"Un été avec Coo" est un grand film d'animation japonais qui à l'image de ceux de Hayao MIYAZAKI ("Mon voisin Totoro" (1988), "Le Voyage de Chihiro") (2001) et de Isao TAKAHATA ("Pompoko") (1996) permet de réfléchir aux rapports que l'homme entretient avec ses semblables et avec la nature. Si les japonais ont tout comme les occidentaux dévasté leur environnement, ils n'ont pour autant jamais oublié les croyances animistes de leur culture d'origine. Ce sont ces croyances qui sont "ranimées" par le bestiaire fantastique des studios Ghibli (les Totoros, les Tanukis, les Dieux courroucés et putrides de "Princesse Mononoké" (1997) et de "Le Voyage de Chihiro") (2001)).
Le Kappa appartient au même folklore shintoïste. Il s'agit d'une petite créature/esprit anthropomorphe mi-tortue, mi-grenouille vivant dans les points d'eau (fleuves, lacs, étangs) avec une bouche en forme de bec et un creux au milieu de la tête appelé "assiette" dont l'humidité est essentielle à sa force vitale. S'ils sont à l'origine décrits comme des vampires, des violeurs ou des cannibales, c'est la forme moderne, mignonne et bienveillante qui est présentée dans le film, celle qui se montre d'une extrême politesse avec les humains et aime le concombre et le poisson. Comme pour les autres yokais (créatures fantastiques), le constat est sans appel. Le Japon moderne en malmenant la nature a détruit ses esprits. Coo s'avère être un fossile "ranimé" par accident qui découvre qu'il est peut-être le dernier de son espèce.
En effet le film n'a rien de folklorique et est au contraire d'une impressionnante profondeur avec une subtilité et une sensibilité assez incroyables. En ces temps troublés où les dégâts que les sociétés "modernes" infligent à la nature sont en train de se retourner contre elles, il est d'une clairvoyance totale en montrant de manière limpide que c'est à eux-mêmes que les hommes se font du mal en maltraitant ainsi le vivant. A la solitude de Coo répond celle de celui qui l'a ranimé et adopté, Kôichi qui est de ce fait mis au ban de son école et harcelé avec sa famille par les médias. L'ambivalence de cette famille vis à vis de la célébrité est d'ailleurs assez révélatrice du genre de mirage dans lesquels se vautrent les sociétés contemporaines. Pour échapper à la curiosité malsaine qu'il suscite et conserver les restes de son père que les humains se sont appropriés, Coo se retrouve dans la même situation que "King Kong" (1932), film auquel Keiichi HARA se réfère visiblement quand il fait escalader à Coo la tour de Tokyo après une cavale en forme de cauchemar urbain. Cavale durant laquelle le seul être totalement intègre vis à vis de Coo, lui aussi une ancienne victime sauvée par Kôichi trouve la mort. Une séquence bouleversante qui m'a fait penser à la nouvelle de Jiro Taniguchi "Avoir un chien" dans le recueil "Terre de rêves".
Mais malgré ses moments durs et son constat implacable sur la nature humaine, montrée dans ses aspects souvent les moins reluisants (intolérance, cruauté, bassesse, égoïsme), le film fait une large place à la complicité qui unit Kôichi et Coo et qui n'est pas sans rappeler le film de Steven SPIELBERG "E.T. L'extra-terrestre" (1982). Kôichi est un être complexe qui évolue tout au long du film en acceptant peu à peu sa nature d'enfant différent de la norme ce qui le conduit à se rapprocher de la pestiférée de sa classe, Kikuchi et à voir le monde autrement. La petite sœur de Kôichi est également admirablement croquée. Alors peut-être que le design des personnages (hors Coo) est moins "finalisé" que dans les studios Ghibli, il n'en reste pas moins que "Un été avec Coo" est une œuvre admirable.
