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A bout de souffle

Publié le par Rosalie210

Jean-Luc Godard (1960)

A bout de souffle

En 1946, le public français découvre les films américains réalisés pendant la guerre (par exemple, Citizen Kane d’Orson Welles). Parmi eux, un groupe de critiques (plutôt de droite catho) se réunit régulièrement à la cinémathèque fondée en 1936 par Henri Langlois. Ces critiques (dont fait partie Godard) fondent en 1951 Les Cahiers du cinéma. Le n°31 de 1954 contient un article célèbre « Une certaine tendance du cinéma français » signé François Truffaut qui critique « le cinéma de papa » c’est-à-dire les films traditionnels de qualité des années 40 réalisés par Marcel Carné, Yves Allégret, Claude Autant-Lara avec un scénario très écrit, de bons mots, une réalisation en studio, des décors soignés, des têtes d’affiche (les français ont Gabin pendant que les USA ont James Dean) etc.

C'est autant par rejet de ces films à l'ancienne que par manque de moyens financiers que Godard va inventer une nouvelle façon de faire du cinéma. A bout de souffle est l'acte de naissance de la nouvelle vague qui va justement faire souffler un vent de liberté sur le cinéma français.

A bout de souffle repose sur un certain nombre de caractéristiques:

-Les images sont tournées sans le son puis celui-ci est post-synchronisé en studio. Cette discordance image-son explique en partie les jump-cuts (appelés à tort « faux-raccords ») c'est à dire l’image qui saute alors que le son lui ne saute pas. C’est lié autant à un désir artistique qu'à l’absence de moyens. La scène du meurtre du policier est exemplaire de ce point de vue : on ne voit pas le meurtre car Godard n’a pas les moyens de le filmer. De plus il préfère montrer les conséquences de l’action que l’action elle-même (dans le Mépris, il ne filme pas non plus l’accident mais seulement la voiture accidentée). Ce refus de la mimesis est révolutionnaire par rapport au cinéma traditionnel.

-Il ne peut s’offrir un vrai chef-opérateur mais grâce à son producteur, George de Beauregard, il rencontre un ancien photographe de guerre, Raoul Coutard qui va « inventer » l’image de la nouvelle vague et se débrouiller pour pallier l'absence de moyens. Exemple : comment faire un plan-séquence quand on a pas les moyens d’acheter des rails de travellings ? Avec un chariot. A bout de souffle fonctionne ainsi sur une alternance de jump-cuts hachés et de plans-séquences "bricolés". Il fonctionne aussi sur deux musiques, l’une au piano qui lui donne sa couleur policière et l’autre plus élégiaque avec des cordes pour son caractère de film d’amour. Godard aime bien filmer les oppositions binaires (homme-femme, amour-mort etc.)

-Autre innovation : le personnage qui parle tout seul (Poiccard dans la voiture) et dont les mots sont rythmés par les jump-cuts « Pat, Pat, Pat, Patricia » (avec 4 jump-cuts de la N7) ce qui créé un style rapide, rythmé, jazzy et donc moderne. Le regard-caméra en soi n’est pas une nouveauté (il existait déjà au temps du muet) mais c’est l’ensemble qui donne un ton de manifeste dès le début du film.

-Contrairement à ce qui a été dit, Godard n’improvise pas même s'il n'a pas de scénario. Il a une histoire, écrit la nuit et distribue les dialogues tous les matins aux comédiens. Il est incapable d’anticiper et de modéliser le film qu’il va faire.

-Les « private joke » et digressions sont lègion: une fille qui vend les Cahiers du cinéma et demande à Poiccard s’il aime les jeunes, Godard lui-même en indic, des citations diverses (musiques, tableaux, poèmes…) « On peut mettre de tout dans un film. » A bout de souffle a un aspect film-collage, film fourre-tout.


