Le tout premier film de Tim Burton contient toute son œuvre à venir. C'est aussi une autobiographie à peine déguisée dans laquelle il exprime sa différence et son malaise face aux codes culturels dominants de la société américaine, notamment ceux des studios Disney pour lesquels il travaillait. Alors que ceux-ci connaissaient un passage à vide tant créatif que commercial au début des années 80, ils refoulèrent "Vincent" au fond d'un tiroir avant que le succès de "L'étrange Noël de M. Jack" lui aussi mal assumé dans un premier temps ne l'en fasse sortir. "Vincent" qui recourt au même procédé d'animation en stop-motion et utilise un noir et blanc expressionniste raconte l'histoire d'un petit garçon lunaire à l'imaginaire gothique fasciné par les récits fantastiques et les films d'épouvante, plus précisément ceux de Roger Corman tirés de nouvelles d'Edgar Poe avec Vincent Price (d'où le prénom de l'enfant). Frankenweenie est déjà en germe dans "Vincent" tout comme Jack Skellington et Edward Scissorhands. Mais "Vincent" est aussi une mise en abyme puisque le personnage a l'apparence de Tim Burton mais ses pensées en vers s'expriment par le biais de la voix de Vincent Price à qui il s'identifie. Le résultat est absolument envoûtant. "Vincent" est un poème cinématographique lugubre et poignant d'une grande beauté qui fait écho dans les esprits de ma génération au tube d'un autre "E.T." de cette époque, Michael Jackson avec "Thriller" dont le clip sorti également en 1982 convoque le même imaginaire et a popularisé pour l'éternité la voix de basse si expressive de Vincent Price.
Un titre aussi poétique que "Train de nuit dans la voie lactée" ne pouvait que me donner envie de découvrir le film, adapté d'une nouvelle de Kenji Miyazawa de 1927, auteur également de Goshu le violoncelliste, récit connu pour son adaptation pré-Ghibli par Isao Takahata. Poétique, le film l'est assurément mais il est surtout métaphysique et une référence culturelle incontournable de la culture japonaise. "Train de nuit dans la voir lactée" est par exemple à l'origine de la saga SF rétro-futuriste et nostalgique de Leiji Matsumoto "Galaxy Express 999" et joue également un rôle important dans "L'île de Giovanni" de Mizuho Nishikubo. Elle a été également déclinée au théâtre et sous forme de conte musical.
Le film est d'essence contemplative (cela peut rebuter, il ne se passe pas grand-chose) et l'animation qui date des années 80 est certes minimaliste mais empreinte de visions surréalistes saisissantes. Le caractère philosophique du film est cependant porté par une histoire très simple*. Giovanni, un enfant ostracisé par ses camarades parce qu'il est pauvre, que son père est absent et sa mère malade prend un train dans lequel il retrouve son seul ami, Campanella. Le train a plus ou moins la même fonction que la barque des égyptiens de l'antiquité, elle convoie ses passagers dans l'au-delà. Chaque station est l'occasion d'une rencontre avec des voyageurs en transit (un homme aveugle, un chasseur de hérons qu'il transforme en biscuits, des passagers du Titanic) et d'une élévation spirituelle. On y évoque le ciel, la croix du sud ce qui se rapporte au christianisme (sans doute en relation avec le fait que les personnages ont des noms italiens) mais celui-ci est croisé avec une philosophie bouddhiste. Peu à peu, on comprend que Giovanni effectue ce voyage au pays des morts pour affronter la douloureuse épreuve d'un deuil qui le laissera tout à fait seul. Il est en effet le seul passager du train à disposer d'un billet aller-retour.
"Train de nuit pour la voie lactée" peut être considéré comme le film le plus triste de l'histoire de l'animation japonaise, à égalité avec "Le Tombeau des Lucioles". On peut aussi le voir comme un trip sous acide à cause de ses flashs visuels oniriques abstraits (des points, des sphères, des triangles lumineux dans l'espace) accompagné d'une musique assez hypnotique. Le fait que les enfants soient représentés sous la forme de chats anthropomorphes accentue cette tendance.
