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Articles avec #fantastique tag

Le Tableau

Publié le par Rosalie210

Jean-François Laguionie (2011)

Le Tableau

Ce film est un bijou de beauté et d'intelligence qui se situe dans la lignée de Paul Grimault, Jacques Prévert et Michel Ocelot. Il nous rappelle au passage que la France est le troisième pays du monde pour le cinéma d'animation après les USA et le Japon et que le trop méconnu Jean-François Laguionie est un maître en la matière. 

Comme son titre l'indique, le film est tout d'abord une réflexion sur la création au travers de l'art du cadre ou plutôt du cadre dans le cadre. L'écran de cinéma est redoublé par le cadre du tableau dans lequel se situe une partie de l'histoire. Mais ce tableau est animé et même si l'image de synthèse est en 2D, il y a des effets de relief et de profondeur de champ qui transforment la peinture en image de cinéma. Cette réflexion sur l'interaction entre les deux arts se prolonge lorsque les personnages échappés du tableau se rendent dans l'atelier du peintre qui n'est autre que le réalisateur du film, Jean-François Laguionie. Ils se retrouvent alors face à une scène de Genèse qui prend la forme de trois tableaux. Pas n'importe lesquels. Un autoportrait du peintre/réalisateur âgé, un grand nu féminin répondant au nom de Garance dans le style de Matisse et entre eux un Arlequin Picasso période bleue. Un homme, une femme, un enfant. Un peintre, sa muse et son œuvre. Mais avec l'envers du décor: les toiles semblent abandonnées, les personnages ne peuvent s'en échapper et les photos et dessins déchirés dans l'atelier suggère une rupture et/ou une panne d'inspiration. 

Mais "Le Tableau" a une autre signification tout aussi riche. A la fin du film, l'un des personnages, Lola l'exploratrice ^^, la pionnière qui a osé s'aventurer hors de son tableau puis passer de tableau en tableau et y entraîner les autres finit par rencontrer son créateur en chair et en os (ou plutôt 
sa représentation, Jean-François Laguionie jouant son propre rôle déguisé en peintre). Le film associe alors animation et prises de vues réelles. Celui-ci lui dit qu'il n'y a pas de barrières et qu'elle peut aller jusqu'à la mer (l'origine ^^). En effet il n'y a pas de barrières dans le film entre les arts, la réalité et la fiction, la créature et son créateur mais aussi entre les créatures elles-mêmes. Sinon celles que s'inventent les êtres bornés dans les sociétés hiérarchisées. "Le Tableau" dépeint une société à la "Metropolis" (1926) où la hiérarchie sociale s'établit selon le degré d'achèvement des personnages. Les maîtres sont les Toupins (les tous-peints), les parias les pafinis (pas entièrement colorés) et les esclaves sont les reufs (les esquisses). Génialement, le film montre l'envers du décor avec des possibilités d'émancipation, de découverte et d'inventivité des deux dernières catégories capables de se terminer eux-mêmes très supérieures aux premiers qui ont été prédéfinis jusqu'au moindre détail.

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Wonderland, le royaume sans pluie (Bāsudē Wandārando)

Publié le par Rosalie210

Wonderland, le royaume sans pluie (Bāsudē Wandārando)

Après "Le Voyage de Chihiro", voici la deuxième adaptation d'un roman de l'auteur pour la jeunesse Sachiko Kashiwaba (qu'il faudrait un jour songer à éditer en France!). Keiichi Hara s'adresse à un public nettement plus jeune que celui de ses précédentes réalisations (le terrible "Colorful" (2010) et le passionnant "Miss Hokusai") (2015) L'histoire est archétypale (le film est en partie une commande), de ce point de vue, on est sur un territoire bien balisé (le conte de fées, le roman initiatique). Cependant la richesse visuelle du film est remarquable avec une grande variété de mondes traversés (l'auteur définit son film comme un "road-movie dans un monde merveilleux") et une très belle utilisation de la couleur. Avec un peu plus d'audace, Keichii Hara aurait pu mieux tirer parti de ses personnages car il avait un carré d'as en main avec deux duos qui rappellent un peu ceux des comédies de Shakespeare du type "Beaucoup de bruit pour rien". Au premier plan, celui des héros on ne peut plus lisses et classiques (le prince et Akané, la déesse du vent vert), au second, celui des "comiques" qui pimentent le scénario avec l'alchimiste Hippocrate dont l'attitude guindée et "prétentieuse" est dézinguée par la tante d'Akané, Chii, personnage d'antiquaire haut en couleurs, avatar de la sorcière bonimenteuse, indélicate et "langue de vipère". Mais ces pistes, tout comme les personnages ne sont pas assez creusés pour permettre au long-métrage de se démarquer. Il en va de même du message écologique: le monde parallèle est censé l'être davantage que le nôtre parce qu'il en est resté à l'ère du charbon mais le charbon est l'énergie fossile qui pollue le plus, même si les mondes dépeints sont essentiellement ruraux.

