irène, autre genre de portraitiste (Lauren BACALL qui abrite le fugitif pendant sa métamorphose et la parachève en lui donnant un nouveau nom. Vincent Parry doit donc accepter (et le spectateur aussi) pendant la moitié du film d'être un fantôme privé de visage puis de voix. Le film est connu pour être un des premiers à avoir utilisé le procédé de la caméra subjective qui fait que le spectateur est mis à la place du héros dont il ne voit que les mains. Lorsque sa tête est recouverte de bandages et qu'il ne peut plus parler, on est carrément dans un mix de "L Homme invisible" (1933) et du "Le Fantôme de l opéra" (1925) en version muette. Le fait que la reconstruction du personnage ne puisse se faire que dans la clandestinité puis dans l'exil est un thème récurrent des films de Delmer DAVES qui dépeint souvent des hommes marginaux et vulnérables.

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Alphaville (une étrange aventure de Lemmy Caution)

Publié le par Rosalie210

Jean-Luc Godard (1964)

Alphaville (une étrange aventure de Lemmy Caution)
Alphaville (une étrange aventure de Lemmy Caution)

Quand le film noir rencontre George Orwell au temps du béton armé cela donne ce chef-d'oeuvre d'anticipation qu'est "Alphaville". On aime ou on aime pas Jean-Luc Godard mais on ne peut pas se prétendre sérieusement cinéphile et dénier la valeur de ce film, tant par son caractère visionnaire que par l'influence qu'il a eu sur les films de science-fiction ultérieurs. "Brazil", "Matrix" et même l'ancienne attraction Cinémagique de Disneyland Paris montrent à un moment ou un autre un long couloir étroit jalonné de portes que l'on ouvre sur des salles d'interrogatoire ou bien sur des monstres c'est du pareil au même. Et Jean-Luc Godard et Stanley Kubrick convergent également dans leur dénonciation de la science sans conscience incarnée par Wernher von Braun (docteur Folamour chez Kubrick sans parler de Hal 9000 de "2001 l'Odyssée de l'espace" et le maître de l'ordinateur Alpha 60 qui contrôle la ville, le professeur von Braun chez Godard). Quant à l'aspect visionnaire, il suffit de rapprocher ce film de certains de ses contemporains comme celui de Maurice Pialat "L'amour existe" ou celui de Jacques Tati "Playtime" pour comprendre qu'ils parlent au fond de la même chose: la deshumanisation de la société en marche. Alors que le discours dominant n'avait alors que le mot "progrès" à la bouche et que la déconstruction du mythe des "Trente Glorieuses" commence à peine, Jean-Luc Godard a choisi les lieux les plus "futuristes" qui pouvaient exister dans et autour de Paris dans la première moitié des années soixante afin de les filmer de la façon la plus inquiétante possible (de nuit avec un noir et blanc peu contrasté) pour suggérer l'existence d'une société totalitaire dans laquelle les émotions, la mémoire, la beauté, la curiosité et l'intimité sont bannis afin de transformer les hommes en pantins dociles, ceux qui résistent étant exécutés lors de sinistres cérémonies publiques. Face à ce cauchemar scientiste et techniciste construit dans un contexte de guerre froide (le héros vient des "univers extérieurs" dont on peut penser qu'ils sont encore libres puisqu'il fait l'objet d'une surveillance constante et étroite), Godard oppose la résistance constante de son privé joué par Eddie Constantine qui avait déjà interprété le rôle de Lemmy Caution dans d'autres films français (mais de série B). Sous les frusques du détective, il incarne un poète dans la lignée de l'Orphée de Jean Cocteau venu chercher sa Natacha-Eurydice (Anna Karina dont le visage de poupée fascine plus que jamais) au fin fond des Enfers afin de la ramener dans le monde des vivants ("ceux qui pleurent"). Truffé de références littéraires et philosophiques, "Alphaville" est un film de résistance plus que jamais d'actualité à l'heure où face aux multiples crises qui nous affectent on nous oppose encore et toujours le même modèle de société fondé sur la soumission aux forces du marché secondées par un Etat autoritaire complice.

