Il était logique que H.G. Wells et James Whale finissent par se rencontrer. Tous deux d'origine britannique, ils ont œuvré dans le domaine de la science-fiction dont ils ont contribué à façonner les contours. H.G. Wells est avec Jules Verne, le père du genre en littérature. Quant à Whale, il a transposé de façon si marquante l'œuvre de Mary Shelley au début du cinéma parlant que Frankenstein, créature et créateurs confondus, ont pour toujours le visage maquillé de Boris Karloff.
Mais Wells et Whale ont un autre point commun. S'ils se sont projetés dans des univers futuristes ou fantastiques, c'est qu'ils ne se sentaient pas en accord avec la société dans laquelle ils vivaient. Wells avait connu la pauvreté donc le mépris de classe et Whale le rejet en tant qu'homosexuel. Les œuvres de Wells comme "La machine à explorer le temps" ou "Une histoire des temps à venir" comportent beaucoup d'éléments de critique sociale alors que la différence et la marginalité sont au cœur du travail de Whale.
Qu'arrive-t-il lorsqu'un homme qui n'a subi que des humiliations reçoit un pouvoir (l'invisibilité) qui le rend omnipotent c'est à dire semblable à dieu? C'est le questionnement qui hante "L'homme invisible" tout comme une autre britannique ayant connu la pauvreté avant de devenir riche et célèbre: J.K Rowling. Dans la saga "Harry Potter" plusieurs anciens enfants maltraités deviennent de redoutables sorciers dotés d'immenses pouvoirs, dont celui de devenir invisible. Le scientifique n'étant qu'un avatar du sorcier, il est logique que les questions traitées par ces oeuvres soit si proches.
Il en est de même en ce qui concerne leurs réponses. Le pouvoir que s'attribue le docteur Jack Griffin le rend complètement fou. Il régresse jusqu'à éprouver une joie infantile et sauvage à se venger de la société par laquelle il s'est senti écrasé comme il le confie à la femme qu'il aime. Perdant tout sens éthique, il sombre dans le vol et le crime. Même si chez Rowling, la rédemption et le désintéressement existent, la quête du pouvoir absolu est une folie qui se paye cash. Il en est de même pour Jack Griffin que son mal ronge au point de finir par le détruire.
Dans tous les cas, la psychopathologie de l'individu mégalomane se révèle indissociable d'une société elle-même malade. Le mal invisible qui frappe à l'aveugle évoquait hier les "rouges" ou les "bruns", il évoque aujourd'hui "les fous de dieu" suscitant la terreur et la paranoïa et son cercle vicieux d'injustices susceptibles d'entraîner encore plus de violences.
Victor Fleming, Mervyn Leroy, George Cukor, King Vidor, Norman Taurog (1939)
"Le Magicien d'Oz" est l'équivalent dans la culture américaine d'"Alice au pays des merveilles" dans la culture britannique. Les deux œuvres sont si interconnectées que dans Matrix, Cypher dit à Néo au moment où il s'apprête à basculer de l'illusion vers le monde réel "Attache ta ceinture Dorothy et dit adieu au Kansas" traduit en français par "Bon voyage au pays des merveilles." Dans le film MGM de 1939, ce basculement "Over the Rainbow" se traduit par le passage de la couleur sépia au technicolor flamboyant (d'où la couleur rubis des chaussures qui dans le livre d'origine étaient argentées), des décors naturels du Kansas aux studios figurant le pays d'Oz, des airs mélancoliques à la comédie musicale hollywoodienne un peu kitsch et pleine d'entrain.
Néanmoins la philosophie du "Magicien d'Oz" peut se résumer avec la phrase "tu ne me chercherais pas si tu ne m'avais déjà trouvé". La quête initiatique de Dorothy, de l'épouvantail, de l'homme en fer-blanc et du lion poltron consiste à découvrir que ce qu'ils souhaitent obtenir d'un deus ex machina (un foyer, un cerveau, du cœur, du courage) se trouve en réalité en eux. Le passage à l'âge adulte entraîne forcément la perte des illusions: il n'y a pas de magicien et l'herbe n'est pas plus verte ailleurs en dépit de sa couleur éclatante. Il est donc logique que Dorothy retourne chez elle, ayant découvert que ce qu'elle cherche ne se trouve pas au-delà de l'arc-en-ciel mais dans son propre jardin.