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Orlando

Publié le par Rosalie210

Sally Potter (1992)

Orlando élisabéthain (1600), Orlando poète (1650), Orlando ambassadeur à Constantinople (1700), Lady Orlando mondaine (1750), Lady Orlando "Jane" (1850), Lady Orlando mère (1990)Orlando élisabéthain (1600), Orlando poète (1650), Orlando ambassadeur à Constantinople (1700), Lady Orlando mondaine (1750), Lady Orlando "Jane" (1850), Lady Orlando mère (1990)
Orlando élisabéthain (1600), Orlando poète (1650), Orlando ambassadeur à Constantinople (1700), Lady Orlando mondaine (1750), Lady Orlando "Jane" (1850), Lady Orlando mère (1990)Orlando élisabéthain (1600), Orlando poète (1650), Orlando ambassadeur à Constantinople (1700), Lady Orlando mondaine (1750), Lady Orlando "Jane" (1850), Lady Orlando mère (1990)
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Orlando élisabéthain (1600), Orlando poète (1650), Orlando ambassadeur à Constantinople (1700), Lady Orlando mondaine (1750), Lady Orlando "Jane" (1850), Lady Orlando mère (1990)

"La même personne... Aucune différence! Juste un autre sexe" C'est dans une très symbolique psyché qu'Orlando contemple sa mue après une nouvelle semaine "d'hibernation". Un changement de peau, oui certainement mais en aucune façon un changement de personnalité. Plus l'histoire avance dans le temps (un temps qui n'a rien à voir avec la chronologie humaine puisque qu'il s'écoule près de 400 ans entre la Renaissance où débute le récit et la fin du XX° siècle où il s'achève), plus Orlando varie les expériences (divisées en chapitres d'une cinquantaine d'années chacun autour de la mort, l'amour, la poésie, la diplomatie, les mondanités, le sexe et la naissance) et progresse de façon à se rapprocher du centre de gravité de sa personnalité profonde en ignorant les frontières (sociales, sexuelles, temporelles). Par delà les mues de son identité transgenre, c'est aussi à une vision alternative de l'évolution de l'humanité que nous assistons, de la mort (les cadres-tableaux de la Renaissance en clair-obscur, les costumes-prisons, la nuit, la glace, les lois discriminatoires sur la transmission de la propriété en Angleterre durant le siècle victorien, la guerre) vers la vie (le paradis édénique de la nature ensoleillée frémissante, le visage extatique de Tilda Swinton accompagné de sa petite fille écoutant la voix de l'ange Jimmy Somerville en train d'interpréter le merveilleux "Coming"). Une vision tout à fait comparable à celle du musée historique d'Amsterdam qui se déploie sur sept siècles et où cohabitent deux histoires et deux parcours: l'officielle et "l'invisible", féministe et LGTB (signalée par de petites bornes arc-en-ciel sous les oeuvres). Les toilettes du musée ne sont d'ailleurs pas genrées (c'était alors une première dans un pays lui-même en pointe sur la question).

