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Compartiment n°6 (Hytti Nro 6)

Publié le par Rosalie210

Juho Kuosmanen (2021)

Compartiment n°6 (Hytti Nro 6)

"Compartiment n°6" confirme l'excellente impression que m'avait faite le premier film de Juho Kuosmanen "Olli Mäki": simplicité (dans la trajectoire et l'intrigue mais aussi le naturel désarmant des personnages et jusque dans le choix du thème principal de la BO, le tube eighties "Voyage, voyage" de Desireless qui résume en plus parfaitement l'esprit du film!!), justesse de ton, finesse d'observation, douceur de l'approche, regard bienveillant et tendre sur les personnages, part d'enfance irréductible qui sait aller à l'essentiel. Je déteste le terme commercial de "feel good movie" mais il est vrai que c'est un film qui fait du bien alors que le cadre a priori n'est pas très, voire pas du tout engageant alors si ça peut inciter plus de gens à franchir le pas et à aller voir ce qui peut réchauffer le corps et l'esprit dans le cinéma scandinave, la Russie et les grands espaces arctiques, c'est déjà ça. Et preuve que le grand cinéma peut être reconnu sous les apparences les plus humbles, "Compartiment n°6" a obtenu le Grand Prix à Cannes. Un prix mérité.

Le générique de "Compartiment n°6" annonce la couleur avec un air entraînant de Roxy Music au titre annonciateur "Love is the drug". Ensuite la première image doit absolument être raccordée à la dernière comme preuve du chemin parcouru. L'une et l'autre donnent son sens au film et montrent combien celui-ci a été pensé.

Dans la première image, on voit Laura, une jeune finlandaise à l'air mélancolique sortir des toilettes d'un appartement moscovite où se déroule une fête mondaine dans laquelle elle se sent visiblement mal à l'aise. Elle paraît aussi déconnectée que Olli Mäki pouvait l'être au milieu du cirque médiatico-sportif organisé autour d'un statut de champion dans lequel il ne se reconnaissait pas. Laura est en effet présentée par son hôtesse russe (et secrètement maîtresse) Irina exactement de la même façon: non pour ce qu'elle est mais pour ce qui peut la faire briller en société: ses études en archéologie et son voyage planifié pour aller voir les pétroglyphes (symboles gravés dans la pierre) de Mourmansk. Voyage qu'elle devait faire avec Irina mais (est-ce surprenant?), celle-ci se défile et la laisse partir seule. Tout au long de son périple éprouvant, Laura ne cessera de tenter de se raccrocher à Irina par téléphone (le film se déroulant en 1996, il n'y a pas de portable mais seulement la possibilité d'utiliser les cabines lors des escales) et se heurtera soit à son indifférence, soit à son silence. Eloquent. 

Dans la dernière image, on voit la même jeune femme (mais est-ce bien la même?) arborer un éclatant sourire jusqu'aux oreilles alors que l'écran est envahi par le soleil, en relation directe avec la déclaration d'amour qu'elle vient de recevoir. Et bien qu'on puisse penser que cela illustre le cliché selon lequel "les voyages forment la jeunesse", le film est beaucoup plus subtil que ça (contrairement à nombre de critiques qui, simplifiant tout à la truelle, ont accusé le film d'enfiler les clichés). En effet la partie ferroviaire de son voyage apparaît surtout comme une épreuve à traverser au point qu'elle est tentée de revenir en arrière. Et on la comprend. Il y a la vétusté du train et du réseau (manque d'eau dans les toilettes, propreté douteuse de la literie, grincements, cahots, lenteur, escales interminables) reflet fidèle de l'état du système ferroviaire russe dans les années 90, l'amabilité très relative de la cheffe de train (bien qu'avec le temps on découvre aussi ses qualités) mais surtout la promiscuité avec les autres voyageurs. Certes, Laura ne voyage pas dans l'entassement des corps de la 3° classe que l'on aperçoit à deux ou trois reprises. Mais dans sa cabine de 2° classe, elle découvre qu'elle va devoir faire tout le voyage avec un certain Lohja et qu'elle ne peut échapper à cette cohabitation (malgré plusieurs tentatives). Et sa première réaction est la peur. Déjà, l'apparence du mec n'est pas rassurante avec son crâne rasé et son visage dur. Mais en plus le jeune ouvrier russe se comporte en butor, étalant sa nourriture, enfilant des litres de vodka, harcelant la jeune femme qu'il prend pour une prostituée (sans doute parce que c'est le seul cadre référentiel qu'il connaît pour les jeunes femmes seules qui prennent le train dans son pays) sans parler de son expression corporelle brusque et de son vocabulaire limité (et ne parlons même pas de sa tête ahurie quand Laura lui parle pour la première fois du but de son voyage!).

