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Articles avec #drame tag

Oussekine

Publié le par Rosalie210

Antoine Chevrollier (2022)

Oussekine

C'est en lisant des articles sur "Nos frangins" (2022) de Rachid BOUCHAREB que j'ai découvert l'existence de cette remarquable mini-série sortie quelques mois auparavant sur la plateforme Disney +. Même si je ne suis pas une amatrice de séries, j'ai entendu les échos flatteurs autour de "Baron Noir" (2016) et de "Le Bureau des légendes (2015), les deux séries co-réalisées par Antoine CHEVROLLIER qui avec le concours d'un quatuor de scénaristes sensibles aux problèmes des discriminations et du multiculturalisme (Faïza Guène, Cédric IDO, Lina Soualem et Thomas LILTI, le réalisateur de "Hippocrate") (2014) réussit une fresque à la fois intime et politique qui donne au drame de Malik Oussekine sa véritable dimension: celui d'un crime d'Etat. Si toute la complexité du contexte social de l'époque n'est peut-être pas aussi bien retracée que dans le film de Rachid Bouchareb, la mini-série frappe fort sur plusieurs points cruciaux et provoque une onde de choc émotionnelle que le film de Bouchareb aussi réussi soit-il n'a pas. La trajectoire tragique de Malik la nuit du 5 au 6 décembre 1986 est en effet mise en relation avec l'histoire de sa famille, soit trois décennies d'histoire de l'immigration algérienne en France. S'ensuit un système d'échos qui fonctionne à merveille. A commencer par la reconstitution du massacre de la manifestation algérienne du 17 octobre 1961 qui fit 200 morts à Paris. Un évènement de la guerre d'Algérie en métropole longtemps occulté qui n'a fait l'objet d'une reconnaissance officielle qu'en 2021 et auquel échappent les parents de Malik en se cachant avec leurs enfants. Impossible de ne pas faire le rapprochement entre le préfet de police de Paris sous De Gaulle, Maurice Papon et vingt ans plus tard le tandem Pasqua-Pandraud, ministre délégué auprès du ministre de l'Intérieur à la Sécurité du gouvernement Chirac durant la cohabitation avec Mitterrand de 1986 à 1988. Là où s'appuyant sur les images d'archives, Rachid Bouchareb incrimine dans son film le ministre de l'intérieur Charles Pasqua, Antoine CHEVROLLIER préfère donner toute la place à son homme de l'ombre excellemment joué par l'un des spécialistes de "L Exercice de l État" (2010), Olivier GOURMET. J'ai fait l'expérience après avoir vu la série de lire un portrait fasciné de Robert Pandraud du Monde daté de mars 1987 (trois mois donc après la mort de Malik Oussekine) par un thuriféraire épaté par sa "prudence", "au point que "personne dit-on ne l'a vu laisser de trace écrite derrière lui". Manque de bol, dans les années 80, l'écrit n'est plus le seul moyen de "laisser des traces" et Pandraud restera dans l'histoire (et dans la série) pour cette phrase prononcée à propos de Malik Oussekine "si j'avais un fils sous dialyse, j'éviterais de le laisser sortir faire le con la nuit". Re-manque de bol: il y a des témoins oculaires des faits et Malik Oussekine est un modèle d'intégration réussie qui cerise sur le gâteau était sur le point de se convertir au catholicisme et voulait devenir prêtre. Impossible donc d'étouffer l'affaire contrairement à celle de Abdel Benyahia tué la même nuit par un policier ivre (évoquée au détour d'une phrase dans la série alors qu'elle est traitée en parallèle de Malik Oussekine dans le film). Reste la diffamation, ce dont l'extrême-droite se charge très bien. La série insiste beaucoup plus que le film sur le climat de haine raciste porté par un Front national en pleine progression dont la famille Oussekine est victime: insultes, agressions (verbales, matérielles, physiques), harcèlement et un numéro complet du journal "Minute" dont le contenu obscène nous fait penser à celui, beaucoup plus récent sur Christiane Taubira. De même que les méthodes peu scrupuleuses de certains journalistes pour tenter de discréditer les victimes de violences policières prises en flagrant délit (je pense au producteur noir Michel Zecler, insulté et roué de coups de matraque par quatre policiers dans son studio de musique en 2020 qui estime devoir la vie aux caméras de surveillance qui ont également prouvé aussi qu'il était bien la victime et non l'agresseur). C'est tout le mérite de la série comme du film de montrer que les "dérapages" des policiers ne sont pas des errements individuels mais des violences systémiques avec une chaîne de responsabilités qui remonte jusqu'au plus haut niveau. Et aucun bord politique n'est épargné dans la série: ni François Mitterrand qui médiatise sa visite à la famille pour faire de la récupération politique, ni SOS Racisme qui tente d'en faire de même avec Sarah Oussekine que l'on voit arracher le badge "Touche pas à mon pote" qu'on lui a collé sur le blouson, ni la justice censée être impartiale mais qui accorde un traitement de faveur aux policiers et rend un verdict plutôt clément au vu de la gravité des faits.

