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Articles avec #film d'histoire ou de memoire tag

Lettre à Franco (Mientras Dure la Guerra)

Publié le par Rosalie210

Alejandro AMENÁBAR (2019)

Lettre à Franco (Mientras Dure la Guerra)

On parle ces derniers temps davantage de la guerre civile espagnole de 1936-1939. C'est une bonne nouvelle. A titre personnel déjà puisque je suis une descendante de réfugiés "espagnols" (catalans en réalité), terme que j'ai entendu toute mon enfance sans comprendre ce que cela signifiait. Mais c'est aussi une bonne nouvelle pour l'Espagne qui effectue depuis quelques années un gros travail de mémoire pour comprendre et guérir de son passé. C'est enfin une bonne nouvelle pour l'Europe et le monde de comprendre les mécanismes qui en quelques années ont balayé une démocratie au profit d'une terrifiante dictature militaire qui est d'ailleurs indissociable du nazisme. Chacun sait que la guerre d'Espagne servit de test à Hitler pour la future guerre qu'il entendait mener en Europe. Le film de Alejandro AMENÁBAR n'évoque pas le symbole de Guernica mais il montre le soutien logistique que les nazis apportèrent aux franquistes ainsi que leur rôle dans la désignation du général Franco comme chef de la rébellion et ensuite de l'Espagne. Celui-ci est d'autant plus inquiétant qu'il n'est qu'une ombre insaisissable dans le film, ses généraux s'exprimant à sa place.

Croire que cette histoire est derrière nous, c'est se tromper lourdement. En effet ce qui permet l'installation durable d'une dictature, c'est moins la détermination de ses partisans que les divisions et l'inaction de ceux qui prétendent être ses ennemis. Leur faiblesse, leur lâcheté, leur aveuglement. C'est ce que démontre Alejandro AMENÁBAR par l'exemple, celui du grand écrivain Miguel de Unamuno (Karra ELEJALDE) incapable de regarder en face le vrai visage de la barbarie. Il incarne le naufrage de la pensée de nombre d'intellectuels tellement terrifiés par le communisme (et l'éclatement de l'Espagne) qu'ils étaient incapables de comprendre la vraie nature de la peste brune sous son visage rassurant de retour à "l'ordre" et aux vraies valeurs (monarchie, catholicisme, nationalisme). Pourtant, peu à peu Unamuno va être confronté à la réalité de l'idéologie du régime qui s'annonce. Une idéologie ayant tracé une frontière entre les "bons espagnols" franquistes et les autres, exclus de la communauté nationale avant d'être arbitrairement arrêtés et exécutés sans jugement pour leurs opinions de gauche, leur appartenance à la franc-maçonnerie, à la communauté juive ou au protestantisme. L'extrême-droite française désignera sous Vichy les mêmes groupes comme faisant partie de "l'anti-France". Unamuno voit ainsi disparaître un à un ses anciens élèves et ses meilleurs amis en faisant l'autruche jusqu'à ce qu'il se retrouve seul. Il finit quand même dans un ultime sursaut par s'engager publiquement contre le franquisme ce qui lui vaut d'échapper in-extremis au lynchage. Ses mots "vous vaincrez mais ne convaincrez pas" s'avèrent prophétiques puisqu'ils annoncent une guerre civile qui a continué sous une forme larvée durant tout le règne de Franco. Unamuno s'insurge également contre la culture de mort des fascistes, le général Millan Astray (Eduard FERNÁNDEZ) rétorquant d'ailleurs par un "Viva la muerte" ("Vive la mort") qui était l'un des slogans des fascistes (d'autres versions rapportent des propos similaires à ceux qui étaient souvent proférés par les nazis "quand j'entends le mot culture, je sors mon révolver").

Aussi même si le film de Alejandro AMENÁBAR reste classique dans sa forme, son interprétation et son scénario valent largement le détour, interrogeant les dérives du passé comme celles d'aujourd'hui avec pertinence.