Orlando est effectivement ce film arc-en-ciel extrêmement réfléchi (sa genèse a pris presque une décennie) qui transpose délicatement l'expérience intime du livre de Virginia Woolf, personnalité à l'identité complexe et évolutive qui ne se reconnaissait pas dans la construction sociale binaire des genres. Orlando refuse d'ailleurs d'entrée le "he" de la voix-off narrative pour le "I" et le regard face caméra qui dit "essaye de m'assigner si tu l'oses". De fait dans "Orlando" si les repères de genre sont bouleversés, il le sont en parfaite adéquation avec l'histoire des arts. Le destin d'Orlando qui est au départ un adolescent d'allure androgyne se forge à l'époque élisabéthaine dont le théâtre (visible à travers un extrait d'une représentation de Othello) n'admettait aucune femme en son sein. Il est donc logique que dans la première période du film de Sally Potter, les rôles de femme en représentation y soient tenus par des hommes travestis, y compris celui de Elisabeth Iere (Quentin Crisp) qui fait de Orlando son favori et lui adjoint de traverser le temps sans vieillir, titre de propriété à l'appui, scellant ainsi sa première destinée. Les anges n'ont bien entendu pas de sexe, ni d'âge, et c'est en tant que tel qu'Orlando s'essaye à l'amour, la poésie puis à la diplomatie, sans succès, sa sensibilité réfractaire à la société patriarcale se heurtant à un monde dominé par des valeurs guerrières, corrompues, opportunistes etc. Sa transformation en femme la confronte à des entraves et des humiliations bien pires que celles qu'elle avait subi dans sa précédente identité. Au XVIII° les salons littéraires mondains étaient censés permettre aux femmes (de la haute société) de jouer un rôle culturel, social et politique mais elles devaient se confronter à un violent machisme (dont beaucoup d'aspects persistent de nos jours dans les cercles d'influence). Au XIX°, Orlando perd la propriété qu'elle avait acquise au XVI° parce qu'elle est reconnue définitivement femme et n'a pas d'héritier mâle. La rencontre entre Orlando et Shelmerdine (Billy Zane dans un réjouissant contre-emploi) se fait sur le modèle renversant ^^ de la scène du cheval de "Jane Eyre", le grand roman de Charlotte Brontë avec les bouleversements qui en résultent (dont la seule transposition pertinente se trouve dans la mini-série de 2006 réalisée par Susanna White, Toby Stephens alias Rochester jouant d'ailleurs Othello dans "Orlando"). Il est remarquable de constater à cet égard le respect de la représentation du corps féminin au naturel avec le maintien des poils axillaires (alors que dans l'art occidental, la pilosité féminine est taboue depuis l'antiquité et donc rarement représentée. Et quand elle l'est, elle fait scandale comme la "Olympia" de Edouard Manet). Enfin au XX° siècle, Sally Potter prolonge le roman de Virginia Woolf qui se terminait en 1928 (date de sa parution) jusqu'en 1992 (date de la sortie du film) pour évoquer comment Orlando survit à l'horreur de la guerre et enfante. Une petite fille, cela va s'en dire. Car l'avenir des hommes s'écrira au féminin n'en déplaise à certains ou il ne s'écrira pas du tout.

Orlando et Elisabeth Iere

Orlando et Elisabeth Iere

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Toy Story 4

Publié le par Rosalie210

Josh Cooley (2019)

