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Articles avec #film d'histoire ou de memoire tag

Les Misérables

Publié le par Rosalie210

Claude Lelouch (1995)

Les Misérables

"Les Misérables" librement adaptés par Claude LELOUCH, c'est une fresque historique courant sur un demi-siècle qui n'est pas sans rappeler le roman-feuilleton populaire* avec ses personnages archétypaux et ses situations ne cessant de faire retour. La structure cyclique du film est d'ailleurs symbolisée par une scène de bal en introduction (en 1900) et en conclusion (cinquante ans plus tard) dans lesquelles la caméra tourbillonne avec les personnages qui dansent. La transposition du roman dans la première moitié du XX° siècle permet de superposer les moments clés de l'intrigue du roman avec les événements les plus dramatiques de cette période, tout particulièrement ceux de la seconde guerre mondiale, les misérables devenant les juifs persécutés. On y croise plusieurs Fantine, Thénardier, Javert, Cosette et Valjean (mais un seul monseigneur Myriel, l'impérial Jean MARAIS). Ils ne sont pas toujours représentés par les mêmes acteurs et à l'inverse, un même acteur peut jouer deux rôles à la fois (Jean-Paul BELMONDO joue d'abord le rôle d'un bagnard, puis celui de son fils qui dans son enfance a été une Cosette exploitée par un Thénardier après la mort de sa mère). Pour complexifier encore cette structure, Henry Fortin (le personnage joué par Jean-Paul BELMONDO) se fait lire des extraits du roman de Victor Hugo et se projette dedans (en Jean Valjean bien sûr). Il faut dire que le film de Claude LELOUCH est également un hommage au cinéma dont on fêtait alors le centenaire. Il est précisé que Henry Fortin est né quasiment avec lui et on le voir regarder enfant des adaptations muettes du roman de Hugo avant qu'adulte, il n'assiste à la projection de celle de Raymond BERNARD. Son père avait sans le savoir croisé lors du bal ouvrant le film Robert HOSSEIN qui avait été le dernier avant lui à endosser le rôle de Valjean au cinéma. Les images avant la lettre puisque Fortin est longtemps analphabète. Enfin ce film choral (une caractéristique du cinéma de Lelouch) est intrinsèquement lié à la prestation saluée d'un César du second rôle de Annie GIRARDOT. En fait, celle-ci lors d'une scène bouleversante où elle semble dépassée par ses émotions ouvre la possibilité de faire bifurquer le récit dans une direction inattendue. Cela ne se concrétise pas hélas, la suite la faisant rentrer dans le rang de son rôle de Mme Thénardier de l'occupation (après Nicole CROISILLE pour la Thénardier de la Belle Epoque, leurs époux respectifs étant joués par Philippe LEOTARD et RUFUS). Mais rien que pour ce moment de grâce, et celui qu'elle a ensuite imprimé lors de la cérémonie des César, le film acquiert un supplément d'âme, épaulé par un Michel BOUJENAH qu'on aurait aimé voir plus souvent dans un tel registre dramatique.

* Même si Victor Hugo ne goûtait guère le roman-feuilleton, son roman finit par être publié en épisodes dans "Le Rappel" co-fondé par lui-même, vingt ans après sa première parution en recueil.

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Une vie cachée (A Hidden Life)

Publié le par Rosalie210

Terrence Malick (2019)

Une vie cachée (A Hidden Life)