D’autre part, Godard a voulu réaliser un film noir en hommage aux films américains découverts par sa bande dans l’après-guerre. A bout de souffle contient une scène du genre avec l’interrogatoire, la filature, les retrouvailles. Il contient aussi un hommage à Bogart, référence majeure de Poiccard car symbole du « privé » dès son premier film noir important, Le faucon maltais (1941). Le privé est libre, sans emploi du temps et Poiccard se prend un peu pour lui. Enfin les thèmes récurrents du genre sont présents dans le film : crime et châtiment (Le panneau lumineux « L’étau se resserre » est une allusion à Scarface de Hawks) et la trahison féminine (une obsession de Godard qui partage avec ses camarades une vision limitée et datée de la femme). L’hommage aux USA passe aussi évidemment par la visite d’Eisenhower à Paris captée en direct et par le casting avec Jean SEBERG, la dernière star avec Nathalie Wood ayant eu le temps d’émerger au temps des studios avant leur chute. Seberg était l'actrice fétiche d’Otto Preminger, un cinéaste chez qui Godard a puisé son inspiration au même titre que Fritz Lang, Joseph Losey ou Raoul Walsh. Des cinéastes mis en valeur par le groupe du cinéma Mac-Mahon, un satellite des Cahiers du cinéma. Le Mac-Mahon apparaît évidemment dans A bout de souffle. Au contraire de Resnais ou Antonioni, Godard ne voulait pas faire des films cérébraux, intellectuels (en dépit de l’image qui lui colle à la peau).

A bout de souffle épouse le mouvement de la vie ce qui en fait encore aujourd'hui un film de facture très moderne en dépit de certains aspects datés dans son contenu. Beaucoup de connexions entre le cinéma et la vie n’avaient pas été explorées à cette époque et Godard s'est engouffré dans la brèche. Les imperfections du film l'ont servi en tant que manifeste d'une liberté nouvelle au cinéma (liberté de ton, de regard, de posture, d'image, de cadre, de manière de filmer...)

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La vie privée de Sherlock Holmes (The Private Life of Sherlock Holmes)

Publié le par Rosalie210

Billy Wilder (1970)

La vie privée de Sherlock Holmes (The Private Life of Sherlock Holmes)

Film réalisé après plusieurs échecs successifs et amputé d'une bonne partie de son intrigue initiale (à l'origine il devait durer 4h), La vie privée de Sherlock Holmes respire la brume, le blues, l'amertume. Non que le film soit dépourvu d'humour. On retrouve les dialogues ciselés habituels chez Wilder et des quiproquos hilarants, comme celui superbement chorégraphié où lors d'une fête dans les coulisses de l'opéra des danseurs se substituent aux danseuses autour de Watson au fur et à mesure que la rumeur de son homosexualité se répand. Mais l'arrière-plan est crépusculaire. Cinéaste des faux-semblants, Wilder a voulu sonder le célèbre personnage de fiction à la perfection inhumaine et en révéler les failles. D'où la métaphore limpide du monstre du Loch Ness qui oblige à plonger sous la surface des eaux pour en explorer les profondeurs. Son Sherlock Holmes est mélancolique, drogué et impuissant. Sa relation ambiguë avec Watson est un paravent qui lui permet de fuir le contact avec l'autre sexe. Lorsque Ilse s'offre à lui nue mais sous une fausse identité (celle de Gabrielle Valladon), il se laisse abuser psychologiquement tout en restant physiquement paralysé. Une situation réitérée tout au long du film tel un leitmotiv douloureux. En témoigne la scène où ils se surnomment par leurs noms d'emprunt, ceux d'un couple marié, alors qu'ils dorment dans deux lits-couchettes de train, jumeaux mais séparés. Celle-ci fait écho en négatif au rapprochement transgressif des corps au sein de ces mêmes trains-couchettes propices à la promiscuité dans "Certains l'aiment chaud" et "Uniformes et jupons courts". On pense également à la scène où il trouve Ilse nue dans son lit et la recouvre. Rarement la sexualité réprimée n'aura été aussi finement évoquée. Cela ne rend que plus poignantes les déclarations d'amour muettes ou codées que s'envoient l'espionne et le détective car la distance qui les sépare est infranchissable.

