Rien de plus erroné que l'image mièvre et sucrée qui colle à la peau de Disney. Les courts-métrages des Silly Symphonies "La Danse macabre" (1929) et "Les Cloches de l'Enfer" (1929) mettaient déjà en évidence le côté sombre et macabre de Disney. Il en est de même de ses premiers longs-métrages: "Blanche-Neige et les 7 nains", "Fantasia" ou "Bambi" comportent tous des scènes cauchemardesques. Mais "Pinocchio", le deuxième long-métrage du studio les bat à plates coutures. Jerry Beck disait à propos du film qu'il s'agissait d'un "cauchemar noir ponctué de moments de véritable horreur". Que l'on en juge: Pinocchio manque de peu finir esclave, métamorphosé en âne, en petit bois pour le feu ou encore dans l'estomac d'une baleine nommée "Monstro". Alors certes, il n'est pas seul: il y a sa conscience, Jiminy Criquet, son père Gepetto et sa "mère", la bonne fée bleue que d'aucuns identifient comme étant la vierge Marie. Il faut dire que l'aspect évangélique est renforcé par la chanson "Quand on prie la bonne étoile", devenue par la suite l'hymne du studio.
Mais Pinocchio apparaît bien naïf, fragile et manipulable pour affronter les pièges qui se dressent en travers de sa quête d'humanité. Il faut voir avec quelle rapidité il dévie du droit chemin quand il rencontre Grand Coquin et Gédéon. Deux escrocs qui l'appâtent avec des promesses de plaisir facile pour mieux s'enrichir sur son dos. Lesquels plaisirs se retournent en pièges mortels. Car c'est moins la morale du nez qui s'allonge à chaque nouveau mensonge que celle du "on ne naît pas être humain, on le devient" qui interpelle. "Pinocchio" est sorti en 1940 au cours de la guerre la plus inhumaine de l'histoire, une guerre faite par des millions de pantins de bois privés de cœur et de cervelle, manipulés par des monstres totalitaires. On peut d'ailleurs remarquer que les décors et costumes de "Pinocchio" sont d'inspiration bien plus germanique qu'italienne.
Enfin sur le plan technique, "Pinocchio" est d'une perfection qui n'a jamais été égalée depuis.
"Dumbo", le quatrième long-métrage des studios Disney c'est la pureté des émotions du film muet alliée aux expérimentations graphiques surréalistes d'un "Fantasia" ou plus tard d'un "Alice au pays des merveilles".
"Dumbo" décline toutes les figures de l'éléphant dans l'imaginaire humain. Celle du monstre de foire est au cœur de l'histoire du film. "Dumbo" c'est le "vilain petit canard" d'Andersen, le "Freak" de Tod Browning, c'est "Elephant man" de David Lynch avant la lettre, suscitant le mépris, le rejet, les insultes, les moqueries tant chez les humains que chez ses congénères. Les grandes oreilles qui entravent ses mouvements terrestres avant qu'il ne découvre qu'elles lui permettent de voler font penser à "L'Albatros" de Baudelaire. Face à la violence du groupe qui exclue l'être né différent, "Dumbo" est l'innocence même, comme la Gelsomina de la "Strada". Privé de parole (ne peut-il, ne veut-il pas parler?), il est également privé de sa mère qui a été enfermée et mise aux fers pour avoir cherché à la protéger, ultime forme de cruauté qui donne lieu à des scènes poignantes.
Mais si "Dumbo" est profondément triste et mélancolique il est également parcouru de scènes de pure fantaisie. L'expression "voir des éléphants roses" provient d'une incroyable séquence où ayant bu(sans le vouloir) trop de champagne, Dumbo et son ami Timothée sont en proie à des hallucinations proches d'un trip sous acide (lequel ne sera pourtant inventé que deux ans plus tard). Hommage surréaliste à Dali avec lequel Disney travaillera quelques années plus tard sur le court-métrage "Destino", cette séquence complètement dingue est d'une inventivité visuelle... stupéfiante!
"Bambi", cinquième long-métrage de Walt Disney est un film animalier touché par la grâce, une œuvre d'art au service d'un récit épuré, d'une grande puissance symbolique (voire religieuse). Walt Disney veut toucher du doigt la perfection et s'en donne les moyens. Alors que le projet est initié en 1937 et doit sortir juste après "Blanche-Neige et les sept nains", le film abouti ne sortira qu'en 1942 ce qui en fait l'une des plus longues gestations d'un film Disney.
