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Articles avec #melville (jean-pierre) tag

Léon Morin, prêtre

Publié le par Rosalie210

Jean-Pierre Melville (1961)

Léon Morin, prêtre

On est en France. C'est la guerre. Les hommes manquent à l'appel. Ils sont morts, prisonniers, assignés au travail forcé en Allemagne, ou planqués dans le maquis pour ceux qui le refusent le service du travail obligatoire. Leurs femmes, restées à l'arrière sont en manque. En manque d'amour. En manque de sexe (et oui le film "Benedetta" de Paul Verhoeven a mis en lumière que la masturbation féminine se pratiquait de tout temps, dans tous les milieux, y compris religieux, et faisait feu de tout bois si je puis dire ^^). Elles en sont d'autant plus vulnérables. C'est le cas de Barny, cette admirable jeune veuve jouée par Emmanuelle Riva découverte dans le non moins admirable "Hiroshima mon amour" de Alain Resnais. Elle a perdu son mari, juif et communiste. Elle doit protéger sa fille qui en dépit de son prénom, France, n'en est pas moins "demi-juive" donc en danger. C'est pour cette raison qu'elle la fait baptiser car le certificat de baptême est un talisman contre la barbarie nazie et leurs supplétifs français particulièrement zélés. Révoltée contre l'ambiguïté de cette Eglise catholique qui de fait est la complice de toutes les puissances tyranniques depuis son alliance avec l'Empire romain ("l'alliance du trône et de l'autel"), elle va crier sa révolte auprès d'un vicaire. Malheur à elle: il est jeune, beau, diablement (oui, diablement) intelligent, "moderne" et persuasif: c'est Jean-Paul Belmondo au faîte de sa jeunesse, de son talent et de son charisme. Le Jean-Paul Belmondo magnétique de "A bout de Souffle" (film dans lequel il a croisé Jean-Pierre Melville qui par amitié pour Jean-Luc Godard y faisait une courte apparition: la transfusion était en marche). Il voit sa détresse, sa solitude, sa frustration, cachée derrière son cynisme de pacotille. Il comble donc son vide intérieur en la faisant venir chez lui puis en allant chez elle pour lui prêter des livres et l'entretenir de la foi, obtenant sans peine sa conversion. Evidemment il n'aurait rien fait de tel s'il y avait eu un homme à la maison. Il pousse même "le vice" jusqu'à faire d'elle sa confidente lorsqu'il lui raconte ses souvenirs d'enfance, jusqu'à l'effleurer de sa soutane en passant près d'elle jusqu'à ce que chauffée à blanc de désir pour lui, elle trébuche et que "l'ayant prise en défaut", il n'ait plus qu'à lui faire expier ses "péchés". Le besoin le plus naturel de l'être humain, dénaturé, sali, transformé en instrument de pouvoir. La présence d'une autre femme, tentatrice déclarée, elle, confirme en effet que ce qui se joue dans le film est une lutte de pouvoir à travers le désir sexuel qu'il faut dompter en soumettant la femme. Ce qui ne veut pas dire que l'homme, Léon Morin n'est pas aussi une victime de la haute idée qu'il se fait de sa fonction de prêtre* (tout est une question de virgule, celle du titre). Certes, il vit dans le dénuement, prend des risques pour sauver des vies, critique le dévoiement de l'Eglise catholique, bref, il veut revenir à la "pureté" (utopique) du christianisme des origines. Mais ce prêtre trop lisse, sans défauts comme le souligne Barny apparaît en réalité comme un redoutable manipulateur. Manipulateur de jeunes femmes trop seules (donc en situation de faiblesse) mais aussi manipulateur de lui-même, comme le majordome Stevens de "Les Vestiges du jour" à qui il m'a fait penser, ce prêtre laïc qui sacrifie tout à sa fonction vécue comme un sacerdoce. Pour quelqu'un qui prêche l'amour à longueur de journée, le bilan paraît bien amer, à l'image du vide et de la solitude qui le cernent de toutes parts. A l'image de ces cloisons et de ces perchoirs plus ou moins visibles selon les plans (grilles, portes, escaliers, chaire, hache, couteau etc.) qui rendent la distance entre elle et lui infranchissable. Mais comme il le dit à Barny "on se reverra. Pas dans ce monde ci, dans l'autre". Sauf que la seule réalité tangible dans lequel on est sûr que l'amour peut s'exprimer c'est ce monde ci. Ce monde organique qui dégoûte tant l'homme occidental. L'autre (monde) reste juste une promesse, une promesse invérifiable... et qui ne mange pas de pain.

