Les Misérables
Claude Lelouch (1995)
"Les Misérables" librement adaptés par Claude LELOUCH, c'est une fresque historique courant sur un demi-siècle qui n'est pas sans rappeler le roman-feuilleton populaire* avec ses personnages archétypaux et ses situations ne cessant de faire retour. La structure cyclique du film est d'ailleurs symbolisée par une scène de bal en introduction (en 1900) et en conclusion (cinquante ans plus tard) dans lesquelles la caméra tourbillonne avec les personnages qui dansent. La transposition du roman dans la première moitié du XX° siècle permet de superposer les moments clés de l'intrigue du roman avec les événements les plus dramatiques de cette période, tout particulièrement ceux de la seconde guerre mondiale, les misérables devenant les juifs persécutés. On y croise plusieurs Fantine, Thénardier, Javert, Cosette et Valjean (mais un seul monseigneur Myriel, l'impérial Jean MARAIS). Ils ne sont pas toujours représentés par les mêmes acteurs et à l'inverse, un même acteur peut jouer deux rôles à la fois (Jean-Paul BELMONDO joue d'abord le rôle d'un bagnard, puis celui de son fils qui dans son enfance a été une Cosette exploitée par un Thénardier après la mort de sa mère). Pour complexifier encore cette structure, Henry Fortin (le personnage joué par Jean-Paul BELMONDO) se fait lire des extraits du roman de Victor Hugo et se projette dedans (en Jean Valjean bien sûr). Il faut dire que le film de Claude LELOUCH est également un hommage au cinéma dont on fêtait alors le centenaire. Il est précisé que Henry Fortin est né quasiment avec lui et on le voir regarder enfant des adaptations muettes du roman de Hugo avant qu'adulte, il n'assiste à la projection de celle de Raymond BERNARD. Son père avait sans le savoir croisé lors du bal ouvrant le film Robert HOSSEIN qui avait été le dernier avant lui à endosser le rôle de Valjean au cinéma. Les images avant la lettre puisque Fortin est longtemps analphabète. Enfin ce film choral (une caractéristique du cinéma de Lelouch) est intrinsèquement lié à la prestation saluée d'un César du second rôle de Annie GIRARDOT. En fait, celle-ci lors d'une scène bouleversante où elle semble dépassée par ses émotions ouvre la possibilité de faire bifurquer le récit dans une direction inattendue. Cela ne se concrétise pas hélas, la suite la faisant rentrer dans le rang de son rôle de Mme Thénardier de l'occupation (après Nicole CROISILLE pour la Thénardier de la Belle Epoque, leurs époux respectifs étant joués par Philippe LEOTARD et RUFUS). Mais rien que pour ce moment de grâce, et celui qu'elle a ensuite imprimé lors de la cérémonie des César, le film acquiert un supplément d'âme, épaulé par un Michel BOUJENAH qu'on aurait aimé voir plus souvent dans un tel registre dramatique.
* Même si Victor Hugo ne goûtait guère le roman-feuilleton, son roman finit par être publié en épisodes dans "Le Rappel" co-fondé par lui-même, vingt ans après sa première parution en recueil.