Le clown Chocolat est la première star noire-africaine ayant percé en France au tournant de la Belle Epoque. Les traces iconographiques de sa notoriété dans les dessins de Henri Toulouse-Lautrec ou dans la campagne du chocolat Felix Potin ("battu et content") illustrent pour la plupart les stéréotypes racistes en vigueur à l'époque, Chocolat n'ayant été accepté que par son rôle de faire-valoir du clown blanc George Foottit avec lequel il a formé un duo a grand succès avant de chercher à se détacher en vain de cette image humiliante et de tomber dans l'oubli. Jusqu'aux travaux de l'historien Gérard Noiriel qui se sont conclus en 2012 avec la publication d'un livre lui étant consacré. C'est ce livre qui a servi de base au film réalisé par Roschdy ZEM, même si celui-ci a pris pas mal de libertés avec l'histoire, notamment la relation entre Chocolat (Omar SY) avec George Foottit qui était davantage basée sur la rivalité que sur l'amitié. Il n'en reste pas moins que les caractères bien dessinés des deux personnages et l'alchimie entre les acteurs font que leur duo est très intéressant à regarder de par leur dynamique complexe. Si Chocolat doit supporter de terribles blessures d'amour-propre, c'est lui qui attire la lumière (il est seul sur les affiches!), les femmes et qui flambe l'argent. Foottit est quant à lui hors de la scène renvoyé dans l'ombre où il rumine ses frustrations. J'ai découvert James THIERREE dont la ressemblance avec son grand-père Charles CHAPLIN est extrêmement frappante et qui a une présence indiscutable. Si le message est parfois trop appuyé (la séquence de la prison par exemple où Chocolat est maltraité n'a pas existé!), certaines séquences sont délicieuses comme celle, véridique du tournage d'un film des frères Lumière (joué par les frères Bruno PODALYDES et Denis PODALYDES) mettant en scène les deux clowns.
Bien qu'un chouia confus et inabouti dans sa progression dramatique, "La fille de son père" est rempli de trouvailles originales, drôles ou poétiques ainsi d'un recul salutaire sur notre époque. Il n'y a guère que chez Albert DUPONTEL que l'on peut trouver ainsi conjugués loufoquerie et esprit critique comme la décision radicale de la maire éco-anxieuse (Noemie LVOVSKY) pour reverdir sa commune ou cet agent immobilier qui vend des pieds à terre qu'il n'habitera jamais pour reprendre une phrase de la chanson "Ma Rue" de Zebda. Agent qui se définit comme un grouillot du capitalisme et dont j'aime beaucoup cette phrase "ne rien lâcher, ne jamais rien lâcher, pourtant, on serait plus léger". Et puis le duo père-fille est lui même original et porté par des acteurs que j'aime beaucoup mais bien trop rares: Nahuel PEREZ BISCAYART (que d'ailleurs Albert DUPONTEL avait fait jouer dans "Au revoir la-haut") (2016) et Celeste BRUNNQUELL. Le premier, immature et fragile n'est jamais parvenu à se rétablir de la fuite de sa compagne qui l'a planté avec leur fille lors d'une ouverture menée tambour battant où elle a disparu sous prétexte de chercher une place (de stationnement) qu'elle n'a manifestement jamais trouvé. La seconde devenue une artiste de talent dont les peintures illuminent le film semble plus mature que son père mais ne s'autorise pas à le quitter de peur de le voir s'écrouler. L'enjeu est donc pour lui de réinvestir pleinement une relation et pour elle de devenir une adulte autonome. Les désirs et les sentiments s'expriment avec une certain décalage dû à une écriture littéraire un peu alambiquée mais leur traduction visuelle est vraiment réussie, notamment la réactualisation des scènes d'amour où le prétendant grimpe jusqu'au balcon de sa belle. Un film encore un peu trop brut mais vraiment très prometteur.
Prise à la gorge (comme les victimes) du début à la fin de cette admirable mini-série qui m'a fait penser à celle, non moins brillante qui a été consacrée l'année dernière à Malik Oussekine (dans laquelle jouait également Olivier GOURMET). Cependant, "Sambre" bénéficie d'une diffusion très large sur France Télévision, en direct et en replay et a été vu par plusieurs millions de personnes. La France atteint aujourd'hui le niveau des mini-séries et téléfilms de la BBC dont certains comme "Warriors : L'impossible mission" (1999) surnommé "L'Apocalypse now des Balkans" sont devenues des références sur l'histoire récente et ses enjeux humains et sociétaux.
