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Articles avec #drame tag

Chantage (Blackmail)

Publié le par Rosalie210

Alfred Hitchcock (1929)

Chantage (Blackmail)

"Chantage" est un tournant dans la filmographie de Alfred HITCHCOCK. D'abord parce que c'est son premier film parlant et le premier film parlant du cinéma britannique. La transition est d'ailleurs très marquée dans le film qui fut d'abord tourné en version muette avant que le réalisateur n'obtienne les moyens techniques de le rendre parlant. Il fallut alors retourner certaines scènes tandis que l'actrice principale, Anny ONDRA fut postsynchronisée (ce qui était une nouveauté) à cause de son accent étranger trop prononcé. Les premières scènes du film sont restées muettes (on voit les lèvres bouger mais aucun son n'en sort) sans que la compréhension de l'intrigue n'en soit affectée tant Alfred HITCHCOCK démontre déjà à cette époque sa maîtrise du récit par l'image. D'autres sont sonorisées mais dépourvues de dialogue. Il s'agit de toutes celles qui montrent le trouble et l'errance d'Alice White après son geste fatal. La mise en scène adopte la subjectivité d'une personne qui subit ce qui s'apparente à du stress post-traumatique ce qui est très moderne. L'enseigne lumineuse publicitaire clignotante qui dans l'hallucination d'Alice devient un poignard répétant son geste à l'infini est une image particulièrement éloquente.

Car "Chantage" est aussi la matrice de toute l'oeuvre à venir de Alfred HITCHCOCK. Citons la prédilection pour le genre policier, la blondeur de l'héroïne, une étreinte mortelle faisant penser à une scène d'amour, les ellipses au profit de gros plans sur des détails "clés" (y compris sonores!), un mode opératoire qui annonce celui de "Le Crime était presque parfait" (1954), le thème du faux coupable (subverti ici, la coupable ayant agi en état de légitime défense et l'innocent accusé à tort étant une crapule au casier judiciaire chargé ce qui place le spectateur dans une position morale inconfortable), une scène d'action spectaculaire sur les cimes d'un monument très connu (ici le British Museum) ou encore un dénouement qui si Alfred HITCHCOCK avait pu obtenir le feu vert des producteurs aurait ressemblé à celle de "Vertigo" (1958) c'est à dire une boucle temporelle dans laquelle la jeune femme aurait été obligé de répéter son geste comme enfermée dans une fatalité renvoyant à l'image publicitaire simulant le mouvement d'un coup de poignard répété à l'infini. Du très grand art!

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Haceldama ou le prix du sang

Publié le par Rosalie210

Julien Duvivier (1919)

Haceldama ou le prix du sang

"Haceldama ou le prix du sang" est le premier film de Julien DUVIVIER (alors âgé de 22 ans et ancien assistant entre autre de Louis FEUILLADE et Marcel L HERBIER) qui en est l'auteur complet (réalisateur, scénariste, producteur et monteur). C'est aussi le premier long-métrage de fiction français tourné dans le Limousin. Catalogué comme un western made in France en raison de nombreux emprunts au genre venu des USA et qui faisait alors fureur dans l'hexagone (cow-boy, cheval, revolver braqué face caméra, plans panoramiques sur de grands espaces naturels magnifiés, bagarres au corps à corps), le film se situe en réalité au carrefour de plusieurs genres. On y décèle l'influence du film d'aventures, du film religieux (Haceldama, "le champ du sang" est le mont où Judas Iscariote se pendit d'après l'Evangile selon Saint-Jean), du film fantastique et surtout du mélodrame familial avec de nombreux gros plans figés très théâtraux dans des intérieurs bourgeois et un jeu outrancier formant un contraste avec les codes du western (plans larges en extérieur, jeu naturel, scènes d'action donnant la possibilité au corps de déployer ses possibilités). Ces hésitations sur le genre du film recoupent un scénario confus mêlant plusieurs intrigues seulement esquissées (une histoire de vengeance, une histoire d'amour, une histoire de rédemption, une histoire de trahison) menant toutes au personnage du patriarche ( SÉVERIN-MARS, extrêmement charismatique). Mais si le scénario est bancal, la mise en scène, le choix de décors extérieurs plus majestueux les uns que les autres (dont beaucoup ont disparu aujourd'hui sous les aménagements, la région étant plus sauvage qu'aujourd'hui) et la photographie sont remarquables. Certains passages (la fin notamment) n'ont rien à envier aux meilleurs westerns américains.

