Brillante première réalisation du duo Fernando TRUEBA et Javier MARISCAL qui fait penser, forcément pour ceux qui l'ont vu à "Buena Vista Social Club" (1999) de Wim WENDERS. Car l'histoire de Chico, inspirée par la vie du père du latin jazz Bebo VALDES (qui a composé la majeure partie de la musique du film) est celle de tous ces musiciens cubains ayant animé les cabarets de jazz sur l'île dans les années 40 et 50 avant de tomber dans l'oubli suite à la chute du dictateur pro-US Batista qui rendit cette musique et la culture associée à celle-ci "persona non grata" dans le nouvel Etat communiste. Le film étant pour l'essentiel construit sur un flashback nostalgique, on découvre d'abord Chico âgé, survivant comme cireur de chaussures. Mais comme Ruben GONZALEZ, Ibrahim FERRER ou Compay SEGUNDO et comme son modèle, Bebo VALDES, il entame une seconde carrière à l'âge de la retraite sous l'impulsion d'une nouvelle génération. Comme son titre l'indique, le film est aussi l'histoire de Rita Martinez, formant à la ville comme à la scène un duo complémentaire avec Chico. Un personnage fictif s'inspirant des chanteuses latino à la voix d'or ayant fait une carrière internationale mais s'étant heurté aux discriminations raciales et au machisme ordinaire. Les relations entre Chico et Rita en effet sont orageuses, systématiquement contrariées et pas toujours par des éléments extérieurs. Chico jeune apparaît comme un mufle, aussi veule qu'indélicat. Le film nous transporte par sa musique évidemment mais aussi par son animation qui est artisanale et de toute beauté. L'atmosphère est immersive, on se croirait véritablement transporté à La Havane d'avant la révolution avec ses cabarets aux enseignes fluo ou à New-York avec ses clubs de jazz semi-clandestins et les personnages sont incarnés. Ainsi Rita possède une telle sensualité qu'on croit voir devant nous un être de chair et de sang. Bref "Chico & Rita" est un film vibrant et vivant, incontournable, notamment pour tous les amoureux de ce style musical.
"They shot the Piano Player" est la deuxième collaboration du réalisateur Fernando TRUEBA et du dessinateur Javier MARISCAL après "Chico & Rita" (2010). On y retrouve l'animation et la musique latino mais "They shot the Piano Player" est aussi un film politique au travers d'une enquête sur la disparition d'un pianiste de jazz brésilien virtuose, Francisco Tenório Júnior, à la veille du coup d'Etat en Argentine en 1976. Plus de 30 ans après les faits, le journaliste américain fictif Jeff Harris (l'alter ego de Fernando TRUEBA) qui doit écrire un livre sur la bossa nova découvre un enregistrement du musicien disparu. Subjugué, il part à la recherche de ceux qui l'ont connu et ressuscite l'âge d'or de la musique brésilienne au travers de ses représentants les plus prestigieux dont on entend la voix au travers de leur avatar animé. Même moi qui ne suis pas une spécialiste, j'ai reconnu Chico BUARQUE, Gilberto GIL ou encore Caetano VELOSO. Et si d'autres me sont inconnus, je les connais en réalité à travers leurs oeuvres (Vinicius de MORAES qui accompagnait le pianiste lors de la tournée durant laquelle il a disparu est l'auteur des paroles de "The girl from Ipanema"). Des anecdotes impliquant également de grands noms du jazz afro-américain comme Ella FITZGERALD sont évoquées. Et le parallèle créatif avec la nouvelle vague française (bossa nova se traduit par nouvelle vague), l'influence de Francois TRUFFAUT surtout se retrouve à travers le titre, hommage à "Tirez sur le pianiste" (1960). Mais en parallèle de cette effervescence de sons et de couleurs, le film évoque la terrible période des dictatures militaires s'étant abattues en Amérique latine avec la complicité de la CIA et leur coordination au travers de l'opération condor pour traquer leurs opposants communistes ou supposés tels. Car Tenório n'étant pas politisé, il peut être considéré comme une victime collatérale de ce terrorisme d'Etat se trouvant au mauvais endroit et au mauvais moment, embarqué à cause de son apparence l'assimilant aux révolutionnaires, torturé puis exécuté pour l'empêcher de témoigner de ce qu'il avait vu et vécu. L'enquête de Jeff Harris l'amène donc à reconstituer les lieux de détention, de torture et d'exécution, la disparition des corps, les bébés enlevés à leur mère pour être adoptés par des familles soutenant le régime et les séquelles sur les survivants (la femme de Tenório privée du statut de veuve et des ressources allant avec par exemple). Un peu ardu à suivre par moments avec quelques redites et longueurs mais on y apprend beaucoup, on y voit et y entend beaucoup et on repart avec une question lancinante "Comment tant de douceur et de beauté ont pu cohabiter avec tant de barbarie?".
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.