Derrière Sherlock Holmes, c'est aussi en arrière-plan un autoportrait de Robert Stephens, grand acteur shakespearien écrasé durant toute sa carrière par la figure de Laurence Olivier et souffrant de troubles bipolaires, d'alcoolisme et d'addiction sexuelle. Les exigences de Billy Wilder l'ont tellement fragilisé qu'il a fait une tentative de suicide pendant le tournage, fragilité qui ressort dans le film.

Rajoutons que la reconstitution de l'époque victorienne est somptueuse grâce notamment au travail d'Alexandre Trauner sur les décors, absolument fabuleux.

Echec à sa sortie, "La vie privée de Sherlock Holmes" est devenu culte avec le temps et a inspiré à son tour d’autres oeuvres à commencer par la série "Sherlock"  dont les auteurs ont d’ailleurs dit que le film de Wilder était plus proche de l’esprit des histoires originales que les adaptations "canoniques". En se situant de nos jours, l’aspect sociopathe et déréglé du personnage ressort de façon encore plus évidente.

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Allô...Brigade spéciale (Experiment in Terror)

Publié le par Rosalie210

Blake Edwards (1962)

Allô...Brigade spéciale (Experiment in Terror)

Ayant peur d'être enfermé dans la comédie et désireux de prouver l'étendue de ses capacités, Blake Edwards décide au début des années 60 de changer de registre et de réaliser un film noir. De fait "Experiment in terror" (titre en VO) porte bien son nom. Il s'agit effectivement d'une expérimentation qui donne un résultat contrasté.

Le point fort du film ce sont les séquences virtuoses sur le plan technique comme la séquence inaugurale de l'agression dans le garage tournée quasiment en un seul plan où Edwards réussit à créer et à maintenir une tension remarquable alors que la scène est très longue. On retrouve de tels morceaux de bravoure ailleurs dans le film avec par exemple à la fin une séquence de poursuite dans la foule assez anthologique. La mise en scène s'appuie d'autre part sur une photographie N/B magnifique due au chef opérateur Philipp Lathrop et sur une musique tout aussi somptueuse d'Henri Mancini. Ce climat d'angoisse très réussi a vraisemblablement inspiré plus tard David Lynch: le quartier où vit la jeune femme se nomme Twin Peaks.

Mais la forme n'est pas tout et par bien des aspects, le film d'Edwards se limite à un brillant exercice de style. L'intrigue par exemple comporte des moments faibles plus ou moins bien camouflés par les mouvements virtuoses de la caméra (la séquence des mannequins). D'autre part l'un des scénaristes a tellement voulu magnifier le FBI où il avait travaillé quelques années plus tôt que le prétendu réalisme documentaire avec lequel est traité cette institution prête à sourire. Kelly la jeune femme agressée compose leur numéro et ô prodige, ne tombe pas sur un quelconque standard mais sur une huile qui de plus est ô miracle immédiatement disponible et se rend chez elle en moins d'une demi-heure. Un simple coup de fil et le FBI est à votre porte. Si c'est pas beau ça!

Mais la plus grande béance du film est l'absence totale d'épaisseur des personnages, aussi transparents les uns que les autres. Le refus de la psychologie est volontaire et a pour but d'épurer l'intrigue. Mais si cela fonctionne ponctuellement, cela affaiblit l'ensemble du film. Le tueur par exemple est un prédateur sexuel qui s'en prend à des jeunes femmes et les séquences où il est face à Kelly puis face à Toby sont réellement terrifiantes. Même si le code Hays était déjà affaibli à cette époque, Edwards ne pouvait pas tout montrer mais ce qu'il suggère (une main qui se promène sur un corps, l'obligation de se déshabiller devant lui) suffit à faire frémir. Mais hélas il ne peut maintenir durant tout le film ce climat de tension extrême puisque l'on ne peut s'attacher à ces femmes ni à qui que ce soit. Et on ne comprend pas davantage ce tueur qui d'un côté massacre des femmes et de l'autre joue les protecteurs avec celle qui a un enfant hospitalisé. C'est sur le point précis de la psychologie/psychanalyse que l'on mesure toute la distance qui sépare un Blake Edwards d'un Hitchcock. Experiment in terror a des points communs avec Psychose et Lee Remick fait terriblement penser à Tippi Hedren dans la scène de "viol" des Oiseaux. Mais Psychose et les Oiseaux sont au Panthéon du cinéma mondial et pas Expériment in terror et c'est pleinement justifié.

