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Articles avec #drame tag

Soudain l'été dernier (Suddenly, Last Summer)

Publié le par Rosalie210

Joseph L. Mankiewicz (1959)

Soudain l'été dernier (Suddenly, Last Summer)

"Soudain, l'été dernier" est une pièce en un acte de Tennessee Williams aux résonances autobiographiques: une mère castratrice, un fils poète à l'homosexualité cachée et honteuse, une sœur (cousine dans le film) fragile ayant subi une lobotomie. En résumé, des personnages incapables d'affronter la dure réalité et s'en protégeant par toutes sortes de mécanismes de défense.

La bonne idée de Mankiewicz est de bâtir son film sur le thème de la cure psychanalytique. En cinéaste traquant la vérité derrière les faux-semblants, il mène à travers son double, le Dr Cukrowicz (Montgomery Clift), une enquête qui couche après couche permet de la percer à jour. Plaçant ses personnages dans un huis-clos étouffant, il les fait évoluer dans une "forêt de symboles" (plantes et oiseaux carnivores, squelettes, fous, dieux, saints, martyrs...) Sauf que cette forêt-là est une jungle si épaisse qu'il faut une certaine patience pour en démêler les lianes. La parole libératrice occupe une place essentielle dans de longues scènes dialoguées ainsi que les réminiscences de la jeune Catherine Holly (jouée par Elisabeth Taylor) dont le traumatisme a été si profond qu'elle a tout oublié pour survivre. Quant à sa tante, Mrs Violet Venable (jouée par Katharine Hepburn), elle s'est réfugiée dans le déni et une posture mégalomane. Ses apparitions saisissantes dans l'ascenseur donnent l'impression qu'il s'agit d'une déesse qui descend des cieux alors qu'elle tente avec son argent de contrôler tout son entourage. Son obsession est de faire taire définitivement Catherine dont les paroles lui sont insupportables.

Mais quel est donc le terrible secret qui lie ces deux femmes? Il s'agit des circonstances exactes de la mort de Sébastien, cousin de l'une et fils de l'autre. Deux récits, deux visions d'un homme double. Une victime expiatoire dévorée par ses proies et un bourreau à la recherche de chair fraîche (la station balnéaire "Cabeza de lobo" signifie "Tête de loup"). Un être manipulé et manipulateur, cherchant à la fois à s'élever dans la sublimation et à se vautrer dans la fange. Sa fin digne d'une tragédie grecque a quelque chose de pasolinien alors que les deux femmes échangent leur place (l'une guérit, l'autre devient folle à son tour).

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Moonlight

Publié le par Rosalie210

Barry Jenkins (2016)

Moonlight

J'ai beaucoup aimé "Moonlight", film intime dont la délicatesse et la sensibilité ainsi que la manière de coller au plus près des émotions de ses personnages (et des acteurs qui les interprètent, tous formidables) fait voler en éclats les clichés que l'on attache aux ghettos noirs-américains. La lumière de la lune éclaire trois fragments de la vie d'un homme dont l'apparence -celle d'un caïd de la drogue bling-bling et bodybuildé- est totalement trompeuse. On comprend que cette carapace lui sert à dissimuler ses fragilités, lesquelles nous sont révélées alors qu'il n'est encore qu'un petit garçon. Taiseux, frêle et efféminé, Chiron est la tête de turc de son quartier où comme on peut s'en douter règne le crime, la drogue et le machisme. Oui mais pas que. La première bonne surprise vient de Juan, un dealer qui prend Chiron sous son aile. En dépit de sa carrure impressionnante, il s'avère être un père de substitution bienveillant, attentif et ouvert, plein de douceur et de délicatesse. C'est avec lui que Chiron fait ses premiers pas sur la plage et se baigne dans la mer, ce paysage féminin symbolisant un échappatoire du ghetto masculiniste où tous deux sont enfermés. La compagne de Juan, Teresa, elle aussi pleine de patience et de tact lui offre une alternative à sa mère indisponible, une paumée qui se défonce au crack et se prostitue. Tous deux lui offrent le toit, la protection et l'écoute qu'il n'a pas chez lui. Mais Juan ne réussit pas à résoudre ses contradictions et meurt dans le ghetto. Ensuite il y a Kevin, l'ami d'enfance de Chiron dont celui-ci tombe amoureux en grandissant. Kevin est lui aussi un homme à la sensibilité féminine, beaucoup plus intelligent et sensible que la moyenne. Mais son attirance pour Chiron pèse peu face au dictat normatif de son milieu. Du moins jusqu'à ce que les épreuves ne le fasse changer et sortir de l'enfer du ghetto.