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Le Métis (The Half-Breed)

Publié le par Rosalie210

Allan Dwan (1916)

Le Métis (The Half-Breed)

Quelques mois après l'histoire édifiante de "Paria de la vie" (1916), Allan DWAN toujours supporté par D.W. GRIFFITH a réalisé un autre western avec Douglas FAIRBANKS, "Le Métis" autrement plus audacieux. Le titre est en effet lourd de sens pour qui connaît la culture américaine, son ségrégationnisme et sa phobie du métissage. Le racisme de "Naissance d une nation" (1915) de D.W. GRIFFITH atteignait d'ailleurs son paroxysme avec le personnage du mulâtre, Silas Lynch considéré comme l'ennemi de l'intérieur par excellence, le traître absolu.

Cependant "Le Métis" est fait d'un autre bois et est même avant-gardiste pour l'époque en faisant du supposé traître un héros au coeur pur, en donnant aux femmes des rôles consistants et en offrant en prime une satire mordante de la civilisation blanche. Même s'il s'agit de l'adaptation d'une nouvelle de Bret Harte, on sent poindre la personnalité de Anita LOOS, la première grande scénariste hollywoodienne, autrice du roman à l'origine de "Les Hommes préfèrent les blondes" (1953) et que D.W. GRIFFITH avait qualifié de "jeune femme la plus brillante du monde". Douglas FAIRBANKS dans un contre-emploi* interprète donc un jeune homme dont la mère indienne, abusée par un homme blanc s'est suicidée après lui avoir donné naissance. Après la mort de son tuteur, un vieil ermite (personnage vivant donc en dehors de la société), "Lo Dorman" ("L'eau dormante" comme on l'appelle) se retrouve de son propre aveu condamné à l'exil perpétuel car il ne trouve sa place nulle part. Il vit donc dans la forêt (celle des séquoias géants de Californie), à l'écart du petit monde de la ville voisine dont un portrait au vitriol nous est offert. La plume de Anita LOOS ironise sur les cartons à propos de la "supériorité" des blancs alors que les images tout aussi incisives de Allan DWAN nous montrent la dégénérescence des saloons et l'hypocrisie du pasteur qui prétend moraliser les brutes alcoolisées et/ou accro au jeu et aux filles mais qui défend âprement son bifteck à savoir le choix de son futur gendre dans lequel ne figure évidemment pas Lo Dorman. Parallèlement, le scénario offre deux rôles féminins de caractère: celui de Nellie la fille du pasteur, séductrice, manipulatrice mais également attirée par la transgression. Et celui de Térésa, une anglo-mexicaine au sang chaud qui n'hésite pas à jouer de son poignard quand son honneur est bafoué et trouve en "Lo Dorman" une âme soeur et un compagnon d'infortune. Par opposition à la dépravation de la ville, la forêt est filmée comme un lieu de ressourcement et a même un petit côté magique.

* Il n'y reviendra pas, préférant par la suite la sécurité de rôles mettant en valeur ses qualités athlétiques et son grand sourire "ultra brite".

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Frontière chinoise (Seven Women)

Publié le par Rosalie210

John Ford (1966)

Frontière chinoise (Seven Women)

Dernier film de John Ford, "Frontière chinoise" possède l'un de ces titres français cache-sexe (au sens propre!) destinés à camoufler la part de sensibilité féminine de ses films dans un but grossièrement commercial*. Pourtant, difficile de masquer le fait que celui-ci (qui se nomme "Seven women" en VO) n'a que des femmes pour protagonistes principaux. Film méconnu n'existant pas en DVD en France (comme nombre de classiques), "Seven women" est pourtant un très beau film-testament qui reprend la plupart des motifs fordiens.

Si la part féminine des films de John Ford est évidente pour qui connaît un peu sérieusement le cinéaste, elle reste le plus souvent dans l'ombre. Elle constitue la plupart du temps un terreau ou un socle sur lequel peuvent pousser et s'appuyer les personnages masculins du cinéaste, terreau sans lequel ils sont condamnés à s'égarer. Dans "La Charge héroïque", la boussole du capitaine est la tombe de son épouse où il vient régulièrement se recueillir. Sans la femme aimée et perdue, Ethan Edwards ("La Prisonnière du désert") aurait été un être définitivement maudit. Sans Dallas, Ringo Kid ("La Chevauchée fantastique") serait resté un hors-la-loi. Et ne parlons même pas des bandits transformés en "godfathers" par la grâce d'une femme mourante qui leur confie son bébé dans "Le Fils du désert". Car donner, sauver, protéger la vie est une mission sacrée chez John Ford. C'est elle qui constitue la principale boussole morale de ses films. Et "Seven Women" ne déroge pas à la règle. Le fait que pour son dernier film, John Ford ait mis les femmes sur le devant de la scène est donc aussi pour lui une manière de reconnaître l'importance qu'elles ont eu dans sa vie et son cinéma.