* De même que "Le Voyage de Chihiro" a été souvent comparé à "Alice au pays des merveilles", la parenté entre "Train de nuit dans la voie lactée" et "Le Petit Prince" semble assez évidente.
"En Avant" est un film que j'aurais dû voir le dimanche 15 mars 2020. Evidemment c'était déjà trop tard, les cinémas ayant fermé la veille au soir. Heureusement les films qui étaient en cours d'exploitation ont été reprogrammés et j'ai donc décidé de retenter ma chance, cette fois avec succès.
Bien que je n'en attendais pas grand-chose au départ étant donné les critiques assez tièdes que j'avais pu lire, je vais voir au cinéma tous les films Pixar dès leur sortie. En effet, il s'agit d'un studio qui a accouché d'une impressionnante série de chefs d'oeuvre dans les années 2000. Les années 2010 ont été plus chaotiques avec dans la première moitié de la décennie une nette perte d'inspiration voire d'identité au point de ne plus être capable de se démarquer de leur maison-mère depuis 2006, Disney. Par exemple aucune différence entre "Planes" (Disney) et "Cars 2" (le plus mauvais film des studios Pixar), une pléthore de suites dispensables à l'exception de celles de "Toy Story", une morale conservatrice disneyienne dans "Le voyage d'Arlo" et dans "Rebelle" clonée sur les princesses Disney. Fort heureusement, les studios se sont ressaisis avec deux nouveaux chefs d'oeuvre "Vice-Versa" et "Coco" et ont promis d'abandonner les suites au profit de projets originaux ce qui est une excellente nouvelle.
Sans atteindre le niveau de "Vice-Versa" ou de "Coco", "En Avant" s'avère être au final une très belle surprise. L'univers de fantasy dans lequel se déroule l'histoire sert à nous parler de façon quelque peu décalée et amusante de notre monde actuel marquée par le désenchantement et l'absence de repères. L'histoire de ces deux frères qui partent en quête de retrouvailles avec leur père défunt et de réenchantement du monde se situe dans la lignée des films précédents. Belles idées de faire revivre ce père absent à travers les traces qu'il a laissé (photos, enregistrement audio, vêtement, lettre, baguette magique) puis sous forme d'un drôle de fantôme doté de jambes mais sans tête ni buste. Les photos qui isolent le père du reste de la famille sont là pour démontrer que Ian et Barley se sont construits sans lui. Un vide matérialisé par le demi-être qu'ils traînent derrière eux et à qui ils ont donné l'apparence d'un pantin désarticulé burlesque (ou d'un doudou géant). Ils rejettent en effet le modèle proposé par leur beau-père (surnommé de manière très significative "le petit copain de maman") qui en tant que policier incarne l'autorité répressive alors que les deux garçons sont anti-conformistes (au passage combien d'anime sortent du schéma papa-maman-enfants pour proposer d'autres modèles de famille?) Ian qui manque de confiance en lui et se cherche un mentor découvre au fil de son périple bien mieux qu'à conduire ou maîtriser la magie. Il découvre que son point de repère, c'est son grand frère, Barney ("tu ne me chercherais pas si tu ne m'avais pas déjà trouvé") et c'est d'autant plus émouvant qu'il l'a jusque là toujours considéré comme un loser avec son look geek et ses goûts idoines pour l'héroïc fantasy et les jeux de rôles. Mais le passage de relai de la fin est clair, le père à l'ancienne a vécu.
