Film culte, Les Yeux sans visage est un ovni du cinéma français qui s'est peu aventuré dans les domaines du fantastique et de l'horreur. La clé du cinéma de Franju est l’insolite, l’étrangeté où le quotidien, le familier devient inquiétant. C'est pourquoi Les Yeux sans visage qui se présente comme une enquête policière réaliste finit par basculer dans une autre dimension, onirique voire cauchemardesque. Franju est en effet proche de Cocteau et de Luis Bunuel. C'est pourquoi son fantastique se teinte d'une dimension poétique et surréaliste qui se mélange avec une forte influence de l'expressionnisme allemand. Le masque est récurrent dans son œuvre des Yeux sans visage à Judex (1963) en passant par le documentaire Hôtel des Invalides (1951). Avec cette question : qu’y a-t-il derrière ? Franju est passionné par les films de Louis Feuillade, le créateur de Fantômas. Le masque agit comme une seconde peau. Autre thème de prédilection : l’obsession pour les animaux. Les colombes présentes dans Les Yeux sans visage se retrouvent également dans Judex et La tête contre les murs (1958). Même chose pour les chiens. Le contraste entre la pureté et la violence est ainsi un thème récurrent de son oeuvre. La grâce est incarnée par son égérie Edith Scob. Elle irradie d'une sorte d'innocence au milieu de gens inquiétants voire fous. Les expériences scientifiques du professeur Génessier mi- docteur Frankenstein mi-tueur en série dans Les Yeux sans visage évoquent celles du docteur Mengele à Auschwitz. Edith Scob est par ailleurs un personnage éthéré qui glisse progressivement de la raison à la folie. L'héritage des Yeux sans visage est particulièrement riche. On peut citer notamment Bruiser de George A. Romero en 2000, La piel que habito de Pedro Almodovar en 2011 (qui connaît par coeur le film de Franju et l'a cité comme référence majeure) et Holy Motors de Léos Carax en 2012 où Edith Scob qui joue le rôle du chauffeur de la limousine remet le masque qu'elle portait plus de cinquante ans auparavant.
Film culte qui a ouvert une brèche et initié l’école du “Nouvel Hollywood” avec Le Lauréat et Easy Rider, Bonnie and Clyde repose sur un certain nombre de principes:
- Le rejet de l’autorité et du système sur fond de nihilisme. Si l'action prend place dans l’Amérique en crise des années 30, la rébellion des héros fait écho à celle de nombreux jeunes de l’Amérique en 1967 qui rejettent la société de consommation et la guerre du Vietnam. Le courant du nouvel Hollywood se veut réaliste, tournant sur les lieux même où Bonnie et Clyde ont commis leurs méfaits. Le début du film est plutôt comique puis quand la mort entre dans leur vie, il évolue vers la tragédie. Juste avant de mourir, Bonnie et Clyde échangent un regard amoureux ce qui souligne le lien entre Eros et Thanatos. Le poème de Bonnie adapté par la suite par Serge GAINSBOURG évoque un parcours qui mène à la mort.
-Une intrigue qui suit les déambulations des personnages et préfigure le road-movie. La voiture, omniprésente est un nid et un symbole de progrès social.
- Une vision amorale car les personnages principaux sont des anti-héros. Bonnie et Clyde, braqueurs et assassins, sont montrés comme des justiciers, des robins des bois qui vengent les personnages des Raisins de la colère de John Ford (1940). Un retournement moral que l’on retrouve à la fin du film. Les forces de l’ordre se cachent alors que les héros en pleine lumière s’arrêtent pour aider un homme en panne qui est en fait le traître.
D'autre part la séquence d’ouverture de Bonnie and Clyde fait penser au film Le Mépris de Godard (Une femme blonde nue sur un lit qui attend) ce qui souligne l'influence de la Nouvelle Vague. Bonnie est en manque de sexe (d'où le gros plan sur la bouche et les yeux) et tombe amoureuse du risque que représente Clyde. Un fort érotisme se dégage de sa marche lancinante et également des symboles phalliques (Le Coca et le révolver qu’elle caresse). Or Clyde s'avère être impuissant, une métaphore de la crise qui touche le pays. La violence et l'impuissance sont liés. On peut d'ailleurs dresser également un parallèle avec Terrence Malik et La Balade sauvage : la séquence d’ouverture montre une fille sur un lit qui attend, une marche puis le film se poursuit en road movie avec des meurtres. Comme Bonnie and Clyde, La Balade sauvage montre l’Amérique des petites gens. Le héros resssemble à James Dean et la sexualité, problématique, est compensée par la violence. Enfin comme le héros de La Balade sauvage qui parvient à se faire reconnaître comme un nouveau James Dean, un rebelle « without a cause » Bonnie et Clyde veulent être reconnus, devenir célèbres et faire la une des journaux.