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Master and Commander : De l'autre côté du monde (Master and Commander: The Far Side of the World)

Publié le par Rosalie210

Peter Weir (2003)

Master and Commander : De l'autre côté du monde (Master and Commander: The Far Side of the World)

"Rien ne sert de courir, il faut partir à point", voilà quelle pourrait être la morale de cet excellent film narrant un duel entre un bateau anglais et un bateau français pendant les guerres napoléoniennes au large du Brésil, du cap Horn et des îles Galapagos. Le génial réalisateur australien Peter WEIR, spécialiste de l'étude des microcosmes autarciques réussit à insuffler autant de crédibilité que d'humanité à une superproduction sans perdre son identité. Ce qui frappe d'emblée, c'est en effet le réalisme voire même le naturalisme des scènes. La vie à bord d'un navire au début du XIX° siècle est rendue avec toute sa rudesse, que ce soit dans le domaine matériel, militaire ou psychologique: confinement, promiscuité, camaraderie masculine (aucune femme dans le film si ce n'est lors d'une brève scène de ravitaillement), extrême jeunesse de certains des enrôlés, certains étant gradés dès l'adolescence, importance de l'esprit de corps (les brebis galeuses sont impitoyablement éliminées ou s'éliminent d'elles-mêmes), obéissance à la hiérarchie, stoïcisme face à la douleur, sens de l'honneur exacerbé. Peter WEIR a recherché des acteurs expressifs ayant un physique compatible avec le contexte historique ce qui d'ailleurs est l'une des premières choses qui m'a tapé dans l'oeil ainsi que le rendu atmosphérique immersif qui nous plonge immédiatement au coeur des événements. Ensuite, il mène de main de maître l'alternance entre des séquences d'action spectaculaires et des scènes intimistes mettant aux prises deux hommes entretenant une solide amitié (symbolisée par la musique qu'ils partagent) mais aux caractères diamétralement opposés. D'un côté le charismatique et fier capitaine Jack Aubrey (Russell CROWE) prêt à tout sacrifier (y compris ses hommes) pour ce qu'il appelle son devoir mais que son ami renomme "vanité" (et obsession): vaincre la frégate qui le défie et ne cesse de se dérober. De l'autre, le médecin de bord et naturaliste Stephen Maturin (Paul BETTANY), fasciné par l'écosystème de l'archipel des Galapagos alors inconnu des occidentaux dont le navire longe les côtes. Un vrai supplice de tantale pour lui puisqu'en dépit de ses supplications, le très pressé "Jack la chance" (surnom de Jack Aubrey) refuse d'y faire escale, n'ayant pas de temps à perdre avec "ces bestioles" (sous-entendu, un truc de gonzesse alors que moi j'ai un vrai taff de mec à terminer!) Sauf que le spectateur a la joie de goûter à un moment d'ironie suprême, empli d'enseignements. Quand son indispensable ami est blessé*, Jack accepte pour le sauver ce qu'il refusait un instant auparavant: se poser aux Galapagos, laisser à Stephen le temps de récupérer, temps dont il profite pour assouvir sa curiosité en explorant l'île où ils se sont installés. Et là, au moment où il va atteindre son but ultime (capturer un oiseau qui ne vole pas), voilà que le vaisseau fantôme que cherche obsessionnellement Jack apparaît juste sous ses yeux, enfin à leur portée. Rien ne sert de courir, il faut partir à point...

* Comme tout commandant, Jack est amené à prendre ces décisions difficiles, sacrifiant certains membres de son équipage lorsqu'il s'agit d'en sauver le plus grand nombre. Mais il a besoin de Stephen pour garder la boussole, les deux hommes étant parfaitement complémentaires.

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Ivre de femmes et de peinture (Chihwaseon)

Publié le par Rosalie210

Im Kwon-Taek (2002)

Ivre de femmes et de peinture (Chihwaseon)