Selon l'état d'esprit de chacun "Only lovers left alive" peut paraître (très) ennuyeux ou (très) planant puisqu'il adopte un point de vue non-humain (donc déréalisé) sur le monde humain. C'était aussi le cas des "Ailes du désir" de Wim Wenders par exemple mais il s'agissait d'anges bienveillants, d'ailleurs ils étaient dans une telle empathie avec les humains qu'ils finissaient par les rejoindre dans le mouvement d'une histoire qui était sur le point de basculer. Rien de tel évidemment avec les vampires dandys-décadents et somno-lents de "Only lovers left alive" que la jeune sœur d'Eve, Ava (Mia Wasikowska) vampire elle aussi mais nettement plus pêchue traite de snobs, non sans raison. Le plus désenchanté des deux est Adam (Tom Hiddleston), un parfait asocial vivant dans les faubourgs sinistrés de Détroit dans un manoir gothique qui reflète bien sa posture byronienne. D'ailleurs il veut en finir mais c'est sans compter sur sa femme Eve (Tilda Swinton) qui veille de loin sur lui et le rejoint lorsqu'il va trop mal. Eve vit en effet dans la médina de Tanger mais cet orient se réduit à quelques rues presque vides et à un café (nommé "les 1001 nuits"!) à l'exotisme de pacotille. Il symbolise donc tout autant l'exil terrestre que Détroit, un lieu hors du monde et hors du temps. Ces vampires pratiquent en effet un entre-soi très aristocratique et cultivent des goûts d'esthètes raffinés inaccessibles au commun des mortels (comme quoi tout se tient!) Adam joue de tous les instruments (qu'il collectionne) et compose à l'aide de machines vintage car il rejette la modernité. Son credo est qu'avant c'était mieux, que le monde court à sa perte, que les humains sont des "zombies" etc. Il tourne donc le dos à ses fans qui sont obligés de pirater ses morceaux. Chez Jarmusch la femme s'adapte davantage à son environnement mais il n'en reste pas moins que Eve ne se sépare jamais de ses vieux livres écrits dans toutes les langues et a pour meilleur ami le vampire Christopher Marlowe (John Hurt) qui prétend avoir écrit la plupart des pièces de Shakespeare.
Cette réinvention du film de vampires qui par moments fait penser au film de Neil Jordan (Mia Wasikowska a de faux airs de Kirsten Dunst) est un bijou d'esthétisme raffiné en particulier au niveau de la musique et des mouvements de caméra mais son caractère d'objet arty dénué d'intrigue et l'attitude hautaine (pour ne pas dire détestable) de ses personnages principaux provoque un certain éloignement du spectateur, sauf s'il se sent inclus dans le même "chapelle" (étroite tout de même). Il y a bien quelques passages ou le réalisateur ironise sur ses personnages, à la fin notamment où il montre qu'en dernière extrémité ils n'hésitent pas à en revenir aux bonnes vieilles méthodes animales pour se nourrir mais cela reste à dose trop homéopathique!
"Le Septième Sceau", l'un des grands classiques d'Ingmar Bergman est traversé par la même dichotomie que son chef d'œuvre testamentaire "Fanny et Alexandre". D'un côté la joie de vivre et la fantaisie portée par le monde du spectacle forain (la bonne chère et les belles filles peu farouches en prime)*, de l'autre une religion mortifère avec ses représentants dévoyés (ici un prêtre pesteux voleur et violeur), son iconographie terrifiante captée dans une série de plans picturaux saisissants (allégorie de la mort en grande Faucheuse jouant aux échecs avec un chevalier revenu des croisades, danse macabre, vanités, processions de flagellants), ses références bibliques (l'Apocalypse d'où provient le titre) et sa chasse aux sorcières (qui est postérieure au Moyen-Age mais que l'on assimile à ces "temps obscurs"). Cette dichotomie est celle de Bergman lui-même, fils d'un pasteur luthérien rigoriste du même type que celui du film "Le Ruban Blanc" de Michael Haneke** et en même temps passionné de théâtre et de cinéma. "Le Septième Sceau" est l'un de ces grands films de contraires qui se touchent illustrant la phrase d'Agnès Varda à propos de "La Jeune fille et la mort" de Hans Baldung Grien, " La lumière ne se comprend que par l'ombre et la vérité suppose l'erreur. ce sont ces contraires qui peuplent notre vie, lui donnent saveur et enivrement. Nous n'existons qu'en fonction de ce conflit dans la zone où se heurtent le blanc et le noir alors que le blanc ou le noir relèvent de la mort". Ainsi le chevalier (Max Von Sydow) est à l'intersection de ces deux forces contraires puisqu'il est hanté par la mort mais qu'il cherche aussi un sens à la vie, des réponses à ses questions existentielles et métaphysiques avant que cette dernière ne l'emporte.
