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Articles avec #drame tag

Le Lien (The Touch/Beröringen)

Publié le par Rosalie210

Ingmar Bergman (1970)

Le Lien (The Touch/Beröringen)

Je n'avais jamais entendu parler de ce film de Ingmar BERGMAN avant que Arte ait la bonne idée de le diffuser. Il faut dire qu'en France, pour une raison que je ne m'explique pas, beaucoup de films classiques de très grands réalisateurs étrangers sont inaccessibles car peu diffusés, non édités en DVD zone 2, non disponibles en VOD... Les exemples abondent comme "Le Limier" (1972) de Joseph L. MANKIEWICZ, "Leo the Last" (1970) de John BOORMAN, "Le Gouffre aux chimères" (1951) de Billy WILDER, "Les Quatre filles du Dr. March" (1933) de George CUKOR, "Boule de feu" (1941) de Howard HAWKS etc.

Si "Le Lien" n'est sans doute pas le meilleur film que Ingmar BERGMAN ait réalisé, il est loin d'être inintéressant. Tourné en partie en langue anglaise, il raconte l'histoire la plus banale qui soit: une bourgeoise (Bibi ANDERSSON) qui s'ennuie ferme avec son mari insipide (Max von SYDOW) prend un amant déraciné, solitaire et tourmenté qui lui en fait voir de toutes les couleurs (Elliott GOULD). Tenir 1h50 sur une histoire d'adultère n'est pas spécialement enthousiasmant. Néanmoins, l'incapacité de l'amant à créer du lien, que ce soit avec un lieu ou avec une personne, son imprévisibilité, son instabilité, sa violence amène le réalisateur à évoquer en creux les séquelles de la Shoah à long terme sur ceux qui en ont été victimes, leurs descendants et les sociétés qui en ont été complices (comme la société suédoise). Est-ce ce lourd contexte qui explique que la relation entre Karin et David soit à ce point difficile? Leur passion est douloureuse, empreinte d'incommunicabilité, de violence et de frustrations, y compris sexuelles (leurs étreintes ne semblent jamais aboutir à une quelconque satisfaction*). Et on ne peut pas dire que les symboles qui les environnent soient plus positifs: statue de vierge en bois rongée par les insectes, serpent qui se mort la queue, appartement(s) de David soulignant son déracinement par leur dépouillement. Bref aucune réconciliation ne semble possible. Karin rompt certes avec son bonheur conjugal factice (souligné ce qui est inhabituel chez Ingmar BERGMAN par une esthétique publicitaire avec notamment une musique guillerette célébrant les joies d'être une femme au foyer pleine d'ironie) mais pour embrasser le destin de David: une vie d'exil et de solitude.

* Le nom marital de Karin, Vergerus est récurrent dans l'univers de Ingmar Bergman. Il est notamment associé au terrifiant évêque protestant qui tyrannise Alexandre dans "Fanny et Alexandre" (1982).

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Léon Morin, prêtre

Publié le par Rosalie210

Jean-Pierre Melville (1961)

