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Articles avec #drame tag

Tout de suite maintenant

Publié le par Rosalie210

Pascal Bonitzer (2016)

Tout de suite maintenant

Un conte moral comme les aime Pascal BONITZER dans lequel il prend pour cible la haute finance et son "univers impitoyable" comme les hautes sphères politiques dans "Cherchez Hortense" (2011) ou le marché de l'art dans le récent "Le Tableau vole" (2023). Toute une galerie de personnages gravite dans le sillage du cabinet de conseil en fusions-acquisitions où se fait embaucher Nora (Agathe BONITZER) qui gravit rapidement les échelons au grand dam de son collègue Xavier (Vincent LACOSTE) qui n'a pas la chance, comme elle, d'être du sérail. Il faut dire que Nora est la fille d'un ancien camarade de (grande) école de Barsac, le patron (Lambert WILSON) et de son associé (Pascal GREGGORY). Barsac s'empresse d'ailleurs de prendre la jeune recrue sous son aile, tant et si bien que Nora découvre dans la maison de Barsac son double plus âgé en la personne de Solveig (Isabelle HUPPERT), l'épouse de Barsac. Celle-ci qui semble bien névrosée a également très bien connu le père de Nora, Serge Sator (Jean-Pierre Bacri). Quant à l'associé de Barsac, il n'apprécie guère d'être mis sur la touche et le fait savoir, quitte à nuire à lui-même et à la boîte. Peu à peu, on découvre la nature des liens entre tous ces personnages, Lambert WILSON incarnant une fois de plus un requin sans scrupules (comme dans "On connait la chanson") (1997) et Jean-Pierre BACRI, un idéaliste blessé. Le monde de la finance sert de prétexte à des déballages intimistes alors que les jeunes acteurs sont un peu sacrifiés au profit de leurs aînés, même si Vincent LACOSTE fait une prestation tout à fait convaincante. "Tout de suite maintenant" souffre de ce déséquilibre ainsi que d'un certain manichéisme (argent contre science, cynisme contre poésie, amour contre intérêt, coeur contre intelligence etc.) Quelques personnages sont difficiles à cerner comme celui de la bonne des Barsac ou sont survolés comme celui de la soeur de Nora. Bref l'ensemble, quelque peu superficiel et brouillon déçoit.

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Mommy

Publié le par Rosalie210

Xavier Dolan (2014)

Mommy

Au début du film, j'ai cru que le format carré de l'image était dû à un mauvais paramétrage tant il restreint le champ, comme si on regardait à travers des oeillères. Mais il s'agit évidemment d'un choix esthétique reflétant l'enfermement des personnages en eux-mêmes et dans une vie sans perspectives. D'ailleurs le format ne change, temporairement, que deux fois. La première, c'est lors d'un rare moment de plénitude et d'harmonie durant lequel Steve, l'ado tourmenté roule sur la route en skateboard, casque sur les oreilles suivi de près par sa mère et l'amie de celle-ci à vélo sur "Wonderwall" du groupe Oasis, élargissant le cadre en écartant les bras. La deuxième fois, c'est sa mère qui rêve à une autre vie dans laquelle son fils deviendrait adulte et s'accomplirait dans ses études, dans sa vie sentimentale et en tant que père. Evidemment, il n'en est rien et le retour à la réalité est brutal. "Mommy" dépeint ainsi de rares moments de grâce au milieu de la relation fusionnelle et dysfonctionnelle qui unit envers et contre tout une mère cash, excentrique veuve et précaire et son fils, un adolescent TDAH complètement ingérable sur qui plane l'épée de Damoclès de l'internement. Les films de Xavier DOLAN décrivent souvent des relations hystériques ce qui parfois m'indispose. Cependant ici, il introduit un élément d'équilibre à travers le personnage de la voisine, Kyla qui devient l'amie, la confidente et le soutien du duo. Kyla qui est douce, posée, apaisante tout en étant ferme, attentive et peu loquace et pour cause, elle bégaie. Un défaut d'élocution qui ne semble pas de naissance mais lié à un traumatisme, la jeune femme ayant suspendu son activité d'enseignante et semblant coupé du reste de sa famille, laquelle comporte un membre manquant: son fils. Grâce à elle, une nouvelle famille prend corps, fragile, temporaire mais qui montre qu'un autre monde est possible et c'est justement cela qui élargit le cadre et donne quand même de l'espoir. J'ajoute que le duo des deux actrices fétiches de Xavier DOLAN, Anne DORVAL et Suzanne CLEMENT fonctionne extrêmement bien tant elles sont à la fois semblables et complémentaires. Antoine-Olivier PILON est tout aussi remarquable, rendant Steve tantôt aussi effrayant qu'une bête sauvage et tantôt attachant comme le petit garçon qu'il est encore par certains aspects. Bref, "Mommy" est le film de la maturité pour Xavier DOLAN qui sans renoncer à son identité, en maîtrise bien mieux les caractéristiques que dans ses premiers films (la bande-son des années 90, les ralentis sont bien mieux dosés et font tous sens au même titre que les relations entre protagonistes sont mieux équilibrées).