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Les yeux sans visage

Publié le par Rosalie210

Georges Franju (1960)

Les yeux sans visage

Film culte, Les Yeux sans visage est un ovni du cinéma français qui s'est peu aventuré dans les domaines du fantastique et de l'horreur. La clé du cinéma de Franju est l’insolite, l’étrangeté où le quotidien, le familier devient inquiétant. C'est pourquoi Les Yeux sans visage qui se présente comme une enquête policière réaliste finit par basculer dans une autre dimension, onirique voire cauchemardesque. Franju est en effet proche de Cocteau et de Luis Bunuel. C'est pourquoi son fantastique se teinte d'une dimension poétique et surréaliste qui se mélange avec une forte influence de l'expressionnisme allemand.
Le masque est récurrent dans son œuvre des Yeux sans visage à Judex (1963) en passant par le documentaire Hôtel des Invalides (1951). Avec cette question : qu’y a-t-il derrière ? Franju est passionné par les films de Louis Feuillade, le créateur de Fantômas. Le masque agit comme une seconde peau.
Autre thème de prédilection : l’obsession pour les animaux. Les colombes présentes dans Les Yeux sans visage se retrouvent également dans Judex et La tête contre les murs (1958). Même chose pour les chiens.
Le contraste entre la pureté et la violence est ainsi un thème récurrent de son oeuvre. La grâce est incarnée par son égérie Edith Scob. Elle irradie d'une sorte d'innocence au milieu de gens inquiétants voire fous. Les expériences scientifiques du professeur Génessier mi- docteur Frankenstein mi-tueur en série dans Les Yeux sans visage évoquent celles du docteur Mengele à Auschwitz. Edith Scob est par ailleurs un personnage éthéré qui glisse progressivement de la raison à la folie.
L'héritage des Yeux sans visage est particulièrement riche. On peut citer notamment Bruiser de George A. Romero en 2000, La piel que habito de Pedro Almodovar en 2011 (qui connaît par coeur le film de Franju et l'a cité comme référence majeure) et Holy Motors de Léos Carax en 2012 où Edith Scob qui joue le rôle du chauffeur de la limousine remet le masque qu'elle portait plus de cinquante ans auparavant.

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Bonnie et Clyde (Bonnie and Clyde)

Publié le par Rosalie210

Arthur Penn (1967)

Bonnie et Clyde (Bonnie and Clyde)

Film culte qui a ouvert une brèche et initié l’école du “Nouvel Hollywood” avec Le Lauréat et Easy Rider, Bonnie and Clyde repose sur un certain nombre de principes:

- Le rejet de l’autorité et du système sur fond de nihilisme. Si l'action prend place dans l’Amérique en crise des années 30, la rébellion des héros fait écho à celle de nombreux jeunes de l’Amérique en 1967 qui rejettent la société de consommation et la guerre du Vietnam. Le courant du nouvel Hollywood se veut réaliste, tournant sur les lieux même où Bonnie et Clyde ont commis leurs méfaits. Le début du film est plutôt comique puis quand la mort entre dans leur vie, il évolue vers la tragédie. Juste avant de mourir, Bonnie et Clyde échangent un regard amoureux ce qui souligne le lien entre Eros et Thanatos. Le poème de Bonnie adapté par la suite par Serge GAINSBOURG évoque un parcours qui mène à la mort.

-Une intrigue qui suit les déambulations des personnages et préfigure le road-movie. La voiture, omniprésente est un nid et un symbole de progrès social.

- Une vision amorale car les personnages principaux sont des anti-héros. Bonnie et Clyde, braqueurs et assassins, sont montrés comme des justiciers, des robins des bois qui vengent les personnages des Raisins de la colère de John Ford (1940). Un retournement moral que l’on retrouve à la fin du film. Les forces de l’ordre se cachent alors que les héros en pleine lumière s’arrêtent pour aider un homme en panne qui est en fait le traître.