Toy Story 4

La trilogie Toy Story, c'est l'ADN du studio Pixar, le cœur de son identité. Telle qu'elle était, elle me paraissait parfaite. Je ne voyais pas ce qu'un quatrième volet pouvait apporter de plus. Et pourtant, cette suite en forme d'épilogue conclut intelligemment la saga. Techniquement c'est superbe, l'introduction et le magasin d'antiquités sont de véritables bijoux. Il y a beaucoup de références comme toujours et de nouveaux personnages hilarants ou un peu inquiétants qui cherchent toujours à être adoptés par un enfant, quitte pour cela à élargir un peu plus leur horizon. La plupart des jouets historiques qui ont fait les beaux jours de la saga se sont effacés et sont devenus des jouets "sans histoire". Tous en fait sauf Woody dont la quête d'un nouveau sens à donner à son existence est au cœur de ce dernier volet. Il était le jouet star de Andy et il ne parvient pas à trouver sa place dans la chambre et dans le cœur de sa nouvelle propriétaire, Bonnie. Sans doute parce qu'il incarne un archétype trop masculin. Lorsque Bonnie veut jouer au western, elle épingle l'étoile de shérif sur la poitrine de Jessie. Autre trait de caractère de la petite fille, si on la prive de ses jouets, elle s'en fabrique un avec des matériaux de récupération qui ont bien du mal à accepter leur nouvelle affectation. Les problèmes d'identité de Fourchette sont le reflet de ceux de Woody. Celui-ci n'imagine pas un autre destin possible pour lui que d'appartenir à un enfant. Cette crise existentielle lui permet de retrouver un personnage en apparence très secondaire mais qui est en fait à la source de toute la saga: Bo Peep, la bergère. Dans les deux premiers Toy Story, Bo jouait un rôle décoratif mais également symbolique. Sa présence était un hommage au conte de Christian Andersen "La bergère et le ramoneur" qui est le premier auteur à avoir eu l'idée de donner une anima aux objets. C'est ce qui explique la relation privilégiée qu'ont toujours entretenu Bo l'inspiratrice et Woody, la créature qui en est directement issue. Logique qu'auprès d'elle, Woody trouve un modèle pour se réinventer. Car entretemps Bo a fait sa révolution copernicienne. Ne supportant plus le magasin d'antiquités, elle s'est détachée de son support, a pris son destin en main et est devenue autonome: une vraie camionneuse à la Charlize Théron (qui l'aurait cru!) Les jouets Pixar luttent contre la muséification (comme le montrait l'intrigue du deuxième volet). Et on n'oublie jamais que le fait de grandir s'accompagne de la perte car le bonheur pur n'existe pas. 

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Le Portrait de Dorian Gray (The Picture of Dorian Gray)

Publié le par Rosalie210

Albert Lewin (1945)

Le Portrait de Dorian Gray (The Picture of Dorian Gray)

Comme Robert Louis Stevenson avec son "Etrange cas du docteur Jekyll et de M. Hyde", Oscar Wilde a transformé la dualité schizophrène de la société victorienne en œuvre fantastique avec "Le Portrait de Dorian Gray" et Albert LEWIN, cinéaste esthète quelque peu marginal dans le système hollywoodien a redoublé cette dualité avec un film tiraillé entre oeuvre de studio intellectuelle et sensibilité toute personnelle marquée par de brusques bouffées expressionnistes et psychanalytiques toute européennes. La mise en scène ciselée est entièrement construite sur le modèle pictural. Pas seulement parce qu’il y a des tableaux dans le film mais parce que le film est lui-même construit comme un enchâssement de tableaux. Pendant que Dorian Gray (Hurd HATFIELD) se fait tirer le portrait, Lord Henry Wotton (George SANDERS), son mauvais génie capture, tue et encadre un très beau papillon : façon de symboliser la transfusion de la vie à la mort qui s’opère dans la création du portrait qui fige pour l’éternité la jeunesse et la beauté de Dorian Gray en tuant la vie en lui. Or le Dorian Gray de chair et de sang scelle un pacte faustien avec son double pictural par lequel il lui vend son âme ce qui a pour effet d’intervertir des rôles. Alors que le vivant désormais emprisonné dans la toile se décompose lentement sous les effets du temps et du vice, l’image qui a remplacé le corps de Dorian Gray reste intacte. Seulement elle est totalement inexpressive, comme une page blanche « à noircir de rêves » (Greta GARBO aurait été effectivement parfaite dans le rôle si la censure hollywoodienne ne s’était pas offusquée de la transgression de genre que cela impliquait) ce qui fait de Dorian Gray un support de fantasmes pour tous ceux qui l’approchent, chacun ayant sa propre vision du personnage. C’est d’autant plus facile que Dorian Gray semble être aussi vide en apparence qu’intérieurement ce qui le met à la merci de toutes les influences et fait de lui une girouette. Basil Hallward le peintre humaniste (Lowell GILMORE) d’un côté et Lord Henry Wotton le dandy cynique de l’autre se disputent son âme (à défaut du reste qui reste indicible, code de censure oblige). Albert LEWIN a d’ailleurs dirigé Hurd HATFIELD (à qui le rôle va comme un gant avec sa beauté androgyne à la limite de l’irréel) de façon à ce qu’il soit le plus neutre possible, ne le filmant plus après 16h pour éviter l’apparition de marques de fatigue sur son visage. Le résultat est aussi fascinant qu’effrayant avec quelque chose de cadavérique, de spectral qui le rend inquiétant. D’une certaine façon, on pressent la décomposition qui se cache derrière ce masque lisse et diaphane qui n’est autre que celui de l’aristocratie victorienne, elle-même biface : d’un côté la mascarade sociale de la respectabilité avec sa morale rigide et étouffante, de l’autre le déchaînement de la débauche dans les bas-fonds. C’est pourquoi la plupart des personnages, et tout particulièrement ceux de la haute société sont filmés dans des encadrements ou déjà à l’état de portraits encadrés tout comme Dorian Gray. En censurant toute représentation frontale du vice et en muselant les désirs, le code Hays, redoublant le puritanisme victorien donne encore plus de relief à cet incroyable portrait. L’idée géniale de le filmer en technicolor alors que tout le reste du film baigne dans le noir et blanc suggère la réalité de l’âme enfermée dans l’objet alors que tout le reste n’est que simulacre. Et l’oeuvre du peintre américain Ivan Le Lorraine Albright qui s’est spécialisé dans la représentation du vieillissement et de la mort prend aux tripes suscitant autant de fascination que de dégoût.