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Missing/Porté disparu (Missing)

Publié le par Rosalie210

Costa-Gavras (1982)

Missing/Porté disparu (Missing)

Le film Missing, l'un des meilleurs Costa-Gavras, palme d'or au festival de Cannes en 1982 est une adaptation du livre de Thomas Hauser "The Execution of Charles Horman: An American Sacrifice" sorti quatre ans auparavant. Il évoque le destin authentique d’un jeune Américain de gauche « disparu » au Chili dans les jours tumultueux qui ont suivi le coup d’État militaire du 11 septembre 1973. Il retrace également l’enquête, douloureuse et compliquée, à laquelle se livrèrent sur place le père du « disparu », Ed, et l’épouse, Joyce (renommée Beth dans le film à sa demande), jusqu’à découvrir enfin que Charles avait été exécuté par les militaires chiliens, avec la complicité des autorités américaines, parce qu’il en savait trop sur la participation de celles-ci à l’organisation du putsch du général Pinochet. 

La réussite de Costa-Gavras réside dans le fait d'avoir su convertir ces événements historico-politiques en expérience humaine sensible. On n'est pas prêts d'oublier le cauchemar dans lequel sont plongés les civils, confrontés sans cesse à des visions d'horreur et à un stress intense. Costa-Gavras rend palpable le régime de terreur instauré par Pinochet avec une bande-son riche en coups de feu, en crissements de pneus, en vrombissements de pales d'hélicoptères. Il montre aussi visuellement la violence s'abattant sur des femmes attendant à un arrêt de bus parce qu'elles portent des pantalons (un signe d'émancipation abhorré par le fascisme réac, de même que les cheveux longs pour les hommes) ou bien frappant au hasard des personnes embarquées de force dans des voitures sous les yeux de leurs enfants. Les exactions prennent également des tournures symboliques comme la scène où Beth assiste à la course éperdue d'un magnifique cheval blanc poursuivi par les soldats. Un autre animal-totem subit également leur brutalité, le canard qui servait de modèle à Charles pour ses dessins de BD. Les écrits sont d'ailleurs une cible, les scènes d'autodafés, "crimes contre l'esprit" étant nombreuses. Jack Lemmon qui déploie toute sa puissance de jeu humaniste (et a reçu un prix d'interprétation mérité à Cannes) nous fait vivre de l'intérieur la descente aux enfers de son personnage d'américain conservateur découvrant l'hypocrisie et le cynisme des autorités de son pays: un voyage de l'autre côté du miroir qui lui permet par contraste de découvrir la vraie valeur de son fils, de Beth (Sissy Spacek) mais aussi la sienne, cette part de lui-même qu'il a transmis inconsciemment à Charles et qu'il avait toujours dénigré jusque là. Bouleversant.