La trame de "Seven women" ressemble beaucoup à celle de "La Chevauchée fantastique". Soit une cohabitation-confrontation dans des circonstances de plus en plus dramatiques et dans un espace clos d'un groupe de femmes missionnaires pétries de principes puritains et d'une femme-médecin athée, masculine et libérée. Les épreuves qu'elles vont endurer vont avoir valeur de révélation. Alors que leur directrice (Margaret Leighton) psycho rigide (et rongée par ses frustrations) s'avère impuissante face aux malheurs qui les frappent (elle est même du genre à les aggraver par son comportement borné et son dégoût du sexe et de l'enfantement), le docteur Cartwright en qui se mêlent Dallas, Ringo kid et le docteur Boone prend des décisions destinées à leur sauver la vie ainsi que celle de l'enfant à naître de l'une d'elles, quitte à sacrifier la sienne**. Ce personnage admirable (et remarquablement interprété par Anne Bancroft) devrait figurer depuis longtemps au panthéon des femmes les plus fortes jamais créées par le cinéma américain. Néanmoins, aucun personnage féminin n'est sacrifié. Des nuances subtiles apparaissent entre elles selon leur âge, leur vécu ou leur personnalité. Un enjeu se dessine autour de la plus jeune des missionnaires (jouée par Sue Lyon, aux antipodes de son rôle de Lolita chez Kubrick), la seule qui a encore la vie devant elle. Un temps influencée par la directrice, elle finit par trouver un mentor en la personne du docteur Cartwright. Cette femme en apparence désabusée, revenue de tout (des hommes et d'une société qui l'a privée de la carrière qu'elle aurait mérité si elle avait été un homme), John Ford lui rend un ultime hommage en lui donnant une réplique d'homme rageuse et percutante (celle qu'il aurait prononcé s'il avait été dans sa situation) puis en éteignant les lumières, lui conservant l'intimité de ses derniers instants. 

 

* Les exemples les plus célèbres sont "La Charge héroïque" ("She wore a yellow ribbon" en VO) et "La poursuite impitoyable" ("My Darling Clementine" en VO).

** C'est sans doute une coïncidence mais il y a des points communs entre la trame de "Seven women" et celle de "Breaking the waves". Soit une femme qui se sacrifie dans un noble but en étant pointée du doigt par tout ou partie de la communauté dans laquelle elle vit parce que pour y parvenir elle est contrainte de se prostituer.

Frontière chinoise (Seven Women)

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Daddy Nostalgie

Publié le par Rosalie210

Bertrand Tavernier (1990)

Daddy Nostalgie

Plutôt mésestimé dans la filmographie de Bertrand Tavernier, "Daddy Nostalgie" est un film intimiste sur la fin de vie et la relation complice qui se noue sur le tard entre un père et sa fille. C'est surtout le dernier rôle de l'immense Dirk Bogarde et on peut tout à fait le considérer comme un documentaire sur cet acteur qui s'était retiré du cinéma pour se consacrer à l'écriture 12 ans auparavant* et qui a longtemps vécu (comme dans le film) dans le sud de la France. Jane Birkin qui lui donne la réplique est assez convaincante si l'on accepte son jeu quelque peu maniéré. Bien sûr, "Daddy Nostalgie" ne parvient pas à se hisser à la hauteur de son modèle, "Un dimanche à la campagne" auquel il fait d'autant plus penser que Louis Ducreux y fait une fugitive apparition. On peut notamment reprocher au film un rythme assez indolent, une mise en scène très plate (sauf les quelques flashbacks et passages en voix-off, celle de Bertrand Tavernier lui-même qui esquisse une mise en abyme qui reste sous-développée) et le personnage antipathique de la mère (fort bien joué ceci étant par Odette Laure) qui n'est pas du tout assorti à celui du père. On se demande bien ce que cet anglais raffiné et plein d'élégance, amateur de whisky et de vin blanc a pu trouver en cette commère "made in PACA" qui boit du coca, joue au bridge et profère des insanités racistes en lisant "Le Figaro" (tout en se prétendant de gauche). Forcément, cela rend les quelques passages consacrés au couple complètement creux (sauf quand Daddy avoue qu'ils n'ont plus rien à se dire).