* S'il avait été intègre, soit il aurait renoncé à toute forme de rapprochement avec la jeune femme, soit il aurait renoncé à la prêtrise.

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Le Silence de la mer

Publié le par Rosalie210

Jean-Pierre Melville (1949)

Le Silence de la mer

"Le Silence de la mer" d'après la nouvelle éponyme de Vercors est le premier film de Jean-Pierre MELVILLE. Tourné dans l'après-guerre, dans des conditions très difficiles et dans la clandestinité (car Melville n'avait pas les droits d'adaptation du livre), il révéla le cinéaste qui devint l'un des inspirateurs de la nouvelle vague (comme on peut le constater par exemple dans "À bout de souffle" (1959) dans lequel Jean-Pierre MELVILLE fait une apparition dans son propre rôle).

"Le Silence de la mer" est une oeuvre magnifique sur les ravages que la guerre cause à l'humanité, d'autant plus magnifique qu'elle fonctionne à un niveau métaphorique extrêmement dépouillé qui en fait toute sa force. Vercors et Melville (pseudo de Jean Bruller et de Jean-Pierre Grumbach) ont été Résistants et de cette expérience, ils ont su immédiatement tirer la substantifique moëlle puisque le livre a été écrit en 1941 et le film, réalisé entre 1947 et 1949. Pour mémoire, il s'agit d'un quasi huis-clos entre trois personnages: un homme d'une soixantaine d'années, sa nièce et un officier allemand que ces derniers se voient obligés d'héberger chez eux. Pour manifester leur opposition, l'oncle et la nièce décident de faire comme si l'officier n'existait pas. Chaque fois que celui-ci tente d'entrer en contact avec ses logeurs, il se heurte donc à un mur de silence buté. Pourtant il ne se décourage pas et c'est avec une grande habileté que Jean-Pierre MELVILLE parvient grâce aux cadrages, à la lumière et à la composition des plans à faire comprendre comment évolue leur relation, la voix off de l'oncle ne servant que de point d'appui. Ainsi la première apparition de l'officier dans l'encadrement de la porte ne met en avant que ce qu'il représente: l'ennemi nazi en uniforme. Mais les deux personnes apparemment impassibles qui semblent ignorer son existence lorsqu'il monologue auprès d'eux sont aussi en représentation. Des plans plus détaillés ou agencés autrement révèlent à certains mouvements du corps (les mains notamment) qu'il n'en est rien et que chacun souffre en réalité du rôle dans lequel il est enfermé. Car le cadre intimiste du salon le soir et la personnalité de l'officier, idéaliste, sensible, amoureux de la France et qui ouvre son coeur et son esprit à ceux qui l'hébergent pousse au rapprochement. Car c'est un mouvement naturellement humain alors que la guerre elle, est inhumaine. D'ailleurs lorsque l'oncle se rend à la Kommandantur et qu'il croise l'officier, tous deux sont sous le choc. Ils sont filmés à travers des cadres (en représentation donc) qui leur rappellent le rôle de chacun alors qu'ils l'avaient presque oublié. Pour renforcer cette impression, l'officier qui est en uniforme (alors que pour mettre à l'aise l'oncle et la nièce, il ne se montre chez eux qu'en civil) est placé sous un portrait d'Hitler. Et voilà comment Vercors et Melville parviennent à montrer le gâchis humain de la guerre. Dans une autre vie, Werner (Howard VERNON qui est magnifique de sensibilité dans le rôle de cet homme d'honneur qui découvre avec horreur le véritable visage du nazisme) aurait épousé la nièce (Nicole STÉPHANE) et l'oncle (Jean-Marie ROBAIN qui a un petit air de Georges BRASSENS) serait devenu son beau-père.

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Le Doulos

Publié le par Rosalie210

Jean-Pierre Melville (1962)

Le Doulos

Avec "Le Doulos", son quatrième film Jean-Pierre Melville a frappé un grand coup en établissant tous les canons de ses plus grands films à venir et en créant un film matrice qui a inspiré nombre de réalisateurs ultérieurs*. On peut même dire que "Réservoir dogs" le premier Tarantino en constitue un remake informel.