D'autre part la séquence d’ouverture de Bonnie and Clyde fait penser au film Le Mépris de Godard (Une femme blonde nue sur un lit qui attend) ce qui souligne l'influence de la Nouvelle Vague. Bonnie est en manque de sexe (d'où le gros plan sur la bouche et les yeux) et tombe amoureuse du risque que représente Clyde. Un fort érotisme se dégage de sa marche lancinante et également des symboles phalliques (Le Coca et le révolver qu’elle caresse). Or Clyde s'avère être impuissant, une métaphore de la crise qui touche le pays. La violence et l'impuissance sont liés. On peut d'ailleurs dresser également un parallèle avec Terrence Malik et La Balade sauvage : la séquence d’ouverture montre une fille sur un lit qui attend, une marche puis le film se poursuit en road movie avec des meurtres. Comme Bonnie and Clyde, La Balade sauvage montre l’Amérique des petites gens. Le héros resssemble à James Dean et la sexualité, problématique, est compensée par la violence. Enfin comme le héros de La Balade sauvage qui parvient à se faire reconnaître comme un nouveau James Dean, un rebelle « without a cause » Bonnie et Clyde veulent être reconnus, devenir célèbres et faire la une des journaux.

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Assurance sur la mort (Double Indemnity)

Publié le par Rosalie210

Billy Wilder (1944)

Assurance sur la mort (Double Indemnity)

Assurance sur la mort a contribué à renouveler le genre du film noir et à le hisser au sommet. Un style proche de l'expressionnisme où les contrastes ombres/lumières rendent l'atmosphère étouffante, carcérale (les rais des stores font penser à des barreaux de prison) avec parfois des flambées de désir ou de sentiments. Une mise en scène magistrale, ménageant un suspense haletant (la voiture qui refuse de démarrer, le témoin gênant au moment crucial, la femme cachée derrière la porte qui peut se révéler à tout instant). L'interprétation est remarquable avec des acteurs qui paient de leur personne et ont (certes, difficilement) accepté de casser leur image pour sonder les tréfonds vaseux de l'âme humaine. Car c'est de cela dont il s'agit dans cette tragédie marquée par la cupidité (l'arnaque aux assurances et un crime pensé pour toucher la "double indemnité", titre en VO du film), le sexe (Phyllis est une femme fatale vulgaire et animale qui envoûte les sens de Walter), l'orgueil (Walter pense se montrer plus malin que sa compagnie et veut en quelque sorte "tuer le père" incarné par son supérieur, le fin limier guidé par son petit homme intéreur Barton Keyes). Wilder dépeint souvent des milieux ou situations pourris jusqu'à la moëlle d'où émerge une petite lumière, la "rose qui pousse sur du fumier" pour reprendre l'expression de Jack Lemmon à propos de La Garçonnière. Dans la noirceur générale d'Assurance sur la mort, c'est la droiture et la bonté de Barton Keyes qui l'incarnent. La magnifique scène finale si wildérienne (heureusement que la scène prévue initialement a été changée!) abonde dans ce sens. Walter Neff qui a voulu duper Barton Keyes et y est parvenu en manipulant ses sentiments est finalement vaincu par une supériorité morale qu'il prenait pour de la faiblesse. L'inversion du rapport de forces est symbolisée par l'allumette que Keyes allume pour Neff alors que jusque là c'était Neff qui l'allumait pour lui. Cette supériorité morale, c'est la tendresse et l'amitié qu'il continue à lui manifester alors qu'il sait tout et que Neff mourant se débat encore dans son désir puéril de l'emporter à tout prix. L'amour est décidément inconditionnel. Wilder, cynique? Pfffff!

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Scarface

Publié le par Rosalie210

Howard Hawks (1932)

Scarface

Un film noir, très noir, au sens propre et au sens figuré. Le film de Hawks a contribué à fixer les codes du genre tout en s'inscrivant dans un contexte précis, celui de la société américaine au temps de la Prohibition.