Léon Morin, prêtre

On est en France. C'est la guerre. Les hommes manquent à l'appel. Ils sont morts, prisonniers, assignés au travail forcé en Allemagne, ou planqués dans le maquis pour ceux qui le refusent le service du travail obligatoire. Leurs femmes, restées à l'arrière sont en manque. En manque d'amour. En manque de sexe (et oui le film "Benedetta" de Paul Verhoeven a mis en lumière que la masturbation féminine se pratiquait de tout temps, dans tous les milieux, y compris religieux, et faisait feu de tout bois si je puis dire ^^). Elles en sont d'autant plus vulnérables. C'est le cas de Barny, cette admirable jeune veuve jouée par Emmanuelle Riva découverte dans le non moins admirable "Hiroshima mon amour" de Alain Resnais. Elle a perdu son mari, juif et communiste. Elle doit protéger sa fille qui en dépit de son prénom, France, n'en est pas moins "demi-juive" donc en danger. C'est pour cette raison qu'elle la fait baptiser car le certificat de baptême est un talisman contre la barbarie nazie et leurs supplétifs français particulièrement zélés. Révoltée contre l'ambiguïté de cette Eglise catholique qui de fait est la complice de toutes les puissances tyranniques depuis son alliance avec l'Empire romain ("l'alliance du trône et de l'autel"), elle va crier sa révolte auprès d'un vicaire. Malheur à elle: il est jeune, beau, diablement (oui, diablement) intelligent, "moderne" et persuasif: c'est Jean-Paul Belmondo au faîte de sa jeunesse, de son talent et de son charisme. Le Jean-Paul Belmondo magnétique de "A bout de Souffle" (film dans lequel il a croisé Jean-Pierre Melville qui par amitié pour Jean-Luc Godard y faisait une courte apparition: la transfusion était en marche). Il voit sa détresse, sa solitude, sa frustration, cachée derrière son cynisme de pacotille. Il comble donc son vide intérieur en la faisant venir chez lui puis en allant chez elle pour lui prêter des livres et l'entretenir de la foi, obtenant sans peine sa conversion. Evidemment il n'aurait rien fait de tel s'il y avait eu un homme à la maison. Il pousse même "le vice" jusqu'à faire d'elle sa confidente lorsqu'il lui raconte ses souvenirs d'enfance, jusqu'à l'effleurer de sa soutane en passant près d'elle jusqu'à ce que chauffée à blanc de désir pour lui, elle trébuche et que "l'ayant prise en défaut", il n'ait plus qu'à lui faire expier ses "péchés". Le besoin le plus naturel de l'être humain, dénaturé, sali, transformé en instrument de pouvoir. La présence d'une autre femme, tentatrice déclarée, elle, confirme en effet que ce qui se joue dans le film est une lutte de pouvoir à travers le désir sexuel qu'il faut dompter en soumettant la femme. Ce qui ne veut pas dire que l'homme, Léon Morin n'est pas aussi une victime de la haute idée qu'il se fait de sa fonction de prêtre* (tout est une question de virgule, celle du titre). Certes, il vit dans le dénuement, prend des risques pour sauver des vies, critique le dévoiement de l'Eglise catholique, bref, il veut revenir à la "pureté" (utopique) du christianisme des origines. Mais ce prêtre trop lisse, sans défauts comme le souligne Barny apparaît en réalité comme un redoutable manipulateur. Manipulateur de jeunes femmes trop seules (donc en situation de faiblesse) mais aussi manipulateur de lui-même, comme le majordome Stevens de "Les Vestiges du jour" à qui il m'a fait penser, ce prêtre laïc qui sacrifie tout à sa fonction vécue comme un sacerdoce. Pour quelqu'un qui prêche l'amour à longueur de journée, le bilan paraît bien amer, à l'image du vide et de la solitude qui le cernent de toutes parts. A l'image de ces cloisons et de ces perchoirs plus ou moins visibles selon les plans (grilles, portes, escaliers, chaire, hache, couteau etc.) qui rendent la distance entre elle et lui infranchissable. Mais comme il le dit à Barny "on se reverra. Pas dans ce monde ci, dans l'autre". Sauf que la seule réalité tangible dans lequel on est sûr que l'amour peut s'exprimer c'est ce monde ci. Ce monde organique qui dégoûte tant l'homme occidental. L'autre (monde) reste juste une promesse, une promesse invérifiable... et qui ne mange pas de pain.

* S'il avait été intègre, soit il aurait renoncé à toute forme de rapprochement avec la jeune femme, soit il aurait renoncé à la prêtrise.

