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Articles avec #eustache (jean) tag

Du côté de Robinson (Les Mauvaises fréquentations)

Publié le par Rosalie210

Jean Eustache (1964)

Du côté de Robinson (Les Mauvaises fréquentations)

Le cinéma de Jean EUSTACHE voit souvent double. Que l'on pense à "Une sale histoire" (1977) où la même scène se répète à la virgule près, dans un genre d'abord fictionnel puis documentaire, à moins que ce ne soit l'inverse. Même principe pour "La Rosiere de Pessac" (1979), précédé d'un documentaire identique une décennie auparavant ("La Rosiere de Pessac") (1968). "Du côté de Robinson", son premier film achevé fait ainsi la paire avec "Le Pere Noel a les yeux bleus" (1966), les deux films étant réunis sous le titre "Les Mauvaises frequentations" (1964). Jean EUSTACHE avait suivi le tournage de "La Boulangere de Monceau (1962)" dont il a repris certains des lieux de tournage, de même qu'il existe une certaine parenté avec "La Carriere de Suzanne" (1963), les deux moyens-métrages de Eric ROHMER se répondant en miroir comme les films de Eustache. Néanmoins, s'il gravite dans le sillage de la nouvelle vague et en reprend certains éléments comme le tournage en décors naturels avec une caméra légère, Jean EUSTACHE est un électron libre n'ayant pas les mêmes origines sociales et géographiques et ne se reconnaissant que très peu dans ce mouvement (Jacques ROZIER mis à part). D'ailleurs il a tourné le film avec de l'argent dérobé dans les caisses des Cahiers du cinéma par sa femme qui y travaillait, de même que "Le Pere Noel a les yeux bleus" (1966) a été tourné avec des chutes de la pellicule de "Masculin feminin" (1966) ce qui est révélateur de son statut marginal au sein du mouvement. Comme en écho, "Du côté de Robinson" met en scène deux dragueurs désargentés et désoeuvrés qui écument les bars et les rues de Paris à la recherche de "souris". Mais comme dans tous les films à venir de Jean EUSTACHE, la quête s'avère infructueuse, les deux hommes ne sachant guère s'y prendre ce qui génère une intense frustration, compensée par le vol du portefeuille de la femme qui les a éconduit. Une impuissance nihiliste propre à Eustache imprègne déjà ce film de jeunesse encore hésitant mais où son talent pour le documentaire saute aux yeux avec nombre de séquences tournées dans les rues, les bars et les dancings de la capitale, particulièrement à Montmartre.

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La Rosière de Pessac

Publié le par Rosalie210

Jean Eustache (1979)

La Rosière de Pessac

Jean EUSTACHE revient à Pessac, son lieu de naissance “avec cette idée que si on filme la même cérémonie qui se déroule sous tous les régimes, toutes les Républiques, on peut filmer le temps qui passe […] je voudrais que les deux films soient montrés ensemble : d’abord celui de 79, ensuite celui de 68. Une façon de dire aux gens : si vous avez envie de savoir comment ça se passait avant, restez, vous allez voir”.

Inversement aux préconisations de Jean EUSTACHE, j'ai regardé son diptyque documentaire dans l'ordre chronologique ce qui est je pense une expérience tout aussi intéressante de confrontation entre la tradition et la modernité, entre la rupture et la continuité. Que l'on remonte le temps ou bien que l'on avance dans les époques, ce qui frappe l'esprit, c'est à la fois l'immuabilité du rituel et de la symbolique qui l'accompagne et les profonds changements économiques, sociaux, sociétaux et urbanistiques entre 1968, date du premier film et 1979, date du deuxième qui ausculte les signes de déclin du monde perpétué au travers de l'élection annuelle de la rosière qui n'a pris fin cependant qu'en 2015*. Jean EUSTACHE ne commente pas, il donne à voir en temps réel un cérémonial à l'oeuvre, allant de l'élection jusqu'à la célébration, sans jugement, dans un esprit proche de celui des frères Lumière.