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Le goût de la cerise (Ta'm-e gilās)

Publié le par Rosalie210

Abbas Kiarostami (1997)

Le goût de la cerise (Ta'm-e gilās)

La première fois que j'ai vu "Le goût de la cerise" de Abbas Kiarostami, palme d'or ex-aequo avec "L'Anguille" au festival de Cannes, j'ai eu l'impression de passer à côté. J'ai d'ailleurs oublié l'intrigue. Mais je me suis aperçue avec le recul du temps qu'un image revenait à ma mémoire à chaque visionnage d'un film aux caractéristiques similaires: celle du véhicule qui serpente dans un paysage de collines arides comme une métaphore du chemin qu'emprunte l'existence jusqu'au moment où elle s'arrête. Ce que j'avais en revanche oublié, c'est l'ambiguïté de la scène inaugurale où l'on voit un homme aborder des inconnus depuis sa voiture pour les convaincre de monter à bord. Puis, pour ceux qui acceptent, la proposition "d'un travail bien payé" dont il refuse de dévoiler la nature. C'est franchement trouble et je pense que c'est l'effet recherché. Car on ressent particulièrement bien le malaise du premier des trois passagers, le jeune soldat qui croit d'abord que l'homme va juste le déposer à sa caserne et se sent au fil des minutes pris au piège au fur et à mesure que le véhicule s'en éloigne et que l'homme dévoile ses intentions après un interrogatoire de plus en plus intrusif. Même si ce que souhaite M. Badii n'est pas ce à quoi l'on pense, il s'agit bien d'un tabou dans la théocratie iranienne, quoique la condamnation du suicide soit commune à la plupart des doctrines religieuses qui font l'apologie de la vie et de la soumission à Dieu. Par conséquent l'idée de demander de l'aide à un séminariste ne peut mener qu'à une impasse, les divergences de point de vue étant irréconciliables. Cependant l'atmosphère du film change avec le troisième passager qui travaille au Museum d'histoire naturelle. Déjà parce qu'il a accepté la proposition de M. Badii lorsqu'on le découvre à la suite d'une ellipse mais aussi parce qu'il lui demande de bien réfléchir avant et de mesurer tout ce qu'il va perdre. La quête change alors de direction. Il ne s'agit plus de trouver quelqu'un pour mourir mais d'accomplir ou pas le geste fatal. Et en parfaite symbiose avec l'ode à la vie prononcée par le vieil homme, le paysage traversé se fait verdoyant, coloré et de l'eau apparaît. Le fait également que les trois hommes pris par M. Badii soient étrangers (un kurde, un afghan, un turc) n'est certainement pas innocent. Son choix final n'est pas montré, le film laissant la fin ouverte en bifurquant au dernier moment dans une tout autre direction, celle de son tournage, filmé en vidéo comme un album de famille. Une ultime dérobade qui laisse le spectateur seul avec ses questionnements.

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Fish Tank (Fish Tant)

Publié le par Rosalie210

Andrea Arnold (2009)

Fish Tank (Fish Tant)

"Fish Tank" exploite la métaphore de l'aquarium pour dépeindre le parcours d'une adolescente défavorisée qui tel un poisson rouge, tourne en rond dans son bocal à la recherche d'une issue. Aussi l'histoire combine absence d'horizons et désillusions sans pour autant être déprimant ni supprimer tout espoir. Mia (Katie Jarvis) est une combattante qui parcourt son territoire désolé avec la rage au ventre, serrée de près par la caméra à la manière de la Rosetta des frères Dardenne ce qui confère à la mise en scène une nervosité, une tension, un sentiment d'urgence permanent. Elle vit dans une cité HLM de la banlieue de Londres au milieu d'une famille monoparentale dysfonctionnelle. La mère (jouée par Kierston WAREING vue chez Ken Loach ce qui n'est pas un hasard)  est immature et néglige ses filles qui grandissent comme elles le peuvent. La plus jeune, Tyler que l'on voit souvent devant une télévision allumée en permanence est "attachiante" avec comme réflexe de survie un talent pour les réparties humoristiques. Mia, plus renfermée et impulsive est déscolarisée, désocialisée et durant tout le film, l'épée de Damoclès d'un internement en centre surveillé plane sur elle. Il n'est guère étonnant dans ce contexte que la vision d'une jument attachée au milieu d'un terrain vague la bouleverse. Si ses efforts pour la libérer restent vains, c'est tout de même de ce no man's land que finit par surgir sa seule véritable porte de sortie au travers d'un jeune gitan retapant une voiture avec lequel elle se lie. Auparavant, Mia tente de s'extraire de sa situation par la danse hip-hop qui est son exutoire. Les personnages ne sont jamais réduits à leur misère sociale, leur part de créativité se fraie un chemin malgré tout mais on n'est pas pour autant dans une success-story. Le résultat final est donc une déception, l'audition n'étant qu'un prétexte pour recruter de jeunes corps féminins exploitables par le désir concupiscent masculin. Même déboire auprès de l'amant de sa mère, Connor (Michael Fassbender) qui se pose en père de substitution et en "prince charmant" avant d'abuser de la situation. Mia découvre alors l'ampleur de son imposture. La scène de Fish Tank que je trouve la plus forte est celle où elle observe ce dernier, garé devant son pavillon sortir les courses avec sa femme pendant que sa fillette, Keira, vêtue en princesse fait de la trottinette sous ses yeux. Comme une image de son exclusion et d'un bonheur auquel elle n'aura jamais droit. Mais s'agit-il vraiment d'un bonheur que celui de ce modèle patriarcal basé sur la duplicité et le narcissisme? Quand Keira tombe à l'eau, j'ai pensé à "Frankenstein", heureusement avec une issue moins dramatique. Mais pour Mia, l'issue ne peut se faire qu'en marge de cette société conformiste, hypocrite, cynique et sans scrupules. Lucide, juste et brillant.