Malgré cette richesse du traitement politique de l'affaire, la série est avant tout centrée sur l'humain, c'est à dire les portraits des différents membres de la famille Oussekine (le père Miloud mort en 1978, la mère Aïcha et les enfants, ces derniers ayant collaboré avec l'équipe de la série et apparaissant à la fin). Comme dans le film, les personnalités de Mohamed et de Sarah émergent aux côtés de leurs autres frères et soeurs (ils étaient sept au total, ramenés à 5 dans la série et 3 dans le film). Cependant la profondeur historique permise par la série donne un relief particulièrement douloureux à leur parcours d'enfants d'immigrés nés et élevés en France, devenus plus français que les français (la réussite entrepreneuriale de Mohamed, le ménage de Sarah avec un policier) et qui face au meurtre de leur frère voient cette construction identitaire se dissoudre. La tentative avortée de leur père de retour au pays à la fin des années 70 les avaient déjà confrontés à une désillusion semblable, le pays ayant beaucoup changé depuis l'indépendance et les immigrés n'y ayant plus leur place. Trop francisés pour l'Algérie, trop racisés pour les français, les voilà obligés de se réinventer dans l'inconnu. La scène où Sarah s'émancipe en coupant ses cheveux sur le titre de William Sheller "J'me gênerais pas pour dire que je t'aime encore" est particulièrement forte.

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Nos frangins

Publié le par Rosalie210

Rachid Bouchareb (2022)

Nos frangins

Rachid BOUCHAREB est le cinéaste qui à travers des films comme "Indigènes" (2006) et "Hors-la-loi" (2010) a mis en lumière la part d'ombre de l'histoire contemporaine de la France au travers d'une mémoire immigrée largement occultée dans le récit national. Non sans bousculer les consciences, voire créer parfois la polémique. "Nos frangins" n'y échappe pas. Les frères de Abdel Benyahia, tué par un policier la même nuit que Malik Oussekine en marge des manifestations contre la loi Devaquet n'ont pas apprécié la manière dont le cinéaste a dépeint leur père (Samir GUESMI) en garagiste immigré muet et résigné. Cette maladresse est effectivement regrettable mais Rachid Bouchareb a le mérite de sortir de l'oubli cette affaire étouffée à l'époque par les autorités, soucieuses de couvrir la police éclaboussée par la mort de Malik Oussekine. Comme le dit très bien l'employé africain de la morgue chargé des deux corps "toi tu as un nom, toi tu n'en a pas". Se situant dans les quelques jours qui ont suivi les faits, le cinéaste mêle habilement images d'archives et reconstitution de fiction pour retracer une époque de contestation explosive de la jeunesse contre un pouvoir remettant en cause l'accès pour tous les bacheliers à l'université et jouant la surenchère sécuritaire dans un contexte de racisme endémique vis à vis des enfants d'immigrés*. Le parallèle avec les violences policières contre les Gilets Jaunes est souligné mais pas les attaques actuelles (trop récentes) contre l'éducation des plus fragiles (à travers le projet de réforme des lycées professionnels par exemple). A travers les portraits des membres des familles des deux victimes et en contrepoint, l'enquête d'un inspecteur (Raphaël PERSONNAZ) prié de la boucler par ses supérieurs manipulateurs, Rachid Bouchareb dénonce le racisme des institutions françaises (police, justice), l'omerta au nom de la raison d'Etat (visible jusque dans la plaque commémorative de Malik Oussekine ne mentionnant pas les responsables de sa mort et encore moins leur fonction) et les limites de l'intégration. Ainsi le grand frère de Malik (joué de façon remarquable par Reda KATEB) qui s'est embourgeoisé tout comme la soeur (jouée par Lyna KHOUDRI) découvre que Malik était sur le point de se convertir au catholicisme et d'embrasser la vocation de prêtre ce qui le trouble profondément. Certes, le film de Rachid Bouchareb manque de profondeur et d'émotion mais sa piqûre de rappel est salutaire.