Car "Sambre" n'est pas que la retranscription d'un sordide fait divers ayant défrayé la chronique de par son ampleur et sa durée à savoir plus d'une cinquantaine de viols, tentatives de viols et agression sexuelles commis sur trente ans par le même individu, dans la même région et selon le même mode opératoire. C'est une véritable radiographie de la société et des institutions françaises et de leur très lente évolution des années 80 à nos jours sur la question des crimes sexuels envers les femmes. "Sambre" s'inscrit complètement tant par ce qu'il raconte que par la façon dont il le raconte dans les oeuvres "post Metoo" c'est à dire postérieures à 2017. Non seulement celles-ci ont bouleversé la vision du monde qui prévalait jusque-là mais elles reposent toutes sur une relecture du passé à l'aune de cette nouvelle vision. Une relecture sans concessions, d'une précision documentaire car basée sur une enquête journalistique qui glace le sang de par ce qu'elle montre. D'abord le décalage insupportable entre ce qu'endurent les victimes traumatisées à court et à long terme et l'indifférence, la désinvolture et la négligence avec laquelle la police locale traite leurs agressions. Des agressions dont la nature et la gravité ne sont d'ailleurs pas reconnues sans parler de la honte qui pousse les victimes au silence, au déni, au désespoir, à la dépression voire au suicide. Une police corporatiste et masculine, non formée et dépourvue de moyens qui se fait inconsciemment la complice du violeur et dont les multiples manquements au fil du temps sont cruellement soulignés, lui permettant de faire à chaque fois de nouvelles victimes. Mais ce n'est pas le seul dysfonctionnement majeur souligné par la série. Celle-ci met en lumière l'isolement des quelques personnes empathiques (juge, maire, scientifique) qui ont tenté de faire bouger les choses en vain. Surtout elle pointe du doigt un aveuglement collectif touchant aussi bien les français lambda côtoyant le violeur au quotidien que les institutions, tous se refusant à admettre que certains "bons" citoyens c'est à dire ayant un emploi, une famille, des responsabilités locales puissent avoir une face cachée. Le moment où Enzo nargue les policiers devant son portrait-robot sans que jamais ceux-ci ne fassent le lien malgré une ressemblance évidente ou bien celui où la psychologue assène à la scientifique qu'elle doit chercher un marginal alors que ses données lui prouvent le contraire sont éloquents du refus d'admettre que le criminel est parfaitement intégré, dispose même de compétences sociales étendues et de ce fait se fond dans la masse. Qu'ils soient les victimes, le criminel sexuel ou les flics, tous sont écrits avec un réalisme remarquable et non moins remarquablement interprétés, notamment par Alix POISSON, Julien FRISON et Jonathan TURNBULL qui traversent les trente années du récit.
Je suis allé voir "La Fiancée du poète" pour sa formidable brochette d'acteurs et de ce point de vue, je n'ai pas été déçue: chacun apporte son petit grain de folie à l'ensemble. Cerise sur le gâteau, la présence de William SHELLER (je suis "fière et folle de lui") pour son premier rôle au cinéma dans le rôle d'un curé "pas très catholique" (mais 100% ABBA pour l'une des scènes les plus drôles du film). Mais pourquoi a-t-il attendu si tard pour se lancer, son plaisir à jouer est évident depuis si longtemps!* D'une certaine manière, il illustre parfaitement la devise du troisième film de Yolande MOREAU, "mieux vaut tard que jamais". L'autre aspect que j'ai beaucoup aimé dans le film, c'est son atmosphère bohème et bucolique. Avec ses artistes ne se prenant pas au sérieux (une femme de lettres cantinière, un peintre copiste, un musicien folk bidon, un plombier qui a usurpé l'identité d'un poète, un jardinier "as de la tulipe" etc.) et son cadre enchanteur de château décrépi au bord de la Meuse, j'ai eu plusieurs fois l'impression d'être transportée au temps des impressionnistes et la fin où ce petit monde prend le large sur une péniche m'a rappelé le final de "Si loin, si proche!" (1993) de Wim WENDERS qui racontait aussi une histoire de famille d'élection entre ciel et terre.