Il rappelle alors Chiron à lui dans une longue scène qui est sans doute l'une des plus belles vues ces dernières années au cinéma. Celle où sans que rien d'explicite ne soit dit et encore moins montré l'on voit un homme mettre tout son cœur à nourrir un autre homme, sonder son regard, le faire parler pour faire craquer le vernis et l'aider à accoucher de lui-même. L'élan des retrouvailles amoureuses est sublimé par deux magnifiques chansons. Du côté de Chiron c'est "Cucurrucucu Paloma" de Caetano Veloso qui imprimait déjà sa marque au plus beau film d'Almodovar "Parle avec elle". Du côté de Kevin c'est "Hello stranger" de Barbara Lewis. Et c'est magnifique!  

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L'homme invisible (The invisible Man)

Publié le par Rosalie210

James Whale (1933)

L'homme invisible (The invisible Man)

Il était logique que H.G. Wells et James Whale finissent par se rencontrer. Tous deux d'origine britannique, ils ont œuvré dans le domaine de la science-fiction dont ils ont contribué à façonner les contours. H.G. Wells est avec Jules Verne, le père du genre en littérature. Quant à Whale, il a transposé de façon si marquante l'œuvre de Mary Shelley au début du cinéma parlant que Frankenstein, créature et créateurs confondus, ont pour toujours le visage maquillé de Boris Karloff.

Mais Wells et Whale ont un autre point commun. S'ils se sont projetés dans des univers futuristes ou fantastiques, c'est qu'ils ne se sentaient pas en accord avec la société dans laquelle ils vivaient. Wells avait connu la pauvreté donc le mépris de classe et Whale le rejet en tant qu'homosexuel. Les œuvres de Wells comme "La machine à explorer le temps" ou "Une histoire des temps à venir" comportent beaucoup d'éléments de critique sociale alors que la différence et la marginalité sont au cœur du travail de Whale.

Qu'arrive-t-il lorsqu'un homme qui n'a subi que des humiliations reçoit un pouvoir (l'invisibilité) qui le rend omnipotent c'est à dire semblable à dieu? C'est le questionnement qui hante "L'homme invisible" tout comme une autre britannique ayant connu la pauvreté avant de devenir riche et célèbre: J.K Rowling. Dans la saga "Harry Potter" plusieurs anciens enfants maltraités deviennent de redoutables sorciers dotés d'immenses pouvoirs, dont celui de devenir invisible. Le scientifique n'étant qu'un avatar du sorcier, il est logique que les questions traitées par ces oeuvres soit si proches.

Il en est de même en ce qui concerne leurs réponses. Le pouvoir que s'attribue le docteur Jack Griffin le rend complètement fou. Il régresse jusqu'à éprouver une joie infantile et sauvage à se venger de la société par laquelle il s'est senti écrasé comme il le confie à la femme qu'il aime. Perdant tout sens éthique, il sombre dans le vol et le crime. Même si chez Rowling, la rédemption et le désintéressement existent, la quête du pouvoir absolu est une folie qui se paye cash. Il en est de même pour Jack Griffin que son mal ronge au point de finir par le détruire.

Dans tous les cas, la psychopathologie de l'individu mégalomane se révèle indissociable d'une société elle-même malade. Le mal invisible qui frappe à l'aveugle évoquait hier les "rouges" ou les "bruns", il évoque aujourd'hui "les fous de dieu" suscitant la terreur et la paranoïa et son cercle vicieux d'injustices susceptibles d'entraîner encore plus de violences.   

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La fiancée de Frankenstein (Bride of Frankenstein)

Publié le par Rosalie210

James Whale (1935)

La fiancée de Frankenstein (Bride of Frankenstein)

"La fiancée de Frankenstein" est souvent considéré comme supérieur à son prédécesseur que je trouve déjà magnétique. Reprenant exactement à l'endroit où se terminait le premier film, il en approfondit tous les thèmes et creuse les personnages. Il est également encore plus pictural, distillant une atmosphère à la fois expressionniste et gothique.