Seule la finesse du regard de Juho Kuosmanen permet (surtout quand on est une femme et qu'on ressent par tous les pores le malaise de Laura, son sentiment d'oppression, sa peur de l'agression) de comprendre que la grossièreté se joue en fait dans les deux sens. Quand Laura se retrouve au wagon-restaurant avec Lohja et qu'elle s'empresse de faire de la place à une famille bourgeoise qui vient s'installer à leurs côtés, quand elle quitte le compartiment pour aller téléphoner et emporte toutes ses affaires avec elle de peur qu'il ne la vole, quand elle accueille un finlandais sans titre de transport dans leur compartiment juste parce qu'il présente bien et qu'elle se sent en confiance parce que c'est un compatriote, ce sont autant d'humiliations -des humiliations de classe (bourgeois intello contre ouvrier mais aussi finlandais civilisé contre russe barbare)- que l'on voit Lohja encaisser (et on voit combien cela lui fait mal, c'est ce qui dessine peu à peu la sensibilité du jeune homme sous ses dehors peu engageants). Pourtant la devise de Laura (qui a une caméra et donc adopte parfois le point de vue du réalisateur) est de "croire ce qu'elle voit". Et elle finit par voir aussi que Lohja n'est pas ce qu'il paraît au premier abord. Il s'avère serviable, soucieux d'elle, débrouillard et en même temps maladroit comme un gosse mal grandi, enfermé en lui-même voire même un peu autiste (la scène où il lance des boules de neige dans le vide avant de se casser la figure, son mal-être et sa fuite face aux sentiments et au contact physique lorsqu'il est en état de sobriété). Et lorsque le train arrive à destination, c'est la libération: on passe du confinement claustrophobique du compartiment (le film a réellement été tourné dans un train d'époque, dans des conditions éprouvantes) aux grands espaces vierges, loin de toute civilisation. Et ironie de l'histoire, c'est uniquement grâce à la débrouillardise de Lohja que Laura parvient jusqu'au site archéologique qu'elle souhaitait visiter, tout au bout du monde, dans un endroit inaccessible. Là où hors de tout jugement social, Lohja et Laura, ces deux "loups solitaires" aux prénoms quasi identiques peuvent retrouver un temps leur innocence perdue et communier avec leur véritable nature qui s'avère être identique comme s'il étaient jumeaux. Les acteurs, Seidi Haarla et Youri Borissov tous deux atypiques sont remarquables et ce dernier est fascinant dans la façon dont il peut transformer son visage, celui-ci pouvant ressembler à un homme vieilli avant l'âge ou à un enfant perdu selon les situations dans lesquelles il se trouve. C'est d'ailleurs le visage d'un enfant endormi que Laura dessine lorsqu'elle le représente.

De même que la fin reste ouverte (se reverront-ils, ne se reverront-ils pas?), la nature de la relation entre Laura et Lohja reste volontairement indécise, entre amitié fraternelle et amour. Leur voyage n'est pas sans rappeler "Elle et Lui" de Leo McCarey avec notamment une scène centrale d'escale assez semblable dans laquelle Lohja emmène Laura voir une parente à lui, escale décisive dans l'évolution du regard qu'elle porte sur lui. Un autre film qui a été rapproché de façon pertinente de "Compartiment n°6" est "Lady Chatterley" de Pascale Ferran dans le sens où le rapprochement de deux personnes de condition sociale opposée (une aristocrate raffinée et un garde-chasse fruste) aboutit au final à la même émancipation joyeuse, une joie pure en forme de retour à l'enfance dans la nature, même si celle-ci est forcément éphémère.

Compartiment n°6 (Hytti Nro 6)

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Capitaine Conan

Publié le par Rosalie210

Bertrand Tavernier (1996)

Capitaine Conan

J'ai eu il y a quelques années un "faux départ" avec "Capitaine Conan". Enthousiasmée par "La Vie et rien d'autre" (mon film préféré de Bertrand Tavernier) j'ai voulu enchaîner avec le DVD de son autre grand film sur l'après-guerre (de la première guerre mondiale) mais j'ai baissé les bras au bout de cinq minutes, découragée par l'argot des tranchées dont j'étais loin de connaître tous les termes qui plus est débité à une cadence infernale.