"Doulos" signifie en argot "chapeau" et "indic" comme l'explique l'avant-générique. Et si le scénario du film de Jean-Pierre Melville est écrit pour embrouiller l'esprit du spectateur, l'enjeu lui est limpide: "Qui est le traître?". Car le paradoxe Melville est parfaitement posé dans ce film qui nous plonge au cœur du marigot moral du milieu des flics et des truands tout en montrant comment ces derniers s'accrochent à un "code d'honneur" qui pourrait bien n'être qu'une illusion. "Pourrait" car le film distille une ambiguïté absolument remarquable tournant autour du personnage de Silien interprété par Jean-Paul Belmondo. Celui-ci est décrit comme n'ayant que deux amis, Maurice Faugel (Serge Reggiani), un braqueur tout juste sorti de prison et Salignari (Daniel Crohem), un inspecteur. Ce qui lui vaut la méfiance du milieu qui le prend pour un indic. Mais Faugel croit en la parole donnée et place sa confiance entre les mains de Silien. Tout le talent du réalisateur réside dans le fait que par le jeu de savantes ellipses dans le récit, on est amené à croire en la traîtrise de Silien puis à en douter sans que jamais on ait la réponse définitive. Faugel quant à lui raisonne d'une manière manichéenne. Il descend ou fait descendre ceux qui le trahissent tout en étant prêt à se faire tuer pour ceux qui lui restent fidèles. Pas étonnant qu'avec une telle morale ("je te tue ou je me fais tuer pour toi"), le film prenne des allures de tragédie antique où tout le monde finit par s'entretuer. 

Ce qui joue beaucoup dans la réussite du film réside également dans l'interprétation. Comme dans ses films ultérieurs, les acteurs ont un jeu minimaliste, "l'underplay" que certains ont cru inspiré par le jeu blanc des acteurs de Robert Bresson mais qui selon Jean-Pierre Melville a été inventé à Hollywood dans les années 30. "Le Doulos" est d'ailleurs un hommage au film noir américain des années 40 avec un jeu de lumières expressionnistes et un véritable fétichisme de la panoplie du gangster/privé, en particulier son chapeau que celui-ci contemple dans son miroir et ne cesse d'ajuster (dans "Le Samouraï", cela deviendra même un gimmick). En même temps, le jeu retenu pour ne pas dire inexpressif, le code d'honneur et l'abstraction géométrique (déjà présente dans "Le Doulos" notamment dans la séquence remarquable du générique) sont au cœur d'un nombre incalculable de films asiatiques dont Jean-Pierre Melville finira par assumer l'héritage tout en les inspirant fortement en retour. Si cette manière de jouer va comme un gant à Alain Delon (qui est d'ailleurs une icône en Asie), elle est plus surprenante chez Jean-Paul Belmondo plus connu pour sa tendance au cabotinage que pour la sobriété de son jeu. Mais excellement dirigé, il est parfait en homme inquiétant aux motivations indéchiffrables. 

* Il disposait d'un budget plus confortable que pour ses premiers films en raison du succès de "Léon Morin, prêtre" et avait créé ses propres studios ce qui lui garantissait une totale liberté artistique.

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Le Cercle rouge

Publié le par Rosalie210

Le Cercle rouge

Après "Le Samouraï" (1967) et sa citation extraite du Bushido (le code d'honneur des samouraï) « Il n’y a pas de plus profonde solitude que celle du samouraï. Si ce n’est celle d’un tigre dans la jungle… Peut-être… » Jean-Pierre MELVILLE poursuit dans la voie du polar zen avec "Le Cercle rouge" qui fait référence cette fois à une citation attribuée au Bouddha « Quand des hommes, même s'ils l'ignorent, doivent se retrouver un jour, tout peut arriver à chacun d'entre eux et ils peuvent suivre des chemins divergents. Au jour dit, inéluctablement, ils seront réunis dans le cercle rouge.» La présence d'un Alain DELON plus hiératique que jamais lie les deux films ainsi que l'épure des dialogues et une stylisation des actions tendant vers l'abstraction. Les scènes d'appartement font plus que jamais ressortir le vide que ce soit celui du malfrat Corey, abandonné à la poussière depuis cinq ans ou celui du commissaire Mattei ( BOURVIL dans un contre-emploi dramatique pour lequel il a récupéré son prénom au générique), d'une blancheur clinique où celui-ci accomplit toujours les mêmes gestes, véritables rituels millimétrés. La mise en scène dans son ensemble est admirable de précision et de sobriété. Par exemple, la façon dont on comprend que l'ancien comparse Corey, Rico (André EKYAN) s'est enrichi sur son dos et lui a volé sa petite amie est d'une économie de moyens qui en redouble l'impact.

Mais ce "film en creux", taiseux, méticuleux et d'une froideur chirurgicale est traversé par des éclairs cauchemardesques qui le relient au film précédent de Melville "L'Armée des ombres (1969). Le délirium tremens de Jansen (Yves MONTAND) dont l'appartement est aussi inhabité que celui des autres personnages en est un parfait exemple. La figure circulaire d'où on ne peut s'échapper est également commune aux deux films. La façon dont Philippe Gerbier revit son exécution renvoie aux rôles quasi interchangeables de flics et de voyous dans "Le cercle rouge". Le film est également hustonien en ce qu'il célèbre d'une part l'amitié virile tout en étant hanté par l'échec et la fatalité.

