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Articles avec #drame tag

Le Lys brisé (Broken Blossoms)

Publié le par Rosalie210

D.W. Griffith (1919)

Le Lys brisé (Broken Blossoms)

"Le Lys brisé" a tout juste un siècle. Et pourtant en dépit de son pathos quelque peu obsolète, il est encore bien d'actualité. S'y pose en effet la question de la représentation des minorités ethniques au cinéma ainsi que celle de la maltraitance infantile.

Le fait de choisir des acteurs occidentaux pour jouer les personnages noirs et asiatiques remonte aux origines d'Hollywood et se perpétue de nos jours sous des formes plus ou moins hypocrites (par exemples des personnages décrits comme noirs, indiens, asiatiques ou métis dans les romans, comics ou mangas sont incarnés par des blancs à l'écran). C'est ce que l'on appelle le "whitewashing" ou le "racebending". Dans "Naissance d une Nation" (1915), les noirs sont joués par des blancs grimés et il en va de même des chinois dans "Le Lys brisé". Richard BARTHELMESS est certes excellent mais là n'est pas le problème. Le problème est celui de l'invisibilité de ces minorités ainsi "blanchies" et caricaturées par cette forme de censure déguisée. De plus cela signifie que pour que le public américain adhère au discours lénifiant de D.W. GRIFFITH sur la grandeur d'âme de "l'homme jaune" il ne suffit pas que l'homme blanc, Battling Buttler (Donald CRISP) soit très méchant, il faut que l'homme jaune n'en soit pas vraiment un. Quant au métissage que l'Amérique profonde a en horreur, il est tout aussi prohibé dans "Le Lys brisé" qu'il ne l'était dans "Naissance d une Nation" (1915). Cheng n'a le choix qu'entre la chasteté, le viol ou le suicide, le geste d'auto-défense de Lucy montrant qu'elle ne se laissera jamais approcher par un non-blanc et que rien n'a évolué depuis "Naissance d une Nation" (1915). C'est pourquoi quand je lis encore aujourd'hui des critiques qui affirment que "Le Lys brisé" est un film anti-raciste j'ai envie de rire...jaune.

La maltraitance des enfants par leurs parents qui est au cœur du film n'a pas du tout disparu. Rien qu'en France, un enfant meurt tous les cinq jours sous les coups de ses parents. Un problème beaucoup moins médiatisé que celui des femmes car celles-ci en tant qu'adultes autonomes ont aujourd'hui les moyens de se faire entendre contrairement aux enfants qui restent sans voix dans un monde qui n'est pas fait pour eux. Le martyre de Lucy met donc en lumière le triste sort des enfants non désirés (que certains s'acharnent cependant toujours à vouloir faire venir au monde à tout prix) avec toute la force de frappe de l'expressivité du muet, de la maîtrise cinématographique de D.W. GRIFFITH et de la bouleversante interprétation de Lillian GISH. Comme Emil JANNINGS dans "Le Dernier des hommes (1924)" son frêle corps est ployé par le poids de sa souffrance et son visage crispé et terrifié devant son père semble prématurément vieilli comme celui des enfants-cobayes de "Akira" (1988). Cela ne rend que plus effrayant encore ses sourires forcés qu'elle se compose avec les doigts. De toute manière chaque face à face avec son père est un moment de tension brute qui flirte avec le film d'épouvante. La scène du cagibi dont la porte est défoncée à coups de hache par le père a d'ailleurs servi de modèle à Stanley KUBRICK pour "Shining" (1980). Cette scène est plus parlante que celles du même genre qui ont pu être tournées par la suite avec le son. L'intensité des cris de Lillian GISH était telle pendant le tournage que ceux qui les entendaient avaient bien du mal à ne pas courir à son secours. Et lorsque l'on voit ce visage déformé par la terreur la plus brute, on a pas besoin d'entendre les cris pour comprendre pourquoi.