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Docteur Jekyll et Mr. Hyde (Dr. Jekyll and Mr. Hyde)

Publié le par Rosalie210

Victor Fleming (1941)

Docteur Jekyll et Mr. Hyde (Dr. Jekyll and Mr. Hyde)

"Dr.Jekyll et Mr. Hyde" de Victor FLEMING est le remake du film de Rouben MAMOULIAN de 1931. Il en reprend en effet l’intrigue et de nombreuses scènes quasi à l’identique tout en gommant la plupart de ses aspérités. Le code Hays est passé par là encore que Victor FLEMING ne s’en tire pas si mal en représentant le désir manifeste que Jekyll (Spencer TRACY) a pour sa fiancée Beatrix (Lana TURNER) et qui indispose son père (Donald CRISP) ainsi que quelques visions oniriques assez réussies notamment celle des femmes-chevaux dévêtues fouettées par Jekyll transformé en cocher. Mais Ivy (Ingrid BERGMAN) ne peut plus s’offrir nue à Jekyll puisque la prostitution ne peut pas être représentée frontalement, elle devient donc pudiquement une simple « serveuse » et ce changement rend bancal son personnage jusqu’à la fin (la manière dont elle retrouve Jekyll est particulièrement peu crédible). De ce point de vue on peut considérer cette version comme une rencontre entre deux formes de puritanismes : le victorien et l’américain qui se renforcent l’un l’autre. Le film est par ailleurs une œuvre de prestige très soignée tant au niveau des costumes que des éclairages (la photographie du visage des actrices est superbe) et de l’atmosphère en général (réaliste pour Jekyll et expressionniste pour Hyde) mais la mise en scène est paresseuse par rapport à la version précédente. Autre gros problème, Spencer TRACY n’est pas crédible dans le rôle. Il est trop vieux pour jouer le jeune premier et le choix de créer un Hyde qui n’est qu’une version grimaçante et hirsute de lui-même rend invraisemblable le fait qu’il ne soit pas immédiatement reconnu par son entourage. De plus il est assez insipide en Jekyll là où Fredric MARCH était beaucoup plus tourmenté, laissant transparaître son démon intérieur sous son visage d’ange. Ingrid BERGMAN tire en revanche son épingle du jeu en jouant une Ivy sous l'emprise d'un tyran domestique proche de son futur rôle dans "Hantise" (1944) de George CUKOR.