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Le Deuxième souffle

Publié le par Rosalie210

Jean-Pierre Melville (1966)

Le Deuxième souffle

C'est par le cinéma asiatique (plus précisément celui de Hong-Kong) que j'ai découvert Jean-Pierre MELVILLE même s'il a tout autant influencé les cinéastes américains (Quentin TARANTINO et Martin SCORSESE par exemple). Le cinéaste français partage en effet avec ses homologues asiatiques un style épuré, stylisé jusqu'à l'abstraction qui vaut aussi pour des personnages "silhouettes" "agis" par un code moral archaïque qui les dépasse et transforme leur destin en "fatum" tout en les hissant, quels que soit la gravité de leurs actes, au niveau de la tragédie antique. Le personnage-silhouette (que certains appellent aussi "l'homme portemanteau" ou encore "l'homme-machine") fait d'ailleurs penser aux masques et parures que l'on trouve dans le théâtre grec ou le théâtre traditionnel japonais. Et puis qui dit dépouillement dit également silence, le premier long-métrage de Jean-Pierre MELVILLE était d'ailleurs une adaptation du livre de Vercors "Le Silence de la mer (1949)". Les personnages melvillien s'expriment davantage par de longs regards insaisissables (par exemple celui que Simone SIGNORET jette à ses camarades juste avant qu'ils ne la tuent dans "L Armée des ombres" (1969) est sujet à de multiples interprétations) que par les mots.

Tout cela, on le retrouve dans "Le deuxième souffle" son dernier film tourné en noir et blanc. Un monde de truands régi par des règles implicites où la parole est rare parce que chaque mot compte*. Le commissaire Blot (Paul MEURISSE) tranche encore avec le mutisme des gangsters mais c'est pour distiller sur ce monde parallèle une tranchante ironie. On y retrouve aussi la solitude propre au héros melvillien qui oscille entre des intérieurs (souvent des planques) vides et délabrés aux allures de cellule de prison et des extérieurs quelque peu déréalisés par leur réduction à des formes géométriques dans lesquels les corps effectuent des actions machinales. La scène du casse par exemple met en avant le décor aussi aride que spectaculaire de la route des Crêtes (entre la Ciotat et Cassis) tout en courbes et une gestion du temps qui fait la part belle à l'attente contemplative qui précède l'action plus qu'à l'action elle-même.

* "Alors maintenant, dans ce milieu pourri, la parole d'un homme comme moi, c'est zéro ! Qui tu es toi, qui parles, qui parles, qui dis connerie sur connerie ?" s"écrie Gu (Lino VENTURA) dont le parcours est jonché de cadavres mais qui ne supporte pas qu'on le fasse passer pour celui qui balance les copains.

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L'Armée des ombres

Publié le par Rosalie210

Jean-Pierre Melville (1969)

L'Armée des ombres

1969 est une année charnière dans la représentation de la Résistance en France. Lorsque sort le film de Jean-Pierre MELVILLE, De Gaulle a démissionné depuis quatre mois. Or il avait contribué à construire dans l'après-guerre une mémoire officielle de réconciliation nationale selon laquelle une majorité de français avaient résisté aux allemands pendant la guerre. Des résistants célébrés comme des héros à l'image de Jean Moulin dont l'entrée au Panthéon en 1964 donna lieu à un célèbre discours d'André Malraux: "Entre ici Jean Moulin avec ton terrible cortège. Avec ceux qui sont morts dans les caves sans avoir parlé, comme toi; et même, ce qui est peut-être plus atroce, en ayant parlé (…) Entre, avec le peuple né de l’ombre et disparu avec elle — nos frères dans l’ordre de la Nuit (…) Aujourd’hui, jeunesse, puisses-tu penser à cet homme comme tu aurais approché tes mains de sa pauvre face informe du dernier jour, de ses lèvres qui n’avaient pas parlé ; ce jour-là, elle était le visage de la France… "