Avec un titre pareil, on pouvait s'attendre à un film épicurien célébrant la joie de vivre et de créer. Or c'est l'inverse, au point que je me demande s'il ne s'agit pas d'une antiphrase. La création telle qu'elle est montrée dans le film s'effectue dans la souffrance, l'ascétisme, la solitude et l'errance. Dans la révolte aussi. Comme la biographie du peintre de la fin du XIX° siècle dont IM Kwon-taek, le plus vénérable des cinéastes coréens* retrace l'existence est lacunaire, il la remplit avec ses propres projections et parmi celles-ci, c'est le refus d'entrer dans les cases et le désir de liberté qui prédomine. Ohwon (le nom artistique de Janh Seung-up) est en effet montré comme un peintre hors-norme, par son talent, son exigence artistique mais aussi par ses origines sociales roturières et son caractère fondamentalement rebelle. Tout au long du film qui adopte une narration linéaire mais fragmentée car faites de petites "touches de vie", on le voit résister ou subvertir toutes les tentatives visant à l'enfermer (dans la peinture officielle de cour par exemple) ou à le faire plier devant les autorités. Il préfère y laisser la santé voire la peau. Cette intranquillité se retrouve dans sa peinture dont il semble n'être jamais satisfait. On le voit beaucoup détruire ses ébauches voire des oeuvres que d'autres estiment achevées ou bien en créer à l'intention de petites gens voire de mendiants qui pourront en tirer un bon prix et ainsi, sortir de leur misère.

Ohwon apparaît donc comme un homme tourmenté secret, parfois sujet à des crises de rage. Son rapport au carburant dont il a besoin pour créer (l'alcool et les femmes de petite vertu, prostituées interchangeables dans la plupart des cas) est somme toute assez triste, limite masochiste. Il semble cassé, vieilli avant l'âge dès le départ. Jamais on ne le voit sourire ou sembler profiter des plaisirs de la vie. Si le film de IM Kwon-taek est ultra-esthétique, il est également assez aride, d'autant qu'il s'inscrit dans un contexte historique nébuleux pour un occidental. Il est également un peu trop théorique et appliqué pour traduire vraiment la folie intérieure de l'artiste. On retrouve la contradiction entre la promesse dionysiaque du titre et son contenu neurasthénique. Lorsque CHOI Min-sik avec son perpétuel air de chien battu clame qu'il ne peut pas peindre sans bander, ça sonne complètement faux!

* Au sens de plus ancien. "Ivre de femmes et de peinture" est en effet son 98° film et celui qui lui a valu la reconnaissance en occident avec le prix de la mise en scène à Cannes.

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Persepolis

Publié le par Rosalie210

Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud (2007)

Persepolis

Persepolis, l'adaptation animée de la BD autobiographique de Marjane SATRAPI fait partie des classiques du genre. Sa réussite réside d'abord dans son esthétique particulièrement soignée qui fait autant référence à l'expressionnisme allemand qu'aux estampes japonaises en passant par les styles graphiques reconnaissables de Dix ou de Munch. Cette esthétique est au service d'un récit qui mêle habilement et inextricablement grande et petite histoire, ce biais lui donnant une résonance universelle. En effet dans ce qui s'apparente à un récit initiatique dans lequel une enfant puis jeune fille puis jeune femme cherche sa place, la particularité provient du fait qu'elle ne parvient à se fixer nulle part. Trop rebelle puis trop émancipée pour ne pas se mettre en danger dans une société iranienne corsetée par les mollahs, elle ne parvient cependant pas à s'épanouir en Europe tant le fossé culturel entre elle qui a vécu les horreurs de la guerre et un régime de terreur et les autres est immense. "Persepolis" s'apparente donc à une douloureuse errance entre un pays d'origine dans lequel l'oppression règne et des pays européens où c'est au contraire l'indifférence qui tue avec pour seuls refuges le rêve et la famille. Néanmoins il n'y a aucun misérabilisme dans "Persepolis" car les femmes en particulier sont des personnages hauts en couleur (même si la BD et son adaptation sont majoritairement en noir et blanc) que ce soit Marjane et sa langue bien pendue ou sa grand-mère, forte nature qui fume de l'opium et manie un langage aussi fleuri que les fleurs de jasmin qu'elle met dans son corsage.

J'ai néanmoins deux réserves sur le film qui font que j'ai une préférence pour la BD. La première réside dans le doublage français qui acculture* d'autant plus l'oeuvre qu'il s'agit de voix très célèbres (Catherine DENEUVE, Danielle DARRIEUX, Chiara MASTROIANNI etc.) La deuxième est dans le fait qu'en condensant les quatre volumes en 1h30, j'ai ressenti à plusieurs reprises de la frustration devant des événements qui sont racontés trop rapidement (la révolution iranienne par exemple ou même la guerre Iran-Irak dont aucune clé d'explication ne nous est donnée). Tout ce qu'on en retient, ce sont les images d'horreur et d'oppression. Des images qui sidèrent alors qu'une analyse plus poussée aurait été la bienvenue.

