"L'Odyssée de Charles Lindbergh" réalisé en 1957 est un des films invisibles de Billy Wilder. Peu connu et peu projeté depuis sa sortie, le DVD ne semble jamais avoir été édité en France (il existe cependant une version anglaise multizone avec la VF et la VOST).
La principale raison de ce désamour est le manque de personnalité du film. Impossible de voir à l'œil nu qu'il s'agit d'un Billy Wilder. Il s'agit plutôt d'un film de studio et de prestige, réalisé en Scope et en Warnercolor. Et pour cause, c'est un film de commande (je dirais même de propagande) à la gloire de l'exploit réalisé en 1927 par Charles Lindbergh lorsqu'il traversa d'une seule traite la distance séparant New-York de l'aéroport du Bourget à Paris à bord de son "Spirit of St-Louis". L'aviateur qui avait tout pouvoir sur le film et était un maniaque du contrôle avait exigé qu'il soit entièrement consacré à cet épisode héroïque si éloigné de l'esprit Wilder. Pas question d'égratigner son image immaculée auprès du public. Très ironique comme toujours, Wilder n'avait pas hésité à le taquiner à ce sujet. Un jour qu'ils effectuaient un vol agité, Wilder lui avait dit "Charles, ça serait drôle, non, si cet avion s'écrasait maintenant, vous voyez d'ici les manchettes des journaux, Lucky Lindy s'écrase avec un ami juif!" (Lindbergh était connu pour son antisémitisme et ses sympathies pro-nazies).
La Wilder's touch se réduit à la portion congrue dans le film, cependant elle existe. L'événement est traité de façon journalistique (l'ancien métier de Wilder), il nous est présenté en temps quasi réel comme une retransmission. L'accent est mis sur l'obstination du héros littéralement obsédé par cette course (et la peur de se faire doubler par ses concurrents) au point d'en perdre le sommeil et de prendre de gros risques. A l'intérieur du cockpit où est confiné Lindbergh pendant 33 heures, Wilder apporte des touches de réalisme documentaire bienvenue en plus de flashbacks rythmant la progression dramatique. On le voit lutter contre le sommeil, contre la peur, contre la solitude, contre le givre qui recouvre son appareil. James Stewart sur qui repose le film est parfait pour le rôle même s'il a 20 ans de trop. D'abord parce qu'il est un ancien pilote de guerre, ensuite parce qu'il incarne parfaitement le héros américain, patriote et valeureux homme d'action.
"Retour à Howards End", comédie de mœurs et satire sociale âpre est à la fois un film cruel et lucide sur l'époque édouardienne et l'inéluctable mutation de sa société. Il s'agit de la troisième et dernière adaptation d'un roman de E.M. Forster par le trio James Ivory, Ismail Merchant et Ruth Prawer Jhabvala après "Chambre avec vue" en 1986 et "Maurice" en 1987.
Le superbe cottage qui donne son titre au film évoque l'éden inaccessible, celui d'une société qui vivrait en harmonie alors qu'elle est fracturée par le conflit de classes. A priori, il ne s'agit que de la résidence secondaire de la richissime famille Wilcox, représentant de la vieille bourgeoisie d'affaires très conservatrice. Henry Wilcox (Anthony Hopkins) et ses enfants dédaignent cette propriété, lieu de naissance de l'épouse, Ruth Wilcox (jouée par Vanessa Redgrave). Celle-ci ne semble jamais s'être remise d'avoir été arrachée à son terreau natal et dépérit à vue d'oeil. Elle symbolise une aristocratie qui s'étiole à force d'être repliée sur elle-même. Mais elle revit lorsqu'elle fait la connaissance de Margaret Schlegel (Emma Thompson), la sœur aînée d'une fratrie de la bourgeoisie intellectuelle plus moderne et émancipée que celle des Wilcox. Cette différence sociale entre ancienne et nouvelle bourgeoisie suffit pourtant à dresser des murs entre les deux familles. L'idylle esquissée entre le cadet Wilcox et la sœur de Margaret, Helen (Helena Bonham Carter) est tuée dans l'œuf. Et quand Ruth veut inviter Margaret à visiter Howards End, le reste de la famille déjoue ses plans et va jusqu'à détruire le testament improvisé qu'elle avait rédigé sur son lit de mort et où elle léguait son bien à Margaret. Mais l'ironie du sort fera qu'après bien de cruelles péripéties, celle-ci deviendra réellement propriétaire du lieu.
