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Articles avec #drame tag

Les innocentes

Publié le par Rosalie210

Anne Fontaine (2016)

Les innocentes

Lors de la "libération" de l'Allemagne et des pays d'Europe de l'Est occupés par les nazis en 1945, l'armée rouge s'est rendue coupable de viols et de meurtres à grande échelle. Ces crimes n'ont pas épargné les religieuses et le film s'inspire de faits réels longtemps demeurés tabous en Pologne, pays ultra-catholique. Une femme médecin pour la Croix-Rouge française, Mathilde Beaulieu se rend clandestinement dans un couvent à l'initiative d'une novice pour aider l'une des religieuses à accoucher. Elle découvre alors l'ampleur des dégâts (une sœur déjà décédée en couches, 6 grossesses, des MST...)

Les Innocentes est un film de femmes. Les hommes sont des prédateurs tapis dans l'ombre de la forêt et prêts à bondir à tout moment. Seule exception, Samuel, le personnage joué par Vincent Macaigne. Mais il est juif et dans le contexte de la Pologne ravagée par la guerre, la Shoah et l'occupation soviétique, il est de fait dans le camp des victimes. Malgré le passif opposant le catholicisme polonais au judaïsme, il est amené à secourir lui aussi les religieuses en détresse.

L'aspect le plus intéressant du film est l'étude de caractères des religieuses. Confrontées au même traumatisme, au même désarroi, elles n'ont pas les mêmes réactions. En fonction de leur vécu et de leur tempérament, certaines vont se réfugier dans le déni de grossesse et/ou le rejet du nouveau-né, d'autres vont être envahies de honte et hantées par la crainte de la damnation ou du déshonneur, certaines refusent les soins et mêmes les consultations au point d'en mourir, d'autres vont au contraire se libérer du poids de leur secret et/ou des dogmes quitte à désobéir à leur hiérarchie. D'autres vont s'attacher à leur enfant et découvrir la maternité. Inversement l'une d'entre d'elle décide de changer de vie en laissant l'enfant derrière elle. L'actrice Agata Buzek est particulièrement remarquable dans le rôle de soeur Maria.

Cependant comme trop de films français contemporains, la réalisatrice ne resserre pas assez son sujet et le délaye dans l'anecdotique. L'amourette entre Mathilde Beaulieu et Samuel censée aérer le récit est totalement superflue. Le personnage de Mathilde Beaulieu est d'ailleurs peu crédible. Lou de Laâge apparait bien trop jeune et lisse pour incarner une femme confrontée à un environnement aussi dur. De façon plus générale, la volonté d'équilibrer le drame par des notes plus légères ou optimistes apparaît très maladroite. La fin particulièrement apporte un happy-end à la naïveté consternante.

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Témoin à charge (Witness for the Prosecution)

Publié le par Rosalie210

Billy Wilder (1957)

Témoin à charge (Witness for the Prosecution)

Témoin à charge est un film de procès, assez théâtral et statique donc qui fut souvent confondu à l'époque de sa sortie avec Le procès Paradine d'Hitchcock. L'influence d'Agatha Christie qui est l'auteur de la nouvelle et de la pièce dont est tiré le film est également très forte avec tous ces rebondissements qui rendent l'issue du procès imprévisible (et la vérité tout autant).

Mais si pour ces deux raisons, Témoin à charge n'est pas le film le plus personnel de Wilder il vaut quand même le détour pour ses dialogues brillants et sa direction d'acteurs exceptionnels. Les numéros des deux monstres sacrés amis de Wilder, Laughton et Dietrich sont à déguster sans modération. Wilder a eu l'idée géniale de mettre en valeur le personnage joué par Laughton, Sir Wilfrid en le confrontant en permanence à son infirmière trop zélée Miss Plimsoll ce qui donne lieu à des dialogues ciselés comme il en avait le secret. De plus l'infirmière est jouée par la femme de Laughton ce qui ajoute encore plus de saveur à ces chamailleries de vieux couple où Wilfrid tente 1001 stratagèmes pour fumer ses cigares et boire son brandy en douce ou prouver qu'il n'est pas un grabataire bon à mettre au placard. Quant à Dietrich, il lui offre un rôle à tiroirs qui lui permet de jouer brillamment de son image de femme fatale froidement manipulatrice tout en s'essayant à d'autres registres (l'amoureuse éperdue, la gouailleuse à l'accent cockney etc.)