Pire encore, le monde d'Oz possède un versant toxique. Pour le découvrir, ce n'est pas la route de briques jaunes qu'il faut suivre mais les fleurs de pavot. Si l'apparence chatoyante du film fait encore rêver aujourd'hui les coulisses de son tournage prirent la tournure d'un pacte faustien signé entre les studios et Judy Garland. En échange de la gloire (ce fut le rôle qui la révéla au monde entier), elle dû perdre du poids, subir la compression de sa poitrine pour paraître pré-pubère et fut bourrée d'amphétamines pour tenir la cadence infernale du tournage. Rendue insomniaque par les excitants, elle se mit à avaler des barbituriques pour pouvoir dormir. L'engrenage infernal de la toxicomanie qui allait l'emporter à 47 ans était lancé par Oz-Moloch.
C'est un film qui permet de retrouver son âme d'enfant, y compris dans ses défauts (une morale trop appuyée, des personnages caricaturaux...) Il faut dire que l'œuvre d'origine est issue d'une époque dénuée de cynisme.
Visuellement, le film ressemble à un bonbon acidulé ou à un jouet coloré: on se situe à hauteur d'enfant. Plus précisément à la hauteur des maisons de poupée et des vignettes d'un Wes Anderson que ce soit la fable animalière "Fantastic M. Fox" ou la prison et la pâtisserie du "Grand Budapest Hôtel". On pourrait y ajouter l'univers des trains à vapeur (un train jouet qui devient réalité) et de la fête foraine. Le livre pop-up fait de papier découpé en trois dimensions s'anime comme par magie alors que les gags déclenchés par Paddington convoquent l'humour et la candeur du cinéma burlesque muet des années 10 et 20 (la scène où Paddington est pris dans les engrenages évoque directement les "Temps modernes" de Chaplin).
Mais la magie de l'enfance s'exprime aussi à travers les acteurs. Hugh Grant, génial, allie charme et autodérision avec brio. Il s'amuse comme un petit fou à endosser le rôle d'un méchant excentrique qui adore se déguiser. La famille Brown n'est pas en reste. Le père (Hugh Bonneville alias le comte de "Downton Abbey") se retrouve à faire un grand écart zen entre deux trains, sa femme interprétée par Sally Hawkins (vue dans "Persuasion", téléfilm de la BBC d'après Jane Austen avant d'être recrutée par Woody Allen) joue les Sherlock Holmes en herbe alors que la grand-mère n'est autre que Julie Walters, la Molly Weasley des Harry Potter. Un autre acteur issu du casting des Harry Potter, Jim Broadbent joue le rôle de l'antiquaire, M. Gruber.
Clyde Geronimi, Wilfred Jackson, Hamilton Luske (1951)
"Alice au pays des merveilles" sorti en 1951 est le dernier film psychédélique produit par les studios Disney et fait figure de "pot-pourri" du genre. Ca commence par l'équivalence image d'une Alice perchée qui déclame à sa sœur restée en bas que les livres sans images l'ennuient! Comme sa sœur lui répond qu'elle divague, elle lui répond que dans son monde à elle, il n'y a que des divagations (nonsense en VO). Par la suite, tout au long de son "voyage", Alice ne cesse d'ingérer ou d'inhaler toutes sortes de substances (la fumée du narguilé de la chenille, les incontournables champignons, des biscuits, le contenu d'un flacon, de la poudre blanche de sucre) qui modifient ses perceptions (un problème de taille!), lui font avoir d'étranges visions (par exemple les apparitions et disparitions d'un chat à rayures hypnotiques qui n'a "pas toute sa tête" au sourire en croissant de lune) ou altèrent sa communication avec le monde qui l'entoure (le dialogue de sourds du "non-anniversaire" avec des compagnons de "défonce", le chapelier étant connu pour ses hallucinations provoquées par les vapeurs de mercure dégagées pour la fabrication des chapeaux et les lièvres, rendus fous par le début des chaleurs de mars). Alice finit cependant par "redescendre" et tourne le dos aux divagations "silly nonsense" pour rechercher le droit chemin vers sa maison "straight home".