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Docteur Jekyll et M. Hyde (Dr. Jekyll and Mr. Hyde)

Publié le par Rosalie210

Rouben Mamoulian (1931)

Docteur Jekyll et M. Hyde (Dr. Jekyll and Mr. Hyde)

La version de Rouben MAMOULIAN réalisée au début du parlant allie excellence de l'interprétation et mise en scène inspirée pour ce qui est sans doute la meilleure adaptation de la nouvelle de Robert Louis Stevenson à ce jour. La scène d'introduction suggère d'une manière admirable les troubles de la personnalité du docteur Jekyll (Fredric MARCH). Tout d'abord elle est tournée en caméra subjective, tout comme un peu plus tard sa première métamorphose. De ce fait, nous ne voyons pas tout de suite Jekyll. Ce que nous voyons d'abord, c'est d'abord l'ombre de sa tête projetée sur une partition musicale et ensuite son reflet dans le miroir, une façon d'opposer son image sociale respectable et l'envers masqué de cette image, son intériorité inavouable et donc cachée (et en anglais, cacher se dit hide). Dans une société qui accepterait l'être humain tel qu'il est, celui-ci n'éprouverait pas le besoin de se diviser. Mais la société victorienne marquée par une morale extrêmement puritaine est fondée sur la dissociation entre ce qui est considéré comme pur chez l'être humain et qui est célébré et ce qui est considéré comme impur -en premier lieu la sexualité- et doit être rejeté. Par conséquent le puritanisme fabrique une société duale avec d'un côté une façade conforme aux principes moraux qu'elle prône et de l'autre une arrière-cour fétide remplie de ce qu'elle rejette et qui parfois remonte à la surface, à l'image dans le film de la casserole pleine de liquide bouillant qui déborde et fait sauter le couvercle.

Ce dualisme est donc au cœur du film. Il est à l'origine du dédoublement de personnalité de Jekyll qui est qualifié "d'ange" et c'est bien parce que ceux qui font les anges font aussi les bêtes que son ombre prend la forme d'une bête simiesque. Il est frappant également de constater combien le point nodal de la dissociation est lié à la répression sexuelle. Jekyll qui sent la pulsion monter en lui espère la canaliser "honorablement" dans le mariage avec Muriel (Rose HOBART). Sauf que le père retarde l'échéance alors que la frustration devient insupportable, selon le credo bien connu qui prête à l'homme des désirs sexuels incontrôlables alors que la femme n'aurait, elle, pas de désir. C'est la rencontre avec Ivy (Miriam HOPKINS) qui précipite le drame. Car tout comme l'homme, la femme est dissociée. D'un côté il y a les filles de bonne famille, vierges jusqu'au mariage et ensuite dépourvues de libido par une prison psychique inculquée dès l'enfance les privant de corps sauf pour la reproduction. Et de l'autre, les prostituées, des "égouts" sur pattes servant à satisfaire les pulsions sexuelles jugées irrépressibles des mâles qui sinon perturberaient l'ordre social. Et pour encore mieux souligner cette dualité, Rouben MAMOULIAN divise l'écran à plusieurs reprises ce qui en fait un pionnier du split screen.

Sauf que Ivy ne devient pas seulement la maîtresse de Hyde, elle devient également sans le savoir le réceptacle de la haine que Jekyll a de lui-même (c'est à dire de son corps, de ses désirs, de ses besoins). Il la terrorise, la martyrise et en définitive, la tue, poussant jusqu'à son extrême aboutissement la logique de domination patriarcale sur le corps des femmes et la haine des puritains vis à vis de l'amour, de la beauté, du plaisir, bref tout ce qui fait que la vie vaut la peine d'être vécue. Poussé ainsi à l'extrême, le système victorien si bien huilé déraille. Car Jekyll le subvertit avec sa science. En séparant radicalement deux parties de son être, il créé un monstre incontrôlable qui le détruit mais menace également d'éclater à la figure de toute la bonne société: c'est la casserole qui déborde, autrement dit le "Docteur Jekyll et Mister Hyde" (1931)" de Rouben MAMOULIAN n'est pas que l'étude d'un symptôme, c'est la radiographie d'un scandale. 