* Si le choix de l'animation est si pertinent pour illustrer des histoires de conflits sanglants dans des régions reculées du monde, c'est que la stylisation et l'abstraction ont la puissance d'un langage universel comme l'avait autrefois le cinéma muet. En revanche les voix françaises dénaturent l'oeuvre en brouillant son identité.

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Josep

Publié le par Rosalie210

Aurel (2020)

Josep

Juste avant que le couperet du deuxième confinement ne sonne à nouveau le glas du cinéma en salle, je suis allée voir "Josep". Non seulement animation et histoire font bon ménage mais il semble même que certains épisodes de l'histoire récente parmi les plus insoutenables et/ou les plus indicibles trouvent dans l'animation un moyen privilégié de s'exprimer. Je pense en particulier à "Le Tombeau des lucioles" (1988) et à "Valse avec Bachir" (2007) qui sont deux incontestables réussites (je suis beaucoup plus réservée sur "Les Hirondelles de Kaboul") (2019). "Josep" comble un trou noir de notre mémoire collective: celui du sort ignoble réservé aux réfugiés espagnols lorsqu'ils passèrent la frontière en février 1939 lors de la Retirada, espérant trouver en France un refuge face à une mort certaine s'ils restaient en Espagne tombée aux mains de Franco qui, faut-il le rappeler était l'allié de Mussolini et de Hitler. Ceux-ci se servirent d'ailleurs de la guerre d'Espagne pour tester leur matériel et leurs stratégie d'anéantissement des populations civiles du camp ennemi. Or, ces réfugiés qui étaient Républicains et pour beaucoup, communistes ou anarchistes furent traités en parias, en indésirables et parqués dans des conditions effroyables dans des camps de concentration improvisés dont certains ainsi que les policiers affectés à la garde des lieux furent ensuite réemployés pendant la guerre pour surveiller les juifs en transit vers les centres de mise à mort nazis. Tout cela est évoqué dans le film qui gratte donc là où ça fait mal, c'est à dire dans la face sombre du soi-disant "pays des droits de l'homme" qui hier comme aujourd'hui est dominé par des forces conservatrices préférant s'allier à l'extrême-droite plutôt que de risquer de tomber aux mains des "rouges". Mieux valait Hitler que le Front Populaire et cette idéologie n'a guère évolué depuis. On est juste passé de l'épouvantail du judéo-bolchévisme à celui de l'islamo-gauchisme et comme par hasard, on reparle de faire disparaître tous les garde-fous vis à vis de l'arbitraire, de restaurer les bagnes et la peine de mort. Soit une grande partie de ce que vécurent les réfugiés espagnols soumis aux exactions de policiers xénophobes et haineux et privés de la satisfaction de leurs besoins les plus élémentaires. Ainsi le film montre ce qui est véridique que certains furent parqués sur des plages comme celle d'Argelès sans aucun abri, aucun soin ni aucune nourriture. Bref un traitement comparable à celui que les nazis réservèrent aux prisonniers soviétiques, considérés comme des ennemis idéologiques à exterminer par la faim et le froid.

Mais le film qui est la première oeuvre du dessinateur de BD et de presse Aurel est aussi et surtout un hymne à la résistance et à la fraternité. Il y rend hommage à un autre dessinateur ayant réellement existé, Josep Bartoli dont il retrace le parcours d'un camp à l'autre (les transferts étaient fréquents dans ce qui s'apparentait à un archipel du Goulag dans le sud-ouest de la France) puis au Mexique et aux USA. Josep a dû sa survie à son don artistique qui l'a protégé de la folie et à la chance grâce à une bonne rencontre en la personne d'un policier plus humain que les autres, Serge, qui lui a sauvé la vie et est devenu ensuite résistant pendant la guerre sous un nom d'emprunt (je vous laisse deviner lequel). Et lorsque leurs héritiers se croisent dans un musée consacré à une rétrospective des dessins de Josep, ils se reconnaissent par des signes évidents: le poing levé de la révolte ouvrière et le crayon entre les dents, allusion aux caricatures dépeignant les bolchéviks comme des êtres sanguinaires avec un couteau entre les dents.

