Les Colons (Los Colonos)
Felipe Galvez Haberle (2023)
En attendant une éventuelle sortie en salles en France, il est possible de voir "Les colons", le premier long-métrage de Felipe GÁLVEZ HABERLE qui faisait partie de la sélection du festival de Cannes "Un certain regard" en VOD depuis le 2 mai ou bien en avant-première dans quelques salles. Le film raconte la naissance de la nation chilienne en deux parties. La première qui fait penser à un western évoque les conditions dans lesquelles les colons espagnols ont pris possession des terres de la Patagonie. C'est à dire en faisant "pacifier" la zone, terme occultant la réalité de l'extermination des autochtones. Trois de leurs sbires sont envoyés pour "nettoyer le terrain" des indiens qui dérangent l'ordre que les colons veulent établir en détruisant les clôtures (symbole de propriété privée) et en mangeant le cheptel (symbole de l'économie capitaliste). Contrairement à ce que j'ai pu lire lors des retours critiques après la projection du film, il n'est inexact d'affirmer que l'on voit tout du seul point de vue des blancs. Car le troisième homme, l'employé métis tant par son statut d'inférieur perpétuellement rabaissé et humilié que par sa nature hybride observe et consigne dans sa mémoire les horreurs dont il est le témoin et auxquelles parfois ses supérieurs l'obligent à participer. Supérieurs qui sont montrés sous leur jour le plus barbare ce qui a été également critiqué. Cependant d'une part, le témoignage précieux d'un Bartolomé de La Casas a fait état des atrocités commises par les espagnols en Amérique. D'autre part, il s'agit pour Felipe GÁLVEZ HABERLE de déconstruire leur prétendue oeuvre civilisatrice en montrant la véritable nature de ces missions de "pacification" qui ont précédé la naissance des nations modernes du Chili et de l'Argentine. Ainsi le (pseudo) lieutenant écossais qui joue le rôle de contremaître du propriétaire terrien espagnol, le mercenaire texan que celui-ci lui impose comme compagnon de voyage et le colonel Martin qu'ils croisent sur leur chemin rivalisent de sauvagerie et de cruauté, chacun cherchant par ailleurs à dominer l'autre de la plus brutale des manières. Tout au plus peut-on reprocher au réalisateur de ne montrer les indiens que comme des victimes, même si leur résistance est évoquée quand Segundo (le métis) n'a pas des visions où lui apparaît un guerrier indien. On remarquera également que les violences sont plus suggérées que montrées, elles sont soient racontées, soit cachées derrière un épais brouillard. La deuxième partie du film, non moins intéressante se concentre sur la façon dont les représentants des autorités officielles tentent de maquiller les faits historiques afin de construire un "roman national" autour de la naissance de la nation chilienne pour souder ses divers éléments autour d'un consensus forcément mensonger. Pour parvenir à leurs fins, ces représentants vont à la rencontre de Segundo et de son épouse, une indienne rescapée des massacres qui elle aussi a été témoin et victime. La façon dont elle décide de résister à la mise en scène façon "film dans le film" qui doit nourrir le récit des autorités de la pseudo véracité des images conclue en beauté un film aussi riche que puissant cinématographiquement.