* C'est l'époque de la cohabitation Mitterrand/Chirac et son ministre de l'intérieur ultradroitier Charles Pasqua, celle de la montée en puissance du Front National mais aussi des actions militantes de SOS Racisme créée en 1985, deux ans après "la marche des beurs" qui a médiatisé en France les crimes racistes dont les maghrébins immigrés et leurs enfants étaient régulièrement victimes en France dans les années 70 et 80 ("Dupont Lajoie" (1974) de Yves BOISSET, autre réalisateur engagé en est le parfait exemple).

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Le Client (Forushande)

Publié le par Rosalie210

Asghar Farhadi (2015)

Le Client (Forushande)

"Le Client" est un bon film mais inférieur à "Une séparation" (2010). C'est le revers de la médaille de la consécration internationale. Le fait de concourir à Cannes, à Berlin ou à Venise et d'y remporter des prix entraîne des répercussions sur les films de leurs auteurs qui ont tendance à se standardiser selon des canons occidentaux. Certes, "Le Client" évoque une agression sous la douche à côté de laquelle celle de "Psychose" (1960) qui était pourtant censurée par le code Hays paraît ultra osée. C'est bien simple, dans le film de Asghar FARHADI, tout se passe en hors-champ et la nature de l'agression ne sera jamais explicitement dévoilée. Mais le fait de passer par une mise en abyme théâtrale (celle d'une pièce de Arthur Miller "Mort d'un commis voyageur") pour expliciter par le décalage absurde entre les répliques ("je suis sans vêtements") et l'actrice enveloppée des pieds à la tête qu'il est inconcevable qu'une femme iranienne se déshabille devant un public est en revanche un procédé usé jusqu'à la corde ("Drive My Car" (2021) tout récemment en faisait de même avec Tchékhov). De même, si l'on peut comprendre pourquoi la jeune femme ne veut pas porter plainte (déjà que la France n'est pas un modèle en la matière alors l'Iran où l'on tue des femmes pour des cheveux qui dépassent du foulard, n'en parlons pas), la manière dont son mari en fait une affaire de vengeance personnelle ressemble à des dizaines d'histoires semblables où on ne porte pas plainte et où l'on enquête soi-même avec une déconcertante facilité par rapport à la vie réelle. L'aspect le plus intéressant du film finalement est ce que l'agression révèle des dissensions au sein du couple (perceptibles dès les premières images avec les murs lézardés de leur chambre). Le vernis moderne se craquèle pour laisser place aux réactions violentes du mari mortifié dans son amour-propre et qui ne supporte pas que sa femme puisse être de quelque façon que ce soit amalgamée à une putain. L'image et l'honneur sont bien plus importants à ses yeux que le bien-être de sa femme ou l'état de santé de l'homme qu'il finit par coincer. Dommage que Asghar FARHADI ait eu la main très lourde sur la fin qui est trop longue et trop démonstrative.

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Une Séparation (Djodāï-yé Nāder az Simin)

Publié le par Rosalie210

Asghar Farhadi (2011)

Une Séparation (Djodāï-yé Nāder az Simin)