Il serait pourtant vraiment dommage de se laisser arrêter par cet obstacle (gênant surtout au début, après, on s'y habitue ou alors on prend un lexique pour s'aider). Les films historiques de Bertrand Tavernier, saisissants de réalisme et de dynamisme comme s'ils étaient une sorte de reportage de terrain "pris sur le vif" font partie des meilleurs qui existent par le fait d'être capable de donner vie et chair au passé, par le fait qu'il s'agit d'un cinéma humaniste, un cinéma filmé à hauteur d'homme, sans aucun manichéisme. Une scène en particulier illustre bien "l'esprit Tavernier" dans "Capitaine Conan": celle de l'armistice du 11 novembre 1918 qui est totalement démythifié. On y voit des soldats torturés par la dysenterie dont certains partent se cacher derrière le premier obstacle venu pour se soulager plutôt que d'écouter un discours officiel aux allures de pétard mouillé, au sens propre d'ailleurs puisqu'il pleut des cordes. D'ailleurs cette armistice n'en est pas un pour Conan et ses hommes que l'on envoie en Roumanie traquer le Bolchévik. Et même s'ils avaient été démobilisés, la guerre aurait de toute façon continué dans leur tête et dans leur corps.

Car ce que le film de Bertrand Tavernier montre d'une façon admirable, c'est comment la "culture de guerre" c'est à dire la sauvagerie vécue au quotidien imprègne des hommes au point qu'ils ne peuvent plus revenir à la civilisation une fois celle-ci terminée. La décision d'envoyer le corps franc du capitaine Conan terroriser les roumains plutôt que de les faire revenir en France est d'un cynisme révoltant. Un redoutable commando dont la France a bien su se servir en temps de guerre comme champions du combat au corps à corps mais dont elle cherche ensuite à se débarrasser en temps de paix quand ces comportements deviennent ceux de hors la loi, délinquants et criminels en se défaussant de ses responsabilités et en "refilant le bébé" à d'autres pays. C'est pourquoi, sans excuser les exactions dont se rendent coupables ces soldats, Bertrand Tavernier montre comment ceux-ci sont à la fois des bourreaux et des victimes. Et dresse au passage deux admirables portraits, non moins admirablement joués, celui de leur capitaine, Conan (Philippe Torreton, magistral), un dur à cuire fruste issu du peuple qui partage le sort de ses hommes et les défend corps et âme au point de prendre tous leurs errements sur lui et celui du lieutenant Norbert (Samuel Le Bihan) issu d'un milieu intellectuel et bourgeois donc bien plus policé et conscient des lois mais qu'une amitié indéfectible lie à Conan. Norbert décide d'accepter la mission de commissaire-rapporteur pour faire régner la justice au milieu du chaos. Non une justice désincarnée mais une justice humaine pour redonner des repères à ces hommes perdus et les protéger du pire tout en protégeant également la société de leur dérive. Cela ne va pas sans tensions avec Conan qui accuse Norbert d'être un vendu (la vision que Conan -et derrière lui Bertrand Tavernier- a de l'Etat-Major est digne de celle de Stanley Kubrick dans "Les Sentiers de la gloire" même si le personnage du lieutenant joué par Bernard le Coq vient nuancer le propos) mais leur conflit lié à leur différence de classe et d'éducation renforce au final leur amitié. Au point que l'on voir Conan faire ce qu'aucun membre du tribunal militaire ne daigne faire: aller sur le terrain pour comprendre comment un jeune soldat a pu perdre les pédales au point de se livrer à l'ennemi avec des secrets militaires dans la poche (haute trahison qui le rend passible du peloton d'exécution). La valeur du geste étant lié au fait que ce soldat est pourtant issu de l'aristocratie, sa mère étant même liée aux membres de l'Etat-Major. On comprend ainsi comment le fait de se comporter en homme d'honneur sur le champ de bataille peut transcender les barrières de classe sociale (soit exactement ce que démontrait Jean Renoir dans "La Grande Illusion" autre grand film sur cette période). La scène finale, d'une grande force émotionnelle montre aussi comment une fois sorti pour de bon de la guerre, Conan qui faisait office de pilier pour tous les autres s'avère rongé de l'intérieur par le mal incurable de ce qu'il a subi et infligé. Une scène si forte qu'elle vous poursuit bien au-delà du visionnage du film*.