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Pierrot le Fou

Publié le par Rosalie210

Jean-Luc Godard (1965)

Pierrot le Fou

En hommage à Jean-Paul Belmondo, j'ai eu envie de revoir enfin "Pierrot le Fou". Enfin car cela faisait plusieurs décennies que je ne l'avait pas revu. Liste d'impressions, non exhaustive (mais comment l'être avec ce film foisonnant qui fourmille d'idées, d'images, de citations...):

- De la première vision du film quand j'étais enfant, il ne m'est resté qu'un seul souvenir: les couleurs primaires.  Le bleu, le rouge, le jaune. J'avais l'impression que Pierrot-Ferdinand juste avant de se faire exploser était devenu un indien. Avec une peinture de guerre, des plumes (les bâtons de dynamite) et que le feu de l'explosion servait à lancer des signaux. Pas étonnant que ce soit la seule scène qui me soit restée en mémoire. La picturalité du film est telle qu'il est impossible de ne pas en conserver une trace.

- A la deuxième vision, j'ai remarqué d'abord la présence de Samuel Fuller qui vient apporter un vent cinématographique venu d'outre-atlantique. Comme il le fera quelques années plus tard dans "L'Ami américain" de Wim Wenders. Deux films qui ont pour personnage principal un homme qui ne supporte plus sa vie conformiste étriquée et qui envoie tout balader pour goûter enfin à la liberté "bigger than life" imprégnée de film noir (gangsters, femme fatale, issue fatale, tueurs à gages se retrouvent dans l'un ou l'autre de ces films ou les deux) mais aussi de road-movie, autre genre associé à l'Amérique dont Wenders a réalisé l'un des plus beaux fleurons. Même si la cavale de Pierrot-Ferdinand et de Marianne (Anna Karina) ressemble bien davantage à celle de "Bonnie et Clyde" qu'à celle de "Paris-Texas".

- Pourtant il y a aussi du contemplatif dans "Pierrot le Fou". Entre deux scènes de cavale effrénées (que Luc Lagier de "Blow Up" associe à "Sailor et Lula" de David Lynch ce qui est d'autant plus pertinent qu'il utilise un code couleur et des filtres assez semblables), Jean-Luc Godard fait respirer ses personnages dans ce qui s'apparente à "la possibilité d'une île" façon Paul et Virginie, On y dort sur la plage, on y apprivoise un perroquet, on y chante mais on s'y ennuie aussi beaucoup "Qu'est ce que je peux faire? Je ne sais pas quoi faire" entre autre phrases cultes reprise comme on le découvre dans "Blow Up" jusque dans un épisode de Tchoupi!

- Et puis il y a la poésie et la littérature, omniprésentes, du "Voyage au bout de la nuit" qui a baptisé "Ferdinand" à la "saison en Enfer" d'un certain Arthur Rimbaud, l'homme aux semelles de vent qui a toujours pensé que la vraie vie était ailleurs... au cinéma par exemple, même s'il n'existait pas à son époque. Autre amoureux des mots mais bien vivant celui-là en 1965, Raymond Devos qui le temps d'une séquence vient croiser le verbe avec Pierrot-Ferdinand.

- Le contexte politique s'invite aussi régulièrement dans le film, rappelant que si les personnages mènent une vie dangereuse, ils sont plongés dans une époque qui ne l'est pas moins, entre la guerre d'Algérie (le tag "OASis") et la guerre du Vietnam (rejouée par des acteurs qui brisent à plusieurs reprises le quatrième mur en s'adressant au spectateur, comme dans "A bout de Souffle").

-Mais le plus grand miracle de "Pierrot le Fou", c'est qu'un tel collage d'éléments hétérogènes ne cherchant absolument pas à dissimuler ses coutures (montage heurté, désynchronisation image-son etc.) aboutisse à un tout aussi cohérent!