* Il n'avait en effet plus tourné depuis "Despair" de Rainer Werner Fassbinder en 1978.

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Dune

Publié le par Rosalie210

Denis Villeneuve (2020)

Dune

Plus je vois de versions de "Dune", plus je me dis qu'il faut que je lise le roman de Frank Herbert tant ce que j'en perçois est dense, intelligent et pertinent, y compris de nos jours. Je ne pense pas seulement à la géopolitique du pétrole dont j'ai parlé dans mon avis sur le film de David LYNCH mais aussi à la répartition des pouvoirs masculin/féminin et occidentaux/colonisés avec aux côtés des figures de pouvoir patriarcales blanches traditionnelles des femmes puissantes qui agissent dans l'ombre et la résistance souterraine d'un peuple du désert basané au regard bleu dont l'allure dans le film de Denis VILLENEUVE fait penser aux touareg (surnommés "les hommes bleus").

Si je n'ai pas retrouvé dans la version de Denis VILLENEUVE ce qui m'avait agacé dans "Blade Runner 2049" (2017) à savoir le côté prétentieux du "film qui s'écoute penser" et si le récit est dans l'ensemble bien mené, j'ai tout de même constaté qu'il lissait toutes les aspérités qui donnait sa personnalité au film de David LYNCH avec ses monstres et ses délires kitsch et trash. Résultat: un film beau, très beau, stylé même (beau travail de design sur l'allure des vaisseaux-libellules par exemple ou sur l'écosystème du désert) mais complètement aseptisé. Je rejoins de ce point de vue l'avis de Céleste BRUNNQUELL qui comparait esthétiquement le film à une pub Cartier. "Dune" version 2020 est symptomatique d'un cinéma grand public qui se fond dans une imagerie impersonnelle de papier glacé sur laquelle posent des acteurs-mannequins interchangeables. Je préfère de loin une oeuvre imparfaite mais qui exprime l'âme d'un artiste que celle qui est techniquement parfaite mais stérile.

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Le Dernier Duel (The Last Duel)

Publié le par Rosalie210

Ridley Scott (2021)

Le Dernier Duel (The Last Duel)

Plus je vois de versions de "Dune", plus je me dis qu'il faut que je lise le roman de Frank Herbert tant ce que j'en perçois est dense, intelligent et pertinent, y compris de nos jours. Je ne pense pas seulement à la géopolitique du pétrole dont j'ai parlé dans mon avis sur le film de David LYNCH mais aussi à la répartition des pouvoirs masculin/féminin et occidentaux/colonisés avec aux côtés des figures de pouvoir patriarcales blanches traditionnelles des femmes puissantes qui agissent dans l'ombre et la résistance souterraine d'un peuple du désert basané au regard bleu dont l'allure dans le film de Denis VILLENEUVE fait penser aux touareg (surnommés "les hommes bleus").

Si je n'ai pas retrouvé dans la version de Denis VILLENEUVE ce qui m'avait agacé dans "Blade Runner 2049" (2017) à savoir le côté prétentieux du "film qui s'écoute penser" et si le récit est dans l'ensemble bien mené, j'ai tout de même constaté qu'il lissait toutes les aspérités qui donnait sa personnalité au film de David LYNCH avec ses monstres et ses délires kitsch et trash. Résultat: un film beau, très beau, stylé même (beau travail de design sur l'allure des vaisseaux-libellules par exemple ou sur l'écosystème du désert) mais complètement aseptisé. Je rejoins de ce point de vue l'avis de Céleste BRUNNQUELL qui comparait esthétiquement le film à une pub Cartier. "Dune" version 2020 est symptomatique d'un cinéma grand public qui se fond dans une imagerie impersonnelle de papier glacé sur laquelle posent des acteurs-mannequins interchangeables. Je préfère de loin une oeuvre imparfaite mais qui exprime l'âme d'un artiste que celle qui est techniquement parfaite mais stérile.

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La Fièvre de Petrov (Петровы в гриппе, Petrovy v grippe)

Publié le par Rosalie210

Kirill Serebrennikov (2021)

La Fièvre de Petrov (Петровы в гриппе, Petrovy v grippe)

"La Fièvre de Petrov" a été le deuxième long-métrage du cinéaste russe Kirill SEREBRENNIKOV en compétition au festival de Cannes (après "Leto") (2018) et doit sortir dans les salles le 1er décembre 2021. Sa radicalité en a sûrement crispé plus d'un si j'en juge par les spectateurs qui sont sortis de la salle pendant la séance.