* On retrouve la foi dans l'art des comédiens forains comme antidote à la mort dans le film de Jacques Demy "Le Joueur de flûte" qui se déroule également au Moyen-Age pendant une épidémie de peste.
** L'enfance de Bergman et "Le Ruban Blanc" (film d'ailleurs très influencé par Bergman) sont deux parfaits exemples de ce que Alice Miller appelait la pédagogie noire c'est à dire les sévices physiques et psychologiques infligés aux enfants "pour leur bien" (extirper le péché de leur être pour en faire des incarnations vivantes des idéaux puritains) avec les conséquences terribles qui en découlent, certains considérant "Le Ruban Blanc" comme une allégorie du nazisme. Bergman a réalisé un des films que je considère parmi les plus terrifiants sur ce thème, "L'Œuf du Serpent".
"Tigre et dragon" c'est du cinéma à grand spectacle mêlant culture chinoise et budget hollywoodien. Si le film est conçu pour plaire au plus grand nombre avec un dosage savant entre action et romance qui manque un peu d'âme à mes yeux, il en met plein la vue quand même avec des chorégraphies splendides réglées par Yuen Woo-Ping, celui là même dont le savoir-faire a été déterminant pour les scènes de kung-fu de la trilogie "Matrix" et des deux parties de "Kill Bill". On a donc des personnages en apesanteur qui tournoient et volent au-dessus des cimes avec une grâce magique. Le film offre également un condensé des plus beaux paysages chinois (forêts de bambous, chutes d'eau, montagnes) et de ses meilleurs acteurs issus de Chine continentale ou des "provinces chinoises à système différent" pour reprendre la définition qu'elle donne de Hong-Kong et de Taïwan (territoire dont est également originaire le réalisateur, Ang Lee qui a voulu rendre hommage au cinéma de son enfance). Tous ont dû d'ailleurs apprendre leurs dialogues en mandarin alors que leurs langues natales étaient le cantonais ou l'anglais. Quant à l'histoire, elle mélange la tradition feuilletonesque occidentale avec ses combats de cape et d'épée version asiatique, ses multiples rebondissements rocambolesques et ses histoires d'amours impossibles et des figures typiques de la tradition chinoise comme la guerrière intrépide façon Mulan. On peut également souligner l'opposition entre le couple d'âge mûr formé par Li Mu Bai (Chow Yun Fat) et Yu Shu Lien (Michelle Yeoh) qui ont sacrifié leurs sentiments sur l'autel du devoir et de l'honneur à celui beaucoup plus jeune formé par Jen (Zhang Ziyi) et Lo (Chang Chen) qui sont insoumis et individualistes. Deux générations aux valeurs différentes qui représentent l'évolution récente de la Chine.
"Un été avec Coo" est un grand film d'animation japonais qui à l'image de ceux de Hayao MIYAZAKI ("Mon voisin Totoro" (1988), "Le Voyage de Chihiro") (2001) et de Isao TAKAHATA ("Pompoko") (1996) permet de réfléchir aux rapports que l'homme entretient avec ses semblables et avec la nature. Si les japonais ont tout comme les occidentaux dévasté leur environnement, ils n'ont pour autant jamais oublié les croyances animistes de leur culture d'origine. Ce sont ces croyances qui sont "ranimées" par le bestiaire fantastique des studios Ghibli (les Totoros, les Tanukis, les Dieux courroucés et putrides de "Princesse Mononoké" (1997) et de "Le Voyage de Chihiro") (2001)).