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Ressources humaines

Publié le par Rosalie210

Laurent Cantet (1999)

Ressources humaines

Laurent Cantet nous a quittés le 25 avril 2024. De lui, je connais deux films: "Entre les murs" qui lui a permis de décrocher la Palme d'or à Cannes en 2008 et "Ressources humaines", son premier long-métrage. Ces films se caractérisent par leur équilibre entre enjeu social et enjeu romanesque auquel correspond une forme hybride, entre documentaire et fiction, porté par des acteurs en majorité non-professionnels qui jouent leur propre rôle dans la vie. L'aspect documentaire social dans "Ressources humaines", c'est la vie d'une entreprise dans toutes les strates de sa hiérarchie: les ouvriers, les contremaîtres, les délégués syndicaux (dont l'intraitable cégétiste Madame Arnoux), la secrétaire, le DRH et le patron. C'est aussi un drame de la lutte des classes sur fond de réforme des 35 heures où planent les restructurations frappant les ouvriers spécialisés les plus âgés et les moins rentables. Presque un documentaire historique tant la désindustrialisation a rendu le travail à la chaîne exotique sur notre territoire. Là-dessus se greffe un récit initiatique ayant pour personnage principal Frank (Jalil Lespert) qui tout juste sorti d'une école de commerce se retrouve à faire un stage dans l'entreprise où son père ouvrier travaille depuis 30 ans. "Ressources humaines" résonne alors comme une variante cinématographique du livre d'Annie Ernaux, "La Place" et dramatise les enjeux autour des transfuges de classe. Frank est regardé de travers par son ancien milieu qui lui reproche sans le lui dire sa défection mais il n'est pas pour autant vraiment intégré dans son milieu d'accueil dont il ne maîtrise pas les règles et dans lequel il ne se reconnaît pas. Aussi son idée de changer le système en impliquant les ouvriers dans les décisions de l'entreprise est d'une grande naïveté. Lui-même ne se rend d'ailleurs pas tout de suite compte qu'il est manipulé par sa hiérarchie. Si l'idée de faire licencier le père par le fils n'est guère réaliste, évidemment sur le plan symbolique, il en va tout autrement. On s'interroge alors sur les contradictions de ce père soumis et consciencieux qui explique avec fierté à son fils comment fonctionne sa machine mais qui a tout fait pour qu'il le renie, quitte à ce qu'il ne sache plus qui il est et où est sa place.

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Les Hauts de Hurlevent (Wuthering Heights)

Publié le par Rosalie210

Andrea Arnold (2010)

Les Hauts de Hurlevent (Wuthering Heights)