A une époque où le dessin animé est largement associé au cartoon, Disney fait le choix d'introduire un maximum de réalisme dans les graphismes des animaux (grâce aux études anatomiques) comme dans les décors (grâce à la profondeur de champ permise par l'usage d'une caméra multiplane). Il choisit également de raconter un récit d'essence tragique, même s'il est entrecoupé d'intermèdes légers (portés par le personnage de Panpan). Disney est en cela un précurseur de nombre d'œuvres d'animation plus contemporaines comme "Le tombeau des lucioles" lui aussi naturaliste et tragique.
Paradoxalement, le réalisme est au service d'un récit initiatique à forte teneur symbolique. La vie y est sacralisée (la naissance de Bambi puis de ses enfants est filmée comme une nativité) mais son cycle immuable est menacé à tout moment par la pulsion de mort d'un être humain irresponsable et prédateur. Un thème ô combien d'actualité quand on voit avec quel acharnement celui-ci continue de scier la branche sur laquelle il est assis (jusqu'à la rupture fatale?).
Sur le plan esthétique, le film est une splendeur. Comme "Fantasia", c'est un opéra, un spectacle total où l'image et la musique fusionnent de manière particulièrement harmonieuse pour porter l'émotion à son point d'incandescence. "Bambi" est une succession d'estampes et d'ombres chinoises, un défilé de tableaux impressionnistes. Lors de séquences marquées par la colère où la peur, la couleur prend le pas sur la forme et la nuance et les cerfs ne sont plus que des taches multicolores, sombres ou rougeoyantes. Ajoutons à cela le travail effectué sur les variations de lumière selon les heures du jour et selon les saisons. La musique épouse parfaitement les émotions exprimées dans les images. Elle est douce quand Bambi s'amuse et découvre, majestueuse quand le père s'annonce et s'impose, angoissante quand l'homme rôde, prêt à tirer à tout moment, crépitante lorsque le feu menace et détruit. Elle remplace les dialogues, réduits au minimum.
"Bambi" a la force et la simplicité des évidences. Œuvre sensible, délicate, perfectionniste, épurée, pudique, elle mérite d'être regardée pour ce qu'elle est: un chef d'oeuvre.
C'est vraiment dommage, le sujet, d'une brûlante actualité, était en or. Mais il est gâché par un scénario paresseux qui ne va pas au-delà de son idée principale: celle d'un quatuor de jeunes ouvrières marocaines vivant à Tanger, petites esclaves de la mondialisation le jour, délinquantes revanchardes la nuit. Conséquence: des scènes répétitives qui donnent un sentiment d'immobilisme tout à fait en opposition avec la bougeotte supposée des héroïnes. Un défaut encore aggravé par une mise en scène maniériste insupportable. La réalisatrice lorgne clairement du côté des frères Dardenne et de Cassavetes: gros plans permanents qui ne permettent pas de voir au-delà des visages des jeunes filles, caméra à l'épaule "virevoltante" sensée insuffler du dynamisme... Elle a juste oublié le petit plus qui fait toute la différence: le suspense moral des films des frères Dardenne, l'humanité bouleversante, la générosité des personnages (et acteurs) de Cassavetes. Les visages des actrices de "Sur la planche" ont la dureté de la pierre ou la froideur d'un masque. Ils prennent, ils revendiquent (Badia, le personnage principal "éructe" plus qu'elle ne parle et sa logorrhée prétentieuse et intellectualisante sonne faux au possible ) mais ils ne donnent rien. Bien entendu c'est la situation de survie des jeunes femmes qui explique cette insensibilité, cet amoralisme, cette indifférence au monde et à autrui. Mais c'est aussi un choix de la réalisatrice qui se complaît dans le sordide et le "no future" sans jamais en sortir (un choix d'autant plus contestable que la réalité est toujours plus complexe. Même dans les situations les plus extrêmes, certains n'ont pas abdiqué toute forme d'humanité et ont même survécu grâce à cela, donc il aurait été sans doute plus pertinent de s'ouvrir à une certaine diversité).