Le film de 1968 s'inscrit dans une tradition que l'on devine quasi immuable depuis 1896, date de la réactivation d'une coutume du Moyen-Age par un notable local. On pense aux élections de miss de village comme dans "Les Vitelloni" (1953) sauf que ce n'est pas tant la beauté qui est célébrée que la "vertu", la "moralité", le "mérite" s'inscrivant dans le corps d'une jeune fille vierge et si possible pauvre, histoire de combiner moralité et charité. La séparation de l'Eglise et de l'Etat n'est visiblement pas arrivée jusqu'à Pessac, de même que la révolte alors en cours de la jeunesse contre le conservatisme des moeurs. C'est la France rurale "éternelle" célébrée par Pétain pendant la guerre qui se met en scène à travers cette cérémonie, avec ses notables, son curé, ses "dames patronnesses", ses paysans, ses femmes "naturellement" au foyer, ses familles nombreuses. L'heureuse élue est revêtue d'une robe de première communiante, d'une couronne de fleurs, est promenée dans tout le village, assiste à la messe en son honneur puis à une cérémonie à la mairie et est priée de représenter le village durant un an. Elle reçoit également un pécule. Et pour enfoncer le clou de l'immuabilité du rituel, elle remet un présent aux rosières qui l'ont précédé jusqu'à la toute première, née en 1877 et âgée de 91 ans!

Le film de 1979 est un choc (et j'imagine que l'inverse est tout aussi vrai). Le cérémonial est exactement le même avec d'autres acteurs dans les mêmes rôles, la symbolique également. Cependant, l'artifice de l'opération saute aux yeux. Pas seulement parce que la couleur a remplacé le noir et blanc. Mais parce que la ville a remplacé la campagne. Certes, le centre de Pessac n'a pas changé, mais la jeune fille choisie habite à Formanoir, un quartier HLM typique des 30 Glorieuses et qui rend tangible tout d'un coup la proximité de Bordeaux et l'intégration de la commune de Pessac dans une grande métropole. Alors qu'en 1968, la jeune fille devait être issue d'une famille de Pessac, celle de 1979 est originaire de Normandie et illustre l'exode rural, de même qu'il est devenu impossible de confier à un aéropage de femmes de cultivateurs le soin de procéder à l'élection. La fin des paysans se combine à des allusions permanentes à la crise économique et au chômage. Enfin et surtout, Jean EUSTACHE saisit avec une acuité remarquable les propos "off" des membres du jury qui tombent les masques. Entre celui qui se demande pourquoi cela ne pourrait pas être un homme qui serait élu "rosier" et les dames du coin qui se demandent quelle est leur utilité en passant par celle qui raconte qu'elle a été marraine d'une rosière ayant fait une fausse couche trois mois avant être élue, on comprend que si chacun continue à jouer son rôle social dans le jeu du pouvoir local, personne n'est dupe. Ainsi si le film de 1968 a une grande valeur historique et anthropologique, celui de 1979 y ajoute une forte dose de dimension critique.

* Nul doute que s'il avait vécu plus longtemps, il y aurait eu une troisième voire une quatrième rosière de Pessac!

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La Rosière de Pessac

Publié le par Rosalie210

Jean Eustache (1968)

La Rosière de Pessac

Jean EUSTACHE revient à Pessac, son lieu de naissance “avec cette idée que si on filme la même cérémonie qui se déroule sous tous les régimes, toutes les Républiques, on peut filmer le temps qui passe […] je voudrais que les deux films soient montrés ensemble : d’abord celui de 79, ensuite celui de 68. Une façon de dire aux gens : si vous avez envie de savoir comment ça se passait avant, restez, vous allez voir”.

Inversement aux préconisations de Jean EUSTACHE, j'ai regardé son diptyque documentaire dans l'ordre chronologique ce qui est je pense une expérience tout aussi intéressante de confrontation entre la tradition et la modernité, entre la rupture et la continuité. Que l'on remonte le temps ou bien que l'on avance dans les époques, ce qui frappe l'esprit, c'est à la fois l'immuabilité du rituel et de la symbolique qui l'accompagne et les profonds changements économiques, sociaux, sociétaux et urbanistiques entre 1968, date du premier film et 1979, date du deuxième qui ausculte les signes de déclin du monde perpétué au travers de l'élection annuelle de la rosière qui n'a pris fin cependant qu'en 2015*. Jean EUSTACHE ne commente pas, il donne à voir en temps réel un cérémonial à l'oeuvre, allant de l'élection jusqu'à la célébration, sans jugement, dans un esprit proche de celui des frères Lumière.