Alors que je n'ai pas toujours été convaincue par le positionnement surplombant et le ton grandiloquent des films de Terrence MALICK (je pense particulièrement à "Les Moissons du ciel" (1978) et à "The Tree of Life") (2010) ainsi que par ses choix d'acteurs (je ne suis pas du tout sensible à Richard GERE et à Brad PITT), "Une vie cachée" m'a bouleversée. C'est bien simple, avec ce film, Terrence MALICK atteint l'équilibre parfait entre le ciel et la terre. La signature si reconnaissable du réalisateur atteint des sommets avec une photographie époustouflante de beauté et un paysage édénique, celui du village de St Radegund situé près de Salzbourg dans les Alpes autrichiennes (et non loin de Linz, le lieu de naissance de Hitler). L'ode à la nature passe aussi par l'utilisation du grand-angle et les voix intérieures. Mais les questionnements existentiels s'y ancrent dans les faits historiques et dans les comportements humains, les plus nobles comme les plus vils. Ils s'incarnent au travers du "chemin de croix" emprunté par Franz et son épouse qui à rebours de leur communauté, refusent de signer le pacte avec le diable (c'est à dire de se soumettre à Hitler) et en payent le prix. Lui par fidélité à sa foi, elle par amour pour lui. J'ai pensé très fort à la phrase de Viktor Frankl (lui aussi autrichien) "Tout peut être enlevé à l’homme sauf une chose : la dernière des libertés humaines – le choix de son attitude face à un ensemble de circonstances – pour décider de son propre chemin." C'est en ce sens qu'il faut comprendre les propos de Franz lorsqu'il dit et répète qu'il est un homme libre, alors même que Terrence MALICK montre toutes les formes de pressions, d'humiliations et de violences qu'il subit, d'abord dans son village, puis en prison*. Ses interlocuteurs se heurtent tous à sa foi inébranlable qui lui interdit toute compromission avec "l'Antéchrist". Son parcours singulier, fruit d'un choix singulier fait par contraste tomber tous les faux-semblants, particulièrement ceux qui sont liés à la religion. En effet, Terrence MALICK montre d'un côté des autorités religieuses s'accommodant (à l'image de toutes les autres formes d'autorité) du totalitarisme et un troupeau prêt à suivre aveuglément n'importe quel berger, par conformisme, par endoctrinement (la patrie ayant remplacé Dieu) mais aussi par peur. Il montre également la haine des villageois envers le mouton noir, celui qui ne suit que sa conviction intime, haine qui touche particulièrement la femme de Franz après l'arrestation de son mari et s'étend jusqu'à leurs enfants, ostracisés par ceux des autres familles. De l'autre, il montre en quoi l'indépendance d'esprit et une vie intérieure riche élève celui qui les possède au dessus des bas instincts, rendant son esprit incorruptible. Voir les chefs nazis qui se croient tout-puissants et leurs complices représentant les institutions incapables de faire plier un simple petit fermier a quelque chose de profondément satisfaisant. J'ai pensé à Sophie Scholl qui manifestait la même résistance inébranlable.
Le coup de grâce est asséné à la fin du film par l'extraordinaire confrontation entre August DIEHL et Bruno GANZ qui a joué tour à tour l'ange et le diable (et a eu le temps de passer chez Terrence MALICK avant de trépasser) et par une allusion flagrante à l'un des plus célèbres films anti-nazis, "Le Testament du Docteur Mabuse" (1932) de Fritz LANG.

* Comme dans la novlangue de George Orwell, le sens du mot liberté s'est restreint dans le III° Reich à la simple liberté physique d'aller et de venir, occultant le sens figuré du mot.

Au vu du nombre de gens qu'elle a pu toucher, j'ajoute exceptionnellement la présentation du film que j'ai faite sur Facebook:

Je viens de voir un film magnifique sur Arte (disponible pendant encore 3 jours): "Une vie cachée" de Terrence Malick. A part "Le nouveau monde" et "La ligne rouge" (deux films qui ont en commun avec "Une vie cachée" d'être basé sur des faits historiques), je n'avais pas été jusqu'ici très sensible à son cinéma. Comme ses autres films, "Une vie cachée" est d'une très grande beauté esthétique et rempli de questions existentielles. Mais comme il s'ancre dans les faits historiques, il témoigne également de ce qu'il y a de plus noble mais aussi de plus vil en chaque homme. Témoigne est le mot qui convient puisque le film raconte l'histoire d'un martyr du christianisme sous le III° Reich. Pas exactement un objecteur de conscience car ce n'est pas le combat que Franz refuse, c'est de devoir faire allégeance à Hitler. Malick montre l'échec de toutes les tentatives pour faire plier Franz qui ne dévie pas d'un pouce de sa trajectoire, laquelle rappelle celle de Sophie Scholl. Il montre la vilénie humaine sous les traits des autorités toujours prêtes à courber l'échine (par calcul mais aussi par peur), mais aussi sous celle des meutes humaines, ces hommes et ces femmes qui tournent le dos à leur conscience individuelle pour se fondre dans la masse et hurler avec les loups. L'hommage à Fritz Lang est aussi transparent que le rideau de "Le Testament du docteur Mabuse" qui apparaît à la fin du film est opaque. Bref tout dans "Une vie cachée" m'a fait penser à une phrase que j'aime particulièrement, "Tout peut être enlevé à l’homme sauf une chose : la dernière des libertés humaines – le choix de son attitude face à un ensemble de circonstances – pour décider de son propre chemin." (Viktor Frankl)