Le résultat est un film stérile, un film qui tourne en rond, un film qui semble interminable tant il suscite rapidement l'ennui. Et ce en dépit d'un aspect documentaire d'une pertinence réelle sur la zone franche de Tanger accueillant les usines textile délocalisées du Nord et son impact sur la société marocaine.
Une prise de risque payante: 20 ans après ses débuts comme réalisateur, Dupontel confirme tout le bien que je pense de lui en réalisant un grand film, plus accessible, complexe et ambitieux que ses œuvres précédentes mais sans abdiquer une once de sa personnalité: chapeau!
"Au revoir là-haut" est d'abord un film historique précieux de par sa justesse, son caractère de film engagé et sa capacité à éclairer notre présent à l'aide du passé. Les premières minutes dans les tranchées sont saisissantes de réalisme (on les a comparées au début du soldat Ryan et elles feront date) tandis que l'anomie (perte des repères légaux et moraux) permise par les guerres permet d'identifier en pleine lumière la violence économique et sociale, plus sournoise en temps de paix. Dans la lignée des "Sentiers de la gloire" auquel on pense plus d'une fois, on voit des officiers aristocrates avides de gloire envoyer à la mort ou tuer eux-même la chair à canon de leur propre camp. Le personnage d'Henri d'Aulnay-Pradelle joué par Laurent Lafitte est en réalité un véritable dégénéré qui une fois la paix revenue fait son beurre sur le commerce de charognes (vraies ou fausses). Le tout avec la complicité hypocrite de l'Etat qui après avoir sacrifié 1,5 millions d'hommes pour un résultat nul prétend honorer leur mémoire. Trois victimes (une orpheline de guerre et deux vétérans, l'un traumatisé moralement, l'autre gueule cassée, tous deux victimes du dernier raid insensé de Pradelle et qui se sont sauvés l'un l'autre) vont unir leurs souffrances et se venger. Une vengeance à la "Robin des bois" typique de Dupontel qui n'est pourtant pas l'auteur de cette histoire, c'est dire si elle lui va comme un gant. Il est d'ailleurs à noter que si Louise, l'orpheline et Albert, le vétéran traumatisé joué par Dupontel sont issus des "branches basses" (jolie expression employée dans le film), Edouard est lui issu de la grande bourgeoisie mais c'est un artiste en révolte contre son père, grand banquier joué par Nils Arestrup dont le gendre n'est autre que... Pradelle. Le personnage de Madeleine (Emilie Dequenne) étant lui-même bien plus complexe et cynique que ce que sa façade de soeur éplorée laisse croire.
Mais le film n'est pas que cela. Il est profondément romanesque, comme chez Dumas ou chez Sue, avec des rebondissements qui nous tiennent en haleine. Il contient aussi des aspects burlesques, cartoonesques et poétiques, marque de fabrique de Dupontel qui s'harmonisent parfaitement avec le reste. La mort de Pradelle (mi ange de la mort, mi loup de Tex Avery) par exemple fait penser à celle de Lee Van Cleef dans "Le Bon, la Brute et le Truand" alors que les somptueux masques d'Edouard ne sont pas sans rappeler ceux des films de Franju ("Les yeux sans visage" pour le masque blanc, "Judex" pour le masque d'oiseau etc.)
Voici ce qu'écrivait Alice Miller à propos du processus de répression des émotions de l'enfance: 1. L'enfant subit des offenses qui ne sont pas considérées comme telles 2. La colère lui est interdite 3. On lui impose le devoir de gratitude ("c'est pour ton bien") 4. Il doit tout oublier 5. Les affects refoulés cherchent une issue. La violence éclate sur autrui ou se retourne contre soi.
Bien avant qu'elle ait retrouvé la mémoire et publié son livre, j'avais compris qu'il y avait quelque chose qui rongeait Flavie Flament de l'intérieur, parce que cela se voyait sur son visage. A l'époque où elle était présentatrice, j'avais été frappée par le fait qu'en dépit du maquillage, du sourire et des lumières, elle semblait toujours fatiguée et angoissée, pâle et les traits tirés. Aussi je n'ai pas été étonnée lorsqu'après le suicide de David Hamilton, elle a déclaré qu'il ne lui rendrait jamais toutes "ses nuits blanches".
