"Le Drôle de Noël de Scrooge" est la troisième adaptation du célèbre conte de Charles Dickens par les studios Disney après "Le Noël de Mickey" (1983) et "Noël chez les Muppets" (1992). C'est également la troisième film d'animation en motion capture de Robert ZEMECKIS après "Le Pôle Express" (2004) et "La Légende de Beowulf" (2007). La fascination de Robert ZEMECKIS pour les nouvelles technologies notamment en ce qui concerne la combinaison entre le réel et l'animation l'ont poussé à fonder le studio d'effets spéciaux numériques IMD (Image Movers Digital) qui a été ensuite racheté par Disney de 2007 à 2010. C'est durant cette période de collaboration qu'est né un film dont l'aspect expérimental, lugubre et effrayant l'emporte sur l'aspect édifiant et merveilleux. On retrouve en effet les thèmes chers du réalisateur tels que l'hybridité, l'envol (les séquences aériennes sont proprement vertigineuses), les voyages spatio-temporels ou le dédoublement (les acteurs prêtent leurs traits à plusieurs personnages, par exemple Jim CARREY joue les trois fantômes en plus de Scrooge). Certains passages du film utilisent les effets 3D pour flirter avec le film d'épouvante notamment la séquence cauchemardesque du fantôme des noëls futurs. Robert ZEMECKIS y expérimente avec brio le passage de la 2D à la 3D quand l'ombre de la main de la grande faucheuse prend du volume ce qui la rend autrement plus tangible et effrayante.
En dépit de tous ces aspects positifs, le film n'est pas une pleine réussite. Tout d'abord parce que la morale du conte est aujourd'hui frappée d'obsolescence. "L'esprit de noël" apparaît comme un moyen de s'acheter (ou se racheter) une bonne conscience à peu de frais. La fête en elle-même ressemble surtout à un moment social convenu où il est de règle selon la morale chrétienne d'être convivial, généreux et charitable (ce qui dispense de l'être le reste de l'année?). Scrooge a beau être un odieux personnage, on perçoit aujourd'hui que ce qui est stigmatisé dans son comportement ce n'est pas seulement son inhumanité mais également sa résistance à la norme. On ne peut pas expliquer autrement par exemple l'acharnement de son neveu à vouloir l'inviter chez lui alors que sa réaction naturelle aurait été de le fuir. Cette confusion explique que la rédemption morale de Scrooge passe par sa soumission aux règles du jeu social. La manière dont a lieu cette rédemption est d'ailleurs discutable tant elle semble motivée par la crainte de la damnation bien plus que par une conversion authentique. Il faut dire que la peur de l'enfer était un bon moyen pour l'Eglise d'établir son emprise sur les âmes. Mais le recul de son influence sur les sociétés européennes fait que les ficelles idéologiques du conte apparaissent plus visibles. Ensuite la technique d'animation en motion capture produit un résultat assez froid et artificiel. Les personnages en particulier ressemblent à des pantins sans substance, ni âme. Leurs visages manquent d'expressivité, leurs mouvements de fluidité et leurs corps de densité.
"Fantômes en fête" est une adaptation contemporaine du "Christmas carol" de Charles Dickens. L'histoire est transposée dans le New-York des années 80 qui se caractérise par l'insolente réussite de ses yuppies sur fond de grande misère sociale. Cette opposition brutale est symbolisée par la verticalité de l'urbanisme du central business district. Les riches vivent au sommet des tours et les pauvres végétent dans les bas-fonds ce qui confirme la justesse de la ségrégation socio-spatiale qu'avait imaginé un demi-siècle plus tôt Fritz LANG avec "Metropolis" (1926). Terry GILLIAM en a également proposé une illustration saisissante dans l'un de ses meilleurs films, "Fisher King" (1991).