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Seules les Bêtes

Publié le par Rosalie210

Dominik Moll (2019)

Seules les Bêtes

Thriller bien foutu en forme de puzzle dont on reconstitue peu à peu les divers morceaux sans baisse de rythme jusqu'à la fin. Mais outre que le procédé n'a rien de novateur, l'intrigue est invraisemblable à force de coïncidences forcées à gros traits et surtout il s'agit d'un film se complaisant dans une atmosphère malsaine et mortifère. Tous les personnages ont pour point commun d'être de grands solitaires masochistes à force de tordre le cou vers un fac-similé d'amour qui s'appelle le miroir aux alouettes. Mais comme (je cite le film) "l'amour, c'est donner ce qu'on a pas", il est remplacé par l'argent et se transforme en exploitation économique ou en transaction financière. Une vision très sombre des rapports humains, nourrie par les inégalités sociales et géographiques. C'est par exemple une grande bourgeoise d'âge mûr (Valeria BRUNI-TEDESCHI) qui s'offre une jeune serveuse (Nadia TERESZKIEWICZ) le temps d'une escapade mais lorsque celle-ci a le malheur de s'attacher, elle l'arrose de billets pour s'en débarrasser. C'est cette assistante sociale (Laure CALAMY) victime du syndrome de l'infirmière qui croit réchauffer par ses étreintes le paysan rustre qu'elle aide (Damien BONNARD) alors que celui-ci ne rêve que d'étreindre le cadavre bien froid d'un substitut de sa mère. C'est le mari de l'assistante sociale (Denis MÉNOCHET) qui sous couvert de comptabilité tchate avec une superbe "Amandine", laquelle s'appelle en réalité Armand, vit à Abidjan et utilise un faux profil (celui de la jeune serveuse) pour lui soutirer de l'argent. Armand espère ainsi reconquérir la mère de sa fille, laquelle a fait le choix de la sécurité financière en se maquant avec un blanc, lequel s'avère lié aux autres personnages et la ramène bien sûr au point de départ c'est à dire dans le Causse Méjean. La boucle est parfaitement bouclée avec au passage plusieurs coeurs brisés, un suicide et un meurtre. Bref un film maîtrisé mais plombant avec sa mauvaise conscience de riche blanc qui croit devoir expier ses privilèges en s'accablant de tous les maux de la terre.

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Bad Lieutenant

Publié le par Rosalie210

Abel Ferrara (1992)

Bad Lieutenant

A sa sortie, je n'ai pas été voir le film mais j'ai été intriguée par son affiche, cet homme nu aux yeux fermés et l'expression de douleur reflétée par son visage. Pas de couronne d'épines, pas de stigmates sanglants, pas même de bras en croix (bien que dans le film, ce soit le cas) et pourtant, l'image du Christ s'est imposée quelque part en moi. Un Christ qui sent quand même le souffre (pour ne pas dire d'autres substances, quand il ne se les fait pas directement injecter dans les veines, scène si étirée qu'elle en devient insoutenable). De fait si "Bad Lieutenant" n'est pas un film à mettre entre toutes les mains, c'est une oeuvre puissante qui se situe quelque part entre Martin SCORSESE et Pier Paolo PASOLINI, profondément catholique tout en étant pas très orthodoxe voire iconoclaste. Cependant c'est bien l'histoire d'une rédemption que raconte Abel FERRARA (dont le prénom semble lui-même prédestiné) à travers son flic corrompu jusqu'à la moëlle qui dès que ses enfants ont le dos tourné plonge sous la pellicule d'American of life dans les bas-fonds new-yorkais pour se vautrer dans le vice en abusant du pouvoir que son statut lui confère pour extorquer drogues, fric, services sexuels à ceux qu'il est chargé d'arrêter. Jusqu'à ce qu'il franchisse les portes d'une église de Spanish Harlem dans le cadre d'une enquête particulièrement sordide sur le viol d'une religieuse. Celle-ci lui impose sa morale du pardon (qu'on peut d'ailleurs trouver tout à fait discutable et les arguments du lieutenant dont on ne saura jamais le nom ne manquent pas non plus de bon sens) qui le fait entrer dans une âpre cure de "désintoxication" au bout de laquelle il expie ses fautes dans le sang et la douleur. Harvey KEITEL qui est un acteur à la forte présence est totalement habité par le rôle comme je le disais en commentant l'affiche et sa prestation est impressionnante. On peut aussi souligner le rôle joué par Zoë LUND qui interprète une dealeuse qui injecte les doses au lieutenant comme s'il s'agissait d'un rituel sacré (son prénom est d'ailleurs Magdalena ce qui me renforce dans l'idée que si le lieutenant n'a pas de nom c'est pour éviter de sombrer dans un symbolisme trop lourdingue tant il est évident qu'il est une réincarnation de Jésus). Zoë LUND qui a co-signé par ailleurs le scénario est pour beaucoup dans l'atmosphère de véracité éprouvante qui se dégage du film. Elle a d'ailleurs succombé à une crise cardiaque due à sa toxicomanie en 1999.