Néanmoins le film souffre aussi de défauts, à commencer par son rythme bancal, et son histoire, si peu vraisemblable. Je pense en particulier au retour inopiné du grand amour perdu de Mireille (Yolande MOREAU) et au fait qu'après une présentation réaliste, les personnages n'existent plus qu'en fonction de leur hôtesse et de son monde décalé. Pourquoi pas mais la mise en scène met tout sur le même plan alors qu'il y a un basculement dans une dimension surréaliste qui n'est pas assez souligné. L'animation du cerf de pierre qui symbolise la renaissance de Mireille était une excellente idée tout comme la séquence "film muet", il aurait fallu les multiplier et faire monter la mayonnaise.
* Je pense notamment au clip "Excalibur" où William SHELLER joue un double de Erich von STROHEIM!
De MAÏWENN j'en était resté à "Polisse" (2011) que j'avais viscéralement détesté pour son narcissisme exacerbé et le voyeurisme primaire infligé au spectateur venu pour voir une oeuvre cinématographique et non une accumulation gratuite de scènes misérabilistes tirées du manuel des clichés sociaux avec par-dessus la mise en abyme du couple MAÏWENN/ JOEY STARR, cette dernière observant (de loin) les "pauvres" comme le faisait Jacques-Henri Lartigue c'est à dire comme une faune exotique de zoo avant d'aller se défouler en boîte.
"Jeanne du Barry" est tout aussi narcissique et immature que "Polisse" (2011) mais offre une meilleure maîtrise et constitue un spectacle plutôt agréable à suivre. C'est même plutôt amusant de voir se démener l'actrice pour mettre en valeur le personnage qu'elle interprète face à un roi (Johnny DEPP) rendu quasi-muet par sa maîtrise approximative de la langue et face à une cour qui ne se positionne que par rapport à elle, comme si elle était le centre du monde (le cinéaste n'est-il pas le roi-soleil de son oeuvre, du moins en France?) La principale qualité du film est en effet d'éviter la reconstitution poussiéreuse ce qui constitue le piège d'un tel sujet. MAÏWENN s'est visiblement inspirée de Sofia COPPOLA qui avait réalisé un "Marie-Antoinette" (2005) pop et coloré. C'est cependant moins à un poulailler que ressemble "Jeanne du Barry" qu'à une cour de récré avec d'horribles chipies (les filles du roi Louis XV semblent être encore adolescentes alors qu'elles étaient quadragénaires ou trentenaires) et à l'inverse de jeunes chevaliers servants (Benjamin LAVERNHE a pour une fois un rôle sympathique et est excellent). Pas un mot de politique, pas une seule allusion au peuple, celui-ci se résumant à Jeanne herself. Pourtant, le peuple, le vrai et non ses exceptions arrivistes lui a fait chèrement payer sa trahison mais cette histoire-là n'intéresse pas MAÏWENN qui préfère "the bright side of life" et relègue ce qui fâche en fin de récit. Rien de sérieux donc, c'est léger, erroné sur bien des points mais cette petite sucrerie egocentrique se déguste sans déplaisir.
Si le raté "L'Année du requin" (2022) avait été autant promu dans les salles art et essai c'est parce que les frères Zoran BOUKHERMA et Ludovic BOUKHERMA avaient auparavant réalisé un film de genre, certes un peu bancal mais prometteur, "Teddy". Bancal parce que maîtrisant déjà mal le mélange des genres. Ainsi des scènes très réussies dramatiquement et esthétiquement alternent avec des moments creux. La greffe entre la comédie de terroir à la façon d'un "Groland" occitan, le teen-movie et l'imaginaire fantastique est laborieuse. Heureusement, Anthony BAJON qui est de tous les plans ou presque rend crédible et touchant son personnage de paria social un peu naïf qui tente de gommer les manifestations de sa lycanthropie pour s'intégrer. Du moins jusqu'à ce que ses illusions ne s'écroulent et que n'ayant plus rien à perdre, il provoque un bain de sang dans une scène qui fait fortement penser à "Carrie au bal du diable" (1976). Très travaillée visuellement avec ses contrastes de couleurs primaires et ses cadres dans le cadre, elle conclue un film visuellement recherché que ce soit pour les extérieurs (les paysages de montagnes pyrénéennes) ou les intérieurs (les effets de transparence du salon de massage où travaille Teddy, très "Vénus Beauté Institut" (1999) dans lequel la patronne jouée par Noémie LVOVSKY le poursuit de ses assiduités). Quant à l'horreur, elle reste pour l'essentiel suggérée, sans doute par manque de budget. Les frères Boukherma se font surtout plaisir avec des clins d'oeil à des classiques de la mutation comme "La Mouche" (1986) de David CRONENBERG. En dépit de ses imperfections, le film fonctionne assez bien et il est logique qu'il ait été remarqué.