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Les Horizons morts

Publié le par Rosalie210

Jacques Demy (1951)

Les Horizons morts

C'est le film de fin d'études de Jacques DEMY réalisé alors qu'il sortait de l'école de Vaugirard (l'Ecole nationale supérieure Louis Lumière à Paris aujourd'hui situé dans la Cité du cinéma à Saint-Denis). D'une durée de huit minutes il présente un intérêt certain pour ceux qui veulent mieux connaître le cinéaste. On y voit un jeune homme neurasthénique (Jacques DEMY lui-même qui au début de sa carrière interprétait parfois de petits rôles chez ses confrères tels François TRUFFAUT) errer misérablement dans sa chambre de bonne aux allures de taudis. Les films de cette époque comme "Pickpocket" (1959) sont la meilleure pîqure de rappel qui soit pour visualiser les conséquences de la crise du logement des années 50. Un rapide flasback nous permet de comprendre que c'est une trahison amoureuse qui est le déclencheur du désespoir du héros, lequel songe alors dans la plus pure tradition romantique au suicide.

En dépit du cadre minimaliste du film, le savoir-faire de Jacques DEMY dans l'utilisation du découpage des plans et du montage est déjà très élaboré. Surtout certaines thématiques propres à ce réalisateur émergent déjà. C'est d'ailleurs le principal intérêt de ces premières oeuvres de les présenter si crûment. Le plan sur la croix chrétienne qui fait renoncer le personnage à son envie de suicide traduit le poids de son éducation religieuse dans sa conscience. Une éducation qui a façonné son apparence physique de "premier communiant" jusqu'au moment où les ravages de la maladie dans les années 80 viendront fissurer cette apparence si lisse abritant une conscience tourmentée. La contradiction irréconciliable entre la morale (le surmoi) et les désirs (le ça) du cinéaste se retrouve dans tous ses films. On voit ainsi dans les "Horizons morts" le personnage aller sans arrêt de sa fenêtre au miroir et du miroir à la fenêtre, une alternance fondamentale de tout son cinéma qui oscille entre la chambre et le port: "Les Horizons morts tracent une frontière fondamentale du cinéma de Jacques Demy qui tangue du repli à l'évasion, du désir de se fuir et celui de se trouver. Avec ce doute infini dont tous ses films seraient au fond agités: des horizons enclos de la rêverie ou de ceux éperdus du voyage, lesquels sont mortifères?" (Camille Taboulay)

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Le Pont des espions (Bridge of Spies)

Publié le par Rosalie210

Steven Spielberg (2015)

Le Pont des espions (Bridge of Spies)