Le film de 1968 s'inscrit dans une tradition que l'on devine quasi immuable depuis 1896, date de la réactivation d'une coutume du Moyen-Age par un notable local. On pense aux élections de miss de village comme dans "Les Vitelloni" (1953) sauf que ce n'est pas tant la beauté qui est célébrée que la "vertu", la "moralité", le "mérite" s'inscrivant dans le corps d'une jeune fille vierge et si possible pauvre, histoire de combiner moralité et charité. La séparation de l'Eglise et de l'Etat n'est visiblement pas arrivée jusqu'à Pessac, de même que la révolte alors en cours de la jeunesse contre le conservatisme des moeurs. C'est la France rurale "éternelle" célébrée par Pétain pendant la guerre qui se met en scène à travers cette cérémonie, avec ses notables, son curé, ses "dames patronnesses", ses paysans, ses femmes "naturellement" au foyer, ses familles nombreuses. L'heureuse élue est revêtue d'une robe de première communiante, d'une couronne de fleurs, est promenée dans tout le village, assiste à la messe en son honneur puis à une cérémonie à la mairie et est priée de représenter le village durant un an. Elle reçoit également un pécule. Et pour enfoncer le clou de l'immuabilité du rituel, elle remet un présent aux rosières qui l'ont précédé jusqu'à la toute première, née en 1877 et âgée de 91 ans!

Le film de 1979 est un choc (et j'imagine que l'inverse est tout aussi vrai). Le cérémonial est exactement le même avec d'autres acteurs dans les mêmes rôles, la symbolique également. Cependant, l'artifice de l'opération saute aux yeux. Pas seulement parce que la couleur a remplacé le noir et blanc. Mais parce que la ville a remplacé la campagne. Certes, le centre de Pessac n'a pas changé, mais la jeune fille choisie habite à Formanoir, un quartier HLM typique des 30 Glorieuses et qui rend tangible tout d'un coup la proximité de Bordeaux et l'intégration de la commune de Pessac dans une grande métropole. Alors qu'en 1968, la jeune fille devait être issue d'une famille de Pessac, celle de 1979 est originaire de Normandie et illustre l'exode rural, de même qu'il est devenu impossible de confier à un aéropage de femmes de cultivateurs le soin de procéder à l'élection. La fin des paysans se combine à des allusions permanentes à la crise économique et au chômage. Enfin et surtout, Jean EUSTACHE saisit avec une acuité remarquable les propos "off" des membres du jury qui tombent les masques. Entre celui qui se demande pourquoi cela ne pourrait pas être un homme qui serait élu "rosier" et les dames du coin qui se demandent quelle est leur utilité en passant par celle qui raconte qu'elle a été marraine d'une rosière ayant fait une fausse couche trois mois avant être élue, on comprend que si chacun continue à jouer son rôle social dans le jeu du pouvoir local, personne n'est dupe. Ainsi si le film de 1968 a une grande valeur historique et anthropologique, celui de 1979 y ajoute une forte dose de dimension critique.

* Nul doute que s'il avait vécu plus longtemps, il y aurait eu une troisième voire une quatrième rosière de Pessac!