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J'accuse

Publié le par Rosalie210

Roman Polanski (2019)

J'accuse

Un homme seul en proie à l'hostilité générale pendant les 3/4 du film. Une ambiance de plus en plus pesante au fur et à mesure que la distorsion entre la vérité des faits et le mensonge d'Etat (ou plus exactement le mensonge de l'armée couvert par l'Etat) devient plus manifeste. Des plans anxiogènes sur des rues ou des places désertes filmées en diagonale où l'on craint ce qui peut surgir depuis le fond du cadre. Des autodafés de livres, des vitres de magasins juifs brisées. L'enfermement, encore et toujours quand les fenêtres refusent obstinément de s'ouvrir et quand des policiers en civil guettent au pied de l'immeuble l'homme traqué qui se terre derrière elles. L'espace qui se réduit, le piège qui se referme. Bref, la signature de Roman POLANSKI est partout dans ce film remarquable qui est moins une reconstitution historique qu'un thriller d'espionnage centré sur un personnage clé mais méconnu de l'affaire Dreyfus: le lieutenant-colonel Picquart (Jean DUJARDIN qui habite à merveille le rôle ce qui ne m'a guère surpris). Le film raconte comment alors qu'il avait été promu chef du service de contre-espionnage son enquête impartiale et minutieuse lui permit de découvrir rapidement l'identité du vrai coupable. Mais elle conduisit fatalement à arracher le masque des cadres de l'armée qui sous une surface honorable se comportaient en mafiosi prêts à tout pour étouffer la vérité. Parce qu'il refusa de jouer leur jeu ou plutôt comme il le dit dans l'un des rares moments où il se laissa aller au rire grinçant, leur énorme farce, il dérangea et devint donc l'homme à abattre. Il finit d'ailleurs par partager le sort d'Alfred Dreyfus (Louis GARREL) lorsqu'il fut arrêté et incarcéré pour avoir fabriqué soi-disant une fausse preuve contre Esterhazy (qui était authentique) alors que le lieutenant-colonel Henry (Grégory GADEBOIS) en fabriquait lui une de toutes pièces pour accabler Dreyfus*. L'ironie suprême de l'histoire, c'est que le lieutenant-colonel Picquart, en homme de son temps croyait aux valeurs de l'armée et partageait donc leur antisémitisme lequel infusait d'ailleurs dans toute la société française et la majorité des médias. En revanche, il ne partageait pas leurs penchants pour les compromissions et c'est ce qui finit par le faire tomber dans le camp des dreyfusards, lesquels n'apparaissent que dans la dernière partie du film avec à leur tête Georges Clémenceau (alors directeur du journal "l'Aurore" dans lequel paraît la tribune "J'accuse") et Emile Zola, écrivain si assoiffé de justice et de vérité qu'il en fera les titres de deux de ses quatre évangiles ("Vérité" raconte d'ailleurs l'affaire Dreyfus de façon à peine voilée). Roman POLANSKI souligne particulièrement l'injustice faite à ces hommes avec les condamnations de Dreyfus, Picquart puis Zola, il montre également le lien entre le mensonge institutionnel et en toile de fond la pression populaire et médiatique même si c'est la solitude de l'homme présumé coupable qui domine le film.

* La distribution convoque pas moins de huit sociétaires de la Comédie française! Par ailleurs l'histoire de la vraie preuve que l'on fait passer pour fausse et des faux documents fabriqués pour être présentés comme de vraies preuves renvoient à la réflexion de George Orwell dans "1984", aux négationnistes, faussaires de l'histoire et aujourd'hui aux fake news et autres "faits alternatifs".

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Le Temps d'aimer et le Temps de mourir (A Time to Love and a Time to Die)

Publié le par Rosalie210

Douglas Sirk (1958)

Le Temps d'aimer et le Temps de mourir (A Time to Love and a Time to Die)