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Le Signe du Lion

Publié le par Rosalie210

Eric Rohmer (1959)

Le Signe du Lion

Contrairement à ses compatriotes des "Cahiers du cinéma", François Truffaut et Jean-Luc Godard* qui firent une entrée "fracassante" sur la scène du septième art avec leur premier long-métrage (respectivement Prix de la mise en scène à Cannes et Ours d'argent à Berlin et aujourd'hui devenus de grands classiques incontournables du cinéma français), celui d'Eric Rohmer tourné la même année ne sortit sur les écrans que trois ans plus tard, dans une version écourtée et ne connut pas la même gloire. Aujourd'hui encore il reste méconnu. Bien à tort selon moi. "Le Signe du Lion" est même l'un de mes films préférés d'Eric Rohmer. Il contient en germe toute son oeuvre ou plutôt tout l'ADN de son oeuvre à venir, bien loin de l'idée que beaucoup s'en font. On y retrouve les notions de hasard et de destin mais aussi les illusions que l'on se fait sur soi-même et l'épreuve qu'implique le fait de s'y confronter. Cette épreuve qui prend la plupart du temps la forme d'une errance (physique et/ou intellectuelle et spirituelle) aboutit à l'émergence d'un "autre soi". Evidemment cette possibilité fait peur et nombre de personnages préfèrent retourner dans le giron d'une identité factice mais qu'ils maîtrisent. Dans le cas du "Signe du Lion", Pierre, un musicien américain fréquentant le milieu germanopratin se retrouve du jour au lendemain sans le sou, à la rue et totalement seul pour avoir eu le tort de vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué. Avec beaucoup de sensibilité et un certain naturalisme**, Eric Rohmer filme sa douloureuse métamorphose en SDF arpentant du matin au soir et du soir au matin les rues de la capitale désertée et brûlante à la recherche d'une aide qui sonne aux abonnés absents. Avec sa déchéance, il découvre l'aspect factice du monde dans lequel il a vécu, la seule personne lui tendant la main étant justement celle qui est le plus méprisée par ce milieu de mondains. Facticité encore plus soulignée par le fait qu'il suffit que Pierre retrouve à la faveur de l'un de ces coups du destin improbables dont Rohmer a le secret toute la fortune qu'il croyait avoir perdue pour qu'en un instant il redevienne le roi de ce milieu et jette son seul véritable ami aux oubliettes. Bien que n'en faisant pas officiellement partie, "La Signe du Lion" préfigure déjà les six contes moraux des années 60 et 70.

* Jean-Luc Godard fait d'ailleurs une furtive apparition au début du film de Eric Rohmer.

** La déchéance physique et morale du personnage est soulignée par de multiples petits détails: la marche de plus en plus lourde, le regard qui devient hagard sous l'effet de la chaleur et de la fatigue, la faim qui tenaille les tripes et pousse à faire les poubelles ou chaparder, les chaussures et chaussettes qui se trouent, la saleté qui se répand sur ses vêtements etc.

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Danse avec les loups (Dance with Wolves)

Publié le par Rosalie210

Kevin Costner (1990)

Danse avec les loups (Dance with Wolves)