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Le Père noël a les yeux bleus (Les Mauvaises fréquentations)

Publié le par Rosalie210

Jean Eustache (1966)

Le Père noël a les yeux bleus (Les Mauvaises fréquentations)

En dépit de son titre, le film de Jean EUSTACHE n'est pas vraiment un film de noël. Si les fêtes de fin d'années sont bien évoquées, c'est plutôt sous leur versant désenchanté. En réalité, "Le père noël a les yeux bleus" est un prolongement de "Mes petites amoureuses (1974). Un segment hivernal, en noir et blanc et sous forme de court-métrage qui pourrait être le pivot central d'une trilogie autobiographique s'achevant sur "La Maman et la putain" (1973). C'est en effet déjà Jean-Pierre LEAUD qui joue le double du cinéaste, un jeune homme pauvre qui galère entre boulots précaires et petite délinquance, et traîne avec ses amis à la manière de "Les Vitelloni" (1953) aux quatre coins de la cité narbonnaise, filmé de manière documentaire (le film est dédié à Charles TRENET, autre natif du lieu). La mise en abyme de cette précarité financière est assez remarquable quand on pense que le film a été tourné avec des chutes de pellicule de "Masculin feminin" (1966) cédées par Jean-Luc GODARD. Comme dans ses autres films, cette souffrance sociale se traduit par une grande frustration vis à vis des filles qu'il convoite sans parvenir à les approcher ou alors si maladroitement qu'il se fait rabrouer. Il attribue ses échecs au costume, signe de statut social et se met en quête d'un travail afin de s'acheter un duffle-coat, le manteau alors à la mode. Mais c'est déguisé en père noël pour le compte d'un photographe qu'il découvre que les filles qui le snobaient se montrent beaucoup plus avenantes à son égard, l'autorisant à se montrer entreprenant. Seulement dès qu'il tombe le masque, elles le rejettent à nouveau. La scène finale où avec ses amis il s'éloigne dans la rue en concluant qu'il ne lui reste plus qu'à aller au bordel, leurs voix se perdant dans le lointain est d'une grande amertume.

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Les Photos d'Alix

Publié le par Rosalie210

Jean Eustache (1980)

Les Photos d'Alix

"Les Photos d'Alix" est l'un des derniers films de Jean EUSTACHE, tourné un an avant sa mort. On y voit en un étrange miroir une de ses amies, la talentueuse photographe Alix Clio-Roubaud, décédé jeune elle aussi trois ans plus tard commenter un jeu de ses photographies en compagnie du fils de Jean EUSTACHE, Boris EUSTACHE alors âgé d'une vingtaine d'années. Un spectateur non averti ne peut qu'être surpris par l'évolution du film. Alors que dans sa première partie, Alix fait un commentaire classique de ses photos, racontant le contexte de leur réalisation, identifiant les personnages, expliquant les effets artistiques recherchés, insensiblement, un décalage se fait jour entre l'image et le son au point que ce qu'elle raconte finit par ne plus rien à voir avec ce qu'elle montre. Je n'ai pas pu m'empêcher de penser aux libres associations images-mots des tableaux de René Magritte d'autant que l'une des photographies ressemble beaucoup à la composition de "Le Modèle rouge" (Mi chaussures/Mi pieds humains). A travers ce dispositif de désynchronisation, le spectateur est donc invité à ne pas prendre pour argent comptant ce qui se dit et à faire travailler son propre imaginaire pour combler les lacunes de ce qui est donné à voir. Et ce d'autant que Alix Clio-Roubaud est une conteuse formidablement charismatique qui suscite un trouble visible chez Boris EUSTACHE, ses commentaires revêtant un fort caractère à la fois exotique (l'importance des voyages où reviennent régulièrement la Corse, Londres et New-York) et intime (l'enfance, les amours, la sexualité, les paradis artificiels). On remarque aussi combien ce film présente de similitudes avec "Une sale histoire" (1977). Un conteur, un auditoire, un espace imaginaire, troublant et poétique, un temps suspendu, celui du récit, un temps retrouvé, celui des souvenirs. Au point même que dans "Les photos d'Alix", l'une d'elles fait penser à "La Jetee" (1963), "Ceci est une image d'enfance".

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Une sale histoire

Publié le par Rosalie210

Jean Eustache (1977)

Une sale histoire

" Rétines et pupilles
Les garçons ont les yeux qui brillent
Pour un jeu de dupes
Voir sous les jupes des filles

Et la vie toute entière
Absorbés par cette affaire
Par ce jeu de dupes
Voir sous les jupes des filles
(...)

On en fait beaucoup
Se pencher, tordre son cou
Pour voir l'infortune
À quoi nos vies se résument ".