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Docteur Jekyll et M. Hyde (Dr. Jekyll et Mr. Hyde)

Publié le par Rosalie210

John S. Robertson (1920)

Docteur Jekyll et M. Hyde (Dr. Jekyll et Mr. Hyde)

Avant la version de John S. ROBERTSON, il y a eu plusieurs films muets consacrés au héros à deux visages du roman de Robert Louis Stevenson publié en 1886 mais c’est celui qui a fixé les canons repris ensuite par les versions parlantes ultérieures. Parmi eux le choix de situer l’intrigue dans l’époque victorienne qui par sa rigidité morale est propice au dédoublement entre le « surmoi » de Jekyll et le « ça » de Hyde (« Hide »). Le film narre donc la fabrication d’un monstre de par la séparation de l’être en deux entités distinctes de façon manichéenne. Une opération permise par la science qui connaît des avancées très importantes au XIX° mais suscite des craintes liées au pouvoir sans limite qu’elle donne à l’homme et qui sans conscience peut aboutir aux pires catastrophes. Cependant le film montre surtout comment la science moderne reprend à son compte la vision chrétienne de la dualité corps/esprit à travers l’interprétation puissante de John BARRYMORE (petit frère de Lionel BARRYMORE et de Ethel BARRYMORE). Même avant de boire la potion, Jekyll est présenté comme une figure christique, un saint qui accomplit des miracles auprès des plus déshérités et qui se désintéresse de la vie terrestre. Lord Carew (Brandon HURST), le père de sa fiancée Millicent (Martha MANSFIELD) représente Charon, celui qui l’introduit aux enfers en l’initiant aux plaisirs charnels comme cela se pratiquait beaucoup au XIX° dans les milieux bourgeois (la fiancée virginale versus la prostituée qui servait d’égout aux pulsions de ces messieurs). Ayant goûté au fruit défendu, Jekyll ne peut plus s’en passer mais pour ne pas souiller son âme immaculée, il a l’idée de transférer ses bas instincts sur une créature qu’il invente de toutes pièces. Le fantastique traduit ainsi un mécanisme psychologique bien connu, celui de la projection sur un bouc-émissaire de ce que l’on rejette de soi. Hyde avec ses longs doigts crochus, son crâne protubérant, ses yeux exorbités et son rictus est plus proche de la bête que de l’homme. Il rappelle aussi ce que le cinéma des origines doit au « freak show » des fêtes foraines : la métamorphose du saint en démon est le clou du film à la fois par le jeu habité de John BARRYMORE, les trucages en surimpression et l’apparence hideuse de Hyde. Comme dans « Frankenstein », la créature échappe rapidement au contrôle de son créateur. Elle s’empare de lui et le dévore après avoir au passage détruit Lord Carew, le tentateur.

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Liz et l'Oiseau bleu (Rizu to aoi tori)

Publié le par Rosalie210

Naoko Yamada (2018)

Liz et l'Oiseau bleu (Rizu to aoi tori)

C’est un film d’animation magnifique, tout en délicatesse et subtilité. Déjà dans son précédent film "Silent Voice" (2016) Naoko YAMADA faisait preuve d’une grande finesse dans l’évocation des difficultés de communication entre adolescents. Dans « Liz et l’Oiseau bleu », elle s’attache dans le huis-clos d’un lycée à étudier la relation entre deux adolescentes très différentes dont l’amitié fusionnelle -admirablement disséquée dans toute la complexité de ses composantes- est à la croisée des chemins. En effet avec la fin du lycée arrive l’heure des choix de vie et avec eux, la douloureuse mais inévitable séparation. Tous les enjeux du film se cristallisent autour d’un morceau de musique tiré d’une adaptation de « L’Oiseau bleu » de Maurice Maeterlinck que les deux amies -l’une flûtiste et l’autre joueuse de hautbois- doivent interpréter ensemble pour le concours de fin d’année de leur orchestre scolaire. Mais elles ne parviennent pas à le jouer harmonieusement parce que Mizore bride son talent pour ne pas surpasser Nozomi. Mizore est en effet terrifiée à l’idée d’être abandonnée par Nozomi, vivant dans son ombre, n’existant qu’à travers elle et s’attachant à suivre le moindre de ses pas, sans un bruit ou presque car l’asynchronie entre elles est tangible dès la première séquence du film. Mizore est en effet solitaire, extrêmement timide et renfermée alors que Nozomi est extravertie, sociable et volubile. Néanmoins les apparences sont trompeuses et la plus faible des deux n’est pas celle que l’on croit. Seulement, l’affirmation de soi passe par une remise en question du mode relationnel déséquilibré que les deux jeunes filles ont tissé entre elles depuis des années. Les mots étant impuissants à traduire la complexité des êtres, Naoko YAMADA saisit les plus ténus mouvements de l’âme par une attention extrême vis-à-vis du langage du corps, celui des regards, des gestes, des postures, des tics, des sons et des silences au travers de plans souvent décentrés et parcellaires sur des mouvements de pieds, des mains qui touchent nerveusement une mèche de cheveux ou des nuances de lumière dans les yeux. Elle la métaphorise également au travers de la musique mais aussi du conte de « Liz et l’oiseau bleu », un livre illustré à l’aquarelle dont nous voyons des extraits tout au long du film. Celui-ci raconte l’histoire de Liz, une jeune fille solitaire proche de la nature qui s’éprend d’un oiseau bleu métamorphosé en jeune fille (un leitmotiv de l’animation japonaise que l’on retrouve aussi bien dans "Ponyo sur la falaise" (2008) que dans "La Tortue rouge") (2016) dont pourtant elle pressent l’inéluctable envol.