* Que Philippe Torreton ait reçu le césar du meilleur acteur et Bertrand Tavernier celui du meilleur réalisateur pour ce film n'est que justice.

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First Cow

Publié le par Rosalie210

Kelly Reichardt (2019)

First Cow

Le western est un genre qui, comme beaucoup d'autres (le film d'action, le film d'aventures, le film de gangsters, le film de guerre, le film noir) a été façonné par des hommes (occidentaux) à leur propre gloire: à eux l'exploration, la conquête, l'appropriation des territoires, la "mise en valeur" et à eux aussi la mise en récit (narcissique) de leurs exploits guerriers et bâtisseurs. Bien que le western classique n'ait jamais été univoque (le cinéma de John Ford ou de Anthony Mann, deux réalisateurs que j'admire en témoigne) et bien que le genre ait été déconstruit depuis bien longtemps, il manquait d'un regard spécifiquement féminin pour l'aborder. Depuis quelques années, c'est chose faite: les femmes s'emparent du genre et livrent leur propre récit de la conquête de l'ouest et des hommes qui l'ont faite. 

"First Cow" est le deuxième western de Kelly Reichardt (après "La Dernière piste"), cinéaste indépendante américaine qui aime dépeindre des marginaux, comme elle l'est elle-même dans le monde du cinéma. Il est intéressant de souligner que dans l'introduction de son film, une jeune femme anonyme contemporaine de nous (qui pourrait être la cinéaste elle-même) déterre deux cadavres dont elle raconte ensuite l'histoire. Une histoire ignorée ou longtemps étouffée par la civilisation dominante. C'est un thème ultra contemporain: "Madres Paralelas", le dernier film à ce jour de Pedro Almodovar procède lui aussi à une exhumation de corps pour raconter une histoire "parallèle" à celle qui a longtemps été officielle. 

Le film de Kelly Reichardt se déroule en Oregon au début du XIX° siècle dans une forêt généreuse et luxuriante traversée par un grand fleuve. Une nature splendide filmée de manière contemplative et sensuelle avec un luxe de détails sur les couleurs, les jeux de lumière, les sons, comme un grand organisme vivant. Le choix d'un format d'image carré à l'ancienne proche du temps du muet (le film, épuré et minimaliste est très peu bavard et possède une intrigue des plus ténues ce qui peut rebuter) ramène à cette idée de paradis originel, à peine égratigné par les nombreux trappeurs qui le sillonnent et la présence du fort. Néanmoins les apparences sont trompeuses: la vie des hommes est primitive, rude et l'arrivée des colons prédateurs en fait une jungle où règne la loi du plus fort. Les deux personnages principaux, "Cookie" surnommé ainsi parce qu'il a une formation de cuisinier et King-lu, un chinois qui rêve de faire fortune nouent une solide amitié mais leur naïveté leur sera fatale. En effet ils s'avèrent inadaptés au monde qui commence à se construire autour d'eux: celui des prémisses du capitalisme, symbolisé par une vache importée par le gouverneur du fort. Cet être vivant dont ils ont besoin pour monter leur entreprise, se retrouve parqué dans un enclos et gardé par des fusils et y toucher signifie la mort. Il est d'ailleurs dommage que Cookie et King-lu se compromettent dans le monde violent et corrompu en train de naître (celui des "winners" et des "losers" dont ils font évidemment partie) au lieu de prendre le large et de se reconstruire ailleurs, autrement. On aurait aimé aussi plus de détails sur les autres peuples fréquentant les lieux et notamment les indiens, retranscrits avec un réalisme qui fait penser au film de Terrence Malick "Le nouveau monde" mais un peu rapidement. Enfin, ce cinéma tout en retrait et en creux manque à la fois de puissance et d'émotion, deux notions que l'on peut dégenrer et qui ne sont pas incompatibles.