L'œuvre littéraire déjantée de Lewis Carroll se prêtait bien à toutes sortes de délires et d'expérimentations graphiques."Alice au pays des merveilles" est sans doute le long-métrage de Disney qui se rapproche le plus de l'œuvre surréaliste de Dali, la "montre folle", symbole du temps distordu, n'en étant qu'un exemple. Mais on pense aussi à Arthur Rimbaud qui recherchait le "dérèglement de tous les sens" lorsqu'on voit la chenille exhaler ses lettres colorées de vapeur opiacée, véritable visualisation du poème de Rimbaud "A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu, voyelles."
Pour les mêmes raisons que "Fantasia" (avec lequel il partage aussi sa narration fragmentée) "Alice au pays des merveilles" ne rencontra pas le succès à sa sortie mais une génération plus tard lorsque la jeunesse hippie le porta aux nues. L'influence de ce film est évidente par exemple dans "Peau d'Ane" de Jacques Demy (sorti en 1970) qui célèbre de la même façon l'art de la fumette tout en faisant parler les fleurs. Suivre un lapin blanc est devenu un synonyme de prise de substances psychotropes jusqu'à nos jours comme on peut l'observer par exemple dans le premier volet de la trilogie "Matrix" où la question cornélienne n'est pas "to be or not to be" mais "pilule rouge ou pilule bleue?"
"Le garçon et la bête" est le dernier film en date de Mamoru Hosoda (à ne pas confondre avec "Le garçon et le monde" de Alè Abreu). En admiratrice de ce cinéaste depuis que je l'ai découvert en 2012 avec "Ame et Yuki les enfants-loups", je l'ai vu dès sa sortie au cinéma en janvier 2016 avant de le revoir en DVD.
"Le garçon et la bête" se déroule dans le quartier de Shibuya à Tokyo en proie à une grave crise de civilisation. Un monde moderne surpeuplé mais froid et déshumanisé où les passants se comportent en robots, où le seul "regard" porté sur les gens émane des caméras de surveillance et où les seuls échanges se font avec la police. La cellule familiale elle-même s'est défaite. Ren le jeune héros de 9 ans se retrouve ainsi seul à errer dans les rues. Il a perdu sa mère dans un accident. Son père dont elle avait divorcé auparavant a disparu de la circulation. Il a préféré fuir que d'être pris en charge par sa famille maternelle qui a encouragé le divorce de ses parents. Débordant de colère et de haine, il bascule dans une dimension parallèle, un autre espace-temps, laissant derrière lui une ombre dotée de trous à la place des yeux et du cœur. Plus tard, on découvre un autre enfant au destin similaire à celui de Ren. Il s'appelle Ichirohiko. Il a été abandonné bébé dans une des ruelles de Shibuya et recueilli comme Ren par une créature hybride, mi-homme, mi-bête venue du même monde parallèle, Jutengai. Jutengai qui fait penser au Japon médiéval est tout ce que l'homme moderne de Shibuya a refoulé de lui-même: son instinct, ses pulsions, ses émotions bref, tout ce qui a trait au corporel a disparu sous des couches et des couches de béton.
Ren et Ichirohiko se retrouvent ainsi dans une situation potentiellement explosive pour la construction de leur identité. Le monde où ils sont nés les a rejetés et ils grandissent dans un monde trop différent d'eux pour qu'ils puissent y trouver leur place quel que soit l'amour du parent adoptif. Mais si leurs problèmes sont identiques, leurs agissements sont différents. Hosoda montre le rôle joué par l'éducation dans la construction (ou l'autodestruction) d'un individu. C'est peut-être parce qu'elle révèle la vraie valeur d'une personne que le seigneur pousse Kumatetsu, la bête mal embouchée que personne n'aime à prendre un disciple. Bien que la relation avec Ren soit électrique, ces deux là se sont choisis en toute connaissance de cause et ils grandissent ensemble, côte à côte bien plus que dans une relation hiérarchique puis de plus en plus proches au point de fusionner, l'un se découvrant une filiation et l'autre comblant son vide affectif. Ren finit d'ailleurs par se réconcilier avec son monde d'origine en retrouvant son père biologique et en rencontrant Kaede qui lui donne accès à la culture et lui apprend à canaliser sa rage tout en lui révélant ses propres abysses tourmentées (ce qui lui vaut un accès au monde des bêtes à la fin du film). Ren trouve dans son hybridité une harmonie entre le monde du corps où il a grandi et celui de l'esprit d'où il est issu. En revanche Ichirohiko grandit sans connaître sa véritable identité car son père adoptif lui ment. Ce père adoptif est pourtant présenté comme l'antithèse de Kumatetsu, un homme-bête responsable et immensément populaire. Pourtant il accouche d'un monstre dont la rage destructrice terrifiante grossit tel un cancer jusqu'à prendre la forme de la baleine Moby Dick, ravageant tout sur son passage.