Déroutant, "La fièvre de Petrov" l'est, assurément. Et il vaut mieux avoir la tête bien reposée avant tant il frôle l'indigestion, surtout au début. Naviguant entre plusieurs niveaux de temporalité et de réalité, formé de plans-séquence aux mouvements frénétiques et saturés d'informations tant visuelles que sonores permises notamment par la grande profondeur de champ utilisée, "La fièvre de Petrov" nous plonge dans le monde chaotique de son personnage principal, un artiste de BD (double du cinéaste?) qui glisse imperceptiblement (et nous avec) d'une strate à l'autre de sa vie voire en se glissant dans le point de vue d'un autre personnage que lui: présent, passé, fiction, réalité, fantasmes, hallucinations forment une sorte de labyrinthe mental que la caméra parcourt un peu comme au début du film de Brian DE PALMA, "Snake eyes" (1998). Il faut accepter de s'y perdre, de ne pas tout comprendre car cela en vaut la peine. En dépit de son apparence décousue, il s'agit en effet d'un film maîtrisé dont les repères sont des leitmotiv (cercueil, soucoupe, arbre de noël, motifs vestimentaires ou au contraire absence de vêtements) qui tels les fils d'Ariane, permettent de dresser le portrait d'un homme et d'un pays. Celui de l'homme, c'est celui d'un artiste contradictoire. D'un côté c'est un homme malade, alcoolique, voire suicidaire. De l'autre c'est un incessant créatif qui se sert du dérèglement de tous ses sens (pour reprendre la phrase de Rimbaud) afin de créer et qui puise son inspiration dans l'enfance (la sienne au temps de l'URSS et celle de son fils de nos jours finissent par se confondre comme si l'histoire bégayait). Si bien que l'image du corbillard est aussi et en même temps une image festive et que le corps qui s'y laisse prendre s'en échappe pour un extérieur à l'allure de cendres. Il faut dire qu'à l'image de Jafar PANAHI en Iran, Kirill SEREBRENNIKOV subit l'oppression du régime (prison avec sursis et assignation à résidence) ce qui se ressent de par l'aspect confiné du film (ambiance nocturne, couloirs étroits et encombrés, images étouffantes). C'est pourquoi, "La Fièvre de Petrov" est aussi un film politique et sociétal. L'image qu'il donne des russes et de la Russie à de quoi terrifier. A l'image du cinéaste, la société est cadenassée. Les rapports sociaux sont marqués par la violence, tant physique que psychologique et participent de l'ambiance brutale et hystérique qui sature le film. L'environnement est vieillot, poussiéreux, traduisant une économie n'ayant visiblement pas évolué depuis l'URSS. La xénophobie est omniprésente tout comme le sexisme. Quant aux rapports intimes, ils sont plutôt brefs et rugueux, la solitude étant le lot de presque tous les personnages. On apprécia particulièrement la relecture trash de la Reine des neiges qui ressemble davantage à une sorcière qu'à une reine, surtout dans l'époque présente.

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Les Visiteurs du soir

Publié le par Rosalie210

Marcel Carné (1942)