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Le Nom de la Rose

Publié le par Rosalie210

Jean-Jacques Annaud (1986)

Le Nom de la Rose

C'est étonnant ce qui peut rester d'un film lorsque plusieurs dizaines d'années ont passé. Ainsi, je n'avais plus en mémoire que deux scènes de ce grand film qu'est "Le Nom de la Rose", adapté du non moins remarquable polar médiéval de Umberto Eco. Pas celle de la grande bibliothèque, du scriptorium ou même de l'Inquisition, non. Mais d'une part celle dans laquelle le jeune novice Adso (Christian SLATER) est initié aux plaisirs de la chair par une jeune paysanne un peu sauvageonne (Valentina VARGAS), scène qui me faisait penser alors à un autre film de Jean-Jacques ANNAUD que j'avais vu à sa sortie au cinéma, "La Guerre du feu" (1982). Quant à l'autre scène dont je me souvenais avec beaucoup de précision, c'était celle au début du film dans laquelle Guillaume de Baskerville (Sean CONNERY) indique à Adso où se trouve le petit coin alors qu'il n'est jamais venu à l'Abbaye. C'est qu'en fait cette scène n'est pas triviale, ni anecdotique. Elle est au contraire essentielle. Déjà, elle nous permet de saisir le sens de l'observation de Baskerville. Alors qu'il n'a même pas encore sorti ses lunettes grossissantes, on comprend que c'est quelqu'un "qui a l'oeil" et qu'il ne s'appelle pas Baskerville pour rien. Ensuite, on mesure son degré élevé de sagesse dans le fait qu'il ne cherche pas à nier la nature humaine. Comme il le dit "si nous voulons commander à la nature, il faut d'abord s'y plier". Pourtant, les besoins naturels du corps ne sont pas, même dans nos sociétés sécularisées, un sujet facile à aborder et dans le domaine de l'art grand public, c'est encore très tabou (combien de fois peut-on entendre "on dirait que ces gens ne vont jamais aux toilettes"). Alors dans une communauté de moines bénédictins du XIV° siècle, n'en parlons pas! Et pourtant, Guillaume de Baskerville a mis le doigt d'entrée sur le problème. A ce que le clergé est censé représenter la spiritualité, il n'y a pas plus organique que "Le Nom de la Rose". Le titre est trompeur: ça ne sent pas la rose. On a plutôt l'impression de patauger dans une fosse à purin quand il ne s'agit pas de disséquer de la chair putride, qui avant de l'être, était parcourue de désirs et de besoins tout aussi charnels. Mais plutôt que d'aller chercher en soi les raisons de ces mauvaises odeurs et de ces matières immondes, on va les rejeter sur "l'Autre" et l'"Autre" c'est le diable. Mais comme le diable est insaisissable, c'est la femme qui va trinquer. Tout le monde sait qu'elle a "le diable au corps", qu'elle fait "commerce avec le diable". Et puis justement, une femme est humide et a des écoulements, c'est donc l'impureté personnifiée. C'est sans doute pour cela que l'Inquisition qui intervient dans le film sous les traits de F. Murray ABRAHAM est obsédée par la purification par le feu des sorcières, hérétiques et aussi du moine-détective un peu trop clairvoyant ^^. Moine qui appartient par ailleurs à l'ordre franciscain dans lequel comme par hasard on apprécie le rire là où les austères bénédictins le maudissent, considérant qu'il tire l'homme vers l'animal. Mais pourtant, Baskerville rappelle l'évidence: le rire est le propre de l'homme. Alors que les moines bénédictins semblent directement échappé d'une baraque dédiée aux monstres de foire (on retrouve par exemple Ron PERLMAN dont la trogne à la Quasimodo est visible chez Jean-Pierre JEUNET ou bien Bérenger (Michael HABECK), un moine inverti à la face lunaire tout à fait comparable à la Boule de Ford Boyard). C'est donc autour d'un livre d'Aristote sur la comédie que se noue l'intrigue, Baskerville essayant de le transmettre là où Jorge (Feodor CHALIAPIN Jr.) le doyen de l'Abbaye qui est (comme c'est étonnant) aveugle essaye de le détruire ainsi que tous ceux qui osent l'approcher... avec une signature pourtant éminemment humaine.

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