Comme l'un de ses mentors Stanley KUBRICK, Steven SPIELBERG a couvert de nombreux conflits du XX° siècle: la première guerre mondiale avec "Cheval de guerre" (2011), la seconde guerre mondiale avec "La Liste de Schindler" (1993) et "Il faut sauver le soldat Ryan" (1998) et plus récemment la guerre froide avec "Le Pont des espions". Il s'agit d'un film prenant du début à la fin, basé sur des faits réels: l'échange en février 1962 de l'américain Gary Powers, pilote d'un avion-espion abattu au-dessus du territoire soviétique contre l'espion communiste Rudolf Abel, emprisonné aux Etats-Unis. Mais aucun d'eux n'est le héros de Steven SPIELBERG car il préfère se focaliser sur l'avocat James Donovan (Tom HANKS), le négociateur de l'échange. Donovan est un homme ordinaire embarqué dans une situation extraordinaire. Bien que le mot ordinaire ne soit pas tout à fait approprié en ce qui le concerne puisqu'il s'agit d'un Mensch. Dans la culture juive, ce terme désigne un homme qui fait le bien et se comporte avec droiture, un héros du quotidien. C'est la métaphore de "l'homme debout" qui revient plusieurs fois dans la bouche de Rudolf Abel. Steven SPIELBERG privilégie toujours les ponts aux murs et la fraternité aux logiques étatiques. Dans des films tels que "Rencontres du troisième type" (1977), "E.T. L'extra-terrestre" (1982) ou encore "Munich" (2006), l'autre est considéré par l'Etat comme un ennemi à détruire ou un alien à exploiter. C'est le désir de communiquer qui fait reconnaître en cet autre un frère. De fait, Donovan se retrouve plongé au départ presque malgré lui dans des rouages et des calculs diplomatiques qui le dépassent. il s'implique totalement dans sa tâche qui est d'abord de défendre équitablement Rudolf Abel (Mark RYLANCE, admirable de sobriété) puis de lui sauver la vie. Pour cela il joue habilement sur deux tableaux: l'image d'exemplarité démocratique que doivent renvoyer les USA au monde pour damer le pion aux soviétiques et le fait que garder en vie l'espion constitue une monnaie d'échange au cas où l'un des leurs tomberait entre leurs mains. Mais ces arguments de bon sens sont mis à mal par l'atmosphère paranoïaque qui règne aux USA à cette époque. Alors que la télévision et l'école terrifient les gens avec des images d'apocalypse nucléaire, la famille de James Donovan est victime de ses propres concitoyens. Steven SPIELBERG rappelle comme de nombreux cinéastes avant lui la sauvagerie présente au sein du peuple américain, toujours prête à bondir sous forme de lynchages et autres formes de "justice expéditive". La mission de Donovan se complexifie encore lorsqu'il se rend à Berlin pour négocier l'échange. En effet, de sa propre initiative et contre sa hiérarchie, il se met en tête de récupérer non seulement l'espion américain Gary Powers mais également un étudiant innocent pris au piège durant la construction du mur et qui en dehors de sa nationalité américaine ne représente aucun intérêt pour la CIA. Tâche d'autant plus délicate que l'étudiant est détenu par les autorités de la RDA qui ne supportent pas d'être traitées comme les larbins des soviétiques et veulent dicter leurs propres conditions. C'est pour cela que si l'échange des espions a lieu sur le pont de Glienicke, la remise de l'étudiant se déroule à Checkpoint Charlie, symbole de la "souveraineté" de la RDA (dont Brejnev rappellera toutefois combien elle est limitée). 

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Hirune Hime, rêves éveillés (Hirune hime: shiranai watashi no monogatari)

Publié le par Rosalie210

Kenji Kamiyama (2017)

Hirune Hime, rêves éveillés (Hirune hime: shiranai watashi no monogatari)

"Hirune Hime, rêves éveillés" a connu une sortie confidentielle en France cet été. Il s'agit d'un film d'animation qui comme souvent au Japon entremêle le rêve et la réalité, l'un étant au service de l'autre. L'héroïne, Kokone est narcoleptique c'est à dire qu'elle a tendance à s'endormir à tout bout de champ. Mais ses rêves ne sont qu'une version plus chatoyante de son vécu, caractérisé par un puzzle familial à reconstituer. Dans ses rêves, elle vit à Heartland (cœur d'acier en VF) une ville industrielle rétro-futuriste qui rappelle un peu Metropolis et l'univers de Miyazaki. Elle-même se nomme Cœur (Ancien en VO) et possède des pouvoirs magiques, sa baguette étant une tablette numérique. Elle peut en particulier donner vie aux objets et aux machines. Le lien avec la réalité réside bien évidemment dans la technologie qui fait office de magie, l'enjeu de l'histoire étant la création d'un prototype de voiture autonome pour les jeux olympiques de 2020. Un prototype dont les plans ont été mis au point par les parents de Kokone (qui travaillaient tous deux dans l'industrie automobile) mais dont un mystérieux sbire du chef de l'entreprise Shijima, Watanabe veut s'emparer pour son propre profit. La mère de Kokone est décédée dans un accident quand celle-ci était bébé et son père est arrêté pour espionnage industriel. Kokone se retrouve donc seule pour tenter d'empêcher Watanabe de s'emparer de la tablette magique qui renferme les fameux plans.