Un des sommets de la carrière de Douglas SIRK (il y en eu beaucoup durant cette période) dont le pouvoir de fascination reste intact aujourd'hui. Comme le disait Jean-Luc GODARD, "Je n'ai jamais autant cru à l'Allemagne en temps de guerre qu'en voyant ce film américain tourné en temps de paix". Tous les artifices du grand cinéma hollywoodien sont présents (technicolor, reconstitution en studio etc.) et pourtant il s'en dégage une grande authenticité. Au point de m'avoir fait penser à "Allemagne, année zéro" (1947). Cela tient d'abord à la reconstitution extrêmement soignée d'un Berlin tombant en ruines, un Berlin décadent et déboussolé dans lequel les repères moraux ont volé en éclat, laissant place aux instincts primitifs de survie. Seule une jeune fille, Elizabeth Kruse puis épouse Graeber (Lilo PULVER) tente de préserver son intégrité, sa joie de vivre et sa dignité dans ce monde devenu fou. Elle entraîne avec elle un soldat en permission, Ernst Graeber, homme bon mais manquant un peu de caractère (tout comme son interprète, John GAVIN). La fragilité et la brièveté de leurs moments de bonheur sans cesse interrompus par les bombardements, la coercition nazie et l'épée de Damoclès du retour du jeune homme au front sont symbolisés par les fleurs qui poussent en hiver sur un arbre déréglé par la chaleur d'un incendie. Mais Douglas SIRK offre des portraits extrêmement nuancés des berlinois, qu'ils aient profité du régime nazi pour prendre une revanche sociale ou au contraire lui aient résisté et en aient payé le prix. L'auteur du roman dont est tiré le film, Erich Maria REMARQUE joue ainsi le rôle d'un professeur antifasciste qui cache un juif dans les ruines du musée où il a trouvé refuge. Une piqûre de rappel pour que l'on oublie pas tous les allemands exilés aux USA pour avoir refusé le régime nazi (les livres de Erich Maria REMARQUE furent d'ailleurs brûlés lors des autodafés nazis). Mais surtout, Douglas SIRK exorcise à travers ce film sa propre tragédie intime à savoir la perte de son fils, né d'un premier mariage et qui avait été endoctriné par sa mère nazie en partie par vengeance contre Douglas SIRK (qui avait épousé une juive en secondes noces) avant que celui-ci ne disparaisse sans laisser de trace lors de la campagne de Russie qui ouvre et referme le film.

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Des hommes et des Dieux

Publié le par Rosalie210

Xavier Beauvois (2010)

Des hommes et des Dieux

Je voulais absolument rendre hommage à Michael LONSDALE disparu le 21 septembre 2020 avec ce qui constitue l'un de ses plus beaux rôles, celui qui lui a d'ailleurs valu une consécration tardive avec un César en 2012. Comme j'ai pu le constater au fil du temps, les plus grands acteurs de ces cinquante dernières années ne sont pas la plupart du temps ceux qui sont le plus dans la lumière. Ils sont trop humbles, trop discrets pour cela et leur forte personnalité, imprimée sur leur visage et leur corps les rend atypiques, donc "ingérables" par la société du spectacle de consommation qui domine le cinéma aujourd'hui. Michael LONSDALE a donc certes beaucoup tourné en plus de ses activités au théâtre mais la plupart du temps dans des seconds rôles ou dans des rôles de "méchants" des films populaires (dans lesquels ont été souvent d'ailleurs cantonnés les acteurs les plus brillants: Alan RICKMAN, Adam DRIVER, Anthony HOPKINS etc.) La forte aura spirituelle émanant de Michael LONSDALE lui a également valu de jouer de nombreux rôles de religieux dont le plus célèbre est le moine cistercien frère Luc du beau film de Xavier BEAUVOIS.

"Des hommes et des dieux" s'inspire librement de l'assassinat de sept moines de Tibhirine en 1996 alors que l'Algérie était plongée en pleine guerre civile entre les islamistes du GIA (groupe islamique armé) et de l'AIS (armée islamique du salut) et le gouvernement militaire issu du FLN. Pour mémoire le déclenchement des hostilités eut lieu après l'annulation du premier tour des élections législatives de 1991 qui annonçaient une victoire du FIS (front islamique du salut) jusqu'au début des années 2000 et l'amnistie des terroristes par le président Abdelaziz Bouteflika. Cette guerre avait pour enjeu le pouvoir mais ses alliances furent troubles, les islamistes s'entretuant et le gouvernement jouant sur leurs divisions pour leur attribuer des crimes qu'ils n'avaient peut-être pas commis. De leur côté les islamistes infiltrèrent l'armée et la police quand ils ne se faisaient pas passer pour eux (d'où l'impossibilité de distinguer les vrais et les faux barrages par exemple). La principale victime du conflit fut la population civile, prise en otage et soumise au terrorisme avec des massacres à grande échelle. La composante civilisationnelle de cette guerre fit des étrangers présents sur le sol algérien une cible de choix, surtout lorsqu'ils étaient de foi chrétienne ce qui était le cas des moines de Tibhirine dont les circonstances de leurs assassinats ne fut jamais éclaircies pas plus que leurs auteurs, identifiés.