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L'Homme de Rio

Publié le par Rosalie210

Philippe de Broca (1964)

L'Homme de Rio

L'Homme de Rio, deuxième collaboration entre Philippe de Broca et Jean-Paul Belmondo (après "Cartouche") c'est le film qui fait la liaison entre les aventures de Tintin et la saga Indiana Jones. Les emprunts aux albums du célèbre reporter sont légion et rappellent que L'Homme de Rio est issu d'un projet d'adaptation de l'oeuvre de Hergé: les statuettes dissimulant un secret? "L'Oreille Cassée". Les enlèvements d'ethnologues? "Les Sept boules de cristal". La superposition des trois parchemins? "Le Secret de la Licorne". Le héros suspendu juste au-dessus d'un crocodile affamé? "Tintin au Congo". Ou cascadeur le long d'un immeuble? "Tintin en Amérique". Les fléchettes empoisonnées? "Les Cigares du pharaon". Cette ligne claire par son extrême précision se combine avec une vitesse d'exécution sans pareille, d'immenses espaces à défricher (la jungle), ou à investir (Brasilia), les qualités athlétiques de Jean-Paul Belmondo qui ne cesse de courir, sauter, grimper, nager, se bagarrer du début à la fin du film à pied, en vélo, en voiture, en avion ou de liane en liane (mais toujours en ligne droite, de case en case!) et un zeste du rire unique de Françoise Dorléac. La dynamique de leur couple rappelle les meilleures comédies américaines, les séquences de saloon font penser au western, celle où le héros grimpe le long d'un mur et les bagarres où le décor est détruit aux burlesques muets et juste retour des choses, le film sera à son tour une source d'inspiration majeure pour Spielberg (qui découvrira ensuite par ricochet l'oeuvre belge d'origine et lui rendra hommage en 2011). L'ensemble défie les lois de l'apesanteur dans une esthétique bariolée proche de son modèle original, la BD mais aussi de la légèreté de la Nouvelle Vague (décors naturels, faux raccords privilégiant le rythme à la cohérence).

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Belle (Ryū to sobakasu no hime)

Publié le par Rosalie210

Mamoru Hosoda (2021)

Belle (Ryū to sobakasu no hime)

Après "Le Garçon et la Bête", Mamoru Hosoda nous propose une version 2.0 de "La Belle et la Bête" qui rend hommage à la version Disney dont Hosoda est fan mais qui s'en éloigne cependant sensiblement ainsi que du conte d'origine pour se rapprocher de ses thèmes fétiches: la dualité (tant des univers que des personnages), l'altérité, l'animalité. Très riche graphiquement et narrativement, n'hésitant pas à jouer sur des ruptures de ton, le film possède plusieurs trames et plusieurs niveaux de lecture. Au premier abord, on a l'impression d'une redite de "Summer Wars" car la scène d'introduction est quasiment identique: l'exposition d'un gigantesque monde virtuel nommé U (dans "Summer Wars", il s'appelle Oz) où chaque membre possède un avatar qui le définit par rapport à sa personnalité intérieure (on pense aussi forcément à "Ready Player One" et à l'OASIS). Cependant si "Summer Wars" insistait surtout sur les dangers de l'IA pour le monde réel, "Belle" en montre au contraire les possibles bienfaits. Le monde virtuel devient une extension de soi et s'apparente autant à un réseau social qu'à une oeuvre d'art en mouvement. Le style graphique en 3D fait ressortir formes et couleurs et s'apparente par moments à une toile abstraite ou surréaliste alors que le monde réel en 2D est dans l'ensemble naturaliste. Néanmoins, Mamoru Hosoda n'hésite pas à brouiller les frontières du réel et du virtuel et à déjouer nos attentes. D'abord parce que le virtuel a des retombées concrètes dans le monde réel. Ainsi Suzu, l'héroïne (alias "Belle" dans le monde virtuel) est appelée à revivre la situation traumatique dans laquelle elle a perdu sa mère sauf que c'est désormais elle qui se retrouve dans le rôle du sauveur et du protecteur au lieu d'être dans celui du témoin impuissant. Mais pour cela, elle doit tomber le masque qui lui permettait de s'affirmer dans le monde virtuel (dans un rôle de pop idol qui m'a fait penser quelque peu aux films de Satoshi Kon, "Perfect Blue" et "Paprika"). Ensuite parce qu'à l'inverse, la fille dont elle s'est inspirée pour créer son avatar dans U s'avère être en réalité peu sûre d'elle lorsqu'il s'agit d'aborder l'élu de son coeur, un garçon un peu bizarre qui n'est pas un parangon de beauté. Cela donne lieu à une scène franchement burlesque en plan fixe basée sur des entrées et sorties de champ qui est en rupture par rapport au style réaliste du film dans le monde réel. Enfin un des enjeux du film est la révélation de la véritable identité de la Bête (surnommée "Le Dragon" dans U) qui lorsqu'elle survient donne au récit une tournure d'une gravité et d'une profondeur inattendue. Contrairement à ce que j'ai pu lire dans certaines critiques superficielles, les super-héros chargés de faire la police dans U en révélant la véritable identité des avatars pour ensuite les expulser ne sont pas de simples commodités. Ce sont des figures de justiciers sorties d'un système de valeurs réactionnaire (patriarcal et manichéen) que Suzu va battre en brèche, parallèlement au fait qu'elle va dévoiler l'hypocrisie d'un père qui donne de lui une belle image en société mais dont le vrai visage ne se révèle que dans l'intimité du foyer. Cela montre l'ambivalence des outils technologiques qui dépendent de l'usage que l'on en fait: Big Brother peut se muer en lanceur d'alerte. Et on pense au rôle capital joué par les photos, les vidéos et les enregistrements sonores dans la révélation de malversations et de crimes, à échelle individuelle ou collective.  