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Bon voyage

Publié le par Rosalie210

Jean-Paul Rappeneau (2003)

Bon voyage

J'ai trouvé le film absolument virtuose sur le plan de la mise en scène. Tel un chef d'orchestre, Jean-Paul RAPPENEAU mène tout son petit monde sur un rythme allegro-presto et pourtant, tout s'y écoule de façon parfaitement limpide, jusqu'au plus petit rôle. Parce qu'il ne faut pas sous-estimer la difficulté que représente le fait de maintenir ce rythme trépidant tout au long du film tout en restant lisible. Si on regarde plus en détail, on s'aperçoit que le scénario est bien structuré avec plusieurs sous-intrigues impliquant un ou plusieurs personnages qui reviennent en leitmotiv tout au long du film: les gangsters, les espions, les scientifiques, les politiciens etc. Car oui, "Bon voyage" ressemble à une partition de musique avec sa soliste star (Isabelle ADJANI qui n'a pas l'âge du rôle certes mais qui en a l'aura et qui joue la fausse ingénue manipulatrice avec brio), ses duettistes (Gregori DERANGERE et Yvan ATTAL, Virginie LEDOYEN et Jean-Marc STEHLE), ses triangles amoureux (Gregori DERANGERE, Isabelle ADJANI et Gerard DEPARDIEU, Gregori DERANGERE, Yvan ATTAL et Virginie LEDOYEN ) sans parler de la petite musique distillée par le moindre petit rôle incarné par des acteurs de caractère (Michel VUILLERMOZ, Edith SCOB) avec en arrière-plan, le choeur d'une reconstitution historique sachant rendre à merveille le chaos de l'exode de l'élite française à Bordeaux en mai-juin 1940. Chapeau!

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Missing/Porté disparu (Missing)

Publié le par Rosalie210

Costa-Gavras (1982)

Missing/Porté disparu (Missing)

Le film Missing, l'un des meilleurs Costa-Gavras, palme d'or au festival de Cannes en 1982 est une adaptation du livre de Thomas Hauser "The Execution of Charles Horman: An American Sacrifice" sorti quatre ans auparavant. Il évoque le destin authentique d’un jeune Américain de gauche « disparu » au Chili dans les jours tumultueux qui ont suivi le coup d’État militaire du 11 septembre 1973. Il retrace également l’enquête, douloureuse et compliquée, à laquelle se livrèrent sur place le père du « disparu », Ed, et l’épouse, Joyce (renommée Beth dans le film à sa demande), jusqu’à découvrir enfin que Charles avait été exécuté par les militaires chiliens, avec la complicité des autorités américaines, parce qu’il en savait trop sur la participation de celles-ci à l’organisation du putsch du général Pinochet. 

La réussite de Costa-Gavras réside dans le fait d'avoir su convertir ces événements historico-politiques en expérience humaine sensible. On n'est pas prêts d'oublier le cauchemar dans lequel sont plongés les civils, confrontés sans cesse à des visions d'horreur et à un stress intense. Costa-Gavras rend palpable le régime de terreur instauré par Pinochet avec une bande-son riche en coups de feu, en crissements de pneus, en vrombissements de pales d'hélicoptères. Il montre aussi visuellement la violence s'abattant sur des femmes attendant à un arrêt de bus parce qu'elles portent des pantalons (un signe d'émancipation abhorré par le fascisme réac, de même que les cheveux longs pour les hommes) ou bien frappant au hasard des personnes embarquées de force dans des voitures sous les yeux de leurs enfants. Les exactions prennent également des tournures symboliques comme la scène où Beth assiste à la course éperdue d'un magnifique cheval blanc poursuivi par les soldats. Un autre animal-totem subit également leur brutalité, le canard qui servait de modèle à Charles pour ses dessins de BD. Les écrits sont d'ailleurs une cible, les scènes d'autodafés, "crimes contre l'esprit" étant nombreuses. Jack Lemmon qui déploie toute sa puissance de jeu humaniste (et a reçu un prix d'interprétation mérité à Cannes) nous fait vivre de l'intérieur la descente aux enfers de son personnage d'américain conservateur découvrant l'hypocrisie et le cynisme des autorités de son pays: un voyage de l'autre côté du miroir qui lui permet par contraste de découvrir la vraie valeur de son fils, de Beth (Sissy Spacek) mais aussi la sienne, cette part de lui-même qu'il a transmis inconsciemment à Charles et qu'il avait toujours dénigré jusque là. Bouleversant.