Le docteur Frankenstein n'est plus ce jeune écervelé enivré de sa volonté de toute-puissance. Il est hanté par la créature qu'il a créé à son image et qui a failli le tuer. La créature qui lui a révélé son vrai visage et qui sème la mort sur son passage. Néanmoins Frankenstein est toujours aussi vulnérable à la tentation ce qui l'amène à signer une sorte de pacte faustien avec le docteur Praetorius. Celui-ci est une figure méphistophélique qui incarne l'emprise et l'absence de conscience morale. A l'image du docteur Folamour, il rêve de créer une nouvelle race (supérieure?) sur laquelle il règnerait sans partage. Ses talents de mage noir ne font aucun doute lorsqu'il montre les homonculus qu'il a réussi à créer. Il manipule facilement Frankenstein en jouant à la fois sur son hubris et sur son amour pour sa femme qu'il fait enlever par la créature qui n'a toujours pas de nom. Cette vanité (soulignée par des crânes allégoriques) les mène tous deux dans le décor: la tour déviante du premier volet dont l'écroulement parachève la destruction de leur prétention à vouloir égaler dieu (ou la nature suivant les croyances). Frankenstein et son épouse auraient initialement dû périr avec leurs doubles tordus mais les studios en ont décidé autrement, rendant la fin incohérente.

La créature de Frankenstein justement continue sa quête d'identité commencée dans le premier film et si elle rencontre beaucoup d'hostilité et de violence, elle est également touchée par la "grâce divine", incarnée par un ermite aveugle qui joue l'"Ave Maria" sur son violon. Bouleversé par la beauté de la musique et l'amitié que lui offre le vieil homme qui ne voit pas son apparence, la créature apprend à parler, à exprimer ses sentiments et à goûter aux joies simples de la vie. Déjà poignant dans le premier volet, Boris Karloff, devenu entretemps une star (son nom est annoncé en gros titre avant celui de tous les autres alors que dans le générique du premier film il n'était même pas cité) incarne toute la souffrance de l'être différent condamné à porter la croix d'une solitude perpétuelle. Sa fameuse "fiancée", doublure maléfique elle aussi d'une figure créatrice (Mary Shelley elle-même puisque c'est la même actrice qui incarne l'auteure et la créature féminine) le repousse au profit de son créateur, précipitant leur fin tragique à tous deux. 

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Frankenstein

Publié le par Rosalie210

James Whale (1931)

Frankenstein

Le mythe du savant fou est aussi ancien que la civilisation occidentale elle-même puisqu'il remonte à Prométhée et que le titre du livre de Mary Shelley est justement "Frankenstein ou le Prométhée moderne". Incarnation du désir de toute-puissance, il veut construire une tour qui atteigne les cieux, il veut créer la vie et s'affranchir de la mort, en bref il veut s'approprier les prérogatives divines. Et ce sont les révolutions scientifiques et techniques (dont celle que représente le cinéma lui-même!) qui vont lui donner les moyens sinon de réaliser ses ambitions, du moins de s'en rapprocher. Avec à chaque fois, de terribles retours de bâton. A la punition divine de l'antiquité vont se substituer progressivement les catastrophes provoquées par la "science sans conscience". Même si la vision du scientifique dans les films dont s'est inspiré Whale (à commencer par le "Metropolis" de Fritz Lang) ressemble à s'y méprendre à celle du sorcier du moyen-âge avec ses étranges instruments et ses alambics fumants.

Le film de James Whale n'est ni la première adaptation cinématographique du roman de Mary Shelley (il y a eu au moins deux versions muettes sorties respectivement en 1910 et 1915) ni le premier film parlant avec des monstres (Dracula de Tod Browning est sorti quelques mois auparavant). Mais il a frappé l'imaginaire collectif parce qu'il a su aller à l'essentiel tant sur le plan esthétique que sur le plan narratif.