Mais comme la bourgeoisie ne suffit pas à représenter toute la société et ses transformations, Howards End ne peut représenter l'éden sans que le peuple n'y retrouve sa juste place. C'est à la suite de péripéties encore plus cruelles que celles qui opposent les Wilcox et les Schlegel que le fils de Léonard Bast (Samuel West), modeste employé de bureau tirant le diable par la queue deviendra le seul héritier de la magnifique propriété des Wilcox.
Comme dans ses autres films, on est ébloui par la finesse de l'interprétation et la façon dont Ivory la met en valeur par sa mise en scène pleine de nuances et de sensibilité.
Il y a exactement 157 ans, le 12 avril 1861 débutait la guerre de Sécession aux Etats-Unis. Les troupes des Etats confédérés du sud agricole esclavagiste décidaient de faire sécession, de fonder leur propre capitale à Richmond et déclenchaient la guerre civile en attaquant un fort occupé par un bataillon des Etats industriels unionistes et abolitionnistes du Nord. Le conflit entre les "bleus" et les "gris" allait durer quatre ans et se solder par la victoire du Nord.
C'est d'un épisode authentique de cette guerre survenu en 1862 que s'inspire "Le Mécano de la Général". Il s'agit du film le plus ambitieux et le plus cher de Keaton en raison du soin apporté à la reconstitution historique (les locomotives sont d'époque, de même que les photos qui ont servi de source pour les scènes de combat), du tournage en décors réels, des séquences spectaculaires dont le crash de la locomotive des nordistes depuis le pont.
La reconstitution s'accompagne d'un discours satirique contre la guerre et l'armée. Johnnie (Keaton) est un clou qui dépasse, un individu différent. Lorsqu'il veut s'enrôler, il est rejeté par ses pairs puis par sa belle. Il est donc condamné à agir seul en dehors du cadre de l'armée. D'autre part ses agissements sont motivés par l'amour et non par le patriotisme. L'amour pour Annabelle (Marion Mack) est indissociable de celui qu'il porte à sa machine qui fait corps avec lui. L'animalisation voire l'humanisation de la locomotive rappelle fortement "La Bête Humaine" de Zola dont l'action est contemporaine des événements racontés par Keaton. De fait la relation entre Johnnie et La General ressemble à une relation amoureuse tourmentée comme celle qu'il a avec Annabelle. Ils se séparent, se cherchent, se retrouvent, se courent après. Enfin le film transforme les soldats en pantins en leur faisant faire des mouvements de va et vient absurdes ou en déréalisant la mort au combat.
Un film d'une telle ampleur historique et géographique permet à Keaton de déployer toute sa science du gag. La course-poursuite le long des rails dans le sens Sud-Nord puis Nord-Sud est un festival de prouesse physique, de maîtrise chorégraphique de l'espace-temps et d'ingéniosité. Keaton tire aussi bien parti de la topographie des lieux que de la nature et de la disposition des objets. Les gags sont parfaitement millimétrés mais semblent relever du pur hasard. Par exemple la trajectoire du canon chargé par Johnnie semble à la suite d'une maladresse le viser directement mais une courbe du tracé viendra à son secours "just in time" pour tirer sur le train ennemi. L'héroïsme de Johnnie apparaît ainsi comme le fruit d'actes involontaires voire relever d'une "anima" qui serait propre aux objets (comme on a pu le voir avec la locomotive qui lui "livre" le soldat nordiste mais cela vaut aussi pour les canons, les sabres, le cigare qui troue la nappe et lui permet d'espionner l'ennemi etc.)
En conclusion "Le Mecano de la General" est une sorte de film total: film historique, épique, film d'aventures, film de guerre, film d'amour, film chorégraphique dessinant sa géométrie dans l'espace, film burlesque frôlant le drame pour mieux se déjouer de lui. Il mérite amplement sa place au panthéon du cinéma mondial.