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Killers of the Flower Moon

Publié le par Rosalie210

Martin Scorsese (2023)

Killers of the Flower Moon

Bien que le livre de David Grann, "La Note américaine" ne puisse pas totalement, faute d'archives, documenter la totalité des faits relatifs aux meurtres des Osage dans l'entre-deux-guerres parallèlement à la naissance du FBI, son enquête exhume un pan sordide du passé des USA. Rien que le choix de porter à l'écran un tel livre montre s'il en était encore besoin l'engagement de Martin SCORSESE d'écrire cinématographiquement une autre histoire de l'Amérique que celle, officielle des vainqueurs.

"Killers of the flower moon" est pourtant quelque peu différent d'autres grandes fresques de sa filmographie. Son traitement est classique, voire académique (mais certainement pas télévisuel comme j'ai pu le lire, rien que par sa durée, il n'entrerait pas dans la case du téléfilm!) et c'est à l'évidence un choix délibéré. Il faut donc chercher autre part les audaces stylistiques auxquelles le réalisateur nous a habituées, audaces mises au service de l'histoire. Encore que la petite musique ironique de la fin qui tourne en dérision le verdict du procès n'est pas sans rappeler la première bataille de "Gangs of New York" (2002) transformée en pugilat grotesque. Il y a d'abord le choix du personnage principal, Ernest Burkhart (Leonardo DiCAPRIO) qui est tout à fait atypique. L'acteur ne devait pas à l'origine incarner ce personnage mais plutôt l'enquêteur du FBI (un rôle purement fonctionnel) et il a bien fait de changer de rôle. Car cet Ernest est pour le moins dérangeant en tant que figure majeure du déni. Il incarne une Amérique que celle-ci ne veut pas voir et lui-même d'ailleurs refuse de se voir tel qu'il est et ce, jusqu'à la fin du film. Il se dépeint comme un américain type, bon mari et bon père dont les actions ont été guidées par le souci de protéger sa famille. Son pire aveuglement concerne sa femme qu'il croit sincèrement aimer alors que ses actes visent à la détruire, elle et sa famille. Car en réalité, il est guidé par sa cupidité et sa soumission à son oncle, William Hale (Robert De NIRO) qui est le cerveau du complot visant à éliminer les Osage pour prendre leurs richesses. Car le deuxième choix fort du film réside dans la centralité de ce personnage de grand manipulateur au sourire affable et dans la description du système mafieux et meurtrier qu'il a mis en place, rendu possible par l'écoeurante mise sous tutelle du peuple Osage, victime des préjugés racistes des dirigeants des USA. Si la justice fédérale n'en était qu'à ses balbutiements, en revanche pour envoyer des administrateurs gérer l'argent et les biens de ce peuple indien déplacé qui découvre que dans la réserve qu'on leur a attribuée l'or noir coule à flots, le gouvernement n'a pas perdu de temps. Comme dans "La Perle" de John Steinbeck, la richesse des Osage est en même temps une malédiction qui attire sur eux la convoitise et la haine dans un système dominé par les blancs et où les dés sont donc pipés dès le départ. Ceci étant, c'est parce qu'ils sont riches que les Osage peuvent tout de même agir jusqu'au sommet de l'Etat et qu'une enquête finit par voir le jour. Enquête qui révèle le plan diabolique de William Hale, comparable à celui de Mme de Villefort dans "Le Comte de Monte-Cristo" qui empoisonne un à un les membres de sa famille par alliance pour que l'héritage finisse entre les mains de son clan. Enfin, le troisième choix fort s'appelle Lily GLADSTONE. Le secret le mieux gardé du cinéma de Kelly REICHARDT a tapé dans l'oeil de Martin SCORSESE qui lui confie le rôle de Mollie, l'épouse d'Ernest qui voit mourir un par un les membres de sa famille avant d'être empoisonnée à petit feu. Le fait que les Oscar aient boudé le film et raté une occasion historique de couronner une actrice d'origine indigène est révélateur du déplaisir que celui-ci suscite et donc, que Martin SCORSESE a visé juste.