L'ensemble se suit agréablement notamment grâce à des personnages sympathiques et émouvants et des décors très soignés (ceux de Tokyo et d'Osaka notamment). Cependant l'histoire (la recomposition d'une famille) est très traditionnelle et le cheminement entre le rêve et la réalité est si bien balisé qu'il n'y a certes pas de risque de se perdre mais pas de folie baroque non plus.

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Folies de femmes (Foolish wives)

Publié le par Rosalie210

Erich von Stroheim (1920)

Folies de femmes (Foolish wives)

Même dans les versions plus ou moins écourtées qu'il nous reste du troisième film de Erich von STROHEIM, ce dernier marque l'esprit. Il faut dire que Erich von STROHEIM qui une fois de plus est devant et derrière la caméra ainsi que l'auteur du scénario a vu les choses en grand: son film devait durer plus de six heures. Même à l'époque, cela ne passait pas auprès des studios avec lesquels il était en conflit. Dommage qu'il n'ait pas pu étendre son désir de contrôle à la production et distribution de ses films.

"Folies de femmes" est un film incroyablement moderne de par les thèmes traités mais aussi la manière de les traiter. Erich von STROHEIM est un moraliste (et non un moralisateur) dont le regard caustique est aussi réjouissant que percutant. Il rend visible les stigmates de l'après-guerre que ce soit la crise sociale ou les anciens combattants infirmes pour mieux souligner la facticité et le parasitisme du petit milieu mondain qu'il dépeint (Monte-Carlo, un paradis fiscal, rien de neuf sous le soleil). Un milieu oisif, corrompu et décadent obsédé par l'argent et le sexe. Erich von STROHEIM dans l'un des rôles les plus mémorables de sa carrière interprète Karamzin, faux comte russe ayant vraisemblablement usurpé ses décorations militaires mais vrai escroc et surtout redoutable prédateur sexuel. Dans le film, il court trois lièvres à la fois. Son oeil-caméra nous offre des plans voyeuristes saisissants des pieds et jambes de ses victimes (un fétichisme assumé que l'on retrouve de film en film) mais aussi du buste maté sournoisement à l'aide d'un miroir. La lâcheté du personnage n'a d'égale que sa perversion. Il n'attaque que des proies d'un statut social inférieur au sien ou bien handicapées (les premières victimes de viol encore de nos jours) ou endormies et isolées. Cette lâcheté combinée à son hypocrisie le rendent ridicule et pitoyable, sauf aux yeux de ses victimes qui se laissent prendre à ses larmes de crocodile (ou plutôt des gouttes de thé s'écoulant d'un bout de mouchoir caché dans sa main). Car le regard moraliste de Erich von STROHEIM trouve des relais dans le film auprès d'autres regards: celui du moine qui le prend en flagrant délit de tentative de viol et le tient en respect tout au long de la nuit, celui du soldat infirme et celui du faux monnayeur qui le remet à sa vraie place: dans l'égout.

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Miraï, ma petite soeur (Mirai no Mirai)

Publié le par Rosalie210

Mamoru Hosoda (2018)

Miraï, ma petite soeur (Mirai no Mirai)