"Danse avec les loups" s'inscrit dans la lignée des westerns révisionnistes qui depuis les années cinquante n'ont cessé de réécrire l'histoire de la conquête de l'ouest dans un sens de moins en moins pro-occidental, de moins en moins manichéen (et raciste) et donc de plus en plus proche de la vérité historique. C'est d'ailleurs ce qu'un excellent numéro de l'émission Blow-Up consacré à l'histoire des indiens au cinéma démontre brillamment. Alors qu'on aurait pu croire que le film avait vieilli (c'était ce qui d'ailleurs ne me donnait pas envie de le revoir) avec son plaidoyer pacifiste pour la tolérance et la fraternité entre les peuples façon "united colors of Benetton", il dépasse largement le niveau du discours politiquement correct avec une vision d'ensemble dont la cohérence m'a frappé et qui rend le film plus actuel que jamais. En effet la rencontre entre John Dunbar (Kevin Costner) et la tribu de Sioux qui l'adopte revêt un caractère existentiel. John Dunbar découvre sa vraie nature à leur contact alors qu'au sein de l'armée américaine, il était dirigé contre elle (autrement dit vers son autodestruction). D'ailleurs les premières scènes qui sont aussi celle de ses premiers actes d'insoumission le montrent échapper de peu à une amputation puis à la mort. C'est pour ne plus servir de chair à canon qu'il se coupe de la société coloniale en partant se réfugier dans un avant-poste (provisoirement) isolé. Une retraite spirituelle dans le désert qui lui permet de se recentrer sur lui-même et de poser un regard neuf sur ce qui l'entoure comme préalable à sa renaissance en tant que membre de la tribu des Sioux. Durant la période de transition où il est coupé des hommes, il fraternise avec des animaux qui à son image sont des rebelles ou des atypiques: son cheval qui refuse de se laisser emmener et revient toujours vers lui et un loup solitaire qui lui tourne autour et qu'il apprivoise lentement. Sans le savoir, il a déjà basculé (et nous avec) dans la vision du monde des indiens, fondée sur l'harmonie avec la nature. Le retour des soldats blancs aux 2/3 du film fait prendre conscience du caractère dégénéré de leur "civilisation" prédatrice qui blesse, enlaidit et détruit par goût du pouvoir et de la convoitise mais aussi par bêtise et ignorance (ce sont les pires sujets, brutes et analphabètes qui servent de trouffions). Une profondeur de champ historique est suggérée par le casque de conquistador conservé par le doyen de la tribu mais aussi par l'alliance que les blancs passent avec des tribus ennemies des Sioux (diviser pour mieux régner, la technique infaillible ayant permis aux occidentaux d'assurer leur suprématie en Amérique et en Afrique au moins autant que la technologie de leurs armes). En montrant les dégâts que les conquérants laissent derrière eux (les bisons écorchés par exemple), "Danse avec les loups" acquiert une dimension écologiste en symbiose avec les civilisations autochtones qui même réduites à peau de chagrin continuent inlassablement à voir leur espace vital se réduire et leurs membres se faire massacrer en toute impunité par les exploitants de l'agriculture capitaliste alors même que la terre entière est entré dans une spirale de catastrophes dont nul ne sait jusqu'où elle ira.

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Fatima

Publié le par Rosalie210

Philippe Faucon (2015)

Fatima

On ne dira jamais assez combien l'écriture est salvatrice. Au coeur des périodes les plus sombres, quand la liberté de l'homme a été réduite à néant, beaucoup s'en sont sortis par l'écriture. Un des exemples les plus célèbres est l'énorme quantité d'écrits produits par les populations juives en voie d'extermination durant la seconde guerre mondiale dont l'un des plus connus est le journal d'Anne Frank. En période de paix, les mécanismes d'oppression sociale sont beaucoup plus insidieux mais non moins aliénants et écrire est un moyen imparable de leur résister. Le simple fait de pouvoir dire je, d'affirmer l'existence de sa personnalité, goûts, désirs, sensibilité, opinions est un formidable moyen d'émancipation. Or c'est à partir de deux livres de Fatima Elayoubi, "Prière à la lune" et "Enfin, je peux marcher seule" que Philippe Faucon a créé le personnage de Fatima (Soria Zeroual), cette femme de ménage maghrébine immigrée en France qui subit une double (op)pression sociale: celle, communautariste de ses consoeurs qu'elle côtoie au quotidien et qui passent leur temps à l'épier et à médire et celle, liée au rapport de domination de ses employeurs bourgeois (et par extension, de la société "d'accueil"*). Cette pression se cristallise sur les filles de Fatima et l'enjeu qu'elles représentent avec des injonctions contradictoires. L'aînée, Nesrine (Zita Henrot) qui est une brillante élève déterminée à réussir ses études de médecine suscite la jalousie (aussi bien des voisines qui se sentent snobées que des bourgeois qui se sentent concurrencés, surtout quand leurs propres enfants ne réussissent pas aussi bien). Fatima la soutient en prenant en charge ses besoins matériels quitte à se tuer à la tâche et vit par procuration sa réussite (comme le démontre une très belle dernière scène). La cadette, Souad (Kenza Noah Aïche) qui est au contraire une rebelle en voie de déscolarisation vaut à Fatima des injonctions moralisatrices sur ses prétendues failles éducatives. Le film montre aussi combien les relations entre Fatima et ses filles souffrent du grand écart culturel lié à l'immigration. En particulier ce qui est remarquablement mis en valeur par le film, c'est la fracture liée à la barrière de la langue au sein d'une même famille. Le fait d'avoir une autre langue maternelle que ses propres parents ou ses propres enfants et de ne pas maîtriser la deuxième langue suffisamment (ou pas du tout) a des effets dévastateurs qui conjugué à la honte sociale liée au métier et aux conditions de vie de Fatima pousse la cadette à rejeter sa propre mère, lui causant en retour une blessure invisible mais indélébile qui ne peut se soigner que par les mots que celle-ci va finir par formuler -et affirmer-. Ce qui m'a frappé en regardant le film, c'est sa profonde justesse, sa délicatesse, sa proximité avec les personnages qui en fait une oeuvre intimiste avant d'être un film social. Faire vivre de l'intérieur, redonner une dignité et de la visibilité à une personne que l'on ne perçoit d'ordinaire que comme une ombre en toile de fond tout en suscitant une identification universelle est en soi remarquable. Le casting mélangeant actrices professionnelles et non professionnelles est réussi.