Assurance sur la mort a contribué à renouveler le genre du film noir et à le hisser au sommet. Un style proche de l'expressionnisme où les contrastes ombres/lumières rendent l'atmosphère étouffante, carcérale (les rais des stores font penser à des barreaux de prison) avec parfois des flambées de désir ou de sentiments. Une mise en scène magistrale, ménageant un suspense haletant (la voiture qui refuse de démarrer, le témoin gênant au moment crucial, la femme cachée derrière la porte qui peut se révéler à tout instant). L'interprétation est remarquable avec des acteurs qui paient de leur personne et ont (certes, difficilement) accepté de casser leur image pour sonder les tréfonds vaseux de l'âme humaine. Car c'est de cela dont il s'agit dans cette tragédie marquée par la cupidité (l'arnaque aux assurances et un crime pensé pour toucher la "double indemnité", titre en VO du film), le sexe (Phyllis est une femme fatale vulgaire et animale qui envoûte les sens de Walter), l'orgueil (Walter pense se montrer plus malin que sa compagnie et veut en quelque sorte "tuer le père" incarné par son supérieur, le fin limier guidé par son petit homme intéreur Barton Keyes). Wilder dépeint souvent des milieux ou situations pourris jusqu'à la moëlle d'où émerge une petite lumière, la "rose qui pousse sur du fumier" pour reprendre l'expression de Jack Lemmon à propos de La Garçonnière. Dans la noirceur générale d'Assurance sur la mort, c'est la droiture et la bonté de Barton Keyes qui l'incarnent. La magnifique scène finale si wildérienne (heureusement que la scène prévue initialement a été changée!) abonde dans ce sens. Walter Neff qui a voulu duper Barton Keyes et y est parvenu en manipulant ses sentiments est finalement vaincu par une supériorité morale qu'il prenait pour de la faiblesse. L'inversion du rapport de forces est symbolisée par l'allumette que Keyes allume pour Neff alors que jusque là c'était Neff qui l'allumait pour lui. Cette supériorité morale, c'est la tendresse et l'amitié qu'il continue à lui manifester alors qu'il sait tout et que Neff mourant se débat encore dans son désir puéril de l'emporter à tout prix. L'amour est décidément inconditionnel. Wilder, cynique? Pfffff!
Un film noir, très noir, au sens propre et au sens figuré. Le film de Hawks a contribué à fixer les codes du genre tout en s'inscrivant dans un contexte précis, celui de la société américaine au temps de la Prohibition.
Scarface raconte l'ascension et la chute d'un gangster, Tony Camonte surnommé Scarface à cause de la balafre en forme de croix qui marque sa joue gauche. Un motif récurrent dans le film et qui désignait autrefois l'emplacement d'un cadavre. Pour se hisser au sommet de la pègre, Camonte qui n'a aucun scrupule prend le plus court chemin, celui du crime. Il assassine ses patrons successifs qui croyant se servir de lui sont vite débordés par son comportement incontrôlable, ses rivaux ainsi que tous ceux qui lui résistent. Ses meurtres sont mis en scène dans des plans-séquences magistraux tout en clair-obscur comme celui de Gros Louis, son premier patron (On pense fortement à M Le Maudit d'autant que Tony sifflote juste avant de tuer). La montée de la violence est illustrée par les pages d'un calendrier qui défilent sur fond de rafale de mitraillette alors que les cadavres s'accumulent comme le montre la scène des 7 hommes du gang O' Hara abattus dans un garage au sommet duquel on voit des bardeaux en forme de croix (xxxxxxxx). Les autorités sont incapables de protéger la société et de contrer les gangsters particulièrement retors lorsqu'il s'agit de manipuler l'habeas corpus garanti par l'Etat de droit. Quant à la société, elle est fascinée par ces modèles tapageurs de réussite rapportés dans les journaux. Le gangster est le self-made man du capitalisme sauvage. Tony s'achète des costumes coûteux, va au théâtre, séduit la maîtresse de son patron aux goûts de luxe etc. Scarface ne peut donc être arrêté que par lui-même. Sa chute est un modèle d'auto-destruction. La femme fatale du film est sa sœur Cesta au caractère tout aussi indomptable que lui et pour laquelle il éprouve une jalousie incestueuse proche de la folie qui conduira à sa perte. Hawks s'est inspiré des Borgia pour dresser le portrait de cette relation perverse sur fond de pouvoir. Entre eux il y a le second couteau de Tony, Rinaldo dont le tic consistant à lancer en l'air une pièce de monnaie à été repris dans de nombreux films comme Certains l'aiment chaud où son interprète George Raft dit au bandit qui lance la pièce "Pourquoi tu m'imites?" (!) Enfin le secrétaire de Tony surnommé l'abruti offre un contrepoint comique bienvenu à toute cette noirceur même s'il y a aussi quelque chose de pathétique dans ce personnage.