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A l'est de Shangai (Rich and Strange)

Publié le par Rosalie210

Alfred Hitchcock (1931)

A l'est de Shangai (Rich and Strange)

Sixième film parlant de Alfred HITCHCOCK (en deux ans!), "Rich and Strange", encore marqué dans son style par l'ère du muet (cartons, phrases non sonorisées, peu de dialogues, jeu forcé, plans expressifs) est une comédie sentimentale et d'aventures atypique dans sa filmographie. A mi-chemin entre "L'Ile de la tentation" et "Titanic" (1997), le film raconte le naufrage puis le sauvetage d'un couple parti se régénérer dans une croisière autour du monde. C'est un film mineur mais très plaisant, rehaussé par un humour percutant et une réflexion sur le couple qui ne manque pas de pertinence. D'abord parce que Fred et Emily cherchent des raisons extérieures à l'usure de leur couple (le train-train quotidien) et pensent que l'exotisme va tout résoudre. Evidemment, c'est le contraire qui se passe puisque l'exotisme prend la forme de l'adultère (très habilement suggéré). Ensuite parce qu'en mettant ainsi en danger leur couple, chacun découvre l'autre sous un jour plus réaliste et Fred et Emily peuvent ainsi prendre un nouveau départ. Nul doute qu'il y ait une part d'autobiographie dedans (même si l'argument est tiré d'un roman de Dale Collins rédigé en parallèle) d'autant que le scénario a été co-écrit avec Alma REVILLE, épouse de Alfred HITCHCOCK à la ville. Joan BARRY, l'actrice qui joue Emily n'est autre que la voix que l'on entend dans "Chantage" (1929), le premier film parlant de Alfred HITCHCOCK.

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Haceldama ou le prix du sang

Publié le par Rosalie210

Julien Duvivier (1919)

Haceldama ou le prix du sang

"Haceldama ou le prix du sang" est le premier film de Julien DUVIVIER (alors âgé de 22 ans et ancien assistant entre autre de Louis FEUILLADE et Marcel L HERBIER) qui en est l'auteur complet (réalisateur, scénariste, producteur et monteur). C'est aussi le premier long-métrage de fiction français tourné dans le Limousin. Catalogué comme un western made in France en raison de nombreux emprunts au genre venu des USA et qui faisait alors fureur dans l'hexagone (cow-boy, cheval, revolver braqué face caméra, plans panoramiques sur de grands espaces naturels magnifiés, bagarres au corps à corps), le film se situe en réalité au carrefour de plusieurs genres. On y décèle l'influence du film d'aventures, du film religieux (Haceldama, "le champ du sang" est le mont où Judas Iscariote se pendit d'après l'Evangile selon Saint-Jean), du film fantastique et surtout du mélodrame familial avec de nombreux gros plans figés très théâtraux dans des intérieurs bourgeois et un jeu outrancier formant un contraste avec les codes du western (plans larges en extérieur, jeu naturel, scènes d'action donnant la possibilité au corps de déployer ses possibilités). Ces hésitations sur le genre du film recoupent un scénario confus mêlant plusieurs intrigues seulement esquissées (une histoire de vengeance, une histoire d'amour, une histoire de rédemption, une histoire de trahison) menant toutes au personnage du patriarche ( SÉVERIN-MARS, extrêmement charismatique). Mais si le scénario est bancal, la mise en scène, le choix de décors extérieurs plus majestueux les uns que les autres (dont beaucoup ont disparu aujourd'hui sous les aménagements, la région étant plus sauvage qu'aujourd'hui) et la photographie sont remarquables. Certains passages (la fin notamment) n'ont rien à envier aux meilleurs westerns américains.