"Une Séparation" est le cinquième film de Asghar FARHADI et celui qui lui a valu la consécration internationale avec notamment l'Ours d'or à Berlin, le César, l'Oscar et le Golden Globe du meilleur film étranger. De plus, grâce à son succès en salles, il a permis à beaucoup de gens de découvrir le cinéma iranien et sa société conflictuelle ("séparation" entre les sexes, les générations, les classes sociales, les valeurs, la religion) dans laquelle comme chez Jean RENOIR, chacun a ses raisons. Autrement dit, même si "Une Séparation" est en grande partie un film de procédure judiciaire, ce n'est pas un film qui juge ses protagonistes. Bien au contraire, il expose toute la complexité de leur situation derrière leurs actes sans que pour autant leurs conséquences désastreuses ne soient évacuées. Ainsi dès la première scène, on voit un couple issu d'une classe sociale plutôt aisée, Nader (Payman MAADI) et Simin (Leila HATAMI) se déchirer autour d'une procédure de divorce. Simin veut profiter du visa d'immigration qu'elle a obtenu pour partir à l'étranger et donner à leur fille Termeh (Sarina FARHADI) un meilleur avenir. Mais Nader refuse de la suivre parce qu'il ne veut pas abandonner son vieux père atteint de la maladie d'Alzheimer et dont il a la charge. N'obtenant pas satisfaction, Simin part vivre chez ses parents, espérant sans doute ainsi faire changer d'avis son mari et prend de l'argent pour payer un supplément aux déménageurs sans le lui dire. Cette méthode qui repose sur le non-dit et le rapport de forces provoque une série de catastrophes en chaîne en mêlant aux problèmes de Nader et Simin ceux d'un autre couple, beaucoup plus pauvre, Razieh (Sareh BAYAT) et Hodjat (Shahab HOSSEINI) où là encore règne les problèmes de communication. Voyant son mari (qui est du genre à perdre facilement son sang-froid) noyé jusqu'au cou dans les problèmes d'argent, Razieh décide sans le lui dire d'aller s'employer chez Nader qui a besoin d'une aide à domicile pour son père après le départ de sa femme. Mais Razieh qui, habitant loin et n'ayant pas de voiture met beaucoup de temps à se déplacer est vite dépassée par l'ampleur de la tâche entre sa gamine Somayeh qui est dans ses pattes et fait des bêtises, sa grossesse (qu'elle a également caché pour se faire embaucher) qui la fatigue et le père de Nader dont elle n'arrive pas à correctement s'occuper, autant pour les raisons citées plus haut qu'en raison de ses croyances religieuses. Lorsque les deux couples en viennent à porter plainte l'un contre l'autre, on réalise le tissu de mensonges qui s'est dressé entre ces êtres, empêchant toute résolution à l'amiable. Derrière les conflits interpersonnels, c'est aussi un cruel portrait de l'Iran que dresse Asghar FARHADI: la sujétion de la femme, le poids de la religion, l'absence ou l'insuffisance d'éducation et de perspectives, l'abandon des plus fragiles. Le tout sous le regard des plus jeunes, Termeh et Somayeh qui apparaissent comme les principales victimes des adultes et de la société.

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La Splendeur des Amberson (The Magnificent Ambersons)

Publié le par Rosalie210

Orson Welles (1941)

La Splendeur des Amberson (The Magnificent Ambersons)

Orson WELLES dans toute sa splendeur. C'est en revoyant son deuxième film, tourné un an après "Citizen Kane" (1940) que je mesure le gouffre qui sépare le film génial (rare) du bon film (qui lui est au contraire pléthorique). Il y a d'innombrables films que l'on peut juger bons mais qui n'en sont pas moins ennuyeux ou bien comportent des passages à vide ou bien qui s'oublient très vite. La mise en scène de "La Splendeur des Amberson" est si puissante qu'elle vous capture et ne vous lâche plus d'autant qu'elle est au service d'un scénario dense et de personnages intenses. Le mode de narration introductif avec l'usage de la voix-off (par Orson Welles en personne qui venait de la radio) agrémenté de gros plans fixes d'habitants faisant des commentaires sur les us et coutumes de la plus riche famille de la ville nous introduit dans leur monde avec dynamisme et fluidité en rendant les enjeux de l'histoire limpides. Par la suite, lorsque le film se mue en tragédie familiale dont le manoir est le principal témoin on est happé par l'entrelac des passions qui animent les personnages, la manière dont ils sont disposés dans l'espace, éclairés et filmés en plans-séquence majestueux. La tyrannie de George (Tim HOLT), la soumission de sa mère Isabel (Dolores COSTELLO), la frustration de la soeur d'Isabel, Fanny (Agnes MOOREHEAD), la résignation mélancolique de Eugene (Joseph COTTEN), le détachement apparent de sa fille Lucy (Anne BAXTER), tout cela ressort admirablement. Si bien qu'on en oublie que dans cette histoire qui rappelle la leçon de Paul Valery apprise au sortir de la première guerre mondiale "Nous autres civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles" il y a des gagnants et des perdants. Les gagnants, ce sont les Morgan, Eugene et sa fille Lucy qui représentent l'avenir avec le triomphe de la deuxième révolution industrielle. Les perdants, ce sont les Amberson minés de l'intérieur par leurs mentalités rétrogrades et leur incapacité à s'adapter à un nouveau monde à qui ils préfèrent tourner le dos faute de pouvoir le contrôler. Mais ce clivage est au final dépassé par un sentiment général de gâchis, avec d'un côté George, enfant tyrannique qui va droit dans le mur et de l'autre des adultes trop faibles pour l'arrêter. En dépit de sa mutilation par les studios (sensible dans certaines ellipses et surtout à la fin dont dont sent qu'elle a été affadie par rapport à ce qu'avait tourné Welles), le film marque le spectateur de son empreinte indélébile.