"Fantômes en fête" repose en grande partie sur les épaules de sa star Bill MURRAY au point de rapidement tourner au one man show. Le titre en VF d'ailleurs est un clin d'œil appuyé à "S.O.S. fantômes" (1984) alors qu'en VO "Scrooged" est une référence au héros du conte de Dickens. Néanmoins le résultat est inégal en raison d'un scénario grossièrement manichéen. Aux grands méchants arrivistes tels que Frank Cross, le directeur de chaîne de TV cynique et cruel joué par Bill MURRAY il oppose les bons sentiments avec des personnages plus tire-larmes les uns que les autres: la veuve et l'orphelin mutique, le chômeur SDF vengeur, l'ex dévouée aux causes charitables mais qui dans le fond de son cœur n'attend que de retomber dans les bras du grand manitou, le héros lui-même lorsqu'il était un pauvre enfant négligé etc. Tant que le film reste centré sur les agissements odieux de Frank Cross, on s'amuse beaucoup car l'abattage de Bill MURRAY fait merveille. Mais à partir du moment où confronté à son passé, son présent et son futur (à l'aide de fantômes d'un goût discutable), il commence à s'amender, le film sombre dans la mièvrerie pour finir par une désolante scène de fin moralisatrice et hypocrite qui est à peu près du n'importe quoi filmé n'importe comment. Sur un canevas finalement pas si éloigné, Harold RAMIS réussira quelques années plus tard un chef-d'oeuvre de la comédie fantastique qui immortalisera Bill MURRAY, "Un jour sans fin" (1993).
Pour les japonais animistes, les arbres sont tellement sacrés qu'ils préfèrent les intégrer à leur urbanisme plutôt que de les couper. Il n'est donc pas rare d'observer leur présence au beau milieu d'une gare, d'une route ou comme dans le film qui nous occupe, d'une maison. Car bien qu'étant issue de l'esprit de son père architecte, la maison de Kun, le héros du dernier film de Mamoru HOSODA est construite en marches d'escaliers (comme si elle épousait une pente naturelle) avec en son coeur, une cour intérieure abritant un arbre. Or cet arbre "généalomagique" contient en lui toute l'histoire familiale. C'est grâce à lui que la crise déclenchée par l'arrivée de Miraï la petite soeur de Kun (qui signifie "avenir") va pouvoir se dénouer. S'ensuit un formidable voyage temporel entre passé, présent et futur, réalité et imaginaire qui permet à Mamoru HOSODA de développer ses thèmes de prédilection: les voyages dans le temps ("La Traversée du temps" (2007)), l'évolution de la famille et les relations entre l'homme, la nature et les esprits ("Summer Wars (2009)", "Les Enfants Loups, Ame & Yuki" (2012), "Le Garçon et la Bête") (2015). Dans tous les cas, l'enjeu est de grandir et de trouver sa place aussi bien dans sa famille et dans le monde. Kun âgé de quatre ans à l'arrivée de sa soeur est particulièrement égocentrique et capricieux, une véritable "tête à claques" comme il se qualifie lui-même une fois devenu adolescent. L'arrivée de Miraï dans la famille déclenche donc en lui une jalousie incontrôlable parce qu'il n'est plus au centre du monde (comme le montre particulièrement bien la scène des photographies). La douleur et la colère le poussent à faire des bêtises, à tourmenter sa soeur voire à se mettre en danger. Sa rencontre avec des membres de sa famille à divers âges de leur vie ainsi qu'avec son chien Yukko métamorphosable en homme sont des jalons essentiels pour l'apaiser et lui permettre de donner du sens à son vécu. La plasticité spatio-temporelle et rêve-réel n'empêche pas le récit d'être limpide. En effet, l'arbre est toujours le déclencheur des événements fantastiques tandis que l'album photo familial permet de replacer chaque voyage dans l'histoire de la famille et de s'interroger sur la part de hasard et de destin dans sa construction. On remarque également que les garçons de la famille ont tous une fragilité entre un grand-père estropié, un père gringalet et un fils en proie à la furie furieuse. Le fait que le père garde les enfants à la maison pendant que la mère travaille dans une configuration semblable à celle des "Les Indestructibles 2" (2018) montre que l'évolution des rôles sexués touche aussi le Japon. Enfin signalons une scène onirique magnifique dans la gare de Tokyo utilisant la technique du papier découpé. Les trains dont raffole Kun sont les principaux véhicules de rêve et d'aventure mais ils peuvent aussi à l'occasion se transformer en cauchemar.
Voici le énième remake des classiques Disney (en attendant le prochain, celui de Dumbo) qui comme d'autres grands studios hollywoodiens tournent en rond depuis un certain nombre d'années maintenant en ne produisant plus que des copies techniquement impeccables mais complètement vaines de leurs plus grands succès. La technique, ça se démode vite et il n'est pas exclu que dans trente ou quarante ans si le cinéma existe encore, les gens ne se gondolent pas devant les effets spéciaux des années 2010 un peu comme c'est le cas aujourd'hui avec les peplum des années 50-60. En revanche ce qui ne se démode pas c'est l'âme et la créativité. Or ces films de divertissement aussitôt consommés aussitôt oubliés ne possèdent ni l'un ni l'autre. Et viendra le moment où il n'y aura plus que des remake à remaker ^^.