"Les avions sont des rêves magnifiques et maudits à la fois". Tout est dit dans cette citation de la profonde ambivalence qui habite Miyazaki, pacifiste convaincu et néanmoins passionné d'aviation y compris militaire. Ambivalence à la fois terrible et précieuse. Elle nous a donné ces œuvres si belles et si nuancées que sont "Nausicaa de la vallée du vent", "Le château dans le ciel", "Princesse Mononoké" et bien sûr "Le Vent se lève" qui aurait tout aussi bien pu s'intituler "Guerre et amour" ou encore "Menace et élan" selon le sens (mort ou vie) dans lequel souffle le vent. Le titre s'inspire d'une citation de Paul Valéry extraite du cimetière marin qui porte en elle cette ambivalence "Le vent se lève, il faut tenter de vivre".
"Le Vent se lève", oeuvre testamentaire (même si depuis Miyazaki est revenu sur sa décision: une contradiction de plus!) est aussi sans nul doute l'une de ses œuvres les plus personnelles. Comment ne pas le reconnaître à travers le destin de Jiro qui comme lui a dû renoncer à son rêve de devenir pilote en raison de sa mauvaise vue? D'autre part le père de Hayao Miyazaki dirigeait une entreprise au service de l'armée impériale et sa mère était tuberculeuse (comme le raconte "Mon voisin Totoro.") Or Miyazaki fusionne dans "La Vent se lève" deux destins, celui de Jiro Horikoshi, inventeur du chasseur Mitsubishi A6M Zero, fleuron de l'armée nippone durant la guerre et celui de Tatsuho Hori qui dans son autobiographie a décrit sa relation avec son épouse malade de la tuberculose. Dans le film, le sacrifice du grand amour de Jiro est le prix à payer pour son génie créateur et destructeur à la fois. On pense plus d'une fois à "Porco Rosso", tant les points communs entre les deux films sautent au yeux: le modèle de Jiro est un concepteur d'avions italien, Giovanni Caproni, la fiancée joue un rôle rédempteur et Miyazaki avait représenté Jiro dans un court manga doté d'une tête de cochon (de fasciste) comme son Marco Pago!
"Le Vent se lève" est nettement moins familial que les autres films de Miyazaki car beaucoup plus réaliste. Le film est en effet ancré dans des événements historiques précis: le tremblement de terre du Kanto en 1923, la crise de 1929, la montée des totalitarismes, la seconde guerre mondiale. Les séquences oniriques soulignent à quel point il est facile de dévoyer les intentions les plus pures pour les mettre au service des pires desseins.
"Pride" s'inscrit dans la veine des comédies sociales britanniques ("The Full Monty", "Les Virtuoses", "Billy Elliot") et apporte une nouvelle pièce à l'édifice. Une pièce maîtresse.
Le film s'inspire de faits réels: le rapprochement en 1984 a priori improbable entre un village de mineurs en grève et un petit groupe de LGTB londoniens, à l'initiative de leur leader, Mark Ashton (Ben Schnetzer). Ce dernier collecte de l'argent et fonde la LGSM ("Lesbian and Gay Support the Miners"). Il rencontre à Londres Dai (Paddy Considine), le délégué syndical d'Onllwyn, localité du sud du pays de Galles qui les invite en retour dans son village. Le choc des cultures fournit le carburant comique avec des moments hilarants comme la descente des mémères du village complètement déchaînées dans les night clubs gays ou à l'inverse les cours de danse que Jonathan (Dominic West) donne aux jeunes mineurs gallois pour faire tomber les filles.
Mais le film marque aussi les esprits par son réalisme et la profondeur avec laquelle il parvient à décrire les personnages. Joe (un des rares personnages fictifs du film joué par George MacKay) qui découvre son homosexualité en se cachant de ses parents, Jonathan qui est l'un des premiers séropositifs diagnostiqués ou Gethin (Andrew Scott) le gérant d'origine galloise de la librairie gay qui sert de QG à LGSM sont très attachants. Quant à Mark Ashton, il est un peu l'ancêtre de Sean, le héros de "120 battements par minute" en ce sens qu'il se jette corps et âme dans la lutte et vit à 100 à l'heure parce qu'il se sait condamné.