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Serpico

Publié le par Rosalie210

Sidney Lumet (1973)

Serpico

Bien que "Serpico" soit un cran en dessous du chef-d'oeuvre qu'est "Un après-midi de chien" (1975) en ce qui concerne la tension dramatique il a en commun avec lui une histoire tirée de faits réels, un regard critique sur la société américaine, un style documentaire percutant et une figure centrale d'inadapté social porté par un Al PACINO intense. Dire que Serpico est un flic intègre qui part en croisade, tel un Don Quichotte des temps modernes contre la corruption qui gangrène à tous les étages l'institution pour laquelle il travaille est un résumé superficiel du film. Le réduire à cet aspect, c'est en effet passer à côté du personnage. Ce que Sidney LUMET filme avant tout, c'est le parcours d'un homme qui ne s'intègre pas au nom de son intégrité et qui donc de ce fait est profondément seul. Dans le film, il n'existe véritablement qu'un personnage qui est proche de lui, celui du commissaire: il symbolise le juif errant qui reconnaît en Serpico une figure christique et le pousse à assumer jusqu'au bout les conséquences de sa quête de justice et de vérité: "si nous obtenons des inculpations, il faudra que vous soyez témoin" (sous-entendu, quitte à en payer le prix). Les autres attendent de lui qu'ils se fondent dans un rôle: celui du flic ripoux qui présente bien afin de ne pas ternir l'image de la police, celui de l'époux et du père pour ses petites amies successives qui ne semblent pas imaginer pouvoir vivre par elles-mêmes. Or Serpico fait exactement l'inverse car il est incapable d'être autre chose que lui-même. Par conséquent il n'entre pas dans les cases. Son look hippie de plus en plus affirmé au fur et à mesure que les années passent (très semblable à celui de John LENNON) et son style de vie bohème détonent dans le milieu. Une des meilleures scènes du film le montre dans sa prime jeunesse participant à une soirée étudiante avec sa petite amie Leslie dont un des amis lui dit qu'elle n'est excitée que par les intellectuels et les génies. Pas étonnant qu'il ait bien du mal à croire que Serpico soit flic. A l'inverse, les ragots sur son homosexualité supposée circulent chez ses collègues de travail autant par son refus d'utiliser la violence sur les détenus que par sa culture qu'il ne cherche pas à dissimuler, y compris lorsqu'elle a des connotations efféminées. Une fois de plus, on constate que l'image est le cadet de ses soucis et que son parcours dans la police est une succession de faux pas qui l'amènent à s'aliéner à peu près tout le monde. D'autant qu'en découvrant qu'il ne peut obtenir aucun secours d'une hiérarchie qui couvre les agissements véreux de ses employés, il les balance à la justice et aux médias devenant ainsi un traître. Le film de Sidney LUMET par-delà le contexte de sa réalisation en pleine contre-culture contestataire a ainsi toujours un caractère actuel, Serpico étant un lanceur d'alerte d'avant l'ère numérique.

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Maternité éternelle (Chibusa yo eien nare)

Publié le par Rosalie210

Kinuyo Tanaka (1955)

Maternité éternelle (Chibusa yo eien nare)

Maternité éternelle  

Kinuyo TANAKA est l'un des nombreuses victimes de la transmission sexiste de l'histoire des arts. Alors que ses compatriotes des années 50 pour lesquels elle a joué Kenji MIZOGUCHI principalement mais aussi Yasujiro OZU notamment pour "Fleurs d équinoxe" (1958) sont reconnus en occident comme des piliers de l'âge d'or du cinéma japonais depuis des décennies (Ozu n'a cependant reçu la consécration mondiale que dans les années 70) il a fallu attendre 2022 pour que les six films qu'elle a réalisé entre 1953 et 1962 soient enfin projetés lors des festivals Lumière (dans la section créée en 2013 spécialement réservée aux femmes cinéastes) et cannois. Avec cette accroche risible: "Quand l'actrice de Mizoguchi et de Ozu devient une immense réalisatrice" alors qu'il aurait fallu écrire "Quand cette grande cinéaste de l'âge d'or du cinéma japonais obtient une reconnaissance institutionnelle internationale 45 ans après sa mort."