Le processus décrit par Alice Miller est celui qu'a vécu Flavie Flament lorsqu'elle était mineure et des millions d'autres enfants abusés par les adultes à travers le monde. Il est même exemplaire. Et il a le mérite de nous plonger le nez dans les rapports de force qui régissent nos soi-disant sociétés évoluées et libérées. Le téléfilm glaçant réalisé par Magaly Richard-Serrano en est l'illustration. On y voit une gamine qui est d'abord victime de sa mère puis d'hommes pédophiles, la première fournissant les seconds en chair fraîche.
La mère (remarquablement jouée par Léa Drucker) est au cœur du drame vécu par sa fille. C'est une femme frustrée qui fuit le vide de son existence en voulant diriger l'avenir de sa fille sur laquelle elle reporte tous ses espoirs de réussite dans le show-business. De ce fait, elle nie son individualité et manipule ses sentiments filiaux pour obtenir d'elle ce qu'elle désire par toutes sortes de pressions et chantages. A force d'insultes et de dévalorisations, elle obtient de sa fille qu'elle maigrisse, adopte une apparence aguicheuse, "racole" sur les trottoirs des Champs-Elysées ou du Cap d'Agde et pour finir, elle la jette dans les griffes d'hommes puissants sans pouvoir ignorer leurs intentions. Le dernier quart d'heure, terrifiant, dissèque les fantasmes et la méthode de David Hamilton pour parvenir à ses fins. Tel un serial killer on le voit choisir sa proie, l'attirer dans son antre, installer son emprise sur elle puis commettre son crime. Lorsqu'il se présente à poil devant la mère et la fille (méthode utilisée par nombre de photographes si on en croit le témoignage récent de Diane Kruger pour signifier "tu vas coucher contre les photos"), on voit bien celles-ci vaciller un instant. Mais l'obsession de la mère et la soumission de la fille sont trop fortes conduisant la première à trahir la seconde et à laisser commettre l'irréparable.
"La charge héroïque", il ne faut pas se le cacher, peut rebuter aujourd'hui à cause de personnages caricaturaux dans leur majorité et d'une intrigue mollassonne qui entraîne rapidement l'ennui. Pour comprendre son intérêt, il faut aller au delà de cette impression négative car si le film n'est pas spontanément passionnant, il le devient lorsqu'on l'analyse plus en profondeur.
Le titre français est un pur et simple contresens. Il annonce un film viril, guerrier, triomphant, conquérant, bref un film à la gloire des mâles blancs dominateurs à la fois racistes et macho (c'est quand même l'image dont souffre aujourd'hui le genre du western). Or il prend le contrepied de tout cela et je vais démontrer (une fois de plus) que John Ford et son alter ego à l'écran John Wayne ne correspondent pas à l'étiquette négative qui leur colle à la peau.
Le vrai titre du film c'est "She wore a yellow ribbon". Un titre au féminin qui annonce une intrigue sentimentale dans le milieu de la cavalerie. En fait il s'agit d'une sous-intrigue assez superficielle qui parcourt tout le film sous la forme d'un triangle amoureux entre Olivia (Joanne Dru), la nièce du commandant major de la garnison et deux lieutenants épris d'elle, Cohill (John Agar) et Penell (Harry Carey Jr) qui se disputent ses faveurs. Mais ce titre a une portée bien plus large et plus intéressante que cette seule sous-intrigue.
"She wore a yellow ribbon" approfondit le portrait du capitaine joué par John Wayne dans le premier volet de la trilogie "Le massacre de Fort Apache": un homme de terrain et un homme de paix très éloigné des poncifs entourant la masculinité des films de guerre que l'on en juge:
- C'est un "vieil homme" sur le point de prendre sa retraite (John Wayne a été vieilli de 20 ans pour l'occasion).
- Sa dernière mission consiste à accompagner deux femmes en lieu sûr et il finit par se retrouver à la tête d'un convoi comprenant également un blessé et deux enfants.
- Soucieux d'empêcher les effusions de sang, il fait des détours pour éviter les indiens à qui il donne le temps d'attaquer la garnison où ils doivent se rendre, provoquant l'échec de sa mission.
- Il ne peut se résoudre à prendre sa retraite sans avoir tenté d'empêcher la guerre entre le fort qu'il commande et les indiens. Après avoir rencontré un vieux chef tout aussi pacifiste et impuissant que lui, il imagine un raid qui désarmera les indiens en ne coûtant la vie de personne (magnifique scène des chevaux libérés qui en galopant s'interposent entre les fusils et les hommes).