Le Kappa appartient au même folklore shintoïste. Il s'agit d'une petite créature/esprit anthropomorphe mi-tortue, mi-grenouille vivant dans les points d'eau (fleuves, lacs, étangs) avec une bouche en forme de bec et un creux au milieu de la tête appelé "assiette" dont l'humidité est essentielle à sa force vitale. S'ils sont à l'origine décrits comme des vampires, des violeurs ou des cannibales, c'est la forme moderne, mignonne et bienveillante qui est présentée dans le film, celle qui se montre d'une extrême politesse avec les humains et aime le concombre et le poisson. Comme pour les autres yokais (créatures fantastiques), le constat est sans appel. Le Japon moderne en malmenant la nature a détruit ses esprits. Coo s'avère être un fossile "ranimé" par accident qui découvre qu'il est peut-être le dernier de son espèce.
En effet le film n'a rien de folklorique et est au contraire d'une impressionnante profondeur avec une subtilité et une sensibilité assez incroyables. En ces temps troublés où les dégâts que les sociétés "modernes" infligent à la nature sont en train de se retourner contre elles, il est d'une clairvoyance totale en montrant de manière limpide que c'est à eux-mêmes que les hommes se font du mal en maltraitant ainsi le vivant. A la solitude de Coo répond celle de celui qui l'a ranimé et adopté, Kôichi qui est de ce fait mis au ban de son école et harcelé avec sa famille par les médias. L'ambivalence de cette famille vis à vis de la célébrité est d'ailleurs assez révélatrice du genre de mirage dans lesquels se vautrent les sociétés contemporaines. Pour échapper à la curiosité malsaine qu'il suscite et conserver les restes de son père que les humains se sont appropriés, Coo se retrouve dans la même situation que "King Kong" (1932), film auquel Keiichi HARA se réfère visiblement quand il fait escalader à Coo la tour de Tokyo après une cavale en forme de cauchemar urbain. Cavale durant laquelle le seul être totalement intègre vis à vis de Coo, lui aussi une ancienne victime sauvée par Kôichi trouve la mort. Une séquence bouleversante qui m'a fait penser à la nouvelle de Jiro Taniguchi "Avoir un chien" dans le recueil "Terre de rêves".
Mais malgré ses moments durs et son constat implacable sur la nature humaine, montrée dans ses aspects souvent les moins reluisants (intolérance, cruauté, bassesse, égoïsme), le film fait une large place à la complicité qui unit Kôichi et Coo et qui n'est pas sans rappeler le film de Steven SPIELBERG "E.T. L'extra-terrestre" (1982). Kôichi est un être complexe qui évolue tout au long du film en acceptant peu à peu sa nature d'enfant différent de la norme ce qui le conduit à se rapprocher de la pestiférée de sa classe, Kikuchi et à voir le monde autrement. La petite sœur de Kôichi est également admirablement croquée. Alors peut-être que le design des personnages (hors Coo) est moins "finalisé" que dans les studios Ghibli, il n'en reste pas moins que "Un été avec Coo" est une œuvre admirable.
"Le Tempestaire" est l'avant-dernier film de Jean EPSTEIN. Réalisé dans l'après-guerre, il fait partie de son œuvre consacrée à la Bretagne et plus précisément à ses îles. Bien que n'étant pas originaire de cette région, Jean EPSTEIN y a trouvé matière à nourrir son cinéma, poétique et avant-gardiste. Une poésie ne se basant plus sur des œuvres littéraires écrites mais sur des légendes orales et un avant-gardisme géographique et non plus formaliste puisque les îles bretonnes forment l'archipel de la "Finis Terrae". "Le Tempestaire" fait la part belle aux forces de la nature avec un enregistrement direct du bruit des vagues et du souffle du vent qui ne cessent de gagner en intensité au fur et à mesure que la tempête se déchaîne. Il illustre également la profondeur du lien entre ces lieux sauvages et les hommes qui l'habitent, accomplissant ainsi un travail ethnographique permettant de capturer "l'essence bretonne" et ses croyances celtiques animistes profondément enracinées. Le Tempestaire est un chamane* qui à la demande d'une jeune fille de sa communauté s'emploie à calmer la tempête c'est à dire à apaiser les esprits déchaînés.
* Contrairement à une idée reçue, le chamanisme n'est pas une pratique spécifiquement orientale. Elle se retrouve dans toutes les cultures vivant en symbiose avec leur environnement.