Un des aspects les plus fascinants du film est sa construction tout en verticalité tordue (à l'image de Fritz, l'assistant bossu de Frankenstein). Cela dit tout de l'état d'esprit du docteur. Celui-ci est souvent confondu avec sa créature et cela se justifie particulièrement ici tant il cumule les tares. A sa mégalomanie il faut ajouter l'inconscience et l'irresponsabilité. Il implante sur sa créature un cerveau qu'il sait appartenir à un criminel ("ce ne sont que des tissus morts") puis déçu du résultat, il l'abandonne à son sort comme un enfant capricieux abandonne son jouet cassé pour aller s'amuser ailleurs. Il ne se préoccupe même pas des dégâts que sa créature pourrait causer. A aucun moment il ne se remet en question.

Les catastrophes provoquées par ce scientifique dévoyé, ce sont les meurtres qui jalonnent le parcours du monstre lequel n'est que le reflet de celui qui l'a créé et qui forment autant de trouées mortifères dans le flux de la vie. La séquence la plus extraordinaire à cet égard est celle de la marche du père tenant sa fille morte dans les bras, figeant peu à peu les mouvements de liesse du mariage. En dépit de l'atavisme de son cerveau, son comportement meurtrier semble bien davantage lié à la violence qui lui est faite et à son manque d'éducation. Tel un enfant abandonné, il n'a aucun repère, aucune notion de bien et de mal. Et ce d'autant plus qu'il n'a connu que le rejet et la brutalité. Il agit de façon instinctive et innocente et se retrouve démuni, dépassé par son propre comportement comme lorsqu'il noie Maria en voulant jouer avec elle. Boris Karloff fait une composition extraordinaire en combinant l'horreur que l'apparence et les actes de son personnage inspirent et la compassion profonde que l'on ressent devant son humanité en souffrance. 

 

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Dead again

Publié le par Rosalie210

Kenneth Branagh (1991)

Dead again

Le deuxième film de Kenneth Branagh garde la flamboyance du premier tout en changeant de cadre de référence. "Dead Again" lorgne clairement du côté du thriller hitchcockien. Un mélange de "Rebecca" (les fantômes du passé, la gouvernante jalouse), du "Crime était presque parfait" (les ciseaux comme arme du crime déclinés sous toutes les coutures), de "Psychose" (le noir et blanc, la scène de meurtre) et de "Vertigo" (une vivante hantée par une morte). Le tout avec une bonne dose d'humour parodique qui fait passer la pilule de ce que cette histoire de réincarnation et de phénomènes paranormaux peut avoir d'abracadabrantesque. Les dialogues entre Derek Jacobi en antiquaire hypnotiseur arnaqueur et Kenneth Branagh en détective rationnel sont particulièrement savoureux.

Mais "Dead Again" n'est pas qu'un exercice de style, même parodique. Il est aussi une histoire d'amour fou, un de ces amours passionnels et fusionnels qui ne peuvent finir que tragiquement. Le couple romantique des années 40 (Roman et Margaret) est en quelque sorte une projection fantasmée du couple des années 90 (Mike et Amanda). Ce couple contemporain n'est au final que le reflet de Kenneth Branagh et Emma Thompson, véritables "étoiles jumelles" à l'écran comme dans la vie. Dans le film, leur proximité est telle qu'ils peuvent même changer de sexe pour se réincarner dans l'autre puisqu'ils se définissent comme "deux moitiés d'une même personne que rien ne peut séparer." Mais la réalité a fini par les rattraper.

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Le Port des passions (Thunder Bay)

Publié le par Rosalie210

Anthony Mann (1953)

Le Port des passions (Thunder Bay)

"Le Port des passions" est un film handicapé par plusieurs facteurs.

Le premier et non des moindres est le fait qu'il a été tourné au beau milieu des magnifiques westerns réalisés par Mann et mettant en scène James Stewart. Plus précisément entre "Les Affameurs" et "L'Appât" d'un côté et "Je suis un aventurier" de l'autre. Evidemment à côté de tels géants, "le Port des passions" fait figure de nain.

Le deuxième problème est lié à la faiblesse d'un scénario quelque peu manichéen que l'on peut résumer ainsi "pêcheurs obscurantistes contre prospecteurs visionnaires". Dans ce que l'on peut qualifier de conflit d'usage avant la lettre les pétroliers ont le beau rôle: ce sont des héros venus insuffler dynamisme et modernité à la petite communauté de Louisiane endormie sur ses traditions. D'ailleurs les filles du patron-pêcheur ne s'y trompent pas: elle craquent pour les deux beaux aventuriers joués par James Stewart et Dan Duryea au grand dam de leur père.