Pour les japonais animistes, les arbres sont tellement sacrés qu'ils préfèrent les intégrer à leur urbanisme plutôt que de les couper. Il n'est donc pas rare d'observer leur présence au beau milieu d'une gare, d'une route ou comme dans le film qui nous occupe, d'une maison. Car bien qu'étant issue de l'esprit de son père architecte, la maison de Kun, le héros du dernier film de Mamoru HOSODA est construite en marches d'escaliers (comme si elle épousait une pente naturelle) avec en son coeur, une cour intérieure abritant un arbre. Or cet arbre "généalomagique" contient en lui toute l'histoire familiale. C'est grâce à lui que la crise déclenchée par l'arrivée de Miraï la petite soeur de Kun (qui signifie "avenir") va pouvoir se dénouer. S'ensuit un formidable voyage temporel entre passé, présent et futur, réalité et imaginaire qui permet à Mamoru HOSODA de développer ses thèmes de prédilection: les voyages dans le temps ("La Traversée du temps" (2007)), l'évolution de la famille et les relations entre l'homme, la nature et les esprits ("Summer Wars (2009)", "Les Enfants Loups, Ame & Yuki" (2012), "Le Garçon et la Bête") (2015). Dans tous les cas, l'enjeu est de grandir et de trouver sa place aussi bien dans sa famille et dans le monde. Kun âgé de quatre ans à l'arrivée de sa soeur est particulièrement égocentrique et capricieux, une véritable "tête à claques" comme il se qualifie lui-même une fois devenu adolescent. L'arrivée de Miraï dans la famille déclenche donc en lui une jalousie incontrôlable parce qu'il n'est plus au centre du monde (comme le montre particulièrement bien la scène des photographies). La douleur et la colère le poussent à faire des bêtises, à tourmenter sa soeur voire à se mettre en danger. Sa rencontre avec des membres de sa famille à divers âges de leur vie ainsi qu'avec son chien Yukko métamorphosable en homme sont des jalons essentiels pour l'apaiser et lui permettre de donner du sens à son vécu. La plasticité spatio-temporelle et rêve-réel n'empêche pas le récit d'être limpide. En effet, l'arbre est toujours le déclencheur des événements fantastiques tandis que l'album photo familial permet de replacer chaque voyage dans l'histoire de la famille et de s'interroger sur la part de hasard et de destin dans sa construction. On remarque également que les garçons de la famille ont tous une fragilité entre un grand-père estropié, un père gringalet et un fils en proie à la furie furieuse. Le fait que le père garde les enfants à la maison pendant que la mère travaille dans une configuration semblable à celle des "Les Indestructibles 2" (2018) montre que l'évolution des rôles sexués touche aussi le Japon. Enfin signalons une scène onirique magnifique dans la gare de Tokyo utilisant la technique du papier découpé. Les trains dont raffole Kun sont les principaux véhicules de rêve et d'aventure mais ils peuvent aussi à l'occasion se transformer en cauchemar.

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Mélo

Publié le par Rosalie210

Alain Resnais (1986)

Mélo

De ses origines boulevardières, "Mélo" a gardé un dispositif théâtral (livret, rideau rouge, décor extérieur factice) et son titre qui fait référence au drame populaire. Mais Alain RESNAIS a transformé la pièce vaudevillesque de Henri Bernstein en tragédie dans le prolongement de "L Amour à mort" (1984). Il est courant d'opposer les deux films mais ce que je vois, c'est surtout la continuité. Pas seulement parce que Alain RESNAIS réemploie le même quatuor de comédiens mais parce que les thèmes abordés et surtout la manière de les mettre en scène sont fondamentalement les mêmes. La passion amoureuse symbolisée par le bouquet de roses rouges débouche sur le suicide de Romaine, l'héroïne (Sabine AZÉMA). Se consumant dans l'adultère, elle fait l'objet d'un interdit qui en accroît l'intensité tout comme le caractère mortifère. De plus à l'exception de Christiane joué par Fanny ARDANT (mais que l'on voit peu), les personnages ont des caractères infantiles assez marqués. Romaine ressent le besoin d'échapper à son époux Pierre (Pierre ARDITI) qui ressemble à un petit garçon aux besoins tyranniques mais elle-même se comporte de façon capricieuse et puérile. On comprend d'emblée pourquoi le couple ne peut avoir d'enfant puisqu'ils en sont encore à faire des "piou-piou", "culbutes" et autres "poum-poum" en guise de jeux (?) Leur ami Marcel (André DUSSOLLIER) n'est pas en reste en terme d'immaturité. Son addiction aux amours malheureuses cache un féroce narcissisme que Resnais révèle lors du monologue où il prend ses états d'âme pour objet mais surtout lorsqu'il formule ses exigences envers Romaine qu'il contribue ainsi à pousser au suicide. Tous rêvent de fusion et ont une peur bleue de la séparation comme s'ils n'avaient jamais coupé le cordon.