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Phantom of the Paradise

Publié le par Rosalie210

Brian De Palma (1974)

Phantom of the Paradise

Il ne suffit pas d'accumuler, détourner ou parodier des références pour faire un bon film mais quand le cocktail est réussi comme dans le flamboyant et baroque "Phantom of the Paradise", il envoie du lourd. Le film est autant un énorme chaudron-hommage à toute une série d'œuvres d'art l'ayant précédée qu'une distanciation ironique et désespérée analysant l'impossibilité de créer en dehors du système: celui-ci vous broie ou vous récupère ou plutôt vous récupère ET vous broie. Brian De PALMA parlait alors en connaissance de cause car le studio qui l'employait avait pris le contrôle de son film précédent "Get to know your rabbit" (1970). Il a donc eu l'idée d'accommoder à la sauce opéra-rock le thème du pacte avec le diable, le prix à payer pour la perte de son intégrité artistique s'incarnant dans le personnage du compositeur Winston Leach (William FINLEY) qui se situe à mi-chemin entre " Le Fantôme de l'Opéra" (1925) de Rupert JULIAN d'après Gaston Leroux et "Faust" (1926) de Friedrich Wilhelm MURNAU d'après Goethe. Quant au producteur qui symbolise son âme damnée (Paul WILLIAMS), il n'est pas en reste questions références puisque lui aussi a fait un pacte maudit à la Dorian Gray pour rester éternellement jeune sauf que l'image qui vieillit à sa place est sur pellicule et non dans un tableau. Son allure de dandy et son nom proustien, Swan illustre par ailleurs son obsession d'arrêter le temps tout comme celui de la muse interprète à qui il veut voler sa voix, Phoenix (Jessica HARPER).

Le style glam-rock grand-guignolesque du film typique des seventies se marie ainsi avec une atmosphère fantastique qui suggère admirablement le vampirisme à l'œuvre derrière le strass et les paillettes. Les décors expressionnistes rappellent ceux du "Le Cabinet du docteur Caligari" (1919) et la mise en scène du spectacle final, "Frankenstein" (1931). Le vampirisme est d'ailleurs autant le fait du manipulateur de l'ombre qu'est le producteur que celui du public attiré par ces nouveaux "jeux du cirque" où l'on s'enflamme en direct. Brian De PALMA reprend ainsi de façon remarquable la séquence inaugurale de la "La Soif du mal" (1958) de Orson WELLES pour en faire un show à retardement avec une vraie bombe planquée dans une voiture au beau milieu de la scène. Il s'amuse aussi avec son cinéaste favori, Alfred HITCHCOCK en nous offrant une version parodique délectable de la scène de la douche de "Psychose (1960) et de la scène du tireur embusqué en plein concert de "L Homme qui en savait trop" (1956).

Enfin on peut noter que ce film bourré de références a généré son propre mythe au point d'être devenu à son tour matriciel pour toute une nouvelle génération d'artistes de Bertrand BONELLO (M. Swan de "Saint Laurent") (2014) aux Daft PUNK masqués par un casque comme le fantôme et qui se sont associés le temps d'une chanson avec Paul WILLIAMS, l'acteur jouant le personnage de Swan et compositeur de la BO du film.

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