Mais à l'inverse de "120bpm" l'initiative de Mark à une époque où l'homophobie était très virulente et le sida, un mal incurable permet à son groupe (et au film) de sortir du ghetto et d'aller prendre l'air. Par conséquent ce n'est pas la colère qui domine le film mais la fraternité. Les deux communautés ont beau être différentes culturellement, socialement et géographiquement elles ont en commun leur sentiment d'humiliation face au pouvoir et au reste de la société. C'est pourquoi leur soutien mutuel va leur permettre de retrouver leur fierté ("Pride" en VO) et bien plus encore, d'ouvrir des perspectives d'avenir. Du côté des mineurs, le film met en avant le parcours de Sian James (jouée par Jessica Gunning). Mariée à un mineur à 16 ans, elle a déjà deux enfants à 20 ans quand éclate la grève. Ses responsabilités dans le comité de grève et la dureté du conflit la politisent. Elle passe ensuite son bac et fait des études universitaires. En 2005, elle est élue députée de la circonscription de Swansea pour le Parti travailliste. Le film montre l'importance de ses échanges avec les LGSM dans son affirmation politique. A l'inverse , le soutien du syndicat des mineurs s'avère décisif dans l'inscription de la reconnaissance de droits LGBT au sein du programme du Parti travailliste.
Alors je rejoins la critique de Nicolas Bardot pour le site "FilmDeculte", "On ne fait pas de bons films qu'avec de bons sentiments, mais le cœur gros comme ça de Pride pèse dans la balance". Même si le film n'occulte pas le rejet dont les LGSM sont victimes de la part d'esprits obtus, les campagnes de dénigrement de leur front commun avec les mineurs (dont ils récupèrent le slogan "Pits and Pervers" à leur avantage) ou l'échec du mouvement de grève.
Tout film antimilitariste et pacifiste est bon à prendre mais celui-ci est d'une part trop pétri de bons sentiments et d'autre part trop scolaire. Tel un élève appliqué, le réalisateur choisit d'alterner du début à la fin de manière assez mécanique trois points de vue: celui des français, celui des écossais et celui des allemands. Cela donne trois salles de classes, trois tranchées, trois chefs (deux lieutenants et un prêtre anglican), trois remontages de bretelles de la hiérarchie. Le résultat est assez lourd et les seconds rôles comiques ne remontent pas le niveau, Dany Boon en tête. De plus, les scènes de fraternisation semblent se dérouler dans un décor factice (le rôle du cinéma est quand même de faire illusion ou de la briser en l'assumant, ce n'est pas le cas ici) et le personnage de la soprano est totalement improbable dans ce contexte.
Il n'en reste pas moins que ce film a des vertus pédagogiques certaines. Tout d'abord il nous rappelle des faits méconnus mais réels ayant d'ailleurs eu lieu durant toute la durée du conflit et pas seulement lors du réveillon de noël 1914. Ensuite il montre la propagande patriotique dont sont gavés les enfants pour les préparer à devenir soldats (en France notamment avec la "revanche" contre les allemands qui avaient gagné la guerre de 1870 et pris l'Alsace-Moselle à la France, régions coloriées en noir sur toutes les cartes de géographie). Enfin il montre ce qu'il faut bien appeler des actes de désobéissance civique d'individus que leur terrible expérience des tranchées rapprochent par delà les frontières et les antagonismes. Ce qui fait dire d'ailleurs au lieutenant joué par Guillaume Canet qu'il s'est senti plus proche des Boches de la tranchée d'en face que des dirigeants de son propre camp. Ce discours là rejoint celui de Kubrick pour qui la véritable frontière était sociale entre généraux et simples soldats. On pense aussi au film de Lubitsch "L'homme que j'ai tué" devant le cynisme de l'évêque qui condamne l'attitude du prêtre et fait un sermon belliqueux, montrant la facilité avec laquelle les textes religieux peuvent être manipulés pour des raisons politiques. Comment ne pas faire le rapprochement avec l'islamisme d'aujourd'hui?