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Un Secret

Publié le par Rosalie210

Claude Miller (2007)

Un Secret

Même si "Un Secret" est l'adaptation du livre autobiographique de Philippe Grimbert, il porte la signature de Claude MILLER. Le personnage principal de l'histoire, enfant et adolescent chétif est hanté par le fantôme d'un grand frère solaire, fort, athlétique, le double en miniature du père et de la mère. Un père obsédé par le sport, désireux d'effacer les traces de sa judéité en le faisant baptiser et en francisant leur nom mais qui échoue à sculpter le corps de son fils, refusant de l'accepter tel qu'il est comme le montrent les scènes du miroir opaque et piqueté dans lequel François se regarde. Face au climat pesant dans sa famille où règnent les non-dits, il se réfugie chez la bienveillante Louise (Julie DEPARDIEU) qui rappelle tant Léone dans "L'Effrontee" (1985), laquelle est, cela ne s'invente pas, kinésithérapeute. C'est Louise qui finit d'ailleurs par lui révéler le secret, que dans son inconscient, il avait bien entendu deviné. On remarque alors que bien avant la guerre, la famille de François se divisait déjà en deux camps: celui de Maxime (Patrick BRUEL) et de Tania (Cecile de FRANCE), tous deux sportifs, faisant tout leur possible pour dissimuler leur véritable identité, Tania ayant en prime l'apparence de la parfaite athlète aryenne, blonde aux yeux bleus, sculpturale et championne de natation. De l'autre, celui de Hannah sa première femme (Ludivine SAGNIER) et de ses parents, fiers au contraire d'exhiber leur judéité et qui disparaissent dans le gouffre de l'histoire, emportant avec eux l'enfant fantasmé par Maxime. François, l'enfant réel agit comme un "retour du refoulé", l'identité maudite resurgissant brusquement à la surface. Les films de Claude MILLER sont remplis de métaphores aquatiques et l'identité secrète fait penser à son premier film "La Meilleure facon de marcher" (1976). Même si j'ai trouvé "Un Secret" inégal (le triangle amoureux est dépeint d'une manière assez convenue et le choix du noir et blanc pour le présent, assez arbitraire), c'est à l'image d'autres films de Claude MILLER une oeuvre sensible et délicate sur l'enfance et d'ailleurs devenu adulte, on découvre que François (alias Philippe Grimbert) s'occupe d'enfants autistes qu'il tente d'aider à sortir de leur propre enfermement.

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Gangs of New-York

Publié le par Rosalie210

Martin Scorsese (2002)

Gangs of New-York

"Gangs of New York" est un grand film, traversé par des fulgurances de mise en scène comme on n'en voit pas si souvent. C'est le "Naissance d'une nation" de Martin SCORSESE qui offre un contrechamp à la vision sudiste et raciste que donnait D.W. GRIFFITH de la guerre de Sécession et qui complète celle qu'en donne les westerns. D'ailleurs le film a été qualifié, non sans raison de western urbain. Même si l'histoire de vengeance racontée dans le film est très classique dans son déroulement, elle s'inscrit toujours dans une histoire qui la dépasse et c'est cette profondeur de champ qui est passionnante. Ainsi la guerre de territoire entre les gangs qui ouvre et ferme le film recouvre des visions opposées de l'Amérique en train de se construire. Celle-ci est dominée par les autoproclamés "native americans" ce qui est une imposture car les seuls véritables autochtones sont les indiens, absents du film. Par "native", il faut comprendre WASP (white anglo-saxons protestants), les descendants des premiers migrants arrivés sur le sol des USA au XVII° siècle avec le Mayflower et qui constituent encore aujourd'hui l'élite des USA. Ces élites, on les voit bien dans le film à travers la famille Schermerhorn qui vit sur la cinquième avenue ou encore William "Boss" Tweed (Jim BROADBENT), un homme politique influent et corrompu. Dans le contexte de la guerre de Sécession qui est aussi une guerre de civilisation entre le Nord urbain et industriel et le Sud rural agricole et esclavagiste, ces élites recrutent à tour de bras de la chair à canon venue d'Europe. Dans un plan-séquence virtuose génial qui rappelle combien il vénère le cinéma muet et en maîtrise le langage, Martin SCORSESE montre les migrants sortir du bateau pour remonter aussitôt dans un autre après avoir revêtu l'uniforme de l'Union avant qu'une grue ne descende les cercueils innombrables de ceux qui sont tombés au champ d'honneur.