"Le retour de Mary Poppins" n'est en effet pas une suite comme il le prétend mais un pur et simple remake essayant sans arrêt de titiller la fibre nostalgique du spectateur. Censé se dérouler trente ans après les événements du premier film, il reprend le même cadre suranné, avec les mêmes personnages inamovibles (l'amiral et M. Boussole qui trente ans après devraient être en maison de retraite et non encore sur le pont et eux n'ont pas l'excuse de la magie pour ne pas vieillir). La maison des Banks n'a évidemment pas changé d'un iota (en dehors de quelques innovations techniques encore une fois) au point que Michael (Ben WHISHAW) a repris la place de son père et Jane (Emily MORTIMER), le flambeau de la mère (sauf qu'elle ne milite pas pour les droits des femmes mais des travailleurs). Quant aux enfants, il y a Jean, Michel et puis Wendy euh… non ça c'est dans "Peter Pan" (1953) mais c'est du pareil au même. Les séquences de comédie musicale marquent à la culotte celles du premier film. On a donc une séquence mêlant animation 2D et monde réel à partir non d'une peinture délavée par la pluie mais d'une soupière cassée, la séquence du thé au plafond de l'oncle Albert devient celle de la pièce renversée de la cousine Topsy où Meryl STREEP gagne la palme de la performance la plus ridicule. Enfin la séquence des ramoneurs devient celle des réverbères (et qu'est ce qu'elle est longue!)
Malgré tout ce travail de copié-collé, "Le retour de Mary Poppins" finit par trahir l'original lorsqu'il dévoile ses véritables intentions réactionnaires. En effet là où le sens profond de "Mary Poppins" (1964) consistait à sauver l'âme de M. Banks en le reconnectant à son enfance et à une vision humaniste du monde, symbolisée par le don des deux pence à la dame aux oiseaux, le remake fait l'éloge de l'investissement bancaire et boursier de ces deux pence qui permettent grâce au profit réalisé de sauver la maison des Banks. Bien entendu, on recouvre vite le message de propagande pro-capitaliste par une nouvelle mélodie sucrée en hommage aux vertus de l'enfance retrouvée qui ne peut que sonner faux.
Le début de "L'incroyable destin de Harold Crick" est mordant et intriguant. Nous suivons un personnage dont l'existence réglée comme du papier à musique est anti-romanesque au possible. Harold est une sorte de mécanique humaine qui a chargé sa montre de vivre à sa place ce qui donne au film son magnifique incipit: "Harold Crick était féru de nombres infinis, de calculs sans fin, et étonnamment avare de mots, et sa montre-bracelet était encore moins loquace. Chaque jour ouvrable depuis douze ans, Harold brossait chacune de ses trente-deux dents soixante-seize fois, trente-huit fois de gauche à droite, trente-huit fois de bas en haut. Chaque jour ouvrable depuis douze ans, Harold faisait un nœud demi-windsor à sa cravate et non un double, gagnant ainsi jusqu'à quarante-trois secondes. Sa montre-bracelet trouvait que le demi-windsor lui grossissait le cou, mais elle ne pipait mot. Chaque jour ouvrable depuis douze ans, Harold faisait environ cinquante-sept pas de course par bloc sur six blocs, attrapant de justesse le bus de 8h17, terminus Kronecker. Sa montre-bracelet se délectait de l'air tonique qui lui balayait le cadran."
Voilà une ouverture diablement littéraire pour une histoire aussi peu romanesque. C'est qu'en réalité, le film est construit sur une mise en abyme. Harold Crick (Will FERRELL) est le personnage d'un roman qu'est en train d'écrire Karen Eiffel (Emma THOMPSON). Sauf que l'espèce de non-vie dans laquelle s'est enfermé Harold Crick depuis 12 ans est une forme de dépression qui reflète celle de Karen Eiffel qui n'a plus rien écrit depuis une décennie. S'ensuit le moment où Harold comprend qu'il est le jouet d'un deus ex machina qui a pour particularité de faire mourir tous ses personnages à la fin de ses romans. Mais Harold a un tempérament de clown blanc qui s'ignore (le personnage, pas l'acteur qui avait déjà officié dans le film de Woody ALLEN "Melinda et Melinda" en 2005 qui reposait lui aussi sur des versions différentes d'une même histoire) et le fait d'apprendre sa mort prochaine va paradoxalement l'aider à retrouver son libre-arbitre. Un bulldozer défonce son appartement (le carcan dans lequel il s'est enfermé) et un contrôle fiscal le met aux prises avec une pétillante pâtissière anarchiste (Maggie GYLLENHAAL) qui réveille ses papilles et son désir tandis qu'il redécouvre sa fibre artistique.