Le film de Jean-Pierre MELVILLE ne remet pas fondamentalement en cause cette vision. De Gaulle est montré comme le chef unique de la Résistance (alors que le film se déroule avant l'unification de ses différents mouvements), "Saint Luc" (Paul MEURISSE) étant un substitut de Jean Moulin. D'autre part le seul personnage important que l'on peut croire collaborateur dans le film (joué par Serge REGGIANI) s'avère en réalité résistant, validant la thèse de l'historien Robert Aron du "double jeu" des pétainistes. Néanmoins il amorce un changement d'époque de par la vision démythificatrice et désenchantée qu'il donne de la Résistance. Une vision distanciée et fragmentée par le souvenir qui semble au fur et à mesure que le film avance se transformer en cauchemar ("Mauvais souvenirs, soyez pourtant les bienvenus" est la phrase qui sert d'exergue au film). Les résistants sont montrés moins comme des héros que comme des morts en sursis voire des fantômes sortis d'outre tombe. L'aspect profondément carcéral et oppressant du film (lié aux décors, à la photographie glaciale, quasiment privée de couleurs, à la bande-son sinistre) donne au spectateur l'impression d'avoir basculé dans une dimension sépulcrale. Une impression renforcée par les personnages et l'interprétation des acteurs. Contrairement à ce que faisait Malraux dans son discours d'hommage à Jean Moulin, le spectateur ne peut s'identifier aux résistants du film. L'accès à leur intériorité nous est refusé car ils l'ont eux-mêmes verrouillée pour pouvoir s'adonner à leur activité. Cela fait d'eux des êtres froids, inexpressifs et interchangeables, inhumains, désincarnés et insensibles à l'exception des personnages joués par Jean-Pierre CASSEL et Simone SIGNORET. Mais c'est aussi leur refus d'abdiquer toute humanité qui en fera des proies faciles. D'autre part le quotidien des résistants est marqué par l'ennui entrecoupé de brefs moments de montée d'adrénaline. Ils attendent beaucoup, se cachent, fuient et se taisent. Et ils n'hésitent pas à tuer. Pas seulement le nazi ou le collaborateur mais aussi quiconque dans leur rang qui serait susceptible de les trahir. Le plus impitoyable de tous étant Gerbier (Lino VENTURA) dont le dévouement à l'organisation et la dévotion à la hiérarchie se rapproche des codes de la mafia japonaise: "Le mot “aimer” n’a de sens pour moi que s’il s’applique au patron". Rapprocher ainsi ces hommes de l'ombre du monde des gangsters avec des codes de film policier a quelque chose de passablement dérangeant.

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Le Samouraï

Publié le par Rosalie210

Jean-Pierre Melville (1967)

Le Samouraï

Le "Samouraï", l'un des plus grands films de Melville et Delon est un pont jeté entre une ascendance américaine (celle des films noirs) et une descendance asiatique. On ne compte plus les cinéastes japonais, chinois ou coréens qui s'en sont inspirés, Alain Delon faisant même l'objet d'un culte à Hong-Kong. Parallèlement, le film a également eu un impact sur des cinéastes occidentaux comme Jim Jarmush ("Ghost Dog, la voie du Samouraï"), Nicolas Winding Refn (dont le personnage de "Drive" découle du "Samouraï"), Michael Mann ("Heat") ou Quentin Tarantino ("Reservoir Dogs").

"Le Samouraï" est effectivement un film fascinant, de sa première à sa dernière image. Il n'est pas seulement asiatique par son titre et son exergue (soi-disant tirée du Bushido). Melville a le sens de l'épure, filme le silence avec talent et met en avant un personnage hiératique qui s'efface derrière sa mission en vertu d'un code d'honneur (exactement comme Ishiguro dans son roman "Les Vestiges du jour" avec le personnage du majordorme Stevens adapté au cinéma par Ivory). Le générique de début est une leçon de mise en scène à lui tout seul de par son dépouillement. Le décor est minimaliste, la musique est absente, remplacée par les pépiements du bouvreuil et les bruits extérieurs. Tout concourt à nous introduire dans un monde ou le maître mot est l'économie. La parole se caractérise par sa rareté, le geste par sa précision et sa répétition. A la manière d'un rituel, Jef (Alain Delon) enfile sa panoplie de tueur à gages (trench coat, chapeau, gants blancs) comme s'il revêtait une seconde peau. Il en va de même pour les lieux, strictement circonscrits (l'appartement de Jef, le garage, le métro, le commissariat, le club de jazz, l'appartement et l'immeuble de Jane jouée par Nathalie Delon alors l'épouse d'Alain). Jef les arpente encore et encore à la manière d'un géomètre du crime. Alain Delon interprète avec beaucoup de talent (et de charisme) ce personnage de loup solitaire froid comme le serpent dont le masque d'impassibilité ne se fend qu'avec le personnage de la pianiste (jouée par Cathy Rosier). C'est lors de leurs échanges de regards (particulièrement à la fin du film) que l'on réalise tout ce que le personnage de Jef Costello a de tragique. Au sens premier du terme puisque le club de jazz où a lieu le dénouement possède une scénographie proche du théâtre.

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