Mais les WASP ont aussi leur lot de laissés-pour-compte, "petits blancs" pauvres qui n'ont que leurs origines pour se valoriser au détriment des autres vivant avec eux dans la fange des bas quartiers de Manhattan*. On comprend mieux le terme "natif" et la haine pugnace que Bill le Boucher (Daniel DAY-LEWIS) et les siens vouent aux migrants de fraîche date et aux non-WASP, tout particulièrement les irlandais qualifiés de "mangeurs de pommes de terre" (comme les "macaronis" italiens chez nous à la même époque). C'est parmi eux que se dresse le gang rival, celui des "Dead Rabbits" dont le chef est le père Vallon (Liam NEESON) que son fils Amsterdam (Leonardo DiCAPRIO) a décidé de venger en s'attaquant à son meurtrier, Bill le boucher devenu un puissant roi de la pègre qui a ses entrées chez les flics et les politiciens, le Boss Tweed en tête.

Martin SCORSESE dresse ainsi un tableau éloquent des fractures ethniques et sociales qui ont servi de fondation à une nation qui s'est érigée dans la violence. En effet les solutions pacifiques sont systématiquement torpillées au profit d'affrontement meurtriers entre gangs rivaux et d'émeutes violemment réprimées des pauvres contre les riches face à l'iniquité de la conscription, émeutes également à caractère raciste, les petits blancs utilisant les noirs comme boucs-émissaires. Les cinq plans finaux, absolument magistraux décrivent l'effacement progressif des traces de ce passé sauvage et sanglant au premier plan pendant que Manhattan revêt peu à peu au second plan son visage contemporain de forêt de buildings de verre et d'acier.

* Ce sont leurs descendants qui votent aujourd'hui Trump.

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Barbara

Publié le par Rosalie210

Christian Petzold (2012)

Barbara

J'ai beaucoup aimé ce film qui m'a peu à peu séduite par sa cohérence et sa subtilité jusqu'au final que j'ai trouvé limpide. Il démontre en particulier que la liberté ne se trouve pas où on le croit en évitant tout manichéisme pour au contraire mettre en avant l'ambiguïté. L'héroïne tout d'abord, Barbara (Nina HOSS) qui se protège en affichant une impassibilité de façade ne suscite guère la sympathie. Cependant, plus le film avance et plus le personnage s'ouvre et s'avère tiraillé entre son empathie pour ses patients plus victimes encore qu'elle du système et son désir de fuite. Le "système" n'est pas montré de la manière habituelle non plus. Le lieu où se déroule l'histoire, une petite ville au bord de la Baltique offre une nature luxuriante, enchanteresse, bien peu conforme à l'image sinistre que l'on se fait de l'ex-RDA communiste. En revanche le climat de peur et de paranoïa imprègne l'histoire avec un espionnage et une délation généralisée, un camp de concentration tout proche et une Stasi omniprésente qui flique l'héroïne soupçonnée de vouloir passer à l'ouest avec des méthodes brutales, humiliantes et intrusives qui expliquent pour une bonne partie l'apparence froide et fermée de la jeune femme. Mais là où le film devient vraiment passionnant, c'est dans la description des deux hommes entre lesquels est tiraillée Barbara. D'une part Jörg, son amant de l'ouest qui utilise sa richesse et son pouvoir pour séduire les allemandes de l'est en leur faisant miroiter une vie de princesse à l'ouest où il prendrait tout en charge. Est-ce vraiment cette vie-là, complètement vide de sens que veut Barbara? De l'autre, le médecin-chef de Barbara, André qui est chargé par la Stasi de sa surveillance. C'est pourquoi Barbara se montre envers lui particulièrement distante, refusant ses prévenances et ses attentions. Sauf qu'il est bien autre chose, lui-même lui faisant comprendre qu'il peut se jouer du rôle que l'on veut lui faire jouer. Surtout, il s'avère que André est aussi passionné et impliqué dans son métier que Barbara et que tout comme elle, il a une âme d'artiste lui permettant de sublimer un quotidien difficile. Bref, une intimité finit par s'installer entre eux en dépit des hésitations voire des volte-face brutales de Barbara. Tant et si bien que plus le film avance, plus les repères se brouillent, l'amour et la politique semblant désaccordés jusqu'à cette résolution inattendue mais comme je le disais au début, d'une logique imparable.

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La Rosière de Pessac

Publié le par Rosalie210

Jean Eustache (1979)

La Rosière de Pessac

Jean EUSTACHE revient à Pessac, son lieu de naissance “avec cette idée que si on filme la même cérémonie qui se déroule sous tous les régimes, toutes les Républiques, on peut filmer le temps qui passe […] je voudrais que les deux films soient montrés ensemble : d’abord celui de 79, ensuite celui de 68. Une façon de dire aux gens : si vous avez envie de savoir comment ça se passait avant, restez, vous allez voir”.