"Les Sentiments" (2003) c'est l'art de customiser le bon vieux théâtre de boulevard, celui de l'adultère bourgeois où tôt ou tard on entendra un "ciel mon mari!" sauf que c'est la femme trompée qui découvre le pot aux roses. Le fond étant donc assommant, le film vaut pour sa forme, très recherchée et ses acteurs, bien que Nathalie BAYE en fasse un peu trop dans le rôle de la desperate housewife hystérique alors que Melvil POUPAUD en revanche est franchement transparent. On n'a donc d'yeux que pour Jean-Pierre BACRI dans un contre-emploi qui est une bonne idée sur le papier mais qui tourne presque exclusivement autour de son réveil priapique devant la plastique de la charmante et fraîche Isabelle CARRÉ qui passe une partie de son temps en tenue d'Eve et l'autre, à regarder Bacri avec des yeux énamourés. Si le travail sur la couleur est incontestablement une réussite qui fait penser à du Jacques DEMY avec des costumes assortis aux décors très colorés, je suis moins convaincue par la chorale d'opérette qui intervient pour annoncer les événements. Les choristes (sur)jouent de façon malhabile en chantant ce qui est quelque peu déplaisant. Quant aux paroles, elles nous ramènent une fois de plus la plupart du temps au-dessous de la ceinture. On est très loin de l'élégance et de la richesse de l'univers de Alain RESNAIS dont Noémie LVOVSKY dit s'être inspirée lorsqu'elle a vu "On connaît la chanson" (1997) (et qui lui a sans doute donné envie de diriger Jean-Pierre BACRI). Bien que je la soupçonne également au vu de la configuration des lieux (deux maisons se faisant face) d'avoir voulu créer une version lumineuse du très sombre et torturé "La Femme d'à côté" (1981).
Il y a des cinéastes auxquels je n'adhère pas spontanément. Bruno PODALYDÈS en fait partie. Ses films ont du mal à m'atteindre. "Comme un avion" ne fait pas exception à la règle. Le regarder a eu un effet instructif cependant: la consanguinité avec un autre cinéma auquel je suis également hermétique, celui de Noémie LVOVSKY m'a sauté aux yeux. Même troupe d'acteurs (Samir GUESMI, Michel VUILLERMOZ, Denis PODALYDÈS, Noémie LVOVSKY qui comme Bruno, frère de Denis est actrice et réalisatrice). Même goût pour l'atmosphère champêtre ("Les Sentiments") (2003) et pour la régression ("Camille redouble") (2012). Même appétence pour créer de chatoyants paquets-cadeaux colorés, bucoliques, poétiques et humoristiques enrobant une intrigue ectoplasmique tournant autour de la crise du couple bourgeois quadra ou quinquagénaire. Le parallèle peut être poussé jusque dans le fait de faire jouer Jean-Pierre BACRI (chez Noémie LVOVSKY) et Agnès JAOUI (chez Bruno PODALYDÈS) le rôle du séducteur/de la séductrice dans un contre-emploi où ces derniers perdent au passage une bonne part de leur personnalité propre pour se fondre au sein d'un schéma adultérin classique dans lequel ils ne sont que des rouages.