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Your name (Kimi no na wa)

Publié le par Rosalie210

Makoto Shinkai (2016)

Your name (Kimi no na wa)

Une jeune fille, Mitsuha. Elle s'ennuie dans ses montagnes, au coeur du Japon rural marqué par des traditions ancestrales. Elle rêve de vivre à Tokyo dans la peau d'un jeune garçon "branché".
Un jeune garçon, Taki. Il vit à Tokyo et se sent à l'étroit dans sa vie partagée entre le lycée et son petit boulot de serveur de restaurant. Il rêve de grands espaces.
Les rêves complémentaires de ces deux adolescents qui ne se connaissent pas vont entrer en résonance deux à trois fois par semaine, permettant à chacun d'investir temporairement la peau de l'autre de façon imprévisible. Mitsuha devient Taki et Taki devient Mitsuha ce qui donne lieu à toutes sortes de quiproquos amusants et à des interrogations sur l'identité de genre (ou quand la transmigrations des âmes permet d'aborder la thématique transgenre). Puis chacun retrouve son identité habituelle sans conserver la mémoire de ce qui lui est arrivé. Cependant les interrogations de l'entourage et les traces laissées par les épisodes de "possession" vont finir par mettre en contact les deux jeunes gens via leur portable. Ils commencent alors à correspondre pour ajuster au mieux leurs comportements dans les moments où ils échangent leurs identités.

Puis un jour, tout contact est rompu, la mémoire du portable est effacée et les échanges d'âme s'arrêtent brutalement. Taki qui se souvient du paysage où vit Mitsuha décide d'enquêter pour la retrouver ainsi que son village. C'est là que les choses se corsent: il découvre qu'elle ne vit pas dans la même temporalité que lui mais dans un passé récent. Le jour où le contact a été rompu, le fragment d'une comète s'est écrasé sur son village, anéantissant une grande partie de ses habitants (allusion à peine voilée à la catastrophe de Fukushima.) A la manière de Retour vers le futur, Taki décide alors de remonter le temps pour prévenir Mitsuha et la sauver à temps ainsi que les habitants du village. Cet élément n'est pas seulement fantastique, il relève des croyances shinto traditionnelles. Le "musubi" (noeud, lien) est la divinité protectrice de la région où vit Mitsuha. Mitsuha et Taki sont liés l'un à l'autre malgré l'espace et le temps qui les séparent comme les deux branches d'une comète qui ne cessent de fusionner et de se scinder, comme une tresse (l'art pratiqué par la grand-mère de Mitsuha) qui se fait et se défait. Un lien spiritualo-charnel qui se renforce encore quand Taki boit l'offrande que Mitsuha a faite au Musubi (du saké fabriqué à partir du riz mâché par sa salive) lui permettant de retourner dans le passé alors que Mitsuha est partie le chercher à Tokyo. La tâche est d'autant plus compliquée que ces moments de fusion/croisements restent intermittents (crépuscule, rames de métro qui se croisent...) Lorsque les deux branches se séparent, leur mémoire s'efface à nouveau au point qu'ils ne se souviennent plus du nom de l'autre (ils se souviennent juste qu'ils cherchent quelqu'un/quelque chose qui leur est cher). D'où le titre: Your Name.

Derrière la romance compliquée par les problématiques transgenre et les paradoxes spatio-temporels, on comprend ce qui a pu faire de ce film sur le temps et la mémoire un méga-hit au Japon au point de dépasser en nombre d'entrées de nombreux films Ghibli. Les dichotomies du film (masculin/féminin, passé/présent, urbain/rural, tradition/modernité, souvenir/amnésie etc.) dessinent l'image de deux facettes du Japon. D'un côté la nostalgie de la culture ancestrale immémoriale s'appuyant sur un rapport puissant à la nature et aux forces cosmiques. De l'autre, la civilisation urbaine high-tech contemporaine avec les menaces qu'elle fait courir sur "l'autre Japon." Seule la mémoire du lien entre ces deux Japon peut permettre au deuxième de sauver le premier au lieu d'être englouti avec lui.