Poème cinématographique inspiré de deux nouvelles de Edgard Allan Poe ("La chute de la maison Usher" et "Le Portrait ovale") regroupées dans ses "Nouvelles histoires extraordinaires" traduites par Charles Baudelaire, "La chute de la maison Usher" distille une atmosphère étrange et envoûtante qui m'a un peu fait penser à "La Belle et la Bête" (1945) de Jean COCTEAU. Le décor gothique du manoir et les nombreux ralentis y sont pour quelque chose. Le début quant à lui ressemble beaucoup à celui de "Nosferatu le vampire" (1922) avec son étranger qui cherche un moyen de transport pour se rendre dans un endroit visiblement maudit/hanté puisqu'il suscite l'effroi autour de lui. Mais le parallèle avec le film de Friedrich Wilhelm MURNAU ne s'arrête pas là car "La chute de la maison Usher" est une grande histoire de vampirisme qui peut faire penser aussi à "Le Portrait de Dorian Gray" (1944). Le couple Usher qui vit reclus dans un manoir incarne l'aristocratie moribonde. Le mari, Roderick qui est une sorte de mort-vivant halluciné s'acharne à perpétrer la tradition familiale qui consiste à peindre sa femme, laquelle épuise ses forces dans ces interminables séances de pose ou plutôt de transfusion de la vie vers la mort. Pourtant dans une sorte de renversement de situation celle-ci ne semble pas avoir le dernier mot puisque l'épouse prétendument défunte revient à la vie au milieu d'un déchaînement des forces de la nature pour sauver son mari et l'emporter loin de la maudite demeure qui s'écroule alors d'elle-même*.
Jean EPSTEIN créé une oeuvre éminemment atmosphérique et onirique grâce notamment à de nombreux effets visuels poétiques expérimentaux avant-gardiste (les ralentis donc qui sont incroyablement beaux mais aussi des surimpressions, des travellings et un montage qui fonctionne sur un système de rimes) et il s'écarte sensiblement de Poe quant au sens de l'histoire qu'il raconte. Bien que morbide dans sa tonalité, le film narre le miracle d'une résurrection en lien étroit avec les forces de la nature, lesquelles renversent les "châteaux de cartes" emprisonnant les hommes dans leurs griffes mortifères là où Poe au contraire narre la fin d'un monde rongé par l'endogamie voire l'inceste.
* Je n'ai pas pu m'empêcher de penser à Rebecca (1939), son château gothique et son portrait maudit qui doivent périr pour que leurs occupants aient un avenir.
L'impression irréelle qui se dégage de cette adaptation de "Charlie et la chocolaterie" est lié au fait qu'elle mélange dans un même espace géographique des technologies, des styles d'habitation, des modes de vie et même des genres a priori très différents. Par exemple certains éléments relèvent du conte intemporel (la chaumière de guinguois, les magasins bonbonnières, les propriétés magiques des confiseries) mais d'autres s'inscrivent dans un contexte de société industrielle avec du travail à la chaîne omniprésent qu'il soit humain (le père de Charlie est OS sur une chaîne avant d'être remplacé par des robots), animal (les écureuils trieurs de noix) ou mécanisé (la musique de Danny ELFMAN possède d'ailleurs elle-même un caractère mécanique qui accompagne la chaîne de fabrication du chocolat). Enfin l'intérieur de la chocolaterie par endroits relève du laboratoire de recherche-développement à la blancheur clinique et high-tech en particulier la salle de télévision où la référence à "2001, l'odyssée de l'espace" (1968) et sa tablette-monolithe trouve tout son sens puisque dans le film on a parcouru sans même sans rendre compte une grande partie de l'histoire du "progrès humain".