Complexe, subtil, philosophique, rempli de passages poétiques visuellement superbes, "Le garçon et la bête" est un grand film.
Alain Chabat a réussi à réaliser un film de noël féérique grâce à des effets visuels splendides tout en lui injectant son humour décalé, de la tendresse et une bonne dose de satire.
Son père noël vit au pôle nord dans une cabane en rondins avec la mère noël (Audrey Tautou). Il reçoit des lettres d'enfants qui lui commandent des jouets, il a une armée de lutins sous ses ordres qui les fabriquent dans une immense usine qui fait penser à la chocolaterie de Charlie et il se déplace en traîneau avec des rennes. Il n'est pas totalement coupé de la modernité (avec de multiples petits anachronismes comme le casque de réalité virtuelle testé par les lutins au milieu des jouets en bois, le bip et les phares de traîneau, la planche de surf également rétro éclairée etc.) Mais son "Santa Claus" porte un habit vert car dans la tradition païenne antique, la période de noël donnait lieu à des réjouissances célébrant le rallongement des jours et donc la venue prochaine du printemps. D'autre part il a une allure de patriarche ou de roi mage, allusion à la christianisation de la fête avec l'évêque Saint Nicolas de Myre protecteur des enfants et l'identification progressive de la fête de Saint Nicolas avec la naissance de Jésus. Ce père noël là ne connaît pas son dernier avatar civilisationnel mais il va avoir l'occasion de le rencontrer à la suite de son parachutage au cœur de Paris. Ce qui est l'occasion d'un échange drôlissime avec le père noël rouge popularisé par Coca-Cola et les grands magasins incarné par Jean-Pierre Bacri. Une vision désenchantée de noël corroborée par la coercition que subit Santa, coffré à plusieurs reprises et accusés d'être un alcoolique, un drogué et un pédophile.
L'humour ne procède pas seulement de l'inadaptation du père noël au monde qui l'entoure, il est également lié au décalage entre ce qu'il est et l'image que l'on a de lui. Ainsi il ne comprend rien aux échanges monétaires, au commerce en ligne et aux enfants ce qui ne manque pas de saveur. Mais cela ne l'empêche pas de prendre soin des enfants d'Amélie et de Thomas qui en échange s'engagent à l'aider à récolter 92 mille cachets de vitamine C pour ses lutins malades. Quant au frère de Thomas, s'il ne s'agit pas d'un personnage bien construit, il est à l'origine d'une course-poursuite aussi belle que loufoque sur un bateau-mouche.
"Peter Pan", sorti en 1953 durant le premier âge d'or des studios Disney nous raconte un moment de crise dans la famille Darling. Wendy a en effet atteint l'âge limite où elle devra quitter la nursery (le monde de l'enfance) où elle vivait en symbiose avec ses frères et sa nounou, le Saint-Bernard Nana pour intégrer sa chambre personnelle (le monde des adultes). Un passage délicat où la guettent deux périls bien réels que le film met fort bien en scène:
-Celui qui consiste à oublier son enfance et à devenir un vieux schnock aigri comme le père de Wendy, le banquier George Darling qui 11 ans plus tard aura un double en prise de vues réelles, George Banks dans Mary Poppins. Il n'est d'ailleurs pas innocent que le "schnock" du pays imaginaire, le capitaine Crochet et George Darling possèdent la même voix (en VO. En VF il faudra attendre le doublage de 1988 pour que cette particularité soit respectée). Ce sont tous deux en effet des hommes à la fois castrateurs et amputés d'une part d'eux même. George est en quelque sorte la version civilisée de Crochet, mi-bouffon, mi-assassin.