Le film de Xavier BEAUVOIS se focalise sur le dilemme moral des moines, pris en tenaille entre leur engagement et la tentation de fuir la mort qui se rapproche. Vivant paisiblement dans leur monastère et harmonieusement intégrés à la communauté villageoise alentour sans que la culture ou la religion ne constitue le moins du monde un obstacle (la plupart d'entre eux comprennent voire lisent et écrivent l'arabe et connaissent le Coran), ils constituent par leur existence même un démenti cinglant aux théoriciens belliqueux du "choc des civilisations" rêvant d'un affrontement entre islam et occident. La menace de plus en plus concrète que la guerre fait peser sur leurs existences les soumet à un terrible dilemme moral: partir et abandonner les villageois à leur sort alors qu'ils dépendent d'eux (notamment pour les soins) ou rester et risquer leur vie. En dépit d'une tension croissante que le film retranscrit très bien, en dépit des doutes et des peurs qui traversent certains membres de la communauté, en dépit des éclats de violence qui viennent troubler leur retraite, le film reste profondément spirituel en montrant l'aspect dérisoire des conflits humains par rapport à une échelle cosmique immuable avec laquelle les moines vivent en harmonie, d'où les panoramiques sur les paysages algériens majestueux qui inspirent la sérénité et la contemplation et les nombreux passages décrivant les rituels monastiques. Le film démontre que même dans les pires circonstances, l'homme "a toujours le choix" puisqu'il possède le libre-arbitre. Frère Luc se décrit d'ailleurs comme un homme libre c'est à dire délivré de la peur (de l'armée, des terroristes et même de la mort). Michael LONSDALE dégage tant de sérénité et de détermination dans ses propos qu'il leur donne une résonnance qui va bien-au-delà de son personnage, de même qu'en ce qui concerne ses propos sur l'amour. Enfin, comment ne pas évoquer la "Cène" finale, qui précède l'enlèvement des moines, cette attente silencieuse sur l'air final du "Lac des Cygnes" (peut-être de trop, j'aurais préféré quelque chose de plus recueilli que de plus ouvertement tragique) où la caméra s'attarde longuement sur chaque visage et les émotions contrastées qui les animent?

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Chaleur et Poussière (Heat and Dust)

Publié le par Rosalie210

James Ivory (1983)

Chaleur et Poussière (Heat and Dust)

Avant de se focaliser dans les années quatre-vingts dix avec une finesse remarquable sur les moeurs exotiques de la société british d'avant-guerre dans ce qui constitue la partie de sa filmographie la plus connue et la plus primée, James IVORY a réalisé une importante oeuvre anglo-indienne sur une période allant du début des années soixante au début des années quatre-vingts. Il faut dire que James IVORY est indissociable de son producteur indien immigré à New-York Ismail MERCHANT passionné de cinéma et originaire de Mumbai, Mecque du cinéma bollywoodien ainsi que de l'écrivaine et scénariste Ruth PRAWER JHABVALA à l'identité encore plus complexe (allemande mais élevée en Angleterre et mariée à un indien). Les films issus de ce trio et de leur société de production, Merchant Ivory Productions (MIP) portent donc logiquement la marque de leur collaboration multiculturelle.