Inversement aux préconisations de Jean EUSTACHE, j'ai regardé son diptyque documentaire dans l'ordre chronologique ce qui est je pense une expérience tout aussi intéressante de confrontation entre la tradition et la modernité, entre la rupture et la continuité. Que l'on remonte le temps ou bien que l'on avance dans les époques, ce qui frappe l'esprit, c'est à la fois l'immuabilité du rituel et de la symbolique qui l'accompagne et les profonds changements économiques, sociaux, sociétaux et urbanistiques entre 1968, date du premier film et 1979, date du deuxième qui ausculte les signes de déclin du monde perpétué au travers de l'élection annuelle de la rosière qui n'a pris fin cependant qu'en 2015*. Jean EUSTACHE ne commente pas, il donne à voir en temps réel un cérémonial à l'oeuvre, allant de l'élection jusqu'à la célébration, sans jugement, dans un esprit proche de celui des frères Lumière.

Le film de 1968 s'inscrit dans une tradition que l'on devine quasi immuable depuis 1896, date de la réactivation d'une coutume du Moyen-Age par un notable local. On pense aux élections de miss de village comme dans "Les Vitelloni" (1953) sauf que ce n'est pas tant la beauté qui est célébrée que la "vertu", la "moralité", le "mérite" s'inscrivant dans le corps d'une jeune fille vierge et si possible pauvre, histoire de combiner moralité et charité. La séparation de l'Eglise et de l'Etat n'est visiblement pas arrivée jusqu'à Pessac, de même que la révolte alors en cours de la jeunesse contre le conservatisme des moeurs. C'est la France rurale "éternelle" célébrée par Pétain pendant la guerre qui se met en scène à travers cette cérémonie, avec ses notables, son curé, ses "dames patronnesses", ses paysans, ses femmes "naturellement" au foyer, ses familles nombreuses. L'heureuse élue est revêtue d'une robe de première communiante, d'une couronne de fleurs, est promenée dans tout le village, assiste à la messe en son honneur puis à une cérémonie à la mairie et est priée de représenter le village durant un an. Elle reçoit également un pécule. Et pour enfoncer le clou de l'immuabilité du rituel, elle remet un présent aux rosières qui l'ont précédé jusqu'à la toute première, née en 1877 et âgée de 91 ans!

Le film de 1979 est un choc (et j'imagine que l'inverse est tout aussi vrai). Le cérémonial est exactement le même avec d'autres acteurs dans les mêmes rôles, la symbolique également. Cependant, l'artifice de l'opération saute aux yeux. Pas seulement parce que la couleur a remplacé le noir et blanc. Mais parce que la ville a remplacé la campagne. Certes, le centre de Pessac n'a pas changé, mais la jeune fille choisie habite à Formanoir, un quartier HLM typique des 30 Glorieuses et qui rend tangible tout d'un coup la proximité de Bordeaux et l'intégration de la commune de Pessac dans une grande métropole. Alors qu'en 1968, la jeune fille devait être issue d'une famille de Pessac, celle de 1979 est originaire de Normandie et illustre l'exode rural, de même qu'il est devenu impossible de confier à un aéropage de femmes de cultivateurs le soin de procéder à l'élection. La fin des paysans se combine à des allusions permanentes à la crise économique et au chômage. Enfin et surtout, Jean EUSTACHE saisit avec une acuité remarquable les propos "off" des membres du jury qui tombent les masques. Entre celui qui se demande pourquoi cela ne pourrait pas être un homme qui serait élu "rosier" et les dames du coin qui se demandent quelle est leur utilité en passant par celle qui raconte qu'elle a été marraine d'une rosière ayant fait une fausse couche trois mois avant être élue, on comprend que si chacun continue à jouer son rôle social dans le jeu du pouvoir local, personne n'est dupe. Ainsi si le film de 1968 a une grande valeur historique et anthropologique, celui de 1979 y ajoute une forte dose de dimension critique.

* Nul doute que s'il avait vécu plus longtemps, il y aurait eu une troisième voire une quatrième rosière de Pessac!