Scarface raconte l'ascension et la chute d'un gangster, Tony Camonte surnommé Scarface à cause de la balafre en forme de croix qui marque sa joue gauche. Un motif récurrent dans le film et qui désignait autrefois l'emplacement d'un cadavre. Pour se hisser au sommet de la pègre, Camonte qui n'a aucun scrupule prend le plus court chemin, celui du crime. Il assassine ses patrons successifs qui croyant se servir de lui sont vite débordés par son comportement incontrôlable, ses rivaux ainsi que tous ceux qui lui résistent. Ses meurtres sont mis en scène dans des plans-séquences magistraux tout en clair-obscur comme celui de Gros Louis, son premier patron (On pense fortement à M Le Maudit d'autant que Tony sifflote juste avant de tuer). La montée de la violence est illustrée par les pages d'un calendrier qui défilent sur fond de rafale de mitraillette alors que les cadavres s'accumulent comme le montre la scène des 7 hommes du gang O' Hara abattus dans un garage au sommet duquel on voit des bardeaux en forme de croix (xxxxxxxx). Les autorités sont incapables de protéger la société et de contrer les gangsters particulièrement retors lorsqu'il s'agit de manipuler l'habeas corpus garanti par l'Etat de droit. Quant à la société, elle est fascinée par ces modèles tapageurs de réussite rapportés dans les journaux. Le gangster est le self-made man du capitalisme sauvage. Tony s'achète des costumes coûteux, va au théâtre, séduit la maîtresse de son patron aux goûts de luxe etc.
Scarface ne peut donc être arrêté que par lui-même. Sa chute est un modèle d'auto-destruction. La femme fatale du film est sa sœur Cesta au caractère tout aussi indomptable que lui et pour laquelle il éprouve une jalousie incestueuse proche de la folie qui conduira à sa perte. Hawks s'est inspiré des Borgia pour dresser le portrait de cette relation perverse sur fond de pouvoir. Entre eux il y a le second couteau de Tony, Rinaldo dont le tic consistant à lancer en l'air une pièce de monnaie à été repris dans de nombreux films comme Certains l'aiment chaud où son interprète George Raft dit au bandit qui lance la pièce "Pourquoi tu m'imites?" (!) Enfin le secrétaire de Tony surnommé l'abruti offre un contrepoint comique bienvenu à toute cette noirceur même s'il y a aussi quelque chose de pathétique dans ce personnage.

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Furie (Fury)

Publié le par Rosalie210

Fritz Lang (1936)

Furie (Fury)

Furie est le premier film américain de Fritz Lang réalisé en 1936. Il est à la société américaine ce que M Le Maudit est à la société allemande: la radiographie d'une dérive de la démocratie sous l'effet du populisme attisé par la crise économique et la faiblesse des États. Aux USA où le droit de porter des armes est inscrit dans la constitution, où l'individualisme est roi et où la méfiance vis à vis des interventions de l'Etat est de mise, on compte 6000 lynchages dans la première moitié du XXe siècle sans parler des chasses à l'homme et autres débordements de la justice privée (les films qui en parlent sont nombreux du Silence et des ombres à Truman show en passant par À Vif, Le droit de tuer, Justice sauvage etc.)

