"Barbie" qui est en passe comme son modèle en plastique de devenir un phénomène de société n'a pas fini de faire couler beaucoup d'encre. L'excellent début du film de Greta GERWIG rappelle quelle (r)évolution cette poupée a représenté pour les petites filles en 1959. Mais plutôt que de le faire sur un mode documentaro-pédagogique, elle a décidé de pasticher la séquence "A l'aube de l'humanité" de "2001 : l'odyssee de l'espace" (1968) dans laquelle un singe, éveillé par le monolithe apprend à se servir d'un os pour abattre ses proies. Le "monolithe" c'est Barbie qui sonne la révolte des petites filles confinées jusque-là au rôle étroit de mère au foyer miniatures et qui envoient soudainement valser dans l'espace leurs dînettes et leurs poupons pour embrasser le vaste monde qui s'offre à elles où tout devient possible, y compris être présidente et cheffe d'entreprise et tout cela dans des tenues chics et variées valorisant la féminité. Un monde dans lequel il est possible de s'autosuffire, l'homme alias Ken étant réduit au rôle de faire-valoir dépendant du regard de Barbie pour exister. Ce début tonitruant (et qui s'approprie déjà un film et une symbolique des plus phalliques) n'est que le début des festivités. Par un jeu de vases communicants entre le monde de Barbie et celui des humains, Greta GERWIG fait une satire souvent bien vue de notre monde réel très éloigné de l'idéal véhiculé par les poupées de Mattel. L'entreprise dont le PDG est joué par Will FERRELL a beau avoir une déco et un dress code "pinkwashing", son administration est tout ce qu'il y a de plus phallocrate et monocolore, les justifications du PDG tournant en ridicule celles émises depuis des années par les conservateurs de tous poils pour surtout ne rien changer. C'est d'ailleurs malin de la part de Mattel (producteur du film) qui peut ainsi donner un sacré coup de jeune à son image en faisant son autocritique (comme quoi c'est possible aussi dans le monde capitaliste quand il s'agit de rebondir). Mais si ça peut faire réfléchir, tant mieux car la Barbie jouée par Margot ROBBIE dont le "happy face" de rigueur est effacé par une humeur dépressive, de la cellulite, des pieds plats (ceux de la poupée épousent la forme des chaussures à talon) et plein de questions sans réponses reflète en réalité sa propriétaire adulte, une employée de Mattel (America FERRERA) dont le monologue sur les injonctions contradictoires faites aujourd'hui aux femmes tape dans le mille: c'est à la fois une critique du monde réel et du monde idéal de Barbie qui en dépit de toutes ses déclinaisons ethniques et physiques (rappelées dans le film) reste associée à un modèle stéréotypé de blondeur, de jeunesse, de minceur et d'hypersexualisation qu'incarne Margot ROBBIE.
Mais le film ne s'intéresse pas qu'à Barbie, il accorde une grande place à Ken qui se pose lui aussi des questions sur son identité. Car si Barbie est bouleversée de découvrir que le monde réel n'en a pas fini avec le patriarcat et la considère comme un objet sexuel, Ken qui jusque là n'existait qu'à travers Barbie s'autonomise et va importer les modèles masculins du monde réel dans Barbieland, reproduisant ainsi des comportements paternalistes et machistes bientôt tournés en ridicule par la contre-offensive des Barbies. Ryan GOSLING est très bon dans le registre de l'autodérision, son Ken est désopilant, qu'il soit "beach" ou "cow-boy".
"Barbie" est donc un divertissement intelligent et délicieusement pop, rendant hommage en prime à des films et genres populaires (les comédies musicales, "Toy Story 3" (2010) qui faisait intervenir Barbie et Ken, "Retour vers le futur II") (1989). Je ne suis pas sûre que les 14 films prévus par Mattel pour relancer les ventes de ses jouets seront de la même qualité...
"Sexe, ego et nouvelle vague" aurait été un titre plus approprié que le plat "Les Berkman se séparent". En VO le titre est d'ailleurs plus intéressant, "Le calmar et la baleine", une allusion à la dernière scène du film dans laquelle Walt se retrouve au museum d'histoire naturelle en train d'observer les deux monstres des mers s'affronter, une allusion transparente à ses parents qui n'en finissent plus de se déchirer. Dans ce qu'un internaute a qualifié avec justesse de "Kramer contre Kramer réalisé par Woody Allen", on retrouve l'univers des bobos new-yorkais cher au cinéaste de "Manhattan" (1979) et l'un de ses acteurs des années 80, Jeff DANIELS mais avec une tonalité dépressive et au centre du jeu une famille en crise qui n'est pas sans rappeler les films de Wes ANDERSON dont Noah BAUMBACH a co-scénarisé "La Vie aquatique" (2003) (d'où peut-être le choix d'animaux marins pour symboliser le divorce). En effet, comme chez Wes ANDERSON, les membres de la famille Berkman vivent compartimentés et ne communiquent pas les uns avec les autres. S'y ajoute en prime une couche de ressentiment entre les parents qui se comportent de façon immature. En situation de rivalité sur le plan professionnel, ils le sont aussi vis à vis de leurs enfants dont ils se disputent la garde. A ce jeu là, le père surpasse largement son ex-femme (Laura LINNEY) qui rencontre le succès éditorial alors que lui n'y parvient plus. Il se venge alors de façon puérile en racontant à son fils aîné Walt les infidélités de celle-ci ("je suis une pauvre victime de cette méchante femme") et en débarquant à l'improviste chez elle sur le mode "j'ai besoin de mes enfants" (en se moquant complètement de ce qu'ils peuvent ressentir). Cette emprise sur Walt (Jesse EISENBERG) qui en vient à rejeter sa mère devient franchement malsaine lorsque le père s'immisce dans sa vie sentimentale en semant la zizanie entre lui et sa petite amie pour le jeter dans les bras de l'étudiante plus délurée (Anna PAQUIN) qu'il cherche lui-même à séduire. Une sorte de vengeance par procuration? Les dégâts les plus effrayants de cette inconséquence parentale se font sentir sur Frank dont le langage et le comportement sont en décalage avec son âge, comme s'il avait été expulsé prématurément de son enfance. Ainsi sous le vernis bobo intello bien-pensant bourré de références à la nouvelle vague perce une vraie histoire de maltraitance et c'est le fait d'adopter le point de vue des enfants (Noah BAUMBACH s'inspire de ses souvenirs personnels) qui fait l'intérêt du film.