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La Rosière de Pessac

Publié le par Rosalie210

Jean Eustache (1968)

La Rosière de Pessac

Jean EUSTACHE revient à Pessac, son lieu de naissance “avec cette idée que si on filme la même cérémonie qui se déroule sous tous les régimes, toutes les Républiques, on peut filmer le temps qui passe […] je voudrais que les deux films soient montrés ensemble : d’abord celui de 79, ensuite celui de 68. Une façon de dire aux gens : si vous avez envie de savoir comment ça se passait avant, restez, vous allez voir”.

Inversement aux préconisations de Jean EUSTACHE, j'ai regardé son diptyque documentaire dans l'ordre chronologique ce qui est je pense une expérience tout aussi intéressante de confrontation entre la tradition et la modernité, entre la rupture et la continuité. Que l'on remonte le temps ou bien que l'on avance dans les époques, ce qui frappe l'esprit, c'est à la fois l'immuabilité du rituel et de la symbolique qui l'accompagne et les profonds changements économiques, sociaux, sociétaux et urbanistiques entre 1968, date du premier film et 1979, date du deuxième qui ausculte les signes de déclin du monde perpétué au travers de l'élection annuelle de la rosière qui n'a pris fin cependant qu'en 2015*. Jean EUSTACHE ne commente pas, il donne à voir en temps réel un cérémonial à l'oeuvre, allant de l'élection jusqu'à la célébration, sans jugement, dans un esprit proche de celui des frères Lumière.

Le film de 1968 s'inscrit dans une tradition que l'on devine quasi immuable depuis 1896, date de la réactivation d'une coutume du Moyen-Age par un notable local. On pense aux élections de miss de village comme dans "Les Vitelloni" (1953) sauf que ce n'est pas tant la beauté qui est célébrée que la "vertu", la "moralité", le "mérite" s'inscrivant dans le corps d'une jeune fille vierge et si possible pauvre, histoire de combiner moralité et charité. La séparation de l'Eglise et de l'Etat n'est visiblement pas arrivée jusqu'à Pessac, de même que la révolte alors en cours de la jeunesse contre le conservatisme des moeurs. C'est la France rurale "éternelle" célébrée par Pétain pendant la guerre qui se met en scène à travers cette cérémonie, avec ses notables, son curé, ses "dames patronnesses", ses paysans, ses femmes "naturellement" au foyer, ses familles nombreuses. L'heureuse élue est revêtue d'une robe de première communiante, d'une couronne de fleurs, est promenée dans tout le village, assiste à la messe en son honneur puis à une cérémonie à la mairie et est priée de représenter le village durant un an. Elle reçoit également un pécule. Et pour enfoncer le clou de l'immuabilité du rituel, elle remet un présent aux rosières qui l'ont précédé jusqu'à la toute première, née en 1877 et âgée de 91 ans!

Le film de 1979 est un choc (et j'imagine que l'inverse est tout aussi vrai). Le cérémonial est exactement le même avec d'autres acteurs dans les mêmes rôles, la symbolique également. Cependant, l'artifice de l'opération saute aux yeux. Pas seulement parce que la couleur a remplacé le noir et blanc. Mais parce que la ville a remplacé la campagne. Certes, le centre de Pessac n'a pas changé, mais la jeune fille choisie habite à Formanoir, un quartier HLM typique des 30 Glorieuses et qui rend tangible tout d'un coup la proximité de Bordeaux et l'intégration de la commune de Pessac dans une grande métropole. Alors qu'en 1968, la jeune fille devait être issue d'une famille de Pessac, celle de 1979 est originaire de Normandie et illustre l'exode rural, de même qu'il est devenu impossible de confier à un aéropage de femmes de cultivateurs le soin de procéder à l'élection. La fin des paysans se combine à des allusions permanentes à la crise économique et au chômage. Enfin et surtout, Jean EUSTACHE saisit avec une acuité remarquable les propos "off" des membres du jury qui tombent les masques. Entre celui qui se demande pourquoi cela ne pourrait pas être un homme qui serait élu "rosier" et les dames du coin qui se demandent quelle est leur utilité en passant par celle qui raconte qu'elle a été marraine d'une rosière ayant fait une fausse couche trois mois avant être élue, on comprend que si chacun continue à jouer son rôle social dans le jeu du pouvoir local, personne n'est dupe. Ainsi si le film de 1968 a une grande valeur historique et anthropologique, celui de 1979 y ajoute une forte dose de dimension critique.

* Nul doute que s'il avait vécu plus longtemps, il y aurait eu une troisième voire une quatrième rosière de Pessac!

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