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La femme au corbeau (The River)

Publié le par Rosalie210

Frank Borzage (1929)

La femme au corbeau  (The River)

Enhardi par les immenses succès de l'Heure suprême et de l'Ange de la rue, Borzage s'aventure dans son film suivant sur un terrain tabou en 1928, celui de l'érotisme. L'amour physique, le désir, la sensualité étaient discrètement suggérés dans ses films précédents mais dans La Femme au corbeau ils éclatent au grand jour. L'union des corps est indissociable chez Borzage de celle des émotions et des esprits. Il n'existe qu'une seule échelle qui prend ses racines dans l'amour profane et monte jusqu'au sacré. L'amour est assomption mais celle-ci n'est possible que parce que toutes les dimensions de l'humain sont prises en compte. Et comme on est encore dans la période pré-code Hays, Borzage va oser réaliser "l'oeuvre la plus sensuelle et la plus provocatrice de tout le cinéma muet." (Hervé Dumont)

Il ne reste plus aujourd'hui que la moitié du film d'origine. Le début, la fin et deux scènes intermédiaires ont été perdus (la pellicule s'est décomposée) et sont remplacés aujourd'hui par des photos du tournage et des cartons explicatifs permettant de suivre l'intrigue. Coup de chance, ce qui nous reste du film est la partie la plus intense, celle qui montre la naissance du désir, le jeu de séduction puis l'éclosion de l'amour entre les deux personnages principaux, Allen John (Charles Farrell) et Rosalee (Mary Duncan). Ce sont ces scènes qui ont offusqués les puritains (le film a été interdit ou censuré dans de nombreux Etats aux USA et dans le monde) et à l'inverse ont provoqué la pâmoison des surréalistes en France qui l'ont élevé au rang de film culte. Farrell sortant de la rivière dans le plus simple appareil, réchauffé par le corps de Rosalee couché sur lui ou sa main guidée par elle touchant son sein sont autant de magnifiques visualisations du désir féminin. Entre cette femme revenue de tout (et surtout des hommes) et cet innocent qui n'a jamais connu de femme (un petit garçon qui devient un homme), l'amour prend une tournure bouleversante qui les révèle à eux-mêmes. Le corbeau, métaphore des obstacles à vaincre (le rival castrateur, le passé encombrant etc.) sur le chemin de la libération et de la plénitude ne peut qu'être vaincu. Une fois de plus, Borzage a recours a des jeux d'ombres expressionnistes pour symboliser la menace qui pèse sur les amants alors que la puissance de leurs désirs se manifeste à travers les déchaînements de la nature (tourbillons, tempêtes de neige...) Ajoutons que le jeu des acteurs stupéfie par sa modernité. Mary Duncan est incroyablement directe dans ses attitudes et ses gestes (elle se caresse le sein, s'allonge lascivement, porte une sucrerie offerte par Allen John à la bouche avec un regard provocateur etc.) Et Charles Farrell dans son initiation au désir provoque le trouble.

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L'isolé (Lucky Star)

Publié le par Rosalie210

Frank Borzage (1929)

L'isolé (Lucky Star)

L'isolé en France, Lucky star en VO est le dernier film muet réalisé par Frank Borzage et son dixième film pour la Fox. Contrairement aux autres films tournés avec le couple vedette Janet Gaynor et Charles Farrell celui-ci se heurta à un contexte difficile en raison de la crise de 29 mais surtout de l'avènement du parlant. William Fox exigea l'introduction de séquences sonorisées (aujourd'hui perdues) et à sa sortie le film fut boudé: il était passé de mode. On le crut longtemps définitivement perdu comme 90% des films muets mais l'on finit par retrouver au début des années 90 une copie de la version muette aux Pays-Bas avec des intertitres en flamand. Le script ayant été conservé, il fut possible de restaurer le film dans son état d'origine et de le redécouvrir.