"Maternité éternelle", son troisième film dont le titre français est un contresens (il signifie "Féminité éternelle" ou "les Seins éternels") raconte l'histoire vraie d'une poétesse morte à 31 ans des suites d'un cancer du sein. Prenant pour point de départ l'imagerie presque "cliché" de l'épouse et de la mère nippone soumise à un mari absolument odieux, il prend ensuite un tournant inattendu. D'abord il explicite assez rapidement les raisons profondes de la haine que son mari lui voue: Fumiko s'adonne à une riche activité littéraire dans un club de poésie que son mari qui souffre visiblement d'un complexe d'infériorité ne supporte pas. Il l'humilie donc de toutes les façons possibles jusqu'à ce que cette dernière qui le surprend avec une autre ne craque et demande le divorce. On pourrait penser que cet acte marque le début d'un nouveau départ mais la réalité est bien plus complexe. Fumiko doit céder la garde de son fils à son mari et surtout, elle se découvre rongée par un cancer qui la prive d'abord des attributs de sa féminité (les seins) avant de la condamner. De façon tout à fait paradoxale, la maladie qui l'enferme dans une chambre d'hôpital la libère aussi. Libération par l'écriture poétique, par la reconnaissance littéraire qui advient quand elle tombe malade mais surtout libération des carcans moraux et sociaux qui lui permettent de sortir du refoulement et de connaître les moments les plus heureux de sa vie en exprimant et concrétisant ses sentiments amoureux et ses désirs sexuels. Kinuyo TANAKA colle à son héroïne en se permettant une franchise tant dans les mots que dans les situations peu courante à l'époque: Fumiko prend un bain là où l'homme qu'elle aimait et qui est mort sans que cet amour ne soit avoué avait l'habitude de prendre les siens. Fumiko avoue ses sentiments à sa veuve et l'oblige à regarder sa poitrine mutilée comme une ultime preuve que cet amour étouffé l'a détruite. Fumiko prend le journaliste qui vient à son chevet pour amant et Kinuyo Tanaka n'hésite pas à filmer l'intimité meurtrie de la jeune femme (les seins sur le point d'être coupés, les prothèses...) Enfin, parmi les escapades qui permettent à celle-ci de trouver son inspiration créatrice, il en est une qui nous marque plus que les autres et annonce sa fin car elle aboutit à un lieu condamné par un grillage: la morgue. Ainsi, la réalisatrice parvient à réunir dans un même élan le désir et la mort, l'un se nourrissant de la proximité de l'autre pour dresser le portrait d'une femme fauchée en pleine jeunesse mais à qui ce cruel destin a aussi donné le courage de s'émanciper.

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Colonel Blimp (The Life and Death of Colonel Blimp)

Publié le par Rosalie210

Michael Powell, Emeric Pressburger (1942)

Colonel Blimp (The Life and Death of Colonel Blimp)

"Colonel Blimp" est un film quelque peu déroutant de par sa narration non-linéaire (la fin revient au début en l'éclairant sous un jour nouveau ce qui donne au film une structure cyclique), ses brusques changements de ton et certains choix de mise en scène comme le fait de faire jouer à Deborah KERR trois rôles à travers 40 années d'histoire ce qui fait qu'elle semble être une présence presque surnaturelle (dans sa troisième incarnation, elle s'appelle d'ailleurs Angela) aux côtés de Clive et de Théo dont le vieillissement est au contraire spectaculaire (physiquement chez le premier, psychiquement chez le second). Réalisé durant la seconde guerre mondiale, "Colonel Blimp" raconte l'histoire de l'amitié entre deux officiers, l'un britannique et l'autre allemand entre 1902 et 1942. Une amitié qui reste indéfectible en dépit des trois guerres traversées dans des camps ennemis (celle des Boers et les deux guerres mondiales). Celles-ci sont d'ailleurs judicieusement laissées hors-champ. Ce ne sont pas elles en effet qui constituent le sujet du film mais plutôt la façon dont elles affectent les deux personnages. Michael POWELL et Emeric PRESSBURGER prennent le contrepied des attentes du spectateur et osent le mélange des genres. L'anglais, Clive Candy est inspiré d'un personnage de bande dessinée imaginé et dessiné par le caricaturiste David Low, le colonel Blimp (d'où le titre du film), un vieux réac xénophobe certes adouci dans le film mais qui reste arc-bouté sur des principes du XIX° dépassés (code d'honneur etc.) et aveugle sur l'évolution de la guerre au XX° siècle (qui n'a plus rien à voir avec une affaire de gentleman comme on essaye de le lui faire comprendre). A l'inverse, Théo est un officier allemand certes patriote (il encaisse mal la défaite de 1918) mais résolument anti-nazi qui s'enfuit en Angleterre et livre à son ami une confession poignante sur l'embrigadement de ses enfants par un régime dont il dénonce toute l'horreur. Le personnage ne fait alors plus qu'un avec l'acteur qui était juif et avait dû fuir l'Allemagne (comme Emeric Pressburger) et cela se ressent dans son interprétation pleine de mélancolie résignée. Pas étonnant qu'un film d'une telle lucidité, soulignant les errements de certains britanniques (on pense évidemment à Chamberlain) et au contraire refusant l'amalgame entre allemand et nazi n'ait pas plu à Churchill qui a tenté de le faire interdire et lui a mis un certain nombre de bâtons dans les roues. Ce n'était pas un film qui pouvait faire l'objet d'une récupération politique dans la guerre de propagande que se livraient les puissances mais une oeuvre humaniste faisant fi de toutes les barrières, une oeuvre totalement libre en somme.