Mais cette histoire de "progrès humain" est contredite par la satire de "l'enfant-roi" qui accompagne la quête de Willy Wonka pour trouver un héritier. Comme il s'en remet au hasard (ou à la chance c'est selon) avec le seul geste accompli par une main humaine dans le générique qui est de glisser dans cinq tablettes de chocolat un ticket d'or permettant de visiter sa chocolaterie (c'est à dire de le rencontrer), il se retrouve avec quatre véritables petits monstres, chacun d'entre eux incarnant ce que l'on pourrait appeler dans le langage industriel un "vice de forme", allégorie des pires travers de la société occidentale:
- Augustus Gloop, fils de boucher allemand est comme son nom l'indique un glouton obèse "affreux, sale et méchant" à la "M. Creosote" sauf que contrairement au sketch des Monty Python il n'éclate pas. Il ne devient pas non plus comme dans le roman de Roald Dahl fin comme une allumette, il s'est transformé en "bonhomme en chocolat" se dévorant lui-même ce qui est assez terrifiant mais juste dans le fond pour décrire la consommation à outrance.
- Veruca Salt est une petite fille de la haute bourgeoisie britannique tyrannique parce que pourrie-gâtée par son père propriétaire d'une usine de noix. Habituée à avoir tout ce qu'elle veut, son incapacité à supporter la frustration la destine à finir dans "les poubelles de l'histoire".
- Violette Beauregard est l'archétype de la "gagnante", une gamine américaine blonde platine vulgaire qui n'est motivée que par la compétition et les trophées. Elle est le miroir narcissique de sa mère à l'allure de poupée Barbie qui vit ses rêves de gloire par procuration. Qu'elle finisse gonflée comme un gros ballon est un reflet de son caractère mais ce qui traumatise le plus sa mère c'est que sa peau a viré au bleu et qu'elle ne pourra plus jamais lui ressembler.
- Enfin Mike Teavee est le geek blasé qui méprise la terre entière (et ses pauvres parents dépassés en premier) tellement il se sent supérieur. Il n'est pas grossier comme Augustus, tyrannique comme Veruca ou hypocrite comme Violette, il est franchement destructeur. Aussi il finira miniaturisé et "mis en boîte".
Si la visite de la chocolaterie a un côté Disneyland que l'on retrouve aussi dans "Dumbo" (2019) (la scène des rapides en bateau en particulier), les chansons chorégraphiées des oompa-loompa (tous interprétés par le même acteur) qui épinglent le comportement de chacun de ces quatre enfants sont des régals de parodie dissonante tant de stars et de groupes musicaux (Beatles, Queen, Michael Jackson, hard-rock) que de films ("Le Bal des sirènes" (1944), "Psychose" (1960), "Pulp Fiction" (1994) etc.)
Charlie, le cinquième enfant et Willy Wonka qui incarnent les deux extrêmes opposés vont pourtant se rencontrer parce qu'ils ont un point commun: ils ne rentrent pas dans la norme telle qu'elle est représentée par les quatre autres enfants. Charlie semble tout droit sortir des faubourgs misérables du Londres du XIX° décrit par Charles Dickens à ceci près que s'il est misérable sur le plan matériel, il est riche de l'amour de sa famille élargie avec laquelle il vit en harmonie. Willy Wonka en revanche est un créateur de génie et un industriel plein aux as mais sans famille. Dans la version de Tim BURTON où il est incarné par Johnny DEPP, ce dernier le décrit comme autiste, ce qui effectivement saute aux yeux. Dire qu'il vit dans sa bulle chocolatière est un euphémisme, il est également entouré d'une bulle transparente quand il sort (l'ascenseur) et même lorsqu'il finit par adopter Charlie puis sa famille, il les inclut dans sa bulle. Il n'est pas à l'aise dans les rapports humains, n'aime pas être touché, n'a pas une attitude socialement adaptée au point d'être obligé de lire des fiches pour savoir quoi dire à son audience et a un petit rire qui résonne à contretemps, quelque peu mécanique comme le reste de sa personne tirée à quatre épingles comme s'il était une sorte de pantin sorti de la vitrine (la scène où on le voit la première fois le présente exactement ainsi et le fait que les vrais pantins prennent feu et que cela le fasse rire suscite d'emblée un certain malaise). En revanche dans le domaine exclusif du chocolat, il est aussi expert que perfectionniste et la richesse de son univers intérieur contraste violemment avec l'aspect grisâtre du bâtiment extérieur.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.