* J'ai été dans mon enfance témoin des mêmes vexations que celle que subit Fatima en particulier, celle consistant à mettre de l'argent ou des objets de valeur (bijoux, sacs à main) bien en évidence pour "tester" l'honnêteté des employés, lesquels n'étaient autre que mes parents. Certains "marqueurs" de classe peuvent aussi se colorer de connotations racistes quand l'employé est d'origine étrangère (comme le tutoiement et la condescendance).

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Coups de feu dans la Sierra (Ride the High Country)

Publié le par Rosalie210

Sam Peckinpah (1962)

Coups de feu dans la Sierra (Ride the High Country)

En regardant "Coups de feu dans la Sierra", le deuxième film de Sam PECKINPAH sorti la même année que "L Homme qui tua Liberty Valance" (1962) de John FORD, j'ai pensé à la chanson des Doors "The End". Car ces deux films ont en commun leur enterrement de première classe du western dit "classique", pionnier, solaire, héroïque, rempli de certitudes et de manichéisme (même s'il y a une infinité de nuances à l'intérieur du genre) au profit du western "moderne", désenchanté, critique, nostalgique bref "crépusculaire" dans lequel les cow-boys ont pris un sacré coup de vieux et le gris a remplacé le noir et le blanc. Joel McCREA et Randolph SCOTT (dont ce fut le dernier rôle), deux vétérans du western de série B (même si le premier a eu une carrière plus diversifiée en tournant pour Alfred HITCHCOCK, Maurice TOURNEUR, William WYLER, King VIDOR ou encore Ernest B. SCHOEDSACK) interprètent respectivement Steve Judd, un ancien shérif et Gil Westrum son ex-adjoint réduits à vivre d'expédients dans une société qui désormais les méprise. Gil travaille dans un stand de foire déguisé en Billy the kid alors que Steve doit cacher à ses commanditaires les signes de son vieillissement, allant chausser ses lunettes pour lire son contrat dans les toilettes. Tous deux acceptent de reformer leur équipe afin de convoyer de l'or d'une mine jusqu'à la banque mais leur état d'esprit diverge. Si Steve a gardé ses valeurs "old school", Gil, dégoûté par leur déclassement et leur misère est prêt à trahir leurs anciens idéaux et à voler l'or. Ca ne l'empêche pas de manifester du respect à son compagnon (qui l'a d'ailleurs percé à jour) et de former Heck (Ron STARR), un petit jeune tête brûlé dénué de savoir-vivre mais qui a la fin du film apparaît comme un gentleman comparé aux brutes épaisses rencontrées dans la ville minière. Comme quoi Gil n'est pas dénué d'ambiguïtés ce qui rend son personnage passionnant. Le fameux gris évoqué par le quatrième personnage important du film, Elsa (Mariette HARTLEY), jeune fille révoltée et fugueuse qui comprend que le monde ne se divise pas en deux catégories, les bons et les méchants, contrairement au bourrage de crâne qu'elle recevait de son père (R.G. ARMSTRONG), fondamentaliste chrétien assez effrayant par son fanatisme et son oppression sur sa fille qu'il cherche à "posséder". Celle-ci n'est pas au bout de ses peines. A cause de son inexpérience liée à sa claustration, elle manque de peu tomber dans un piège sordide, son mariage donnant lieu à une séquence cauchemardesque et très audacieuse pour l'époque qui participe pleinement à démythifier le western par son ambiance glauque (pour ne pas dire dégénérée). Mais les deux vieux briscards veillent sur elle. Heck et Elsa représentent donc leurs héritiers dans ce très beau et prenant western travaillé par sa propre finitude mais encore plein de panache! Et les paysages, très expressifs (y compris celui, "lunaire" de la ville minière) sont somptueux. 

