Chantage (Blackmail)
Alfred Hitchcock (1929)
"Chantage" est un tournant dans la filmographie de Alfred HITCHCOCK. D'abord parce que c'est son premier film parlant et le premier film parlant du cinéma britannique. La transition est d'ailleurs très marquée dans le film qui fut d'abord tourné en version muette avant que le réalisateur n'obtienne les moyens techniques de le rendre parlant. Il fallut alors retourner certaines scènes tandis que l'actrice principale, Anny ONDRA fut postsynchronisée (ce qui était une nouveauté) à cause de son accent étranger trop prononcé. Les premières scènes du film sont restées muettes (on voit les lèvres bouger mais aucun son n'en sort) sans que la compréhension de l'intrigue n'en soit affectée tant Alfred HITCHCOCK démontre déjà à cette époque sa maîtrise du récit par l'image. D'autres sont sonorisées mais dépourvues de dialogue. Il s'agit de toutes celles qui montrent le trouble et l'errance d'Alice White après son geste fatal. La mise en scène adopte la subjectivité d'une personne qui subit ce qui s'apparente à du stress post-traumatique ce qui est très moderne. L'enseigne lumineuse publicitaire clignotante qui dans l'hallucination d'Alice devient un poignard répétant son geste à l'infini est une image particulièrement éloquente.
Car "Chantage" est aussi la matrice de toute l'oeuvre à venir de Alfred HITCHCOCK. Citons la prédilection pour le genre policier, la blondeur de l'héroïne, une étreinte mortelle faisant penser à une scène d'amour, les ellipses au profit de gros plans sur des détails "clés" (y compris sonores!), un mode opératoire qui annonce celui de "Le Crime était presque parfait" (1954), le thème du faux coupable (subverti ici, la coupable ayant agi en état de légitime défense et l'innocent accusé à tort étant une crapule au casier judiciaire chargé ce qui place le spectateur dans une position morale inconfortable), une scène d'action spectaculaire sur les cimes d'un monument très connu (ici le British Museum) ou encore un dénouement qui si Alfred HITCHCOCK avait pu obtenir le feu vert des producteurs aurait ressemblé à celle de "Vertigo" (1958) c'est à dire une boucle temporelle dans laquelle la jeune femme aurait été obligé de répéter son geste comme enfermée dans une fatalité renvoyant à l'image publicitaire simulant le mouvement d'un coup de poignard répété à l'infini. Du très grand art!