- Lorsqu'il n'est pas en mission, on le voit se recueillir sur la tombe de sa femme et de ses filles ou longuement contempler leurs portraits avec une émotion palpable. Et lorsque son régiment lui offre une montre pour son départ à la retraite, il est ému aux larmes.
- L'évitement des affrontements en dépit d'un contexte de violence omniprésent (les indiens spoliés veulent récupérer leurs terres et se livrent pour cela à des exactions) rend le film profondément méditatif et contemplatif. Ford en fait une véritable œuvre picturale animée où chaque plan en technicolor du paysage de Monument Valley (de près, de loin, de jour, de nuit, sous le soleil au zénith, sous le soleil couchant, sous l'orage etc.) est à tomber par terre de beauté.
La notoriété d'"Une étoile est née" de William A. Wellman a pâti du célébrissime remake musical de George Cukor avec Judy Garland réalisé près de 20 ans plus tard. Ce qui est injuste car sans avoir la flamboyance du film de Cukor, la réalisation de Wellman (dont Cukor est resté proche, de nombreuses scènes se ressemblent) ne manque pas de qualités: outre l'interprétation tout en finesse et sensibilité de Janet Gaynor et de Fredric March, La critique du rêve américain alors plongé en pleine crise des années 30 s'avère d'une grande acuité.
Ainsi lorsque la grand-mère d'Esther évoque avec elle son rêve d'Hollywood, elle la pousse à agir pour "conquérir ce nouveau désert", une image appartenant au mythe de la frontière si chère au cœur des américains. Mais elle ajoute que pour chaque rêve qu'elle réalisera, elle devra en payer le prix. De fait, à chaque étape de son ascension fulgurante, Esther explore l'envers peu ragoûtant du décor.
Lorsque débutante, elle court les castings pour tenter sans succès de décrocher un rôle, elle découvre que le chômage et la précarité semblent être le lot du plus grand nombre dans un milieu impitoyable qui n'est qu'un miroir grossissant de la crise de l'emploi des années 30 où les appelés sont légion mais les élus, une infime minorité.
Par la suite, lorsqu'elle devient célèbre, elle doit faire face aux intrusions dans sa vie privée de la presse à scandale et du grand public. La scène du mariage incognito s'inspire de faits réels alors que l'enterrement de Norman Maine où elle est pressée et harcelée par la foule est d'une grande cruauté.
Enfin à travers la douloureuse déchéance de son époux (qui fait écho à des destins tragiques d'acteurs ayant réellement existé tels que John Barrymore et John Gilbert), elle voit ce qu'il advient des acteurs une fois qu'ils ont été usés par le système: des épaves que le grand Moloch rejette à la mer.
"The Straight story" est un titre infiniment plus riche qu'"Une histoire vraie" et ce, bien que l'intrigue soit effectivement tirée d'une histoire vraie. Au premier degré, il fait référence au nom de famille du héros qui s'appelle Alvin Straight. Il fait également référence à la route suivie par celui-ci qui est toujours en ligne droite. Au second degré, c'est la droiture d'Alvin qui est mise en valeur. Par ailleurs la simplicité de cette histoire à la trajectoire linéaire et aux enjeux limpides apparaît comme un contre-exemple dans la filmographie de Lynch, parsemée d'histoires tortueuses pour ne pas dire sybillines.
Mais à y regarder de plus près, cette histoire n'est en rien contradictoire avec le reste de son œuvre. Elle fait partie de sa veine humaniste. Comme "Elephant man", elle se focalise sur un personnage marginal dont l'humanité bouleverse ceux qui croisent sa route. Ici la marginalité est liée à la mobilité réduite: par l'âge (Alvin a 73 ans et un problème aux hanches qui l'oblige à marcher avec des cannes), par le handicap (mal voyant, il n'a pas le permis de conduire, une "hérésie" dans la société de l'automobile reine), par la pauvreté (qui l'oblige à entreprendre un long voyage en utilisant le système D). La conséquence est une expérience sensorielle unique, celle qui épouse la lenteur d'un homme cheminant sur sa tondeuse à gazon à 5km/heure, une roue sur le bord de la route, l'autre sur le chemin de terre qui la borde sous les yeux sidérés des riverains, tous plus babas les uns que les autres devant le courage et la détermination du vieil homme.