-Celui qui consiste à refuser de grandir en se réfugiant dans un monde imaginaire où il est tout-puissant. Peter, l'antagoniste de Crochet est en réalité son double. Le premier plan sur son visage est proprement luciférien (l'enfer et ses démons étant un thème récurrent chez Disney). Ensuite on découvre qu'il éprouve un plaisir sadique à pousser Crochet dans la gueule du crocodile après lui avoir offert sa main en pâture. Le symbole de la main coupée est d'ailleurs très révélateur: Peter est également un personnage castrateur. De plus, en refusant de grandir, il ne respecte pas l'ordre des générations. D'ordinaire ce sont les pères qui "coupent" leurs fils (comme dans "Star Wars"). Enfin c'est un macho mégalomane. Il possède un véritable harem: Wendy, Clochette, Lily la Tigresse, les sirènes. Il se pose en idole de la gente féminine tout en se refusant à elles et en excitant leurs rivalités. Il en fait de même avec les garçons: les enfants perdus et les frères de Wendy sont tous plus petits que lui et lui servent de faire-valoir.
Peter Pan est au final pire que Crochet. Comme ce dernier c'est un monstre mais en plus, il avance masqué dans la peau d'un héros et il n'est même pas drôle. Mais on comprend pourquoi ce personnage et son pays imaginaire (je préfère 10 000 fois son nom en VO "Neverland" à cause de sa négation même) a pu fasciner un certain Michael Jackson (on parle d'ailleurs à juste titre à son propos du "syndrome de Peter Pan")
Au final le personnage le plus touchant du film, le plus humain n'est même pas un humain: c'est Nana, le Saint-Bernard qui est exploité, maltraité et jamais remercié pour son dévouement.
Ce film prétend revisiter une saga culte avec "fraîcheur et modernisme", il accouche d'un remake inutile et convenu où les "revenants" des films passés sont mal exploités et où le politiquement correct triomphe. Sous prétexte de coller à notre époque, le voilà qui coche toutes les cases de la diversité (femme, noire, obèse mises au premier plan). Sauf qu'il s'agit d'un leurre, exactement comme dans la nouvelle saga "Star Wars". Il ne faut jamais se fier aux apparences. Les habits neufs cachent en fait une recette rance dont voici le mode d'emploi:
- Retirer toute substance aux personnages principaux au point que les véritables ectoplasmes du film, ce sont eux. Seule Kristen Wiig tire à peu près son épingle du jeu avec un rôle assez nuancé. Les autres sont pénibles à regarder, particulièrement Kate McKinnon dont l'attitude perpétuellement poseuse est proprement insupportable.
- Conserver tous les détestables traits de "l'alpha mâle" en lui collant un visage féminin. Paradoxalement, les trois acteurs originaux étaient bien plus "féministes". S'ils s'encombraient de tout l'attirail du super-héros viril (véhicule méga ronflant, QG mégalo, canons à protons phalliques et éjaculatoires), c'était pour mieux en détourner tous les codes avec jubilation. A commencer par investir le domaine de l'occulte, de l'irrationnel d'ordinaire réservé aux femmes. C'est d'ailleurs parce qu'ils ne correspondent pas aux standards qu'ils sont chassés de l'université où officient les figures des "vrais savants".
- Les acteurs comiques sont en effet ceux qui peuvent le mieux s'éloigner des injonctions virilistes car le vrai comique est toujours subversif. Ce n'est évidemment pas le cas ici. Cette nouvelle version nage dans la parodie systématique et la caricature tellement grossière qu'elle en devient inopérante. L'idée du renversement des rôles avec un homme-objet décérébré comme secrétaire (qui plus est Chris Hemsworth un minet musclé connu pour ses rôles de super-héros) était séduisante sur le papier. Hélas, sur le papier seulement...
"Edward aux mains d'argent" est le chef d'oeuvre incontesté de Tim Burton. Alors que tant de ses films récents m'ont déçue, celui-ci atteint la perfection. Il est en effet touché par la grâce et en plus d'une richesse inépuisable.
"Edward aux mains d'argent" est du propre aveu de Burton son film le plus personnel. Il puise sa source dans un dessin que celui-ci avait réalisé à l'adolescence pour exprimer son sentiment d'isolement et d'incommunicabilité avec l'univers de banlieue qui l'entourait. Edward, cet artiste lunaire gothique un peu freak jurant dans un paysage uniformisé, c'est évidemment lui.
