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Gangs of New-York

Publié le par Rosalie210

Martin Scorsese (2002)

Gangs of New-York

"Gangs of New York" est un grand film, traversé par des fulgurances de mise en scène comme on n'en voit pas si souvent. C'est le "Naissance d'une nation" de Martin SCORSESE qui offre un contrechamp à la vision sudiste et raciste que donnait D.W. GRIFFITH de la guerre de Sécession et qui complète celle qu'en donne les westerns. D'ailleurs le film a été qualifié, non sans raison de western urbain. Même si l'histoire de vengeance racontée dans le film est très classique dans son déroulement, elle s'inscrit toujours dans une histoire qui la dépasse et c'est cette profondeur de champ qui est passionnante. Ainsi la guerre de territoire entre les gangs qui ouvre et ferme le film recouvre des visions opposées de l'Amérique en train de se construire. Celle-ci est dominée par les autoproclamés "native americans" ce qui est une imposture car les seuls véritables autochtones sont les indiens, absents du film. Par "native", il faut comprendre WASP (white anglo-saxons protestants), les descendants des premiers migrants arrivés sur le sol des USA au XVII° siècle avec le Mayflower et qui constituent encore aujourd'hui l'élite des USA. Ces élites, on les voit bien dans le film à travers la famille Schermerhorn qui vit sur la cinquième avenue ou encore William "Boss" Tweed (Jim BROADBENT), un homme politique influent et corrompu. Dans le contexte de la guerre de Sécession qui est aussi une guerre de civilisation entre le Nord urbain et industriel et le Sud rural agricole et esclavagiste, ces élites recrutent à tour de bras de la chair à canon venue d'Europe. Dans un plan-séquence virtuose génial qui rappelle combien il vénère le cinéma muet et en maîtrise le langage, Martin SCORSESE montre les migrants sortir du bateau pour remonter aussitôt dans un autre après avoir revêtu l'uniforme de l'Union avant qu'une grue ne descende les cercueils innombrables de ceux qui sont tombés au champ d'honneur.

Mais les WASP ont aussi leur lot de laissés-pour-compte, "petits blancs" pauvres qui n'ont que leurs origines pour se valoriser au détriment des autres vivant avec eux dans la fange des bas quartiers de Manhattan*. On comprend mieux le terme "natif" et la haine pugnace que Bill le Boucher (Daniel DAY-LEWIS) et les siens vouent aux migrants de fraîche date et aux non-WASP, tout particulièrement les irlandais qualifiés de "mangeurs de pommes de terre" (comme les "macaronis" italiens chez nous à la même époque). C'est parmi eux que se dresse le gang rival, celui des "Dead Rabbits" dont le chef est le père Vallon (Liam NEESON) que son fils Amsterdam (Leonardo DiCAPRIO) a décidé de venger en s'attaquant à son meurtrier, Bill le boucher devenu un puissant roi de la pègre qui a ses entrées chez les flics et les politiciens, le Boss Tweed en tête.

Martin SCORSESE dresse ainsi un tableau éloquent des fractures ethniques et sociales qui ont servi de fondation à une nation qui s'est érigée dans la violence. En effet les solutions pacifiques sont systématiquement torpillées au profit d'affrontement meurtriers entre gangs rivaux et d'émeutes violemment réprimées des pauvres contre les riches face à l'iniquité de la conscription, émeutes également à caractère raciste, les petits blancs utilisant les noirs comme boucs-émissaires. Les cinq plans finaux, absolument magistraux décrivent l'effacement progressif des traces de ce passé sauvage et sanglant au premier plan pendant que Manhattan revêt peu à peu au second plan son visage contemporain de forêt de buildings de verre et d'acier.

* Ce sont leurs descendants qui votent aujourd'hui Trump.

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