Quelle que soit l'intrigue, Borzage développe toujours les mêmes thèmes. Ici il adapte à sa manière une nouvelle très courte de Tristram Tupper, Trois épisodes dans la vie de Tim Osborne. Tim connaît une succession de hauts et de bas. Réparateur de poteaux électriques, on le découvre perché sur leurs cîmes avant que la guerre de 14 ne le cloue dans un fauteuil roulant. L'isolé c'est lui, rejeté de tous, enfin de presque tous: "je m'occupe des débris, ils ne m'intéressaient pas avant." L'autre débris c'est Mary Tucker, fille d'une fermière veuve qui vit dans la misère. Mary seconde sa mère auprès de ses petits frères, accomplit les durs travaux de la ferme. Elle est négligée, maltraitée, mal élevée. Tim la prend sous son aile et l'éduque (la scène du schampoing fait penser à Charlot violoniste où la souillon à décrasser est Edna Purviance.) Mary lui redonne le goût de vivre et de se battre. Mais sa mère voit d'un mauvais oeil cette relation avec un infirme et veut la forcer à faire un beau mariage. Le prétendant a beau être un escroc, c''est un séducteur beau parleur qui la couvre de cadeaux. Face à l'adversité le couple devra puiser comme toujours chez Borzage dans la force de son amour pour triompher des obstacles et accomplir des miracles. La scène où Tim accomplit son chemin de croix avec ses béquilles fait penser à la fin de l'Heure suprême où aveugle il parvenait à retrouver le chemin de sa maison et à gravir les étages pour retrouver sa bien-aimé. Les comédiens sont formidables et leurs sentiments retranscrits avec beaucoup de finesse. Charles Farrell y joue une partition plus grave, plus mature que dans les films précédents avec Janet Gaynor et il est d'autant plus émouvant.

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L'ange de la rue (Street Angel)

Publié le par Rosalie210

Frank Borzage (1928)

L'ange de la rue (Street Angel)

L'Ange de la rue a été réalisé dans la foulée du succès de l'Heure suprême. Le public voulait absolument voir un autre film avec le couple d'amoureux joués par Janet Gaynor et Charles Farrell. Borzage décida d'adapter très librement une pièce de théâtre de Monckton Hoffe pour y injecter sa personnalité. L'intrigue fut déplacée de Londres à Naples (Borzage était d'origine italienne) le héros devint un véritable artiste et sa compagne un "ange des rues", oxymore désignant les prostituées.

On retrouve dans ce film tous les thèmes chers à Borzage. Des personnages isolés, bannis, rejetés de la société. Un amour fou purificateur qui agit comme une assomption. Un dégoût des institutions et des autorités qui broient les individus. Un art consommé des contrastes où la putain se mue en madone, où la félicité côtoie le désespoir et où la cîme est tout près de la chute. Borzage a l'art de jouer aux montagnes russes avec les émotions du spectateur en transcendant pourtant les ficelles du mélodrame. Le climax du film est ainsi une longue et déchirante scène où Angela que Gino vient de demander en mariage après avoir décroché un gros contrat est rattrapée par son passé. Lui croit à des lendemains radieux alors qu'elle sait qu'elle passe sa dernière heure avec lui avant d'être arrêtée. Ses yeux pleins de larmes dans son visage souriant bouleversent.

De manière encore plus flagrante que dans l'Heure suprême, l'Ange de la rue bénéficie de l'esthétique de l'expressionnisme allemand. Jeux d'ombres, formes géométriques stylisées, perspectives penchées et échelles faussées (la scène du procès fait paraître Angela minuscule dans un décor qui l'écrase), effets de brume etc. Borzage a assisté au tournage de l'Aurore et a voulu rivaliser avec Murnau. Enfin on sent que le passage au parlant est proche. Lorsque les amants communient, ils ne le font plus visuellement avec des médailles religieuses mais en sifflotant l'air de O Sole Mio et grâce à un effet sonore qui avait fait sensation à l'époque, on entend l'air parfaitement synchronisé.

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L'heure suprême (Seventh Heaven)

Publié le par Rosalie210

Frank Borzage (1927)

L'heure suprême (Seventh Heaven)

D'une pièce de théâtre à succès d'Austin Strong (le petit neveu de Robert Louis Stevenson) misérabiliste et bondieusarde très XIX° siècle Borzage parvient à tirer un film personnel rempli de moments de grâce tout en donnant une leçon de cinéma.