Furie est le premier film américain de Fritz Lang réalisé en 1936. Il est à la société américaine ce que M Le Maudit est à la société allemande: la radiographie d'une dérive de la démocratie sous l'effet du populisme attisé par la crise économique et la faiblesse des États. Aux USA où le droit de porter des armes est inscrit dans la constitution, où l'individualisme est roi et où la méfiance vis à vis des interventions de l'Etat est de mise, on compte 6000 lynchages dans la première moitié du XXe siècle sans parler des chasses à l'homme et autres débordements de la justice privée (les films qui en parlent sont nombreux du Silence et des ombres à Truman show en passant par À Vif, Le droit de tuer, Justice sauvage etc.)
Lang utilise avec talent deux styles de mise en scène. Celle du classicisme américain pour filmer ce qui est rationnel et notamment le procès des lyncheurs (moment incontournable de tout film US sur la justice). Et celle de l'expressionnisme allemand avec ses éclairages contrastés pour illustrer la sauvagerie tapie en chaque homme. Plusieurs gros plans montrent les visages grimaçants des lyncheurs qui filmés à leur insu sont bien obligés de regarder cette réalité en face lorsque le film est projeté durant le procès (formidable mise en abyme du rôle ambigu du cinéma.) Mais leur victime n'est pas épargnée. Joe Wilson (Spencer Tracy) n'échappe à la mort que pour mieux se venger tout à fait à la façon de Monte-Cristo auquel on pense. Les deux hommes sont dépeints comme de naïfs et innocents jeunes hommes arrêtés juste au moment où ils allaient se marier, pris au piège d'une erreur judiciaire qui les brise de l'intérieur et où ils manquent y laisser la peau. Ils changent alors de personnalité, laissant le monstre s'emparer d'eux. La mort de la petite chienne de Joe qui venait de mettre bas dans l'incendie de la prison symbolise ce basculement. Le visage de Spencer Tracy déformé par un rictus, sa voix devenue rauque, son chapeau couvrant à demi son visage et les éclairages en clair-obscur le rendent terrifiant. Seule la femme aimée peut le ramener à la raison. "Ne m'abandonne pas" s'écrie d'ailleurs Joe au terme d'une nuit d'errance et de lutte intérieure solitaire semblable à celle de M. Enfin le film dissèque de façon impitoyable les phénomènes de violence collective où la responsabilité de chacun se dissout dans le groupe, où les rumeurs déformées et colportées de bouche à oreille font des ravages et où l'omerta est systématique. Chacun étant impliqué dans le crime, chacun couvre les autres par solidarité. Un phénomène bien connu des nazis qui l'utilisèrent de façon systématique pour souder leurs groupes de combattants, SS notamment.
Le testament du Docteur Mabuse se situe à de nombreux carrefours. Il est le deuxième d'une trilogie consacrée au "génie du mal" après Docteur Mabuse le joueur (film muet situé pendant la crise d'après-guerre marquée par une forte inflation) et avant Le diabolique Docteur Mabuse, le dernier film de Lang réalisé en 1960. Il forme un dyptique avec M. Le Maudit réalisé l'année précédente car il reprend le même contexte, la même esthétique et le personnage (et acteur) emblématique du commissaire Lohmann. Enfin il existe deux versions du film, une allemande (dont il est question ici) et une française réalisées simultanément.
De façon encore plus explicite que dans M. Le Maudit, Lang analyse la profonde crise économique et sociale de son pays qui pousse les chômeurs à adhérer par désespoir au crime organisé. Un crime organisé qui prend l'allure d'une entreprise totalitaire. Mabuse, un méchant issu de la littérature populaire (souvent comparé à Fantômas créé à la même époque) devient dans le film le grand manitou qui dirige son organisation criminelle à distance depuis l'asile où il est enfermé. Pour cela il prend possession de l'esprit du directeur de l'asile, le docteur Baum qui devient sa marionnette. Mabuse meurt au cours du film mais il a laissé un testament écrit à l'asile qui est en fait son plan de prise du pouvoir par ce qu'il appelle "L'Empire du crime" ainsi qu'un fidèle serviteur pour l'exécuter. Bien entendu, impossible de ne pas faire le rapprochement avec Hitler en prison écrivant son livre-programme Mein Kampf. Goebbels (le ministre de la propagande d'Hitler) a d'ailleurs fait interdire le film et la version allemande dont nous disposons aujourd'hui n'est pas tout à fait complète (Lang n'avait pu s'enfuir qu'avec une copie de la version française).