L'originalité du scénario, quelques bonnes idées de mise en scène et l'interprétation font le sel de ce film qui comporte cependant des scories avec quelques personnages inutiles (la secrétaire de Karen jouée par Queen LATIFAH et le professeur de littérature Jules Hilbert interprété par Dustin HOFFMAN) ainsi que des partis pris dans lesquels le réalisateur s'emmêle les pinceaux (entre le je de Harold et le il de la narratrice dont la voix et la présence ne sont qu'intermittentes) et qui donnent une impression de confusion. Enfin la fin est quelque peu convenue.
Après un premier volet d'exposition que j'ai trouvé réussi, j'ai été très déçue par ce deuxième film. Celui-ci pèche en effet à mes yeux sur deux points cruciaux:
-Un scénario trop chargé, trop compliqué qui vire rapidement à l'accumulation inutile. Il y a tant de personnages, de lieux, d'actions, de débauche d'effets spéciaux dans ce film que tout est survolé en vitesse sans que rien ne soit approfondi. Là où le premier opus se concentrait sur quatre personnages et leurs relations, prenait le temps de les situer personnellement et professionnellement, le deuxième se disperse tellement qu'il les désagrège. Seul Norbert Dragonneau (Eddie REDMAYNE) sort à peu près intact de cette bouillie indigeste. Sa personnalité originale ressort à plusieurs reprises et le film met également en lumière son lien étroit avec Dumbledore (joué par un Jude LAW à qui le rôle va comme un gant). Mais les trois autres ne font que de la figuration. Jacob (Dan FOGLER) et Queenie (Alison Sudol) sont particulièrement malmenés. Le premier ne sert à rien et se contente d'assister passivement aux événements, les bras ballants et la bouche ouverte de surprise la plupart du temps. La seconde trahit la cause sans que l'on comprenne pourquoi (à moins qu'elle ne soit complètement idiote?), d'ailleurs le scénario a oublié au passage qu'elle avait une sœur. Quant aux nouveaux personnages, ils sont inexistants.
-Une absence de relief qui se traduit par une monotonie de ton tout au long du film. Celui-ci se veut très sombre mais l'uniformité n'a jamais réussi à Steve KLOVES (le scénariste) et David YATES (le réalisateur). Dans le premier volet, "Les animaux fantastiques" (2016) tout comme dans le sixième film de la saga Harry Potter ils alternaient avec davantage de bonheur la légèreté et le drame. Dans cet opus, on est davantage dans l'esprit des deux films sur les Reliques de la mort: de l'action, de sombres révélations, des drames et de l'ennui, beaucoup d'ennui. Car sans un minimum de chaleur humaine, aucune émotion n'est possible. Les sermons et les actes criminels de Grindelwald (Johnny DEPP qui fait du Johnny DEPP) ne sont pas terrifiants ils sont juste barbants.
"Sixième sens" est un très beau film fantastique qui rappelle "Shining" (1980) de Stanley KUBRICK (l'enfant doté de pouvoirs paranormaux, les travellings avant angoissants dans le couloir, le rôle important de la salle de bain, les lieux hantés) et "Vertigo" (1958) de Alfred Hitchcock (atmosphère onirique, poids des fantômes et du passé sur le présent, apparition-éclair du réalisateur dans son propre film). Mais le film est également profondément original de par sa construction en strates qui ne peut être appréciée que si on le voit au moins deux fois. La premier visionnage fait épouser au spectateur le point de vue de personnages démunis face à la mort qui n'est plus intégrée culturellement dans nos sociétés rationnalisées et qui ne peut donc plus être pensée. Cole (Haley Joel OSMENT) et Vincent Grey (Donnie WAHLBERG) sont rejetés par les autres et leur psychiatrisation les enfonce encore plus dans leur statut de freaks. Le twist final agit comme un "rideau déchiré" qui permet au deuxième visionnage de mesurer la profondeur de la mélancolie qui imprègne le film. Chacun est seul, enfermé en lui-même et incapable de parler aux autres ("seul" et "parler" sont sans doute les mots les plus récurrents dans le film). Une scène particulièrement forte suffit à mesurer le malentendu qui sépare Cole (et par extension, tous les enfants "extra-sensibles") des adultes hermétiques. Il s'agit du moment où le professeur demande aux élèves quel était autrefois l'usage de l'école où ils se trouvent. Le professeur attend une réponse politiquement correcte (un palais de justice), Cole lui donne celle qu'il connaît de par ses capacités extra-sensorielles (un lieu où on pendait les gens) avant de faire remonter à la surface l'enfant bègue qu'avait été ce professeur et qu'il a cherché à effacer. Même lorsqu'ils ont des liens affectifs et filiaux, les personnages ne parviennent pas à communiquer ou alors seulement par le truchement d'écrans, s'enfermant ainsi toujours davantage dans leur solitude et leur détresse. C'est toute la force du film de montrer comment Cole apprivoise les fantômes avec l'aide d'un psychologue pour enfants en quête de rédemption, Malcom (Bruce WILLIS) établissant ainsi un lien entre les morts et les vivants, le passé et le présent, l'enfance et l'âge adulte.