Oui il y a beaucoup de ça dans "Une sale histoire", récit d'une obsession racontée d'abord par un comédien professionnel (Michael LONSDALE) puis par celui qui est censé l'avoir sinon vécue du moins écrite (Jean-Noel PICQ) de façon quasiment identique ce qui redouble l'obsession tout en brouillant les repères entre documentaire et fiction. Les deux mots clés, "sale" et "trou" sont polysémiques. Ils renvoient au lieu du récit, les toilettes, plus précisément à leur cuvette. Ils renvoient au sexe féminin observé par le voyeur alors que la femme est en train d'uriner sans parler d'un autre trou jamais évoqué directement, celui de la défécation. Ils renvoient au trou de la serrure par lequel en se prosternant sur le sol souillé, le voyeur peut satisfaire sa pulsion scopique. Ils renvoient aussi à un trou noir, celui de la dépression qui guette le voyeur, enfermé dans sa névrose et au néant de ses relations avec les femmes, réduites à leur trou. Le trou, c'est aussi celui d'une représentation impossible autrement que par la parole, l'ouïe étant selon les dires de Jean-Noel PICQ qui cite Sade l'organe majeur de l'érotisme.

L'intérêt du film réside moins dans son contenu qui fleure bon les conversations d'il y a cinquante ans où il était de bon ton de choquer le bourgeois avec des propos crus mais énoncés avec une diction parfaite, un niveau de langue recherché et par la bouche de dandys germanopratins raffinés et décadents que dans ses interrogations sur les limites du cinéma et également de la libération sexuelle. Le besoin de recréer une forme de transgression dans une société l'ayant officiellement abolie ainsi que la description pathétique des collègues de bistrot s'adonnant à la même addiction perverse laisse entrevoir un paquet de frustrations non résolues. D'ailleurs le café est comparé à un cinéma porno, royaume de la masturbation. Les critiques envers les femmes "constipées" qui exigent tout un protocole social avant de se dénuder ne donne pas une image très heureuse des rapports entre les sexes. Enfin en prenant le parti de tout dire et de ne rien montrer, le film interroge la difficulté du cinéma à retranscrire visuellement la sexualité. Ainsi aussi scabreux soit-il, "Une sale histoire" renvoie au mal-être de "Mes petites amoureuses" (1974) d'autant que le poème de Rimbaud qui donne son titre au film donne une vision sadique et répugnante de la sexualité:

" Un hydrolat lacrymal lave
Les cieux vert-chou :
Sous l'arbre tendronnier qui bave,
Vos caoutchoucs

Blancs de lunes particulières
Aux pialats ronds,
Entrechoquez vos genouillères
Mes laiderons !

Nous nous aimions à cette époque,
Bleu laideron !
On mangeait des oeufs à la coque
Et du mouron !

Un soir, tu me sacras poète
Blond laideron :
Descends ici, que je te fouette
En mon giron;

J'ai dégueulé ta bandoline,
Noir laideron ;
Tu couperais ma mandoline
Au fil du front.

Pouah ! mes salives desséchées,
Roux laideron
Infectent encor les tranchées
De ton sein rond !

Ô mes petites amoureuses,
Que je vous hais !
Plaquez de fouffes douloureuses
Vos tétons laids !

Piétinez mes vieilles terrines
De sentiments;
Hop donc ! Soyez-moi ballerines
Pour un moment !

Vos omoplates se déboîtent,
Ô mes amours !
Une étoile à vos reins qui boitent,
Tournez vos tours !

Et c'est pourtant pour ces éclanches
Que j'ai rimé !
Je voudrais vous casser les hanches
D'avoir aimé !

Fade amas d'étoiles ratées,
Comblez les coins !
− Vous crèverez en Dieu, bâtées
D'ignobles soins !

Sous les lunes particulières
Aux pialats ronds,
Entrechoquez vos genouillères,
Mes laiderons."