C'est dans ce film que je me suis rendue compte à quel point Alain RESNAIS avait un talent incroyable pour filmer les voix des acteurs. Le monologue de 10 minutes de André DUSSOLLIER est d'autant plus prenant que la caméra le serre et l'isole, mettant en valeur aussi bien les expressions de son visage que les moindres nuances de sa voix dont il fait ressortir la musicalité particulière. De quoi faire vibrer le spectateur à l'unisson du visage fasciné de Romaine. Dans le même esprit je recommande la déclaration d'amour de Lionel à Célia dans "Smoking" (1992) où la caméra s'envole vers le ciel en osmose avec le lyrisme de la voix de Pierre ARDITI: frissons garantis. Car la passion amoureuse, c'est peut-être puéril mais c'est beau à en mourir.

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Maris aveugles/La Loi des montagnes (Blind Husbands)

Publié le par Rosalie210

Erich von Stroheim (1919)

Maris aveugles/La Loi des montagnes (Blind Husbands)

"Maris aveugles" est le premier film réalisé par Erich von STROHEIM. Il est également l'auteur du scénario et l'un des acteurs principaux. Ainsi dès ce coup d'essai, il se révèle l'auteur complet de ses films avec une volonté de contrôle et des ambitions démesurées qui ne pouvaient qu'entraîner des conflits avec les studios. Heureusement pour ce coup d'essai encore relativement modeste, la seule concession qu'a dû faire Stroheim est de changer le titre initial "The Pinnacle" en "Maris aveugles", plus vaudevillesque mais prêtant moins à confusion (en anglais le mot pinacle a des sonorités proches du jeu de pinochle).

Le résultat est en tout cas remarquable. Ce qui frappe le plus, c'est la modernité du film, tant sur la forme que dans le fond. Billy WILDER avait dit à Erich von STROHEIM sur le tournage de "Boulevard du crépuscule" (1950) qu'il était en avance sur son temps. Au lieu de chercher à compenser la contrainte du muet par un jeu et des effets outranciers, Erich von STROHEIM utilise au contraire la force expressive du silence en mettant en valeur visuellement des acteurs au jeu dépouillé d'artifices. L'effet obtenu est puissant car les personnages deviennent extraordinairement expressifs avec une telle économie de moyens. La même logique est appliquée au décor, de plus en plus minéral et minimaliste au fur et à mesure qu'on se rapproche du fameux Pinacle.

Tout est donc en place pour une tragédie se jouant à huis-clos entre quatre personnages. Un couple désaccordé par l'attitude fuyante du mari qui visiblement a peur de l'intimité avec sa femme. Celle-ci se sent par conséquent délaissée. Un trouble-fête en la personne de von Steuben, officier autrichien arrogant et séducteur mi-Don Juan, mi-Valmont qui s'engouffre dans la brèche. Et enfin aux antipodes, Sepp le guide de montagne, ange gardien du couple et force de la nature dont les rares paroles viennent frapper au coin du bon sens les âmes égarées.

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L'Amour à mort

Publié le par Rosalie210

Alain Resnais (1984)

L'Amour à mort

Il peut être dur d'entrer dans un film aussi austère et formaliste, janséniste diront certains, bergmanien diront d'autres plus justement car il est baigné de culture protestante. Mais quand on y arrive, on est largement récompensé tant derrière son apparente aridité, ce film est riche et puissant.

Dans une scène du film, Simon (Pierre ARDITI) qui parie avec Elisabeth (Sabine AZÉMA) à pile ou face lance une pièce de monnaie mais celle-ci reste suspendue dans les airs en tournoyant sur elle-même comme si le temps s'était arrêté. C'est une métaphore du film lui-même. Parce qu'il fonctionne de façon binaire et suspend le vol du temps. Au niveau du symbolisme des couleurs, le rouge de la passion et le noir funèbre dominent largement les débats. Mais surtout le film est construit sur une alternance de piles (des instants de "vie") et de faces (des plages musicales composées par Hans Werner HENZE sur fond d'écrans noirs parfois striés de blanc par les flocons de neige qui tombent) un peu comme les touches noires et blanches d'un piano. En dépit du montage particulièrement tranchant, il n'y a pas de rupture entre la vie et la mort mais un continuum, la musique étant conçue pour commencer à l'endroit exact où se termine la voix de l'acteur (tout comme le titre "L'Amour à mort" fonctionne comme un tout indissociable).