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Un après-midi de chien (Dog day afternoon)

Publié le par Rosalie210

Sidney Lumet (1975)

Un après-midi de chien (Dog day afternoon)

Je n'avais jamais vu ce film et je n'avais aucune idée de ce qu'il contenait. L'effet n'en a été que plus fort. Dès les premières minutes, ce qui m'a frappé, c'est qu'alors que les trois hommes n'ont encore rien fait de concret, il y a déjà écrit "loser" sur leur front: leur air hagard, leurs hésitations, la décision de l'un d'entre eux de rebrousser chemin juste avant de dépasser le point de non-retour, tout cela donne d'emblée l'impression d'un coup improvisé par des amateurs un peu paumés. Ce que la suite vient confirmer. A contre-emploi par rapport à "Le Parrain" (1972) avec son regard mouillé et embrumé, sa pâleur et ses cheveux ébouriffés Al PACINO se retrouve dans la peau d'un personnage qui a certainement inspiré Francis VEBER pour la séquence du hold-up commis par Pierre RICHARD jouant un chômeur désespéré dans "Les Fugitifs" (1986) où il accumule tant de gaffes que la police a tout le temps de se rendre sur les lieux, l'obligeant à prendre un otage en toute hâte. C'est exactement ce qu'il se passe dans "Un après-midi de chien": le braquage tourne court tant les malfaiteurs rivalisent de malchance et de maladresse et ils se retrouvent assiégés à l'intérieur de la banque par la police, le FBI, les journalistes et les badauds avec leurs otages. Le spectacle peut commencer.

C'est seulement à ce moment-là en effet que le film prend sa véritable dimension, celle qui l'ancre profondément dans son époque tout en lui donnant une portée visionnaire. "Un après-midi de chien", c'est le huis-clos caniculaire de "Douze hommes en colère" (1957) dans le bouillon de la contre-culture et sous les projecteurs du tribunal médiatique. Comme si Sidney LUMET-Henry FONDA tendait la main cette fois au Ratso de "Macadam cowboy" (1968) en lui donnant une tribune pour s'exprimer. Et pour cause! Dans cette histoire tirée de faits réels, la presse décrivait l'homme ayant inspiré le personnage de Sonny comme étant très proche du physique de Al PACINO et de Dustin HOFFMAN. Et c'est la crainte qu'il ne lui échappe au profit de son rival qui fit que Al PACINO (qui avait déjà joué pour Lumet dans "Serpico") (1973) accepta le rôle de cet homme dépassé par les événements et qui est amené à devenir le porte-voix des sans voix, ceux-ci étant admirablement symbolisés par la figure mutique et indéchiffrable de Sal (John CAZALE) qui semble emmuré en lui-même. Pourtant on apprend aussi que Sonny et lui-même sont des vétérans du Vietnam et l'on devine entre les lignes que comme Travis Bickle, ils n'ont jamais réussi à se réinsérer. Enfin la sexualité de Sonny, faite d'errance entre une normalité opprimante et une marginalité jetée en pâture aux médias est ce qui est à l'origine de son "coup de folie".