Une fille de la ville (Barbara Pepper) qui débarque à la campagne et fait tourner la tête d'un paysan, John Sims (Tom Keene) au détriment de sa femme Mary (Karen Morley) cela fait penser au scénario de "L'Aurore" de Murnau. Sauf qu'ici la tentatrice ne met pas seulement en péril un mariage mais l'existence d'une communauté toute entière dont les membres repartent à zéro dans le contexte de la crise de 1929. Le collectif et l'individuel, la politique et l'amour sont en effet ici indissociables.
Récit typique de la Grande Dépression (on pense aux "Raisins de la colère" d'autant plus qu'il y a un acteur commun aux deux films, John Qualen mais aussi à "L'Extravagant M.Deeds" de Capra), il ne s'agit pas pour autant d'une chronique historique réaliste. On navigue plutôt entre l'utopie collectiviste et la parabole religieuse:
- Le récit est d'une part une fable humaniste qui déploie une vision du travail et de l'argent très éloignée de la doxa capitaliste. La crise rend l'individualisme tragique. C'est pourquoi la solution passe par la formation d'une collectivité. Il ne s'agit pas de socialisme car l'Etat est absent mais plutôt d'anarcho-syndicalisme c'est à dire d'une coopérative autogérée où les biens sont mis en commun et où la solidarité et l'entraide jouent un rôle essentiels.
- D'autre part le retour à la terre est raconté comme une parabole religieuse. Le titre reprend un morceau de la prière "Notre père". John Sims est un nouveau Moïse qui guide les chômeurs vers la terre promise. Il est aidé par Louie (Addison Richards) qui en fait est un truand mais dont le sacrifice permet à la communauté de survivre. C'est également le fantôme de Louie qui remet John sur le droit chemin quand il est sur le point de tout abandonner. Louie est à la fois la voix et le fils de Dieu. Cela donne de quoi réfléchir.
Tout un symbole: l'année même où mourrait Laurence Olivier dont le premier film en 1944 avait été "Henry V" sortait sur les écrans la version de Kenneth Branagh dont c'était également le premier film. Au Royaume-Uni on l'appelait déjà le nouveau Laurence Olivier en raison de sa jeune (il n'avait pas encore 30 ans en 1989) et brillante carrière théâtrale dans les adaptations de pièces de Shakespeare.
Film au départ confidentiel, réalisé avec peu de moyens, "Henry V" tapa dans l'oeil de Gérard DEPARDIEU qui partageait avec Branagh l'amour des Belles Lettres et le sens de la démesure. Il finança sa distribution en France et supervisa le doublage. C'est ainsi que Kenneth Branagh se fit connaître outre-Manche.
"Henry V" est un modèle d'adaptation réussie. Ne pouvant financièrement se permettre une reconstitution fastueuse, Branagh privilégie la stylisation afin de stimuler l'imagination à la manière de John Boorman dans "Excalibur". L'excellence de l'interprétation, le souffle épique de la musique (signée Patrick Doyle), l'atmosphère onirique créée par les plans filmés en clair-obscur, l'emphase des ralentis lors de la bataille d'Azincourt ont une puissance d'évocation dont des films plus réalistes sont privés.
La pièce de Shakespeare fait partie d'un ensemble de chroniques historiques des rois d'Angleterre participant à la construction du "roman national". Autrement dit: guerre, conquête, héroïsme, sang versé... Un programme peu excitant en soi mais outre la beauté du film c'est une passionnante réflexion sur la responsabilité que donne le pouvoir. Un pouvoir charnel fait de renoncements (les flashbacks sur le passé de débauche du roi montrent qu'il a dû sacrifier ses compagnons de beuverie à sa nouvelle fonction) de trahisons, de doutes et de tourments. La fin avec Emma Thompson offre une rupture de ton bienvenue et annonce le marivaudage de "Beaucoup de bruit pour rien".
"L'homme que j'ai tué" réalisé au début des années 30 est un film peu connu de Lubitsch car il s'agit d'un drame et non de l'une de ces comédies sophistiquées dont il avait le secret et qui ont fait sa gloire. Pourtant c'est une œuvre remarquable que la relecture d'Ozon avec "Frantz" en 2015 a permis de redécouvrir.