Lang utilise avec talent deux styles de mise en scène. Celle du classicisme américain pour filmer ce qui est rationnel et notamment le procès des lyncheurs (moment incontournable de tout film US sur la justice). Et celle de l'expressionnisme allemand avec ses éclairages contrastés pour illustrer la sauvagerie tapie en chaque homme. Plusieurs gros plans montrent les visages grimaçants des lyncheurs qui filmés à leur insu sont bien obligés de regarder cette réalité en face lorsque le film est projeté durant le procès (formidable mise en abyme du rôle ambigu du cinéma.) Mais leur victime n'est pas épargnée. Joe Wilson (Spencer Tracy) n'échappe à la mort que pour mieux se venger tout à fait à la façon de Monte-Cristo auquel on pense. Les deux hommes sont dépeints comme de naïfs et innocents jeunes hommes arrêtés juste au moment où ils allaient se marier, pris au piège d'une erreur judiciaire qui les brise de l'intérieur et où ils manquent y laisser la peau. Ils changent alors de personnalité, laissant le monstre s'emparer d'eux. La mort de la petite chienne de Joe qui venait de mettre bas dans l'incendie de la prison symbolise ce basculement. Le visage de Spencer Tracy déformé par un rictus, sa voix devenue rauque, son chapeau couvrant à demi son visage et les éclairages en clair-obscur le rendent terrifiant. Seule la femme aimée peut le ramener à la raison. "Ne m'abandonne pas" s'écrie d'ailleurs Joe au terme d'une nuit d'errance et de lutte intérieure solitaire semblable à celle de M. Enfin le film dissèque de façon impitoyable les phénomènes de violence collective où la responsabilité de chacun se dissout dans le groupe, où les rumeurs déformées et colportées de bouche à oreille font des ravages et où l'omerta est systématique. Chacun étant impliqué dans le crime, chacun couvre les autres par solidarité. Un phénomène bien connu des nazis qui l'utilisèrent de façon systématique pour souder leurs groupes de combattants, SS notamment.

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Le testament du docteur Mabuse (Das Testament des Dr. Mabuse)

Publié le par Rosalie210

Fritz Lang (1933)

Le testament du docteur Mabuse (Das Testament des Dr. Mabuse)

Le testament du Docteur Mabuse se situe à de nombreux carrefours. Il est le deuxième d'une trilogie consacrée au "génie du mal" après Docteur Mabuse le joueur (film muet situé pendant la crise d'après-guerre marquée par une forte inflation) et avant Le diabolique Docteur Mabuse, le dernier film de Lang réalisé en 1960. Il forme un dyptique avec M. Le Maudit réalisé l'année précédente car il reprend le même contexte, la même esthétique et le personnage (et acteur) emblématique du commissaire Lohmann. Enfin il existe deux versions du film, une allemande (dont il est question ici) et une française réalisées simultanément.

De façon encore plus explicite que dans M. Le Maudit, Lang analyse la profonde crise économique et sociale de son pays qui pousse les chômeurs à adhérer par désespoir au crime organisé. Un crime organisé qui prend l'allure d'une entreprise totalitaire. Mabuse, un méchant issu de la littérature populaire (souvent comparé à Fantômas créé à la même époque) devient dans le film le grand manitou qui dirige son organisation criminelle à distance depuis l'asile où il est enfermé. Pour cela il prend possession de l'esprit du directeur de l'asile, le docteur Baum qui devient sa marionnette. Mabuse meurt au cours du film mais il a laissé un testament écrit à l'asile qui est en fait son plan de prise du pouvoir par ce qu'il appelle "L'Empire du crime" ainsi qu'un fidèle serviteur pour l'exécuter. Bien entendu, impossible de ne pas faire le rapprochement avec Hitler en prison écrivant son livre-programme Mein Kampf. Goebbels (le ministre de la propagande d'Hitler) a d'ailleurs fait interdire le film et la version allemande dont nous disposons aujourd'hui n'est pas tout à fait complète (Lang n'avait pu s'enfuir qu'avec une copie de la version française).

On est bluffé par la lecture du testament et la description des méthodes employées par Mabuse-Baum pour tenir son organisation tant elles font penser non seulement au totalitarisme orwellien mais également au terrorisme de Daech. Le recours aux attentats sur les lieux stratégiques pour désorganiser l'Etat et démoraliser la population est systématiquement préconisé "Le chaos doit devenir la loi suprême"; "Etat d'incertitude et d'anarchie"; "Les crimes n'ont pour but que que répandre la peur" pour détruire la société allemande et préparer l'avènement des criminels au pouvoir. D'autre part Mabuse-Baum comme Big Brother utilise le dernier cri en matière d'invention technologique pour donner une impression d'omnipotence. Son visage n'apparaît jamais à ceux qu'il dirige, seule sa voix enregistrée et donc déformée mécaniquement donne des ordres (dissimulée derrière une porte ou un rideau). La déshumanisation via la machine est totale. Enfin la désobéissance et la trahison sont punies de mort "Une fois dans l'organisation, on n'en sort pas vivant, il n'y a pas de retour." Ce qui semble sceller le sort de Tom Kent, ex-chômeur et ex-taulard devenu membre de l'organisation mais qui refuse d'embrasser ses méthodes. Il se voit offrir la possibilité d'une rédemption grâce à une employée, Lilli mais tous deux sont aussitôt condamnés à mort par Mabuse. La salle piégée, murée de tous côtés et qui se remplit d'eau est un sommet de suspens et de claustrophobie!