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La Femme et le pantin (The Devil Is a Woman)

Publié le par Rosalie210

Josef von Sternberg (1935)

La Femme et le pantin (The Devil Is a Woman)

"La Femme et le pantin" est le film qui mit un terme à la collaboration entre Josef von STERNBERG et Marlene DIETRICH, l'une des plus fructueuses et mythiques du cinéma. Néanmoins on peut souligner que cette association fut brève (cinq ans) et intense (sept films en forme de "world trip", du Maroc colonial à l'Espagne en passant par la Chine et la Russie) ce qui sans doute l'usa prématurément. Librement adapté du roman éponyme de Pierre Louÿs, "La Femme et le pantin" est un film assez court qui nous dresse le portrait d'une femme inaccessible qui fait tourner la tête aux hommes. Le plan par lequel on découvre Concha Perez fait d'emblée d'elle une déesse mise sur un piédestal alors qu'il s'agit d'une "simple" ouvrière costumée pour le carnaval mais surtout nimbée d'une aura, celle du désir masculin inassouvi (celui de Josef von STERNBERG lui-même?) Frivole et capricieuse, Concha Perez fait tourner en bourrique les vieux barbons comme les jeunes bellâtres (du moins ceux qui ont des velléités d'emprise sur elle) selon son bon plaisir et surtout ses intérêts (financiers surtout). Deux hommes en particulier se disputent ses faveurs: le jeune Antonio et l'ex-capitaine Don Pasqual qui lui raconte ses déboires dans une série de flashbacks. Bien qu'il y ait de "L'Ange bleu" (1930) dans la façon dont Concha manipule et humilie Don Pasqual, le ton qui est censé être celui d'un mélodrame tire vers la comédie voire la bouffonnerie avec une Marlene DIETRICH en roue libre qui en fait des tonnes avec ses mines boudeuses et ses airs aguicheurs vis à vis de ceux qu'elle transforme en gentils toutous ("Paquitito" pour Edward Everett HORTON un habitué des films de Ernst LUBITSCH, "Pasqualito" pour Lionel ATWILL etc.) ce qui désamorce tout effet dramatique et rend l'histoire assez répétitive (alors que le film ne dure qu'une heure seize). La film tire son épingle du jeu grâce à sa beauté esthétique, particulièrement des costumes somptueux et une photographie magnifique.

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Hiroshima mon amour

Publié le par Rosalie210

Alain Resnais (1959)