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Frontière chinoise (Seven Women)

Publié le par Rosalie210

John Ford (1966)

Frontière chinoise (Seven Women)

Dernier film de John Ford, "Frontière chinoise" possède l'un de ces titres français cache-sexe (au sens propre!) destinés à camoufler la part de sensibilité féminine de ses films dans un but grossièrement commercial*. Pourtant, difficile de masquer le fait que celui-ci (qui se nomme "Seven women" en VO) n'a que des femmes pour protagonistes principaux. Film méconnu n'existant pas en DVD en France (comme nombre de classiques), "Seven women" est pourtant un très beau film-testament qui reprend la plupart des motifs fordiens.

Si la part féminine des films de John Ford est évidente pour qui connaît un peu sérieusement le cinéaste, elle reste le plus souvent dans l'ombre. Elle constitue la plupart du temps un terreau ou un socle sur lequel peuvent pousser et s'appuyer les personnages masculins du cinéaste, terreau sans lequel ils sont condamnés à s'égarer. Dans "La Charge héroïque", la boussole du capitaine est la tombe de son épouse où il vient régulièrement se recueillir. Sans la femme aimée et perdue, Ethan Edwards ("La Prisonnière du désert") aurait été un être définitivement maudit. Sans Dallas, Ringo Kid ("La Chevauchée fantastique") serait resté un hors-la-loi. Et ne parlons même pas des bandits transformés en "godfathers" par la grâce d'une femme mourante qui leur confie son bébé dans "Le Fils du désert". Car donner, sauver, protéger la vie est une mission sacrée chez John Ford. C'est elle qui constitue la principale boussole morale de ses films. Et "Seven Women" ne déroge pas à la règle. Le fait que pour son dernier film, John Ford ait mis les femmes sur le devant de la scène est donc aussi pour lui une manière de reconnaître l'importance qu'elles ont eu dans sa vie et son cinéma.

La trame de "Seven women" ressemble beaucoup à celle de "La Chevauchée fantastique". Soit une cohabitation-confrontation dans des circonstances de plus en plus dramatiques et dans un espace clos d'un groupe de femmes missionnaires pétries de principes puritains et d'une femme-médecin athée, masculine et libérée. Les épreuves qu'elles vont endurer vont avoir valeur de révélation. Alors que leur directrice (Margaret Leighton) psycho rigide (et rongée par ses frustrations) s'avère impuissante face aux malheurs qui les frappent (elle est même du genre à les aggraver par son comportement borné et son dégoût du sexe et de l'enfantement), le docteur Cartwright en qui se mêlent Dallas, Ringo kid et le docteur Boone prend des décisions destinées à leur sauver la vie ainsi que celle de l'enfant à naître de l'une d'elles, quitte à sacrifier la sienne**. Ce personnage admirable (et remarquablement interprété par Anne Bancroft) devrait figurer depuis longtemps au panthéon des femmes les plus fortes jamais créées par le cinéma américain. Néanmoins, aucun personnage féminin n'est sacrifié. Des nuances subtiles apparaissent entre elles selon leur âge, leur vécu ou leur personnalité. Un enjeu se dessine autour de la plus jeune des missionnaires (jouée par Sue Lyon, aux antipodes de son rôle de Lolita chez Kubrick), la seule qui a encore la vie devant elle. Un temps influencée par la directrice, elle finit par trouver un mentor en la personne du docteur Cartwright. Cette femme en apparence désabusée, revenue de tout (des hommes et d'une société qui l'a privée de la carrière qu'elle aurait mérité si elle avait été un homme), John Ford lui rend un ultime hommage en lui donnant une réplique d'homme rageuse et percutante (celle qu'il aurait prononcé s'il avait été dans sa situation) puis en éteignant les lumières, lui conservant l'intimité de ses derniers instants. 

 

* Les exemples les plus célèbres sont "La Charge héroïque" ("She wore a yellow ribbon" en VO) et "La poursuite impitoyable" ("My Darling Clementine" en VO).

** C'est sans doute une coïncidence mais il y a des points communs entre la trame de "Seven women" et celle de "Breaking the waves". Soit une femme qui se sacrifie dans un noble but en étant pointée du doigt par tout ou partie de la communauté dans laquelle elle vit parce que pour y parvenir elle est contrainte de se prostituer.