Enfin le troisième problème est lié au deuxième. La réception du film ne peut plus être la même aujourd'hui. Même s'il s'agit plutôt d'un film d'aventures, il est imprégné de l'esprit pionnier des westerns que Mann tournait à la même époque. Celui qui poussait à conquérir, à explorer, à mettre en valeur des territoires vierges (ou considérés comme tels par les occidentaux, c'était bien là le problème). Mais cette période est révolue, de même que son idéologie dominante. Aujourd'hui les sociétés occidentales récoltent les effets pervers de ce qu'elles ont semé. D'une part la revanche de ceux qui ont été spoliés (guerre coloniales, terrorisme etc.) D'autre part la pollution et le réchauffement climatique. Impossible de souscrire aujourd'hui au message du film à savoir l'apologie du progrès technologique et du pétrole vu comme une "ressource naturelle" à exploiter au même titre que la crevette.

Cependant, en dépit de tous ces défauts le film reste agréable à voir. Il est bien mis en scène, bien photographié et bien joué par des pointures de l'époque (Stewart et Duryea mais aussi Joanne Dru vue dans des chefs d'oeuvre du western comme "La Rivière rouge" de Hawks et "La Charge héroïque" de Ford.) Et puis il a une valeur historique car il permet de mieux comprendre d'état d'esprit qui a accouché par exemple du projet d'aménagement de l'aéroport de Notre Dame des Landes dans les années 60, un projet tout juste remis en cause en 2018 sous la pression entre autre de ces soi disant arriérés de paysans.

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Joyeux Noël

Publié le par Rosalie210

Christian Carion (2005)

Joyeux Noël

Tout film antimilitariste et pacifiste est bon à prendre mais celui-ci est d'une part trop pétri de bons sentiments et d'autre part trop scolaire. Tel un élève appliqué, le réalisateur choisit d'alterner du début à la fin de manière assez mécanique trois points de vue: celui des français, celui des écossais et celui des allemands. Cela donne trois salles de classes, trois tranchées, trois chefs (deux lieutenants et un prêtre anglican), trois remontages de bretelles de la hiérarchie. Le résultat est assez lourd et les seconds rôles comiques ne remontent pas le niveau, Dany Boon en tête. De plus, les scènes de fraternisation semblent se dérouler dans un décor factice (le rôle du cinéma est quand même de faire illusion ou de la briser en l'assumant, ce n'est pas le cas ici) et le personnage de la soprano est totalement improbable dans ce contexte.

Il n'en reste pas moins que ce film a des vertus pédagogiques certaines. Tout d'abord il nous rappelle des faits méconnus mais réels ayant d'ailleurs eu lieu durant toute la durée du conflit et pas seulement lors du réveillon de noël 1914. Ensuite il montre la propagande patriotique dont sont gavés les enfants pour les préparer à devenir soldats (en France notamment avec la "revanche" contre les allemands qui avaient gagné la guerre de 1870 et pris l'Alsace-Moselle à la France, régions coloriées en noir sur toutes les cartes de géographie). Enfin il montre ce qu'il faut bien appeler des actes de désobéissance civique d'individus que leur terrible expérience des tranchées rapprochent par delà les frontières et les antagonismes. Ce qui fait dire d'ailleurs au lieutenant joué par Guillaume Canet qu'il s'est senti plus proche des Boches de la tranchée d'en face que des dirigeants de son propre camp. Ce discours là rejoint celui de Kubrick pour qui la véritable frontière était sociale entre généraux et simples soldats. On pense aussi au film de Lubitsch "L'homme que j'ai tué" devant le cynisme de l'évêque qui condamne l'attitude du prêtre et fait un sermon belliqueux, montrant la facilité avec laquelle les textes religieux peuvent être manipulés pour des raisons politiques. Comment ne pas faire le rapprochement avec l'islamisme d'aujourd'hui?

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Eve (All About Eve)

Publié le par Rosalie210

Joseph L. Mankiewicz (1950)

Eve (All About Eve)

"Eve" est un film remarquablement construit et terriblement prenant. Il ne se contente pas de se prendre lui-même pour sujet (car le monde du théâtre n'est qu'un paravent, le vrai sujet du film ce sont les coulisses du cinéma et leurs remugles fétides), il constitue une analyse brillante des ressorts qui mènent à la réussite. C'est pourquoi il a servi de modèle à tant de films ultérieurs.