"Chaleur et Poussière" est le dernier film de cette mouvance anglo-indienne du cinéma d'Ivory. Le scénario est écrit par Ruth PRAWER JHABVALA qui adapte son propre roman au titre éponyme. Il n'est guère surprenant que l'histoire qui se déroule sur deux périodes distinctes (les années 20 quand l'Empire britannique était encore puissant et les années 80) se focalise sur deux femmes occidentales unies par un lien de parenté (la première est la grand-tante de la seconde) et une communauté de destin. Bien que les allers-retours entre les deux époques se fassent avec beaucoup de fluidité et d'élégance, c'est la partie coloniale que j'ai trouvé de loin la plus intéressante. Comme dans tous ses films historiques, James IVORY va au-delà de la reconstitution académique pour sonder la vérité profonde des êtres. L'insistance lourde avec laquelle Douglas (Christopher CAZENOVE), petit fonctionnaire en poste à Sitapur tente d'éloigner son épouse Olivia (Greta SCACCHI) avec la complicité de toute la communauté et la résistance de celle-ci montrent que ce n'est pas tant la chaleur du climat qui est le fond du problème mais plutôt celui du corps d'Olivia, attirée par le prince indien local (Shashi KAPOOR). Ce dernier utilise d'ailleurs lui-même ce corps comme moyen de résistance et outil de vengeance face à l'impérialisme britannique qui le démet peu à peu de ses pouvoirs et donc de sa virilité. Le politique et l'intime ne font ainsi plus qu'un, comme ce sera également le cas dans "Les Vestiges du jour" (1993). La partie moderne, plus apaisée ne contient pas de tels enjeux conflictuels politiques ou civilisationnels*. Elle est nettement plus individualiste, à l'image de l'évolution des sociétés. Néanmoins, la quête d'identité du personnage d'Anne (Julie CHRISTIE) qui suit les traces de son aïeule ne manque pas d'intérêt notamment parce qu'elle rencontre des gens comme elle, en quête de sens à leur existence pour qui l'Inde fait figure de Graal. Contrairement à sa grand-tante qui subit une "mise à mort sociale", Anne choisit de vivre en marge avec le fruit de son amour éphémère pour un indien.

* Le racisme anglo-saxon, fondé sur la biologie ou plutôt le fantasme de la pureté du sang exècre le métissage. Par conséquent, il n'est guère étonnant que l'obsession des colons tourne autour de la protection de leurs femmes car il est dit dans le film que les indiens ne rêvent que d'une chose "le faire" avec une blanche. Crainte que l'on retrouve à l'identique aux Etats-Unis à la même époque.

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Le Dernier Métro

Publié le par Rosalie210

François Truffaut (1980)

Le Dernier Métro

"Le dernier métro", l'un des plus grand succès de François Truffaut sorti au début des années 80 est ce qu'on peut appeler un film-paravent, un film double fonctionnant sur une mise en abyme entre la réalité et sa représentation dont les frontières sont d'autant plus floues que la période de l'occupation est propice au mensonge et à la dissimulation. François Truffaut s'inscrit dans la filiation de Jean Renoir avec la présence d'une Paulette Dubost qui nous renvoie immédiatement à la "La Règle du jeu" et d'Ernst Lubitsch avec son "To be or not to be" dans lequel le théâtre mystifie (et subvertit) le nazisme. Mais la dualité du film de Truffaut, mi chronique minutieusement reconstituée des années noires, mi théâtre de l'intime doit aussi beaucoup à Alfred Hitchcock. "Il y a deux femmes en vous" ou bien "vous aimer est une joie et une souffrance" pourrait parfaitement trouver sa place dans "Vertigo" alors que Catherine Deneuve en blonde (faussement) glaciale semble l'héritière de Grace Kelly. Beau personnage partagé entre le dévouement à son mari metteur en scène caché dans les sous-sols du théâtre et traqué par les collaborationnistes qui rêvent de débusquer "Le fantôme juif de l'Opéra" et la passion pour son partenaire à la scène, Bernard Granger (Gérard Depardieu) qui court après toutes les femmes sauf elle à cause de son apparence intimidante. Un triangle amoureux qui n'est pas sans rappeler d'autres films de Truffaut, à commencer par "Jules et Jim". Mais Bernard n'est peut-être pas un homme aussi léger qu'il le paraît comme en témoigne son attitude sans compromis(sion) vis à vis des pro-nazis. Le metteur en scène suppléant, Jean-Loup (Jean Poiret) qui est aussi acteur compense en revanche par son caractère comique l'aspect peu reluisant de son attitude très flexible face aux autorités (inspirée de Sacha Guitry). De façon plus générale tous les personnages ont (au minimun) un cadavre dans le placard, y compris Truffaut qui a dissimulé dans le film des allusions autobiographiques à son propre secret de famille (un père biologique juif dont il a découvert tardivement l'existence).

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