"Edward aux mains d'argent" est structuré comme un conte de fées mais il se rapproche plutôt du mythe et de la parabole religieuse. Edward est le fils d'un inventeur qui à l'image du docteur Frankenstein s'est pris pour Dieu en façonnant un homme à son image à qui il a même donné plus de cœur et de cervelle qu'à la plupart des humains (comme la suite le démontrera). Mais comme le lointain ancêtre de Frankenstein, alias Prométhée, il a été puni par les Dieux en étant frappé par la foudre juste au moment où il allait parachever son œuvre. Edward est donc condamné à rester inachevé et reclus dans sa tour d'ivoire jusqu'à ce qu'une rencontre avec une bonne fée ne le conduise à descendre du monde divin jusqu'au beau milieu de la pétaudière humaine pour lui insuffler la beauté et la grâce du créateur. Le film se teinte alors d'une touche satirique aussi drôle qu'angoissante contre les banlieues standardisées et puritaines de "l'american way of life", ses femmes au foyer hystériques et névrosées, sa vacuité foncière et son conformisme oppressant. Sous cet angle, il est extrêmement proche de "Mon Oncle" de Jacques Tati. Edward comme Hulot est un personnage quasi muet hérité de Chaplin dont l'expressivité passe par le corps et surtout pour Edward, par le regard forcément pur et innocent. Mais à la différence de Hulot, Edward est vite rattrapé par sa dimension christique en devenant l'esclave puis le bouc-émissaire de la communauté "suburbinoise" avant de "remonter au ciel". A quoi tout cela aura t-il servi peut-on se demander? Et bien à sauver une âme, celle de Kim. Winona Ryder a été enlaidie pour l'occasion afin de ressembler à une pom-pom girl dont le rôle principal est de jouer la potiche au bras du Donald Trump junior local dont la beauferie n'a d'égale que la brutalité. Mais lorsque Edward sculpte la glace pour elle c'est une ballerine qui s'élève aussi légère et gracieuse que son enveloppe corporelle était épaisse et vulgaire. Et cet amour-là (car l'amour est la manifestation la plus éclatante du divin) restera gravé en elle pour le reste de sa vie.
Rien de plus erroné que l'image mièvre et sucrée qui colle à la peau de Disney. Les courts-métrages des Silly Symphonies "La Danse macabre" (1929) et "Les Cloches de l'Enfer" (1929) mettaient déjà en évidence le côté sombre et macabre de Disney. Il en est de même de ses premiers longs-métrages: "Blanche-Neige et les 7 nains", "Fantasia" ou "Bambi" comportent tous des scènes cauchemardesques. Mais "Pinocchio", le deuxième long-métrage du studio les bat à plates coutures. Jerry Beck disait à propos du film qu'il s'agissait d'un "cauchemar noir ponctué de moments de véritable horreur". Que l'on en juge: Pinocchio manque de peu finir esclave, métamorphosé en âne, en petit bois pour le feu ou encore dans l'estomac d'une baleine nommée "Monstro". Alors certes, il n'est pas seul: il y a sa conscience, Jiminy Criquet, son père Gepetto et sa "mère", la bonne fée bleue que d'aucuns identifient comme étant la vierge Marie. Il faut dire que l'aspect évangélique est renforcé par la chanson "Quand on prie la bonne étoile", devenue par la suite l'hymne du studio.
Mais Pinocchio apparaît bien naïf, fragile et manipulable pour affronter les pièges qui se dressent en travers de sa quête d'humanité. Il faut voir avec quelle rapidité il dévie du droit chemin quand il rencontre Grand Coquin et Gédéon. Deux escrocs qui l'appâtent avec des promesses de plaisir facile pour mieux s'enrichir sur son dos. Lesquels plaisirs se retournent en pièges mortels. Car c'est moins la morale du nez qui s'allonge à chaque nouveau mensonge que celle du "on ne naît pas être humain, on le devient" qui interpelle. "Pinocchio" est sorti en 1940 au cours de la guerre la plus inhumaine de l'histoire, une guerre faite par des millions de pantins de bois privés de cœur et de cervelle, manipulés par des monstres totalitaires. On peut d'ailleurs remarquer que les décors et costumes de "Pinocchio" sont d'inspiration bien plus germanique qu'italienne.
Enfin sur le plan technique, "Pinocchio" est d'une perfection qui n'a jamais été égalée depuis.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.