La beauté de "Coraline", l'ultime chef-d'œuvre à ce jour de Henry SELICK réside dans son caractère d'oeuvre artisanale dans une industrie envahie par l'image de synthèse déshumanisée. La première séquence -la fabrication d'une poupée de chiffon à partir des restes d'une autre poupée- en offre une mise en abyme saisissante. C'est aussi un conte adapté du roman de Neil Gaiman mais qui s'abreuve également à la source de tous les récits de petites filles qui découvrent une interface ouvrant vers un autre monde: Alice et le wonderland, Wendy et le neverland, Dorothy et Oz ou encore Lucy et Narnia et plus récemment Ofelia et le labyrinthe. En beaucoup plus sombre, Coraline lorgnant vers le récit d'épouvante avec des métamorphoses/déformations angoissantes, des griffes acérées à la "Edward aux mains d argent" (1990) ou "Les Griffes de la nuit" (1984), des boutons noirs cousus à la place des yeux, un tunnel vortex à l'apparence organique. Il est d'ailleurs déconseillé aux plus jeunes.
Coraline est en effet un conte vénéneux sur l'identité et la dualité. L'héroïne s'appelle Coraline mais ses voisins la prénomment tous Caroline. La poupée à son effigie symbolise l'emprise de la sorcière qui elle-même a revêtu l'apparence de sa mère. Et de l'autre côté du tunnel qui se trouve derrière la porte il y a un monde parallèle au sien, un monde identique mais en plus beau, riche, grand, tournant autour d'elle et de ses désirs. Mais ce monde trop beau pour être vrai est un piège constitué de pantins-clones aux yeux cousus et de fleurs carnivores. Le sourire tordu de l'autre mère et celui, forcé par des points de suture de l'autre Wybie, l'utilisation de courtes focales et de séquences oniriques délirantes comme on peut en trouver chez Terry Gilliam* font basculer la féérie dans le cauchemar. Seule Coraline et le chat noir qui l'accompagne parviennent à conserver leur singularité. Coraline restitue même leurs yeux, c'est à dire leur âme à trois enfants qui en avaient étés dépossédés par la sorcière sur fond de ciel étoilé à la Van Gogh. Un moment de pure grâce.
* Je pense en particulier à la séquence complètement déjantée du trapèze. Dans la réalité déjà décalée, l'appartement situé au-dessous de celui de Coraline est occupé par deux vieilles femmes, Spink et Forcible issues du monde du spectacle et qui empaillent leurs fox-terriers, tous identiques, lorsqu'ils meurent en leur cousant en plus des ailes dans le dos. Dans la réalité alternative où le délire est poussé à l'extrême, les chiens reprennent vie et forment le public d'un théâtre où les deux femmes se produisent. L'une prend l'apparence d'une énorme sirène et l'autre d'une version fellinienne de la Vénus de Botticelli. Toutes deux déclament "Hamlet" de Shakespeare avant que tout ne se dézingue et que les corps difformes ne s'avèrent être que des costumes à l'intérieur desquels se cachent deux sylphides faisant du trapèze (Spink et Forcible jeunes?)
La genèse de ce chef-d'œuvre de l'animation est le reflet de son intrigue. Il y est en effet question de cases, de marginalité et de normalité et au final de mélange des genres.