Après "Le Voyage de Chihiro", voici la deuxième adaptation d'un roman de l'auteur pour la jeunesse Sachiko Kashiwaba (qu'il faudrait un jour songer à éditer en France!). Keiichi Hara s'adresse à un public nettement plus jeune que celui de ses précédentes réalisations (le terrible "Colorful" (2010) et le passionnant "Miss Hokusai") (2015) L'histoire est archétypale (le film est en partie une commande), de ce point de vue, on est sur un territoire bien balisé (le conte de fées, le roman initiatique). Cependant la richesse visuelle du film est remarquable avec une grande variété de mondes traversés (l'auteur définit son film comme un "road-movie dans un monde merveilleux") et une très belle utilisation de la couleur. Avec un peu plus d'audace, Keichii Hara aurait pu mieux tirer parti de ses personnages car il avait un carré d'as en main avec deux duos qui rappellent un peu ceux des comédies de Shakespeare du type "Beaucoup de bruit pour rien". Au premier plan, celui des héros on ne peut plus lisses et classiques (le prince et Akané, la déesse du vent vert), au second, celui des "comiques" qui pimentent le scénario avec l'alchimiste Hippocrate dont l'attitude guindée et "prétentieuse" est dézinguée par la tante d'Akané, Chii, personnage d'antiquaire haut en couleurs, avatar de la sorcière bonimenteuse, indélicate et "langue de vipère". Mais ces pistes, tout comme les personnages ne sont pas assez creusés pour permettre au long-métrage de se démarquer. Il en va de même du message écologique: le monde parallèle est censé l'être davantage que le nôtre parce qu'il en est resté à l'ère du charbon mais le charbon est l'énergie fossile qui pollue le plus, même si les mondes dépeints sont essentiellement ruraux.
C'est beau, très beau même. Historiquement et culturellement c'est passionnant de découvrir le talent et le caractère hors du commun d'une femme artiste resté longtemps dans l'ombre de son illustre père avec lequel elle a travaillé en étroite collaboration pendant plus de 25 ans. L'histoire de la contribution des femmes au monde des arts et de la sciences reste encore largement à écrire. Chaque fois que l'une d'entre elle fait l'objet d'un coup de projecteur, on redécouvre les ravages du patriarcat sur l'écriture de l'histoire et sur les droits/crédits d'auteur. Mais lentement les choses évoluent: Camille Claudel réapparaît derrière Rodin, Emilie du Châtelet derrière Voltaire, Berthe Morisot derrière ses homologues impressionnistes masculins... Et O-Ei derrière Tetsuzo. O-Ei qui entretenait un relation d'égal à égal avec son père, l'appelait familièrement par son prénom (so shocking au Japon!), le critiquait, le bousculait, qui dessinait des œuvres à sa place, qui fumait la pipe, buvait de l'alcool, ne faisait pas la cuisine et préférait voir leur atelier devenir un dépotoir plutôt que de faire le ménage. O-Ei qui était très franche et n'avait pas froid aux yeux surnommait l'un des peintres apprentis d'un confrère d'Hokusai "Zen l'Empoté." N'ayant aucune des "qualités" de la bonne épouse, il n'est guère étonnant que son mariage se soit soldé par un échec. O-Ei apparaît à l'image de ses épais sourcils (si peu dans la norme) comme un cheval sauvage absolument indomptable. Cependant le portrait se nuance lorsque l'on voit O-Ei face à la sexualité et à la sororité qui ici fonctionne comme une substitution de maternité. Contrairement à son milieu d'hommes artistes vivant en symbiose avec les geishas, O-Ei est assez prude et a bien du mal à se décoincer, même pour la bonne cause (peindre des scènes érotiques crédibles). D'autre part son amour pour sa petite sœur de 6 ans O-Nao, aveugle et fragile, donne lieu aux passages les plus délicats et émouvants du film. O-Nao qui a l'inverse provoque chez son père une grande culpabilité car il est persuadé que son énergie créatrice a vampirisé sa fille.
Cependant, aussi intéressant et beau esthétiquement parlant soit-il, il manque quelque chose à ce film pour parvenir à totalement me séduire. L'histoire est quand même assez décousue. Décomposée en petites scénettes, elle manque d'enjeux forts. Et le réalisateur manque de sensibilité dans son approche des personnages. Le spectateur est placé trop loin d'eux ce qui rend ce long-métrage assez sec.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.