C'est par ce biais que l'apparente simplicité rejoint l'étrangeté si chère à Lynch. Car la lenteur nous est devenue étrangère. Et avec elle la nature, la spiritualité, la liberté, la mythologie, les contes de fée et même l'histoire. L'homme-machine à produire est un homme coupé de son passé et de ses racines, donc de son avenir.
C'est le daim écrasé par la voiture, l'auto-stoppeuse (enceinte, quel symbole!) dédaignée par les automobilistes, ce sont aussi ces sublimes images de moissons dans les champs de blé sous la lumière dorée du soleil qui apparaissent au fur et à mesure qu'Alvin avance. C'est aussi l'attente sous l'abri de la fin de la pluie. Par-delà le film, ce sont les réminiscences qu'il suscite qui en révèlent toute la profondeur. Alvin part de l'Iowa et va jusqu'au Wisconsin en traversant le Mississippi, longtemps frontière entre les USA colonisés et le "Far West". Les pionniers du XIX° siècle parcouraient ces espaces au même rythme qu'Alvin et on se souvient en particulier des mémoires de Laura Ingalls ("La petite maison dans la prairie") où elle raconte la trajectoire de sa famille du Wisconsin à...L'Iowa (via le Kansas et le Minnesota). Est-ce d'ailleurs un hasard si l'acteur (Richard Farnsworth) apparaît dans la série? Dans un tout autre champ de la culture, celui des contes de fée, la comtesse de Ségur écrivit au XIX°siècle "L'histoire de Blondine, Bonne-Biche et Beau-Minon" où parmi les épreuves infligées à l'héroïne il y avait l'obligation d'effectuer le trajet de la forêt jusqu'au château juchée sur le dos d'une tortue (ce qui lui prit 6 mois). Enfin il y a quelque chose de l'ordre des pèlerinages ancestraux dans ce parcours ce qui le rend éminemment spirituel (l'image des étoiles au début et à la fin rapproche le parcours d'Alvin vers l'apaisement et la réconciliation d'avec son frère -son double ou sa moitié- d'une expérience cosmique).
"La mort aux trousses", c'est le festival du leurre. Un simple quiproquo et Roger Tornhill, un homme d'affaires paisible (du moins en apparence) se retrouve pris pour un espion du FBI. Le voilà embringué dans une histoire qui le dépasse avec de dangereux bandits et des policiers à ses trousses sans compter une somptueuse femme fatale qui le vampe d'entrée de jeu. Entre eux, on peut dire que cela "matche" tout de suite et on est frappé par la sensualité qui se dégage de leurs échanges (quoique la main de Philipp Vandamm/James Mason caressant la nuque de Eve Kendall/Eva Marie Saint soit également très suggestive). Démasquer Eve occupe une grande partie du film et donne lieu à de trépidants retournements de situation.
Mais c'est dans la scène la plus célèbre du film que Hitchcock s'amuse le plus à leurrer le spectateur. Il s'agit bien entendu du moment où Cary Grant est poursuivi par un avion en rase campagne. Hitchcock joue à déjouer toutes les attentes du spectateur. Il fait surgir une Cadillac noire comme dans les polars urbains et nocturnes, il fait entrer dans le champ un homme qui se tient face à Tornhill de part et d'autre de la route comme dans un duel au soleil et tout ça pour détourner l'attention du vrai danger qui provient de là où on ne l'attend pas c'est à dire de nulle part. Car l'avion sulfateur, engin agricole utilitaire ne suscite lui aucune réminiscence cinéphilique chez le spectateur. Du moins avant la sortie du film.
Ce jeu de dupes fonctionne à plein régime tout au long du film dont le rythme ne faiblit pas un instant. Parsemé d'aventures trépidantes et de morceaux de bravoure devenus cultes, ce thriller ludique brasse tous les thèmes hitchcockiens (le faux coupable, la trahison de la femme aimée) mais avec une tonalité légère et une fin heureuse où la métaphore du train entrant dans le tunnel suggère de façon limpide les ébats des héros. On est aux antipodes d'un "Vertigo" et sa sexualité mortifère.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.