On est bluffé par la lecture du testament et la description des méthodes employées par Mabuse-Baum pour tenir son organisation tant elles font penser non seulement au totalitarisme orwellien mais également au terrorisme de Daech. Le recours aux attentats sur les lieux stratégiques pour désorganiser l'Etat et démoraliser la population est systématiquement préconisé "Le chaos doit devenir la loi suprême"; "Etat d'incertitude et d'anarchie"; "Les crimes n'ont pour but que que répandre la peur" pour détruire la société allemande et préparer l'avènement des criminels au pouvoir. D'autre part Mabuse-Baum comme Big Brother utilise le dernier cri en matière d'invention technologique pour donner une impression d'omnipotence. Son visage n'apparaît jamais à ceux qu'il dirige, seule sa voix enregistrée et donc déformée mécaniquement donne des ordres (dissimulée derrière une porte ou un rideau). La déshumanisation via la machine est totale. Enfin la désobéissance et la trahison sont punies de mort "Une fois dans l'organisation, on n'en sort pas vivant, il n'y a pas de retour." Ce qui semble sceller le sort de Tom Kent, ex-chômeur et ex-taulard devenu membre de l'organisation mais qui refuse d'embrasser ses méthodes. Il se voit offrir la possibilité d'une rédemption grâce à une employée, Lilli mais tous deux sont aussitôt condamnés à mort par Mabuse. La salle piégée, murée de tous côtés et qui se remplit d'eau est un sommet de suspens et de claustrophobie!
Le testament du docteur Mabuse, deuxième film parlant de Fritz Lang après M Le Maudit est lui aussi très marqué par l'esthétique expressionniste du muet. La première scène du film est d'ailleurs dénuée de paroles bien que sonorisée pour faire la transition avec le premier Mabuse qui était muet. Les plans les plus fantastiques liés à la folie de Mabuse sont d'ailleurs traités à la manière du Cabinet du docteur Caligari que Lang avait refusé de réaliser.
M Le Maudit est à la fois l'instantané d'une société dont Lang prophétise le basculement imminent dans le nazisme et un film qui analyse l'être humain dans toute sa complexité. D'un côté les institutions légales sont mises à mal par leur incapacité à capturer le criminel. Elles finissent par se faire doubler par une société parallèle clandestine venue des bas-fonds, celle de la pègre tout aussi organisée et dont les méthodes musclées sont couronnées de succès. Comment ne pas voir dans ce parallélisme (souligné par le montage alterné) un reflet de la faiblesse de la République de Weimar minée par la crise et menacée par la montée des extrêmes? Le chef de la pègre Stränker a d'ailleurs l'allure d'un milicien SA ou SS. Les signes de la crise sont partout: les bureaux éventrés, les usines désaffectées, le poids de la pègre, les inégalités sociales qui se creusent (la mère de la petite Elsie victime du meurtrier ne peut pas aller la chercher à l'école) et enfin la montée de la violence populaire.
Parallèlement Lang analyse en effet le mal à l'échelle d'un individu et d'une foule. Il choisit un pédophile comme personnage principal, l'une des formes de criminalité qui déchaîne les plus bas instincts. Son but est de montrer le populisme dans ce qu'il a de plus abject: la chasse à l'homme, le lynchage, la délation. L'humanité du meurtrier est niée "Nous devons le traiter comme un chien enragé, écrasez-le!" "Tuez la bête" révélant que cette bête est tapie en chacun de nous et qu'au lieu de la reconnaître, on la rejette sur un autrui qui sert de bouc-émissaire. Belle analyse au passage de l'idéologie nazie (une purification ethnique au détriment d'un peuple jugé porteur de tous les maux). Le meurtrier s'avère être en effet également une victime de lui-même autant que de ceux qui le traquent, un malade schizophrène démuni face à des actes qu'il n'arrive pas à contrôler. Les signes abondent d'ailleurs en ce sens (la figure spiralaire hypnotique en image et en musique avec l'air de Grieg, la figure phallique avec la flèche qui monte et descend...) Comme le dit son avocat une société civilisée doit soigner un tel homme et non le livrer au bourreau. Car traiter le mal par la vengeance ne fait que le faire grandir.
Premier film parlant de Fritz Lang, M n'en est pas moins fortement marqué par l'esthétique expressionniste du muet. La première séquence du film est un modèle en la matière avec les images signifiant la mort de la petite fille (images de lieux vides et d'objets abandonnés) ou la célèbre scène de la colonne Morris avec l'ombre du tueur qui couvre puis révèle le mot "meurtrier". De même le jeu de Peter Lorre est très corporel et poussé à l'extrême.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.