Incasable. C'est le mot qui revient de façon récurrente à propos de cet électron libre qu'est Frances "Ha" (seule syllabe qui entre dans les cases justement!) dont l'errance dans un New-York filmé en noir et blanc ainsi que la névrose rappelle fortement Woody ALLEN. "Manhattan" (1979) pour l'esthétique, "Hannah et ses soeurs" (1986) pour le personnage de paumée sentimentale et professionnelle interprété par Diane WEST. Mais l'influence de la Nouvelle Vague est également très présente*. Celle de Jean-Luc GODARD dans la manière de filmer la jeunesse en liberté mais aussi dans le look des personnages (la manière dont Adam DRIVER porte le chapeau fait penser à Jean-Paul BELMONDO). Celle également de Éric ROHMER, l'incapacité de Frances à se poser et à trouver sa place faisant écho à Marie RIVIÈRE dans "Le Rayon vert" (1986). Histoire d'enfoncer le clou, Frances fait une brève escapade à Paris et danse sur "Modern Love" de David BOWIE dans les rues de New-York comme le faisait Denis LAVANT dans "Mauvais sang" (1986) de Leos CARAX.
Malgré ces références qui sautent aux yeux, le film a sa tonalité propre grâce à des personnalités attachantes. Greta GERWIG, actrice principale et coscénariste du film passée depuis à la réalisation a une présence particulière, une manière de se mouvoir un peu brusque et gauche, presque enfantine. Et Noah BAUMBACH, cinéaste d'une grande sensibilité (comme on a pu le voir plus récemment avec "Marriage Story" (2019) la filme avec beaucoup de délicatesse. De plus "Frances Ha" est original dans le sens où le scénario se focalise sur une expérience très courante dans la vie mais peu traitée au cinéma (en tout cas beaucoup moins que les déboires sentimentaux): la fin d'une amitié fusionnelle entre deux jeunes femmes, Frances et Sophie à la suite de la décision de cette dernière de se mettre en couple. Une étape vers le passage à l'âge adulte que Frances n'accepte pas et qui la plonge dans une situation d'instabilité que l'on retrouve aussi sur le plan professionnel, la réalité s'avérant peu conforme à ses rêves de gamine. En arrière-plan, une perte des idéaux au goût un peu amer se profile avec une Frances qui galère mais s'obstine pendant que Sophie s'embourgeoise même si ce qu'elle vit vraiment est en décalage avec l'affichage de sa réussite.
* Cela explique sans doute aussi les points communs avec "La Guerre est déclarée" (2010) qui est un film de la "néo nouvelle-vague" française, un courant encensé par les critiques adorant le cinéma d'auteur mais qui est une dénaturation de ce courant dont il singe la forme tout en étant nombriliste sur le fond (ce que n'était pas la Nouvelle Vague).
C'est le "Blow up" que Laetitia MASSON a consacré à Adam DRIVER qui m'a donné envie de voir "Marriage Story". Car non seulement Adam DRIVER est capable d'humaniser n'importe quel salaud mais il est capable de faire en sorte qu'une femme ressente de l'empathie pour lui. Ce qui montre à quel point Noah BAUMBACH a eu du nez en l'engageant. Car dans cette chronique d'un divorce à l'américaine qui fait penser à la fois à "Kramer contre Kramer" (1979) et à "Annie Hall" (1977) (non seulement "Marriage Story" en reprend les enjeux, notamment au niveau géographique, le couple se déchirant entre New-York et Los Angeles mais on y retrouve dans des seconds rôles quelques acteurs fétiches du cinéaste comme Alan ALDA et Wallace SHAWN) il n'y a qu'une seule chose qui ressort: le sentiment d'un immense gâchis humain. Le patriarcat qui dans une vision superficielle semble contenter les hommes en leur donnant le pouvoir les broie au final autant qu'il broie les femmes. Ceux-ci ne voient pas que ce déséquilibre initial est le ver dans le fruit qui mine lentement mais sûrement tout bonheur durable, la rancoeur s'accumulant jusqu'à finir par tout détruire. Car ce sont les femmes qui demandent majoritairement la séparation, lassées de ce jeu de dupes qui relègue leurs besoins, désirs, aspirations au second plan au profit de ceux du conjoint qui ne se rend même pas compte du fait que ce qu'il croit être un désir commun n'est que le sien, le milieu du spectacle servant de miroir grossissant. De plus, au travers de l'avocate jouée par Laura DERN, l'inégalité de traitement entre l'image que doit donner le père qui a le droit d'être imparfait et la mère qui doit jouer le rôle de la vierge Marie car on ne lui pardonne aucune faiblesse est bien souligné. Le film, d'une grande finesse d'écriture et soutenu par une interprétation remarquable offre une vision si nuancée des personnages et est si près d'eux et de leurs émotions qu'on ne peut que compatir à leur situation et éprouver du dégoût pour les soubassements peu reluisants de l'institution du mariage occidental.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.