Des trois versions du roman d'Emily Brontë que j'ai vue, celle-ci est celle qui m'a le plus convaincue. Il faut dire que celle de William WYLER bien que de bonne facture était trop corsetée par le classicisme hollywoodien. Quant à celle de Peter KOSMINSKY, tout aussi propre sur elle, elle était franchement bancale. Difficile de faire passer à l'écran le bruit et la fureur du livre. D'ailleurs le dernier biopic consacré à l'autrice, "Emily" (2022) en dépit de quelques moments inspirés était d'un conformisme affligeant, contrairement au film de Andre TECHINE qui restituait l'univers âpre, austère dans lequel elle vivait et son caractère de sauvageonne (et puis Isabelle ADJANI était parfaite pour le rôle). L'adaptation de son roman par Andrea ARNOLD m'a séduit par sa radicalité et son ultra-sensorialité. On se croirait chez Jane CAMPION! Cette version taiseuse et atmosphérique qui colle à la peau de Heathcliff à la manière d'un Luc DARDENNE & Jean-Pierre DARDENNE ou d'un Jacques AUDIARD restitue la rudesse et la sauvagerie du roman à l'aide du langage de la nature. Que ce soit en plans larges ou au contraire, très serrés, le vent souffle dans la lande, la pluie s'abat en trombes, la boue colle aux vêtements, les insectes prolifèrent. Quant aux mammifères, ils subissent la violence de Heathcliff qui se venge sur eux de la maltraitance et de l'ostracisme qu'il se prend de plein fouet de la part du milieu puritain qui le rejette sans parvenir à se débarrasser de lui. Le fait d'avoir accentué son altérité en le dépeignant comme un ancien esclave métis s'avère éclairant sur les mécanismes de domination et de vengeance à l'oeuvre. Quant à Catherine, son déchirement entre sa nature indomptable (symbolisée par sa relation fusionnelle avec son âme soeur) et sa domestication à marche forcée éclaire tout autant sa mort prématurée: nul ne survit longtemps face à pareil dilemme intérieur. Onirique et puissant.

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Killers of the Flower Moon

Publié le par Rosalie210

Martin Scorsese (2023)

Killers of the Flower Moon

Bien que le livre de David Grann, "La Note américaine" ne puisse pas totalement, faute d'archives, documenter la totalité des faits relatifs aux meurtres des Osage dans l'entre-deux-guerres parallèlement à la naissance du FBI, son enquête exhume un pan sordide du passé des USA. Rien que le choix de porter à l'écran un tel livre montre s'il en était encore besoin l'engagement de Martin SCORSESE d'écrire cinématographiquement une autre histoire de l'Amérique que celle, officielle des vainqueurs.

"Killers of the flower moon" est pourtant quelque peu différent d'autres grandes fresques de sa filmographie. Son traitement est classique, voire académique (mais certainement pas télévisuel comme j'ai pu le lire, rien que par sa durée, il n'entrerait pas dans la case du téléfilm!) et c'est à l'évidence un choix délibéré. Il faut donc chercher autre part les audaces stylistiques auxquelles le réalisateur nous a habituées, audaces mises au service de l'histoire. Encore que la petite musique ironique de la fin qui tourne en dérision le verdict du procès n'est pas sans rappeler la première bataille de "Gangs of New York" (2002) transformée en pugilat grotesque. Il y a d'abord le choix du personnage principal, Ernest Burkhart (Leonardo DiCAPRIO) qui est tout à fait atypique. L'acteur ne devait pas à l'origine incarner ce personnage mais plutôt l'enquêteur du FBI (un rôle purement fonctionnel) et il a bien fait de changer de rôle. Car cet Ernest est pour le moins dérangeant en tant que figure majeure du déni. Il incarne une Amérique que celle-ci ne veut pas voir et lui-même d'ailleurs refuse de se voir tel qu'il est et ce, jusqu'à la fin du film. Il se dépeint comme un américain type, bon mari et bon père dont les actions ont été guidées par le souci de protéger sa famille. Son pire aveuglement concerne sa femme qu'il croit sincèrement aimer alors que ses actes visent à la détruire, elle et sa famille. Car en réalité, il est guidé par sa cupidité et sa soumission à son oncle, William Hale (Robert De NIRO) qui est le cerveau du complot visant à éliminer les Osage pour prendre leurs richesses. Car le deuxième choix fort du film réside dans la centralité de ce personnage de grand manipulateur au sourire affable et dans la description du système mafieux et meurtrier qu'il a mis en place, rendu possible par l'écoeurante mise sous tutelle du peuple Osage, victime des préjugés racistes des dirigeants des USA. Si la justice fédérale n'en était qu'à ses balbutiements, en revanche pour envoyer des administrateurs gérer l'argent et les biens de ce peuple indien déplacé qui découvre que dans la réserve qu'on leur a attribuée l'or noir coule à flots, le gouvernement n'a pas perdu de temps. Comme dans "La Perle" de John Steinbeck, la richesse des Osage est en même temps une malédiction qui attire sur eux la convoitise et la haine dans un système dominé par les blancs et où les dés sont donc pipés dès le départ. Ceci étant, c'est parce qu'ils sont riches que les Osage peuvent tout de même agir jusqu'au sommet de l'Etat et qu'une enquête finit par voir le jour. Enquête qui révèle le plan diabolique de William Hale, comparable à celui de Mme de Villefort dans "Le Comte de Monte-Cristo" qui empoisonne un à un les membres de sa famille par alliance pour que l'héritage finisse entre les mains de son clan. Enfin, le troisième choix fort s'appelle Lily GLADSTONE. Le secret le mieux gardé du cinéma de Kelly REICHARDT a tapé dans l'oeil de Martin SCORSESE qui lui confie le rôle de Mollie, l'épouse d'Ernest qui voit mourir un par un les membres de sa famille avant d'être empoisonnée à petit feu. Le fait que les Oscar aient boudé le film et raté une occasion historique de couronner une actrice d'origine indigène est révélateur du déplaisir que celui-ci suscite et donc, que Martin SCORSESE a visé juste.