La scène de remise de prix par laquelle s'ouvre le film est une introduction remarquable au drame qui va nous être raconté. Alors qu'il s'agit du couronnement de la réussite d'Eve, les plans successifs sur les visages du critique DeWitt, de Karen la femme de l'auteur de la pièce et de Margo l'actrice éclipsée font surgir un début de malaise. Ils ne participent pas à la liesse générale et fixent Eve d'un regard plein de mépris. Leurs récits rétrospectifs entrecroisés qui constituent l'essentiel du film ont pour but de démystifier l'ascension d'Eve qui s'est faite sur des mensonges et des trahisons ainsi que son personnage dont l'angélisme apparent cache une âme de vampire. Comme le disent Margo et DeWitt, elle a un trou à la place du cœur qu'elle a comblé en s'appropriant la gloire de l'actrice vieillissante. Bette Davis n'était pas le premier choix de Mankiewicz pour interpréter Margo (il avait d'abord été attribué à Claudette Colbert) mais force est de constater que le rôle lui va comme un gant. D'ailleurs à 40 ans passés, elle avait pu goûter à l'amertume d'être oubliée par les studios lui préférant des actrices plus jeunes.

Cependant, derrière la peinture des caractères c'est aussi un système vicié qui est dépeint. Margo apparaît comme une star jalouse et capricieuse qui en fait voir de toutes les couleurs à son entourage. Mais elle a la sagesse de progressivement se détacher du milieu du spectacle ce qui lui permet de trouver la paix. Karen apparaît avant tout comme une femme frustrée (de n'être que "la femme de") qui vit par procuration. Soi-disant la meilleure amie de Margo, elle introduit en réalité le vers dans le fruit et contribue à son succès. Ce qui se retourne contre elle puisque Eve réussit à séduire son mari (alors qu'elle a échoué avec le fiancé de Margo). Enfin Eve est certes une prédatrice mais en se jouant des autres pour parvenir à ses fins, elle devient au final une esclave du système. La terrible scène où DeWitt la démasque et la remet à sa place en témoigne: elle est désormais enchaînée à lui qui a le pouvoir de faire et de défaire les carrières.

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Notre pain quotidien (Our Daily Bread)

Publié le par Rosalie210

King Vidor (1934)

Notre pain quotidien (Our Daily Bread)

Une fille de la ville (Barbara Pepper) qui débarque à la campagne et fait tourner la tête d'un paysan, John Sims (Tom Keene) au détriment de sa femme Mary (Karen Morley) cela fait penser au scénario de "L'Aurore" de Murnau. Sauf qu'ici la tentatrice ne met pas seulement en péril un mariage mais l'existence d'une communauté toute entière dont les membres repartent à zéro dans le contexte de la crise de 1929. Le collectif et l'individuel, la politique et l'amour sont en effet ici indissociables.

Récit typique de la Grande Dépression (on pense aux "Raisins de la colère" d'autant plus qu'il y a un acteur commun aux deux films, John Qualen mais aussi à "L'Extravagant M.Deeds" de Capra), il ne s'agit pas pour autant d'une chronique historique réaliste. On navigue plutôt entre l'utopie collectiviste et la parabole religieuse:

- Le récit est d'une part une fable humaniste qui déploie une vision du travail et de l'argent très éloignée de la doxa capitaliste. La crise rend l'individualisme tragique. C'est pourquoi la solution passe par la formation d'une collectivité. Il ne s'agit pas de socialisme car l'Etat est absent mais plutôt d'anarcho-syndicalisme c'est à dire d'une coopérative autogérée où les biens sont mis en commun et où la solidarité et l'entraide jouent un rôle essentiels.

- D'autre part le retour à la terre est raconté comme une parabole religieuse. Le titre reprend un morceau de la prière "Notre père". John Sims est un nouveau Moïse qui guide les chômeurs vers la terre promise. Il est aidé par Louie (Addison Richards) qui en fait est un truand mais dont le sacrifice permet à la communauté de survivre. C'est également le fantôme de Louie qui remet John sur le droit chemin quand il est sur le point de tout abandonner. Louie est à la fois la voix et le fils de Dieu. Cela donne de quoi réfléchir.

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