L'amour dont il est question dans le titre est en effet indissociable de la mort. Il s'agit de l'histoire d'une passion fusionnelle, cette forme d'idéal romantique mortifère à propos duquel Garance- ARLETTY dans "Les Enfants du Paradis" (1943) disait "c'est dans les livres qu'on aime comme ça, et dans les rêves, mais pas dans la vie !" Et pour cause puisque ce désir d'union absolue ne peut s'atteindre que dans la mort (dont la variante brève, la "petite mort" est montrée plusieurs fois)… ou par la sublimation de l'art qui arrache des fragments d'éternité au flux continuel de la vie. "L'Amour à mort" comporte une évidente dimension réflexive. Il met en scène deux types de relations amoureuses: l'Eros, la forme passionnelle, brève et violente de l'amour incarnée par Simon et Elisabeth et l'Agapé, la forme apaisée de l'amour au long cours incarnée par Judith et Jérôme les pasteurs protestants (Fanny ARDANT et André DUSSOLLIER). Ils permettent d'introduire également une dimension spirituelle où ces deux formes d'amour se retrouvent. Alors que Elisabeth n'a de foi qu'en son amour pour Simon qui la pousse à le rejoindre dans la mort, Judith et Jérôme ont la foi religieuse qui les motivent à répandre l'amour de Dieu autour d'eux dans le monde des vivants sans rien attendre en retour.

Réflexion très riche sur l'amour, la mort, l'art et la foi, "l'Amour à mort" comporte aussi une réflexion sur le temps. Ainsi Judith a connu avec Simon l'amour-passion qui l'a conduite au bord du suicide, une expérience propre à l'adolescence dont elle a fait le deuil pour devenir adulte. Simon lui n'a jamais dépassé le stade de l'adolescence (on pourrait même dire celui de la petite enfance où le désir d'union fusionnelle avec la mère est très fort, Garance dit d'ailleurs à Baptiste qu'il parle comme un enfant juste avant la citation que j'ai rappelée plus haut). C'est pourquoi il a échoué à ressentir l'amour Agapé avec son ex-femme et ses enfants et n'a eu aucun mal à les quitter lorsque lui a été donner l'occasion de replonger dans sa "drogue" avec Elisabeth. Sombre et torturé, Simon ressemble à un mort-vivant (Pierre ARDITI s'est d'ailleurs considérablement amaigri pour coller à la peau du personnage). C'est ainsi qu'il nous est présenté puisqu'il revient littéralement d'entre les morts après une attaque qui l'a fait basculer brièvement de l'autre côté (analogie frappante avec l'art qui a une dimension vampirique). Quant à Elisabeth, elle incarne le côté solaire de cette passion, sa foi l'illuminant de l'intérieur. C'est pourquoi Judith, contrairement à Jérôme qui a moins d'expérience personnelle se refuse à la juger et à condamner son geste. Et ce d'autant plus qu'elle considère le sacrifice de Jésus comme une forme de suicide, sa condamnation par l'Eglise n'étant qu'un moyen de contrôler les corps et les âmes des fidèles.