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Un Secret

Publié le par Rosalie210

Claude Miller (2007)

Un Secret

Même si "Un Secret" est l'adaptation du livre autobiographique de Philippe Grimbert, il porte la signature de Claude MILLER. Le personnage principal de l'histoire, enfant et adolescent chétif est hanté par le fantôme d'un grand frère solaire, fort, athlétique, le double en miniature du père et de la mère. Un père obsédé par le sport, désireux d'effacer les traces de sa judéité en le faisant baptiser et en francisant leur nom mais qui échoue à sculpter le corps de son fils, refusant de l'accepter tel qu'il est comme le montrent les scènes du miroir opaque et piqueté dans lequel François se regarde. Face au climat pesant dans sa famille où règnent les non-dits, il se réfugie chez la bienveillante Louise (Julie DEPARDIEU) qui rappelle tant Léone dans "L'Effrontee" (1985), laquelle est, cela ne s'invente pas, kinésithérapeute. C'est Louise qui finit d'ailleurs par lui révéler le secret, que dans son inconscient, il avait bien entendu deviné. On remarque alors que bien avant la guerre, la famille de François se divisait déjà en deux camps: celui de Maxime (Patrick BRUEL) et de Tania (Cecile de FRANCE), tous deux sportifs, faisant tout leur possible pour dissimuler leur véritable identité, Tania ayant en prime l'apparence de la parfaite athlète aryenne, blonde aux yeux bleus, sculpturale et championne de natation. De l'autre, celui de Hannah sa première femme (Ludivine SAGNIER) et de ses parents, fiers au contraire d'exhiber leur judéité et qui disparaissent dans le gouffre de l'histoire, emportant avec eux l'enfant fantasmé par Maxime. François, l'enfant réel agit comme un "retour du refoulé", l'identité maudite resurgissant brusquement à la surface. Les films de Claude MILLER sont remplis de métaphores aquatiques et l'identité secrète fait penser à son premier film "La Meilleure facon de marcher" (1976). Même si j'ai trouvé "Un Secret" inégal (le triangle amoureux est dépeint d'une manière assez convenue et le choix du noir et blanc pour le présent, assez arbitraire), c'est à l'image d'autres films de Claude MILLER une oeuvre sensible et délicate sur l'enfance et d'ailleurs devenu adulte, on découvre que François (alias Philippe Grimbert) s'occupe d'enfants autistes qu'il tente d'aider à sortir de leur propre enfermement.