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Mes petites amoureuses

Publié le par Rosalie210

Jean Eustache (1974)

Mes petites amoureuses

"Mes petites amoureuses" (d'après le poème de Arthur Rimbaud qui a incarné à lui seul l'adolescence rebelle bien avant Jean-Pierre LEAUD) aurait dû être un tremplin pour son réalisateur, Jean EUSTACHE comme l'avait été "Les Quatre cents coups" (1959) pour Francois TRUFFAUT. Mais cela ne fut pas le cas. Sans doute parce que le ton du film était trop âpre, trop amer bien que détaché. On y voit un jeune garçon de treize-quatorze ans qui sans doute renvoie au réalisateur étant donné que le film a une forte résonance autobiographique faire l'apprentissage de la vie sous l'angle des désillusions. Ce qui m'a frappé, c'est le contraste entre la vitalité et les aspirations de Daniel et les déceptions que la vie lui réserve. Le film s'ouvre pourtant sur de belles promesses. Daniel a été déclaré apte pour le collège, il ressent ses premiers émois, il a des amis et une grand-mère bienveillante jouée par la merveilleuse Jacqueline DUFRANNE que j'ai tant aimé chez Maurice PIALAT (lequel vient d'ailleurs jouer une petite scène dans le film). Hélas pour lui, sa mère le ramène chez elle à Narbonne où elle vit avec un ouvrier espagnol mutique sans avoir rien à lui offrir sinon de la promiscuité, de l'indifférence et de l'aigreur. Elle lui coupe les ailes en le mettant en apprentissage chez un mécanicien qui ne pense qu'à l'exploiter ce qui transforme Daniel en tire-au-flanc. En amour ce n'est pas mieux, ses initiatives maladroites se heurtent à une société encore très pudibonde et il en est réduit la plupart du temps à jouer les voyeurs. Le seul refuge de Daniel est le cinéma, le rêve à défaut d'une vie réelle mais décevante. Ce qui n'empêche pas d'apprécier la beauté de la photographie, les paysages solaires et bucoliques et 1001 détails de la vie d'autrefois saisis avec réalisme.

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La Maman et la Putain

Publié le par Rosalie210

Jean Eustache (1973)

La Maman et la  Putain

Le film le plus célébré par la critique pro-nouvelle vague (il était n°1 du classement des 100 meilleurs films français des Inrockuptibles) avait également une autre vertu: il était introuvable puisque le fils de Jean EUSTACHE avait bloqué les droits de diffusion (il s'est ravisé en 2022 ce qui explique sa ressortie au cinéma en version restaurée). Il était donc de bon ton de faire partie des "happy few" qui avaient pu en voir une copie sous le manteau et de le citer en référence (comme le fait par exemple Christophe HONORÉ au début du film 100% néo-nouvelle vague qu'est "Les Chansons d amour") (2007).

Si la possibilité de voir le film-phare de Jean EUSTACHE met un point final à cette manifestation de snobisme, le film n'est pas facilement accessible pour autant. Sa durée déjà est hors-norme (3h40), il a une forte identité germanopratine (intello parisien rive gauche), son contenu, provocateur en 1973 le reste aujourd'hui, en paroles (des descriptions intimes et organiques à la "Rien sur Robert") (1999) et en situation (le ménage à trois formé par Alexandre, Marie la brune et Veronika la blonde). Il faut également supporter la logorrhée verbale, le film étant constitué de longs monologues qui forment de véritables blocs de mise en scène. Mais il ne s'agit pas pour autant d'un exercice narcissique complaisant, plutôt d'une dissection sans complaisance des rapports amoureux à forte résonance autobiographique. Alexandre (Jean-Pierre LÉAUD aussi charismatique que chez François TRUFFAUT) est un jeune homme oisif qui se fait entretenir par une femme, Marie (Bernadette LAFONT, elle aussi échappée de chez François TRUFFAUT) tout en rêvant à une autre. Il finit par tomber sur la douloureuse, mélancolique mais aussi très franche Véronika (Françoise LEBRUN), une infirmière d'origine polonaise avec laquelle il entame une liaison. Au travers de leurs dialogues (ainsi que ceux avec sa précédente petite amie Gilberte), on découvre la stratégie d'évitement d'Alexandre qui monopolise la parole mais pour ne rien dire ou plutôt pour s'écouter parler (parfois avec beaucoup d'humour d'ailleurs) et empêcher l'autre d'exister jusqu'à ce que Veronika finisse par lui clouer le bec et fasse voler en éclats tous les faux-semblants lors d'un monologue puissant et poignant. Maurice PIALAT qui admirait le film (qui n'est pas sans faire penser à son cinéma, mélange de fiction et de réalité âpre) disait qu'il s'agissait d'un "Nous ne vieillirons pas ensemble réussi". Pas faux, d'autant que Véronika qui n'est pas du même milieu social qu'Alexandre et Marie fait également voler le cadre du film au profit de la vérité des sentiments.