L'ouverture du film montre des cases ou plutôt des portes dans des arbres. Chacune ouvre sur une fête différente. Mais Halloween et Noël sont-elles réellement à l'opposé l'une de l'autre? La réponse du film jette la confusion. Halloween est joyeusement macabre grâce à l'animation d'esprits et de monstres plein de ressources, d'énergie et de vitalité alors que Noël est triste sous un maquillage festif. Elle se réduit à une succession de pièces vides que l'on remplit avec des objets "politiquement corrects". Il faut dire que son maître est lui-même un pur produit de consommation (issu d'une publicité pour Coca-Cola, faut-il le rappeler ?)
La manière dont Jack Skellington va secouer la torpeur de ces noëls convenus ressemble à s'y méprendre à celle de Tim BURTON employé au sein des studios Disney au début des années 80. Ceux-ci sont alors en panne de créativité et leur vision du monde bien-pensante leur fait rejeter tout ce qui est différent. Pourtant c'est de cette différence que pourrait venir leur revitalisation. Ils refusent donc d'assumer le décalage burtonien qui s'en va alors prouver son talent sous d'autres cieux. Mais le poème écrit par Tim BURTON qui est à la base de "L'étrange Noël de monsieur Jack" reste la propriété de Disney. Burton et le studio se retrouvent donc 10 ans après pour réaliser ce projet, le premier ayant acquis une notoriété suffisante pour crédibiliser l'entreprise et le second ayant un nouveau directeur plus éclairé, Michael Eisner . Néanmoins avant de devenir le 41° long-métrage du studio et de trôner dans ses parcs à thèmes à chaque Halloween, il lui faudra passer par la filiale Touchstone, l'image du film étant décidément trop décalée avec le style bonbonnière habituel de Disney. Tim BURTON a réussi au bout du compte à casser les codes et à faire accepter à l'Amérique son côté sombre (comme avec les films Batman) et ambivalent ce qui n'est pas une mince affaire dans un pays marqué par un mode de pensée manichéen qui veut maîtriser le monde en collant des étiquettes à chacun.
La réussite totale du film n'est cependant pas seulement due à Tim BURTON. Il s'est appuyé autant par manque de temps que de savoir-faire sur Henry SELICK, un spécialiste de l'animation en stop-motion qui n'avait pas eu droit aux honneurs d'un long-métrage depuis des décennies. Le succès du film ouvre la porte à d'autres longs-métrages de ce type qu'ils soient réalisés par Tim BURTON, Henry SELICK ou d'autres (Wes ANDERSON, Nick PARK etc.) Et la musique de Danny ELFMAN est tout simplement exceptionnelle. Les chansons envahissantes des films Disney sont la plupart du temps convenues et superflues. Ici elles font corps avec la narration et la mise en scène, contribuant à leur lisibilité et à leur dynamisme.
"Cinderella" est l'une des illustrations de l'influence de l'Europe sur l'Amérique personnifiée par sa petite fiancée d'alors alias l'actrice Mary PICKFORD. Certes il ne s'agit pas de la première adaptation cinématographique du conte de Charles Perrault mais c'est celle qui servira de modèle au film d'animation des studios Disney. De fait en dépit des limites de l'époque, le film dégage un certain charme grâce au charisme de sa star et à l'onirisme dans lequel il baigne. Cendrillon passe son temps moins à travailler qu'à rêver étendue sur l'herbe ou sur sa paillasse. Et elle rêve à quoi? A l'amour bien sûr ! Cendrillon est l'un des exemples parmi les plus emblématiques du mythe du prince charmant, l'homme idéal rêvé par les très jeunes filles et dont la venue leur permettra de s'accomplir dans les sociétés patriarcales. La famille de Cendrillon est pourtant matriarcale mais les modes de pensée de la belle-mère, des deux sœurs et de Cendrillon sont façonnées par le patriarcat. Ce sont des rivales qui cherchent à susciter le désir chez un homme en se parant des atouts de la séduction. Et si Cendrillon y parvient, c'est parce qu'elle a le profil idéal. La femme idéale selon le patriarcat se doit d'être belle pour flatter l'ego de l'homme et lui servir de trophée. Elle se doit d'être bonne c'est à dire dévouée afin de s'oublier pour se mettre au service des besoins de son seigneur et maître. Elle doit être douce, soumise, décorative et excellente maîtresse de maison. Tout est fait pour rendre ce modèle désirable et son revers (celui des demi-sœurs), repoussant. Il va sans dire que la relation qu'entretenait alors le réalisateur James KIRKWOOD avec Mary PICKFORD (un grand classique des rapports asymétriques hommes-femmes dans le monde du cinéma) s'inscrit parfaitement dans ce schéma.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.