Adaptation d'une pièce de théâtre de Maurice Rostand, "L'homme que j'ai tué" est un film profondément antimilitariste, humaniste et pacifiste. Source d'inspiration française permettant à un réalisateur d'origine allemande d'interroger ses racines. L'ouverture, géniale, superpose bruits de bottes et coups de canon célébrant le premier anniversaire de l'armistice de 1918 aux stigmates et aux cris des soldats mutilés dans leur chair et dans leur âme. Cette charge virulente contre des sociétés qui glorifient la puissance de destruction continue tout au long du film. Allemagne et France sont renvoyées dos à dos. C'est le héros, Paul, révolté par le discours du prêtre qui l'absoud de sa responsabilité puisqu'il n'a fait "que son devoir" en tuant un Allemand. C'est le père de Walter, mis au ban de la communauté parce qu'il a accueilli Paul, qui condamne un à un tous les pères et professeurs qui ont envoyé leurs enfants à la mort tout en se réjouissant d'en avoir fait des tueurs.
Face à ce système perverti (Lubitsch souligne particulièrement le ressentiment allemand, condition d'une nouvelle guerre dont il ausculte les prémices "9 millions de morts et déjà on parle d'une autre guerre qui en fera 90 millions") les réponses ne peuvent être qu'individuelles. Paul refuse la culture de la déresponsabilisation et de l'oubli qu'on veut lui imposer. En tuant, il a été amputé d'une partie de lui-même (celui qu'il a tué aurait pu être son frère jumeau) et il refuse de se laisser déposséder de ce qui lui reste d'humanité. Sa démarche consistant à remplacer le défunt auprès de sa famille est une manière de se racheter par le don de soi (un aspect christique fortement souligné) Elsa, la fiancée de Walter lui dit d'ailleurs que leurs personnes comptent peu au regard de l'acte du pardon et du rachat. La scène de fin, sublime, permet la communion de toutes ces âmes meurtries.
"Frantz" est un jeu. Il n'est même en réalité que cela. C'est pourquoi il ne faut pas trop le prendre au sérieux en dépit de sa reconstitution historique léchée de l'après-guerre et des thèmes graves qu'il feint d'aborder.
- Son titre joue habilement sur la phonétique du mot "France" pour illustrer le rapprochement franco-allemand.
- Il y a une énigme à résoudre (quel était le lien entre Frantz et Adrien Rivoire?) puis cette énigme se transforme en un labyrinthe d'illusions, de mensonges, de faux-semblants dans laquelle l'héroïne finit par se perdre (et nous perdre avec elle).
- Jeu enfin avec les genres, les références et les codes. Dans sa vaste garde-robe, Ozon a choisi le mélodrame à la Sirk ("Le temps d'aimer et le temps de mourir") en l'amputant de sa partie mélo. Il s'inspire librement d'un film de Lubitsch de 1932 "L'homme que j'ai tué" ("Broken Lullaby" en VO) lui même inspiré de la pièce de théâtre éponyme de Maurice Rostand écrite peu après la première guerre mondiale. Mais il détourne ce plaidoyer pacifiste et humaniste de son sens. Enfin il joue sur l'opposition entre un noir et blanc austère faisant penser au "Ruban blanc" d'Haneke et quelques passages en couleurs censés représenter des moments de retour à la vie des protagonistes. Ben non en fait, c'était encore un chausse-trappe. A moins de prendre au sérieux l'héroïne lorsqu'elle déclare que le tableau du suicidé de Manet lui donne envie de vivre. Qu'est ce qu'on s'amuse!
L'ennui est en effet que tout ce dispositif à la fois ludique et cérébral sent trop l'exercice de style au détriment de l'âme, du cœur et des tripes (ou dit autrement, d'un soupçon d'authenticité et de bon sens). La seule émotion dégagée par ce film provient de l'interprétation magnifique de Paula Beer. Mais elle est bien seule face au personnage de Pierre Niney, pas crédible en soldat traumatisé et dont le mystère cache surtout l'inconsistance. La mise en scène distanciée, la photo glaciale et l'absence de profondeur du scénario (il s'agit davantage de paraître intelligent que d'être vrai) achève de transformer le film en nature morte rébarbative ou en mélodie truffée de fausses notes.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.