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l'Ami américain (Der Amerikanische Freund)

Publié le par Rosalie210

Wim Wenders (1977)

l'Ami américain (Der Amerikanische Freund)

La majorité des critiques français qui se sont exprimés sur "L'Ami américain" ont souligné son caractère morbide, inscrit dans les décors, l'atmosphère et la trajectoire de son personnage principal dont on apprend dès le début qu'il est condamné. Certains critiques plus finauds ont souligné à quel point il était inclassable, à mi chemin entre le film noir américain et le film d'auteur européen. Peu, très peu en revanche ont souligné que le film tout entier était parcouru de tensions contradictoires parfaitement gérées qui le rendent fascinant, surtout dans sa deuxième partie.Le morbide et le cafardeux se mêlent à des aspects comico-ludiques quelque peu régressifs (comme dans "Si Loin si proche!" qui a également un aspect néo-noir) même si le film est bien plus sombre que le titre du roman original de Patricia Highsmith dont il est adapté "Ripley s'amuse".

Le personnage principal de l'histoire, c'est Jonathan Zimmermann (joué par Bruno Ganz), un petit artisan de Hambourg sans histoire vivant modestement avec sa femme et son fils. Ce qui le détruit à petit feu, c'est justement d'être sans histoire. Alors va lui tomber dessus une histoire complètement invraisemblable "bigger than life" qui va peut-être (on ne le saura jamais vraiment) précipiter sa fin mais aussi lui permettre de vivre dangereusement, c'est à dire intensément ses derniers moments. Et dans le rôle du père noël/ange gardien/ange de la mort, "l'ami américain" alias Tom Ripley, alias Dennis Hopper, le symbole de la contre-culture US. Ce monstre de charisme est habillé et filmé de façon à encore amplifier son statut de mythe vivant.

La relation Zimmermann/Ripley, intime et complexe est faite d'attraction-répulsion. Zimmermann refuse de lui serrer la main pour ensuite mieux tomber dans ses bras pour ensuite mieux le fuir. Et Ripley est celui qui précipite Zimmermann dans un cauchemar éveillé à base de diagnostics médicaux truqués et de contrats criminels à remplir tout en intervenant pour le protéger. Le jeu outrancier de Dennis Hopper tire son personnage vers le burlesque, un genre qui occupe une place importante dès le début du film avec une allusion au "Mecano de la General" de Buster Keaton. Il faut dire que la séquence du train ou l'on voit le tueur amateur allemand et son doppelgänger américain multiplier les tours de passe-passe dans les toilettes pour éliminer un truand et son garde du corps est 100% jouissive (et le train est présent dans un autre livre de Patricia Highsmith adapté par Hitchcock pour le cinéma, "L'inconnu du Nord-Express"). Comme dans d'autres films de Wenders, les personnages fonctionnent en miroir l'un de l'autre. Ripley est pour Zimmermann "l'autre soi", ce soi inconnu sauvage, violent, fou que seule l'approche de la mort peut faire sortir du bois. La femme de Zimmermann (Lisa Kreuzer) est mise à l'écart par ce couple Eros-Thanatos qu'elle a bien du mal à briser.

Film sur le pouvoir du cinéma, "l'Ami américain" est rempli de références cinéphiles. Pas moins de sept réalisateurs y font des apparitions de Nicholas Ray à Samuel Fuller en passant par Jean Eustache dans les trois villes où se déroule le film (Hambourg, Paris et New-York).

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