Si j'ai regardé "Comme un avion", c'est pour une seule et unique raison: sa fin, découverte grâce à une émission de "Blow Up" consacré à Alain BASHUNG au cinéma. En effet, le choix de terminer le film sur la chanson "Vénus" extraite de l'album "Bleu Pétrole" donne au film tout son sens. Toutes les pitreries-facéties-itinéraire riquiqui du pseudo aventurier en herbe qui s'enroule davantage autour de son propre nombril qu'il n'explore le vaste monde s'y révèlent enfin pour ce qu'elles sont, une vaste fumisterie destinée à masquer sa crise de couple avec Rachelle (jouée par Sandrine KIBERLAIN) et son envie d'aller croquer la pomme dans le premier jardin d'Eden venu ^^. Tout le film repose sur cette situation de faux-semblant blindée par les non-dits. Non-dits que Laetitia (Agnès JAOUI) fait exploser avec son corps, ses explications sur la géolocalisation des photos et enfin le cadeau de la radio que Michel fixe à son kayak. Voir dans le même plan celui-ci pagayer en eaux troubles pendant que Rachelle marche sur le chemin bordant le canal dans la même direction que lui en entendant des paroles telles que:
"Là, un dard venimeux
Là, un socle trompeur
Plus loin
Une souche à demi-trempée
Dans un liquide saumâtre
Plein de décoctions d'acide
Qui vous rongerait les os
Et puis
L'inévitable clairière amie
Vaste, accueillante
Les fruits à portée de main
Et les délices divers
Dissimulés dans les entrailles d'une canopée
Plus haut que les nues"
Donne un instantané de la vraie nature, fort amère, du film que le reste du temps, Bruno PODALYDÈS se plaît à dissimuler sous un déluge de douceurs.
Bien qu'il ne soit pas complètement réussi, "Jacky et le royaume des filles" est un film original, un conte philosophique subversif qui interroge les stéréotypes et inégalités de genre ainsi que le poids de l'institution familiale dans les dictatures phallocrates en renversant les rôles pour en faire une dictature gynocratique tout aussi abjecte et ainsi faire réfléchir. C'est comme si "1984" de George Orwell (référence avouée et novlangue incluse féminisant les mots liés au pouvoir qu'ils soit économiques comme "argenterie" ou idéologiques comme "blasphèmerie" ou "voilerie" et masculinisant au contraire les mots dévalorisants tels que "culottin" ou "merdin") rencontrait le conte de "Cendrillon" des frères Grimm et la femme-soldat de "Lady Oscar" de Jacques Demy (son pendant masculin étant l'homme enceint de "L'événement le plus important depuis que l'homme a marché sur la lune"). On peut également citer "Les résultats du féminisme" de Alice Guy avec des femmes dans les rôles sociaux masculins (incluant l'initiative dans la séduction et la domination dans les rapports sexuels) et les hommes dans ceux attribués au féminin du début du XX° (ménage, garde d'enfants, couture etc.) ainsi que "Le Dictateur" de Charles Chaplin (la parenté visuelle saute aux yeux bien que la dystopie de "Jacky au royaume des filles" s'inspire aussi à la fois du stalinisme et de l'islamisme) et même "Tout ce que vous avez voulu savoir sur le sexe sans jamais avoir osé le demander" de Woody Allen (aux femmes réduites à des ventres ou des objets de plaisir dans les films au discours misogyne succède ici l'image de milliers de prétendants enveloppés de blanc de la tête aux pieds ce qui les fait ressembler à des spermatozoïdes avec en plus un "laisson" autour du cou en guise de collier/bague de fiançailles.) J'y ajouterais un zeste de "Soleil Vert" avec le monopole de la production d'une nourriture infâme/informe par l'Etat à l'aide d'une centrifugeuse géante aux allures de tour centrale de "Metropolis" qui permet aux élites de contrôler les "gueusards" (les exécutions à la TV tenant lieu de jeux du cirque et le culte au poney, pardon au "chevalin", de religion). Avec une telle cohérence dans la conception de cette "République démocratique et populaire" qui emprunte aussi un peu de sa culture à l'Inde (les animaux sacrés, la médaille creuse pour les célibataires et pleine pour les hommes mariés voire la voilerie qui mélange le tchador et la draperie des moines bouddhistes), beaucoup de bonnes idées notamment dans le domaine visuel et un excellent casting (à commencer par Anémone dans le rôle de la générale impitoyable et de Charlotte Gainsbourg dans le rôle de son héritière qui fait office de prince charmant), il est dommage que la mise en scène du film soit si classique et le ton, si bon enfant comme si tout cela n'était finalement qu'un grand carnaval. Il faut dire que le renversement des rôles produit un résultats troublant voire dérangeant. De la ressemblance des femmes avec leurs homologues masculins lorsqu'elles disparaissent sous l'uniforme et les armes pour détruire autrui jusqu'à la culture du viol dans lequel cet autrui est utilisé comme un objet de plaisir, cette dictature-là apparaît terriblement crédible et montre crûment l'humain dans ce qu'il a de plus laid lorsqu'il devient un prédateur et ce quel que soit son sexe. Peut-être ne fallait-il pas creuser plus loin pour que le miroir ne devienne pas tout bonnement insupportable...