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La Rumeur (The Children's Hour)

Publié le par Rosalie210

William Wyler (1961)

La Rumeur (The Children's Hour)

On dit que la vérité sort toujours de la bouche des enfants... mais parfois bien cruellement. Parce que la petite bourgade puritaine dépeinte dans "La Rumeur" fait penser à celle de "Tout ce que le ciel permet". Aucun "écart" à la norme n'est toléré, et le mensonge accouche d'une douloureuse vérité. Le film de William Wyler s'inscrit lui-même dans un contexte compliqué. La censure du code Hays s'était suffisamment relâchée au début des années 60 pour qu'il puisse adapter de nouveau la pièce de Lillian Hellman après une première tentative en 1936, cette fois en respectant son intrigue mais pas assez pour que le mot "homosexualité" soit prononcé. Si bien que "la chose dont on ne doit pas prononcer le nom"* est murmurée à l'oreille ou bien derrière une porte derrière laquelle rien ne peut s'entendre. Si la rumeur est colportée par une petite peste manipulatrice, celle-ci n'est que le reflet du monde vicié dans lequel elle grandit. Les enfants ont des antennes et Mary est du genre à écouter aux portes. Wyler a sans doute voulu malmener l'image de l'enfant angélique du cinéma hollywoodien pour casser le miroir dans lequel il aime se regarder. Mary est mauvaise parce que remplie du mal-être qui gangrène son environnement, tout comme sa camarade Rosalie qui exprime son trouble par la kleptomanie, moyen d'emprise qu'utilise Mary pour souffler sur les braises. La rumeur prend d'autant mieux qu'avant même qu'elle se propage, de petits riens laissaient déjà entrevoir ce fameux "écart à la norme" à propos de Karen et Martha, les deux fondatrices d'une école privée ultra-select pour jeunes filles de bonne famille. Le manque d'empressement à épouser le médecin Joe Cardin pour Karen, la jalousie manifeste de Martha à l'égard de ce dernier, une fausse note à la fin d'un concert, des chamailleries entre pensionnaires en coulisse, les allusions de la tante de Martha (Miriam Hopkins) sont autant de signes évidents que quelque chose est en train de se gripper au royaume des bonnes moeurs. Bonnes moeurs selon lesquelles des femmes menant leur barque sans un homme à leur côté sont toujours quelque peu suspectes, sauf quand il s'agit de bonnes soeurs ou de vieilles filles. La facilité avec laquelle les parents se laissent convaincre d'une relation "contre-nature" entre les deux femmes laisse à penser qu'ils en étaient déjà inconsciemment convaincus. Karen et Martha passent en un clin d'oeil du statut de directrices modèle à celui de lesbiennes corruptrices de jeunes enfants avec un amalgame implicite entre homosexualité et pédocriminalité. Non seulement elles perdent leur travail, mais elles sont tellement ostracisées qu'elles ne peuvent plus sortir de chez elles et Karen perd son fiancé qui ne lui fait pas assez confiance pour rester avec elle contre vents et marées. Si William Wyler a voulu montrer dans le film les ravages qu'un mensonge peut provoquer dans la vie des personnes qui en sont les victimes, il montre aussi le visage hideux d'une certaine Amérique grégaire et bien-pensante prête à lyncher tous ceux qui ne reflètent pas son narcissisme pur et parfait. L'ombre de la chasse aux sorcières plane sur le film alors que les deux jeunes femmes sont accusées et condamnées par la communauté mais aussi par le système judiciaire. Dans un contexte aussi répressif socialement, judiciairement, moralement, une relation homosexuelle ne peut pas exister, elle est refoulée, impensée. Et lorsque Martha finit par réaliser que le mensonge recèle une part de vérité, à savoir qu'elle aime Karen ce qu'elle finit par lui avouer, elle se punit de son coming-out de la pire des manières, enfonçant le dernier clou dans le cercueil de leur tragédie commune. A la tragédie du mensonge se superpose donc celle de la vérité, un déplacement qui rend le film bien plus complexe qu'il n'y paraît. Si la prestation de Audrey Hepburn est tout en retenue, son trouble étant simplement suggéré sans que rien de son intériorité ne soit dévoilé, celle de Shirley Mac Laine est absolument remarquable, particulièrement la détresse qu'elle manifeste lorsqu'elle découvre sa véritable identité dans un monde qui ne l'accepte pas.

* Rappelons que la même année sortait au Royaume-Uni "Victim" de Basil Dearden où le mot "homosexualité" était prononcé pour la première fois.

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