Frontière chinoise (Seven Women)

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Dune

Publié le par Rosalie210

Denis Villeneuve (2020)

Dune

Plus je vois de versions de "Dune", plus je me dis qu'il faut que je lise le roman de Frank Herbert tant ce que j'en perçois est dense, intelligent et pertinent, y compris de nos jours. Je ne pense pas seulement à la géopolitique du pétrole dont j'ai parlé dans mon avis sur le film de David LYNCH mais aussi à la répartition des pouvoirs masculin/féminin et occidentaux/colonisés avec aux côtés des figures de pouvoir patriarcales blanches traditionnelles des femmes puissantes qui agissent dans l'ombre et la résistance souterraine d'un peuple du désert basané au regard bleu dont l'allure dans le film de Denis VILLENEUVE fait penser aux touareg (surnommés "les hommes bleus").

Si je n'ai pas retrouvé dans la version de Denis VILLENEUVE ce qui m'avait agacé dans "Blade Runner 2049" (2017) à savoir le côté prétentieux du "film qui s'écoute penser" et si le récit est dans l'ensemble bien mené, j'ai tout de même constaté qu'il lissait toutes les aspérités qui donnait sa personnalité au film de David LYNCH avec ses monstres et ses délires kitsch et trash. Résultat: un film beau, très beau, stylé même (beau travail de design sur l'allure des vaisseaux-libellules par exemple ou sur l'écosystème du désert) mais complètement aseptisé. Je rejoins de ce point de vue l'avis de Céleste BRUNNQUELL qui comparait esthétiquement le film à une pub Cartier. "Dune" version 2020 est symptomatique d'un cinéma grand public qui se fond dans une imagerie impersonnelle de papier glacé sur laquelle posent des acteurs-mannequins interchangeables. Je préfère de loin une oeuvre imparfaite mais qui exprime l'âme d'un artiste que celle qui est techniquement parfaite mais stérile.

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Les Mariés de l'an II

Publié le par Rosalie210

Jean-Paul Rappeneau (1971)

Les Mariés de l'an II

Tempo allegro, c'est le rythme Jean-Paul RAPPENEAU. Cette mise en scène du mouvement atteint déjà dans son deuxième film "Les mariés de l'an II" une sorte de perfection. Il n'y a en effet pas un seul temps mort dans ce film bondissant, virevoltant, rempli de vivacité mais où l'on sent que chaque scène est réglée au millimètre près. La rareté de ses films en témoigne: Jean-Paul RAPPENEAU est un perfectionniste. Son film est très influencé par le cinéma américain, en particulier le western de Anthony MANN et la comédie du remariage de Howard HAWKS et Ernst LUBITSCH. C'est sans doute ce qui explique que le début du film se situe aux Etats-Unis qui était alors un Etat tout neuf. Mais l'essentiel de l'intrigue se déroule en France sous la Révolution dont les multiples rebondissements fournissent un matériau de choix pour réaliser une comédie d'aventures. Il est particulièrement amusant de voir comment sans se prendre au sérieux, le scénario joue avec les différents camps qui s'affrontent avec au beau milieu de la mêlée, les incessantes chamailleries d'un couple d'éternels gamins dont l'énergie à se brouiller et se rabibocher semble inépuisable. Comme chez Philippe de BROCA (pour qui Jean-Paul RAPPENEAU a d'ailleurs travaillé), Jean-Paul BELMONDO est au meilleur de sa forme, plein d'élégance et de panache. Marlène JOBERT est délicieuse en femme-enfant espiègle. Et autour d'eux, gravitent toute une série de seconds, troisièmes et quatrièmes rôles qui nous régalent, du Chouan joué par Sami FREY jusqu'au au père Gosselin, un des derniers rôles de Pierre BRASSEUR sans parler du soldat anonyme derrière lequel on reconnaît Patrick DEWAERE alors parfaitement inconnu ^^. Même la voix off est célèbre (c'est celle de Jean-Pierre MARIELLE). Et puis Jean-Paul RAPPENEAU est assisté par une brochettes de talents tels que Michel LEGRAND à la musique (l'alchimie avec Jean-Paul RAPPENEAU est parfaite) et Claude SAUTET au scénario (que l'on attendait pas forcément dans ce registre).

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