"Les Beaux Gosses" ce n'est pas "De Nuremberg à Nuremberg" mais "De la BD à la BD". Le film, sorti en 2009 est la libre adaptation par Riad Sattouf de deux de ses bandes dessinées consacrées à la jeunesse, "Le manuel du puceau" (2003) et "Retour au collège" (2005). En 2021 paraît le premier tome de la série "Le jeune acteur" qui revient sur l'histoire du premier film de Riad Sattouf mais pour se focaliser cette fois sur Vincent Lacoste dont c'était le premier rôle au cinéma. Sattouf y explique notamment comment il lui a fallu faire un casting sauvage dans les collèges pour y dénicher un adolescent aux prises avec les ravages biologiques de la puberté et non une belle image léchée très éloignée de "l'âge ingrat" telle qu'il voulait le représenter à l'écran. Un adolescent ordinaire plutôt timide et complexé qui n'avait jamais rêvé d'être acteur et qui n'était pas spécialement doué au départ. Mais qui a appris très vite le métier (en travaillant...) avec le résultat qu'on connaît: un vilain petit canard devenu depuis un beau cygne ^^.
C'est ce souci de réalisme ainsi que le ton sarcastique qui l'accompagne qui fait de "Les Beaux Gosses" un teen-movie savoureux* et non son intrigue (un récit d'apprentissage à base de "pelles" et de "râteaux"). En effet dès les premières images, on est dans le vif du sujet, au plus près de visages gras et boutonneux s'embrassant goulûment, bref on sait qu'on va parler de choses très organiques et pas forcément ragoûtantes. De fait les premiers émois amoureux et sexuels de Hervé (Vincent Lacoste) s'inscrivent dans un corps disgracieux et gauche, affublé d'un petit rire niais (et bagué évidemment) devant les situations gênantes qu'il vit avec sa première copine, Aurore: la technique du baiser qu'il faut perfectionner, l'éjaculation précoce et puis les détails concrets du corps de l'autre qui peuvent faire peur voire dégoûter (des pieds sales par exemple). Ladite Aurore n'est pas elle-même plus à l'aise. On comprend à demi-mot que son attirance pour Hervé est liée au manque d'assurance de celui-ci (parce que justement c'est rassurant) et elle refuse ses caresses dès qu'elles deviennent plus poussées. Evidemment comme si cela n'était pas déjà assez compliqué comme ça, Camel (Anthony Sonigo) le copain de Hervé collant, obsédé et si possible encore plus frustré ne fait rien pour arranger les choses et ne cesse de s'incruster. De même que la mère de Hervé divorcée, collante, obsédée et si possible encore plus frustrée (Noémie Lvovsky). Bref, Hervé a la lose qui lui colle aux baskets et le comique jaillit évidemment du décalage entre les efforts qu'il fait pour donner l'apparence qu'il contrôle la situation et une réalité qui ne cesse de lui échapper.
En dépit de son caractère très ancré dans la réalité hormonale des adolescents, le film de Riad Sattouf a aussi quelques liens avec la BD. De nombreux amis bédéastes célèbres y font des apparitions clin-d'oeil (de Marjane Satrapi à Joann Sfar). Les personnages ont une dégaine facilement transposable dans l'univers de la BD (dont une tenue vestimentaire faite pour leur coller à la peau). Une des raisons qui a poussé Riad Sattouf à choisir Vincent Lacoste était justement le fait qu'il semblait sortir d'une planche de ses BD (et comme je le disais au début il a fini par devenir un personnage de BD). Enfin le générique est traité à la manière d'une série de vignettes de BD ce qui accentue la drôlerie des chutes humoristiques.
* Evidemment on pense aux films américains spécialisés dans le genre et notamment à "American Pie", la masturbation étant une des principales activités de "Les Beaux Gosses" ^^.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.