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L'Anguille (Unagi)

Publié le par Rosalie210

Shohei Imamura (1997)

L'Anguille (Unagi)

Méfiez-vous de l'eau qui dort et du feu qui couve. "L'Anguille" commence comme un "Psychose" (1960) made in Japan. Le héros, Takuro Yamashita (Kôji YAKUSHO) est un homme taciturne en surface mais dévoré de l'intérieur par la jalousie. Laquelle prend la forme d'une mystérieuse lettre écrite par une femme (son imagination?) qui lui souffle à l'oreille que son épouse si attentionnée en apparence pourrait bien s'éclater au lit avec un autre pendant qu'il s'adonne à son activité favorite: la pêche. Afin de vérifier, il retourne chez lui plus tôt que prévu et surprend sa femme avec son amant en pleine action. Une longue scène voyeuriste suivie, on s'en doute de quelques dizaines de coups de couteau bien sanguinolents (âmes sensibles, s'abstenir) assénés sans aucune émotion apparente, comme si Takuro était déconnecté de son corps. Cette acmé de violence se substitue en effet, on le comprend à l'impuissance sexuelle de Takuro, lequel va se livrer illico à la police et passe les huit années suivantes en prison.

Ce préalable établi, Shôhei IMAMURA s'intéresse, en employant un ton tragi-comique et contemplatif très réussi à la manière dont Takuro va tenter de se reconstruire. En tant qu'ancien taulard bénéficiant d'une liberté conditionnelle il est une sorte de paria sous surveillance. C'est donc dans un angle mort de la société japonaise qu'il va s'établir, une friche industrielle dans laquelle il retape un local désaffecté qu'il transforme en salon de coiffure, un métier qu'il a appris en prison. Solitaire et quasi-mutique, Takuro cherche bien plus dans ce lieu l'ascèse que la socialisation (il est d'ailleurs placé sous la responsabilité d'un bonze, cela ne s'invente pas). Néanmoins et presque malgré lui il se constitue un réseau de relations des plus zarbis: outre le bonze et son épouse, un charpentier, un jeune frimeur trimballant sa voiture de sport, un ancien co-détenu devenu éboueur, un étudiant obsédé par les OVNI et enfin Keiko (Misa Shimizu), une jeune femme qu'il a sauvé du suicide et qui est le portrait craché de son ancienne épouse.

Chacun de ces personnages symbolise une facette de lui-même. Le bonze et sa femme représentent son désir de rédemption et d'élévation. Le charpentier incarne son envie de se reconstruire et la voiture du frimeur, son fantasme de puissance sexuelle. L'éboueur incarne ses mauvais penchants et sa culpabilité. Enfin le fou d'OVNI est à l'image du pêcheur d'anguilles. Celle qui frétille dans l'aquarium de Takuro joue le même rôle de porte d'entrée sur l'inconnu que le monolithe de Stanley KUBRICK dans "2001, l odyssée de l espace (1968)". Sauf que cet inconnu n'est pas l'univers mais l'intériorité de Takuro. "Le moi n'est pas maître dans sa propre demeure" disait Freud. L'anguille, sa seule confidente, symbolise son inconscient et ses pulsions enfouies (dont sa sexualité refoulée). Le parcours de cette anguille est à l'image de celui de Takuro. Son espace vital est d'abord réduit à l'extrême, lui permettant juste de survivre. L'anguille obtient ensuite des espaces captifs de plus en plus spacieux avant de recouvrer sa liberté dans les eaux de la rivière.

Est-ce à dire que Takuro est sauvé? Bien que la fin du film soit ouverte, on peut constater une évolution dans sa relation avec Keiko. En dépit du fait qu'il l'a sauvée, il se refuse obstinément à ingérer la nourriture qu'elle lui prépare pour le remercier. Or la nourriture est un substitut de la sexualité. En refusant d'être nourri par elle, il la tient à distance en lui signifiant son refus d'avoir des relations sexuelles avec elle (répétant ainsi la relation avec son ex-femme qui lui préparait de bons petits plats mais lui préférait la/les refiler à d'autres). Cette peur? Empêchement? Impossibilité? est au cœur du problème. Or à la fin du film, dans la bagarre générale entre Takuro, ses amis, l'ex de Keiko et ses sbires, l'aquarium est brisé et l'anguille libérée. Et Takuro accepte le bento (panier-repas) de Keiko comme il a accepté de reconnaître son enfant (qui n'est pourtant pas de lui et pour cause!), répondant enfin à ses besoins les plus profonds.

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