Les Visiteurs du soir

En revoyant "Les visiteurs du soir" j'ai compris pourquoi je n'avais gardé aucun souvenir de ce film alors que celui de "Les Enfants du paradis" (1943) ne m'a jamais quitté. Les deux films ont été tourné dans le même contexte difficile de l'occupation, avec une grande partie des mêmes talents (Marcel CARNÉ, Jacques PRÉVERT, Alexandre TRAUNER, Joseph KOSMA et en ce qui concerne les acteurs ARLETTY et Marcel HERRAND) et tous deux situent leur intrigue dans un passé déconnecté (en apparence) du présent du tournage qui oblige à effectuer de somptueuses reconstitutions d'époque. Pourtant le résultat est totalement différent. "Les Enfants du paradis" (1943) est aussi vivant que "Les visiteurs du soir" est en revanche un film minéral, figé, empesé, lent, théâtral avec des personnages qui ressemblent presque tous à des statues de cire ou à des pions sur un échiquier. C'est particulièrement frappant avec le personnage joué par ARLETTY, Dominique qui n'exprime aucune émotion et agit comme un robot (ou si elle proteste, c'est pour la forme "j'aurais préféré le jeune"). Son pendant masculin, Gilles (Alain CUNY) est censé faire de même mais lui est touché par l'amour et désobéit au diable. On passera sur le cliché sexiste douteux qui colle comme un sparadrap au Moyen-Age (la femme est la créature du diable alors que l'homme est touché par la grâce) au profit de la lecture sans doute pertinente de ce conte fantastique à l'aune des préoccupations de l'époque. Le diable (Jules BERRY, seul acteur guilleret dans un film qui semble être un concours de celui qui fera le plus la gueule) et ses deux ménestrels peuvent très bien symboliser les nazis venus occuper la "forteresse France" et la détruire de l'intérieur alors que l'amour incorruptible de Gilles et de la fille du baron, Anne (Marie DÉA) symbolise la résistance. Ce n'est tout de même pas spécialement subtil. Résultat de toutes ces carences: le film fait aujourd'hui daté et vaut surtout pour ses images, la photographie mettant en valeur la magnificence de décors et de costumes directement inspirés des très riches heures du Duc de Berry.

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La Horde sauvage (The Wild Bunch)

Publié le par Rosalie210

Sam Peckinpah (1969)

La Horde sauvage (The Wild Bunch)

La violence de "La Horde sauvage" qui a fait l'effet d'une bombe lors de sa sortie est celle d'un monde désenchanté. C'est l'un des films qui permettent de toucher du doigt ce que signifie un monde sans Dieu (au sens large c'est à dire un monde sans foi ni loi... ou presque*). Le western classique est mort et ses valeurs avec. Il y a comme une odeur de charnier qui règne dans le film avec une fin dans laquelle planent les vautours. On y voit des bandits loqueteux, des soldats impuissants et déboussolés, une ligue de vertu tournée en ridicule et deux cow-boys charismatiques mais vieillissants et désabusés, Pike (William HOLDEN) et Deke (Robert RYAN) que seul un concours de circonstances a séparé de part et d'autre de la barrière de la légalité. Mais dans la chasse à l'homme que constitue "La Horde sauvage" le plus à plaindre est celui qui doit défendre la loi contre son gré car il est absolument seul face au néant qui s'étend devant lui. Les autres au moins peuvent assumer leur statut de malfrats moins unis par l'amitié (les sentiments ont peu sinon aucune place dans l'univers du film où c'est le monde du chacun pour soi qui règne) ou même par l'appât du gain (rapidement mis à la poubelle avec les autres "valeurs") que par un certain anarchisme qui ne dit pas son nom. Di Dieu ni maître, et ce jusqu'au-boutisme mène à des explosions de violence spectaculaires, orgiaques et d'un réalisme inédit pour l'époque (au sens où l'on voit l'impact des balles trouer les chairs et faire gicler le sang) mais dont le spectateur ne perd pas une miette (parce qu'elles sont chorégraphiées et parsemées de ralentis) ciblant les pouvoirs capitalistes et contre-révolutionnaires* et dans laquelle aucune vie, pas même la leur n'a d'importance. Il faut dire que de multiples signes montrent que leur univers se meurt (l'automobile, la mitrailleuse) et que eux-mêmes sont des morts en sursis qui se payent un ultime baroud d'honneur avant de disparaître. Ce nihilisme s'exprime particulièrement par l'insistance de Sam PECKINPAH à montrer le comportement des enfants lors des deux grandes scènes de tueries au début et à la fin du film. Pris au milieu de toute cette violence, ils la reproduisent, soit en devenant de petits soldats au Mexique, soit en jouant à brûler des scorpions et des insectes côté américain. "La Horde sauvage" est tellement iconoclaste qu'il va jusqu'à montrer une locomotive (symbole du "progrès") en marche arrière. Tout un symbole!


* Le contexte de guerre froide dans lequel a été réalisé le film ne peut être occulté, celui-ci étant contemporain de la guerre du Vietnam et du soutien des USA aux dictatures anti-communistes partout dans le monde. L'un des malfrats qui à mon avis n'est pas nommé Angel (Jaime SÁNCHEZ) par hasard est en effet mexicain et révolutionnaire, c'est le seul qui a des convictions et la tuerie finale prend pour point de départ son massacre par le général Mapache et ses soutiens allemands. Et est-ce un hasard si le seul refuge qui s'offre à Deke (qui, séparé des autres n'a pu participer à l'apocalypse finale) est justement le village d'Angel?

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