Le film, proche par son dispositif du documentaire offre une critique sociale et sociétale saisissante de l'Amérique au travers notamment de sa police, de sa justice, de ses médias et de ses valeurs morales puritaines. La disproportion flagrante du rapport de forces entre l'énorme cavalerie déployée autour de la banque et l'allure minable des deux braqueurs fait que, à l'image des otages, l'on prend fait et cause pour eux. Cette disproportion n'est que le reflet des inégalités sociales dont Sonny et Sal sont les victimes. C'est ce que met en évidence le moment où Sonny sort avec un mouchoir blanc à la main et se retrouve aussitôt braqué par des dizaines d'hommes. Lorsqu'il hurle "Attica!"* prenant la foule à témoin, il devient le porte-parole des "damnés de la terre" et il en va de même lorsque la raison de son geste désespéré est dévoilée sur la place publique. D'un côté, il est jugé, humilié, conspué, violé dans son intimité (un thème qui fait écho à l'époque paranoïaque du film et notamment à "Conversation secrète" (1974) où jouait aussi John CAZALE), de l'autre, l'homosexualité, le mariage gay et la transexualité (thème encore jamais abordé dans le cinéma en dehors des films underground) peuvent enfin s'exprimer au grand jour comme un abcès que l'on crève, Sonny devenant à son corps défendant aussi le porte-parole de cette humanité en souffrance à qui il clame son amour et qui le lui rend bien. La dimension christique de Sonny rejoint celle de Pacino qui s'est abîmé pour le rôle au point d'avoir réellement fini à l'hôpital (et d'avoir compris qu'il fallait laisser de côté quelque temps le cinéma pour sauver sa peau) alors que la fiction se nourrissant du réel et vice versa, c'est l'argent du film qui a permis au véritable Sonny de financer l'opération de sa femme trans, de même que sa lutte existentielle lui a sans doute sauvé la vie.

* Allusion à une mutinerie dans la prison d'Attica en 1971 en raison de l'assassinat d'un militant des Black Panthers par des gardiens lors d'une tentative d'évasion, le tout sur fond de racisme et de conditions de détention indignes. Le mouvement se termina dans un bain de sang (39 morts).

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Armageddon Time

Publié le par Rosalie210

James Gray (2022)

Armageddon Time

Les éléments qui font que je n'adhère pas au cinéma de James GRAY, je les ai retrouvés dans son dernier opus "Armageddon Time": une certaine tendance à surligner plutôt qu'à suggérer et un personnage principal qui en dépit de ses velléités de rébellion manque de caractère, qui semble subir les événements avec résignation ou s'en accommoder jusqu'à un certain point. On a beaucoup comparé Paul à Antoine Doinel mais ce dernier me fait plutôt penser à son ami Johnny beaucoup plus attachant, lui dont les rêves se brisent implacablement contre "un monde sans pitié" qui ne lui laisse aucune chance. Paul en dépit de son inadaptation (lent, rêveur, artiste) bénéficie d'une protection familiale que n'a pas son ami défavorisé sur tous les plans. Cette inégalité des chances condamne leur amitié dans un contexte de montée en flèche du libéralisme débridé (la victoire de Reagan, le film étant fortement autobiographique).

Ceci étant il serait dommage de s'en tenir là. Car en dépit de ces maladresses (récurrentes dans le cinéma de James Gray) le film à la tonalité douce-amère donne aussi beaucoup à réfléchir. Paul est un adolescent indécis qui doit se positionner par rapport aux valeurs véhiculées par sa famille qui ne sont pas les mêmes selon les générations. Le grand-père (formidable Anthony HOPKINS), très marqué par la violence antisémite et l'exil encourage son petit-fils à se réaliser dans ce qu'il aime et à affronter les injustices en "mensch" (c'est à dire avec honneur et intégrité, ce mot m'arrache toujours des larmes tant il me renvoie à "La Garçonnière" (1960) où déjà un sage d'origine juive encourageait Baxter en ce sens face aux compromissions du "rêve américain"). Les parents en revanche sont avant tout soucieux de s'intégrer (au point d'avoir américanisé leur nom de famille) et de faire réussir leur progéniture. Qui pourrait les en blâmer? D'autant que le père qui semble si dur envers son fils sait ce qu'est l'humiliation sociale et reconnaît sans peine la noblesse de son beau-père qui est le seul à lui avoir tendu la main. Il semble au fond impuissant et résigné à jouer le jeu cynique et individualiste que la société lui impose de peur de se faire écraser ("sauve ta peau"). Paul semble suivre ses traces mais le très beau final avec ses travellings arrière sur les lieux de son apprentissage vidés de leur substance laisse entendre que cela ne sera peut-être pas le cas.

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