Le testament du docteur Mabuse, deuxième film parlant de Fritz Lang après M Le Maudit est lui aussi très marqué par l'esthétique expressionniste du muet. La première scène du film est d'ailleurs dénuée de paroles bien que sonorisée pour faire la transition avec le premier Mabuse qui était muet. Les plans les plus fantastiques liés à la folie de Mabuse sont d'ailleurs traités à la manière du Cabinet du docteur Caligari que Lang avait refusé de réaliser.

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M le Maudit (M – Eine Stadt sucht einen Mörder)

Publié le par Rosalie210

Fritz Lang (1931)

M le Maudit (M – Eine Stadt sucht einen Mörder)

M Le Maudit est à la fois l'instantané d'une société dont Lang prophétise le basculement imminent dans le nazisme et un film qui analyse l'être humain dans toute sa complexité. D'un côté les institutions légales sont mises à mal par leur incapacité à capturer le criminel. Elles finissent par se faire doubler par une société parallèle clandestine venue des bas-fonds, celle de la pègre tout aussi organisée et dont les méthodes musclées sont couronnées de succès. Comment ne pas voir dans ce parallélisme (souligné par le montage alterné) un reflet de la faiblesse de la République de Weimar minée par la crise et menacée par la montée des extrêmes? Le chef de la pègre Stränker a d'ailleurs l'allure d'un milicien SA ou SS. Les signes de la crise sont partout: les bureaux éventrés, les usines désaffectées, le poids de la pègre, les inégalités sociales qui se creusent (la mère de la petite Elsie victime du meurtrier ne peut pas aller la chercher à l'école) et enfin la montée de la violence populaire.

Parallèlement Lang analyse en effet le mal à l'échelle d'un individu et d'une foule. Il choisit un pédophile comme personnage principal, l'une des formes de criminalité qui déchaîne les plus bas instincts. Son but est de montrer le populisme dans ce qu'il a de plus abject: la chasse à l'homme, le lynchage, la délation. L'humanité du meurtrier est niée "Nous devons le traiter comme un chien enragé, écrasez-le!" "Tuez la bête" révélant que cette bête est tapie en chacun de nous et qu'au lieu de la reconnaître, on la rejette sur un autrui qui sert de bouc-émissaire. Belle analyse au passage de l'idéologie nazie (une purification ethnique au détriment d'un peuple jugé porteur de tous les maux). Le meurtrier s'avère être en effet également une victime de lui-même autant que de ceux qui le traquent, un malade schizophrène démuni face à des actes qu'il n'arrive pas à contrôler. Les signes abondent d'ailleurs en ce sens (la figure spiralaire hypnotique en image et en musique avec l'air de Grieg, la figure phallique avec la flèche qui monte et descend...) Comme le dit son avocat une société civilisée doit soigner un tel homme et non le livrer au bourreau. Car traiter le mal par la vengeance ne fait que le faire grandir.

Premier film parlant de Fritz Lang, M n'en est pas moins fortement marqué par l'esthétique expressionniste du muet. La première séquence du film est un modèle en la matière avec les images signifiant la mort de la petite fille (images de lieux vides et d'objets abandonnés) ou la célèbre scène de la colonne Morris avec l'ombre du tueur qui couvre puis révèle le mot "meurtrier". De même le jeu de Peter Lorre est très corporel et poussé à l'extrême.

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