Hiroshima mon amour

Il y a quelques années, j'ai pris un train qui s'arrêtait à Nevers. Ma pensée est allée alors vers le premier long-métrage de Alain RESNAIS et j'ai réalisé que Nevers ça résonnait comme "never" (jamais) et que ça se trouvait sur la même ligne ferroviaire que Riom et Vichy... "Hiroshima mon amour" est ainsi un film qui travaille sur des éléments a priori que tout oppose mais que la mémoire associe. Ou plutôt les mémoires, le film alternant entre la mémoire individuelle du personnage joué par Emmanuelle RIVA et la mémoire collective des événements du passé qui se transmettent au travers des traces que ce passé laisse dans le présent (les archives, le patrimoine). Par le jeu du montage dont Alain RESNAIS est un spécialiste, Nevers et Hiroshima se répondent comme s'il s'agissait d'une seule et même géographie, d'une seule et même temporalité, d'une seule et même Histoire, celle de la guerre et de ses stigmates. Une grande Histoire qui croise celle du personnage d'Emmanuelle Riva qui à la manière de "Je t aime, je t aime" (1967) vit à Hiroshima, lieu chargé d'Histoire à la fin des années cinquante une histoire d'amour avec un japonais (Eiji OKADA) qui lui rappelle celle qu'elle a connu à Nevers avec un soldat allemand en pleine seconde guerre mondiale 14 ans plus tôt et qui lui a valu d'être tondue à la Libération. Ce télescopage passé/présent, histoire/mémoire, amour/mort, témoignage/reconstitution donne tout son sens aux célèbres dialogues de Marguerite DURAS fondés sur des leitmotivs tels que "tu n'as rien vu à Hiroshima/j'ai tout vu" et "Tu me tues/Tu me fais du bien". Le premier cas, porté par le film lui-même apporte sa pierre au débat animé entre autres par Claude LANZMANN sur l'impossibilité de représenter la Shoah et de façon plus générale toutes les grandes catastrophes de l'histoire. Le deuxième porte sur la question de l'oubli et du souvenir de ces mêmes événements: lequel des deux est le moins mortifère (ou le plus salvateur)?

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Dieu existe, son nom est Petrunya (Gospod postoi, imeto i'e Petrunija)

Publié le par Rosalie210

Teona Strugar MITEVSKA (2018)

Dieu existe, son nom est Petrunya (Gospod postoi, imeto i'e Petrunija)

Inspiré d'une histoire vraie ayant eu lieu en 2014 à Stip en Macédoine du nord mais qui semble sortie tout droit du Moyen-Age, "Dieu existe, son nom est Petrunya" a un titre en forme de réponse iconoclaste aux autorités ecclésiastiques locales qui avaient affirmé que Dieu existait et qu'il était un homme. Au delà de la question de la représentation du divin, le désordre créé par le simple fait qu'une jeune femme s'empare d'un objet religieux (une croix) qu'un rituel religieux orthodoxe réserve aux hommes a quelque chose d'absurde mais aussi de glaçant. On découvre à travers ce film qui ne se déroule pas au Moyen-Orient mais bien en Europe combien l'état de droit est fragile face à des traditions archaïques mais âprement défendues par une jeunesse masculine locale aux allures de hooligans soutenue par des autorités religieuses que les autorités civiles sont soucieuses de ne pas heurter au nom du maintien de l'ordre public. C'est ainsi que Petrunya qui n'a commis aucun délit d'après la loi se retrouve pourtant au commissariat qui devient par la suite un refuge précaire face aux menaces de lynchage. La vraie raison d'être des "traditions" apparaît alors comme un moyen de canalisation des pulsions les plus primitives de ceux qui ont les moyens physiques d'imposer leur loi, celle de la jungle. La croix étant une promesse de bonheur et prospérité pour celui qui s'en empare, Petrunya affirme par son geste irréfléchi son droit à y accéder, elle dont l'existence est marquée par l'exclusion: diplômée d'histoire (intellectuelle donc) mais sans travail, vivant à 32 ans toujours chez ses parents et que son physique non conforme rend "imbaisable" par les mâles décideurs du coin. C'est ce désespoir qui la pousse à transgresser les règles sociales afin d'exister enfin. On peut toutefois regretter un discours trop appuyé avec une Petrunya qui passe de personnage léthargique à personnage subversif sans nuances et une journaliste que je trouve tout à fait inutile. Un huis-clos villageois aurait considérablement renforcé la puissance du film.

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