Borzage, cinéaste de l'expressivité sublime aime les contrastes seuls à même de la mettre en valeur. L'heure suprême est structuré par les contrastes. Pour qu'il y ait élévation il faut partir de très bas: le film commence dans les égouts où travaille Chico et où pataugent moralement Nana, alcoolique et violente et sa soeur martyre Diane, trop faible pour lui résister. Lorsque Chico prend Diane sous sa protection et l'emmène chez lui on assiste à un travelling vertical ascensionnel d'étage en étage magnifique "je travaille dans les égouts mais je vis près des étoiles." La mansarde de Chico devient le nid paradisiaque (seventh heaven, le paradis du septième ou le septième ciel en VO) où pourra éclore leur amour, un amour que les éreuves ne feront que renforcer jusqu'à atteindre une dimension mystique et miraculeuse. Nouveau contraste: c'est l'éclatement de la guerre de 14, l'imminence de la séparation et l'ombre de la mort qui pousse Chico à déclarer son amour. En utilisant le montage alterné, Borzage oppose l'immonde liesse patriotique de la foule (vue le plus souvent depuis la mansarde en plongée d'où l'impression de vermine grouillante) et l'union divine des deux amants qui viennent juste de découvrir la force de leur amour (opposition entre une mauvaise et une bonne passion.) La haine de la guerre de Borzage était d'ailleurs si forte que les scène de bataille du film furent tournées par John Ford qui était comme lui sous contrat à la Fox. Elles tranchent par leur réalisme documentaire (taxis de la Marne, évolution des uniformes) avec un film par ailleurs très stylisé. Une esthétique expressionniste très influencée par le cinéaste star de la Fox, Murnau qui tournait en même temps L'Aurore. Borzage a d'ailleurs prêté à Murnau sa vedette féminine Janet Gaynor, une inconnue qu'il avait réussi à imposer au studio tout comme Charles Farrell. Pendant 15 jours elle a tourné pour lui en blonde durant la journée pendant qu'elle devenait brune la nuit pour Borzage. Et ce n'est que l'un des nombreux échos entre les deux films.

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Faces

Publié le par Rosalie210

John Cassavetes (1968)

Faces

C'est le 4eme film de Cassavetes mais son 2eme vraiment indépendant. Et cette indépendance se paie au prix fort: hypothèque de la maison de Cassavetes et Rowlands, comédiens bénévoles qui tournent de nuit après leur travail jusqu'à épuisement, réalisateur qui fait l'acteur en parallèle pour réinjecter les cachets dans le film, recyclage de chutes de pellicules d'autres productions, montage interminable...A tous points de vue Faces s'est construit à la marge du système et n'a dû son existence qu'à la détermination sans faille de toute son équipe. Alors oui Faces est un film fauché, pas complètement abouti techniquement (un seul technicien pour l'ensemble du film) mais who cares? C'est un film d'un engagement fou, total, absolu. Un film réalisé avec les tripes où le besoin de s'exprimer librement est viscéral.

Faces s'inscrit dans la lignée de Shadows. Même noir et blanc granuleux, même caméra à l'épaule filmant au plus près des corps et des visages, même errances nocturnes, même montage dicté par le rythme de l'action et le jeu des comédiens, même frontière ténue entre la fiction et le documentaire.

Faces possède plusieurs strates. A première vue, le film aurait pu s'intituler "la valse des pantins". On assiste en effet à de nombreuses scènes hystériques où les personnages copieusement imbibés d'alcool crient, gesticulent, rient frénétiquement, pleurent etc. Mais Cassavetes arrache toujours le masque à un moment ou à un autre. Souvent au bout de longs plans-séquences où les corps s'abandonnent, s'empoignent en toute impudeur. Et au bout du compte, la tristesse, le désespoir, un profond désarroi. Faces dissèque les faux-semblants de l'american way of life. Une société d'apparences privée de sens et de communication où les couples se délitent sous nos yeux. Où les hommes d'affaires fuient leurs épouses "givrées" ou suicidaires dans les bras des call-girls. Où les épouses délaissées se consolent en parallèle en faisant appel à des gigolos. Il y a un parallélisme évident entre le rôle de Jeannie l'escort-girl et celui de Chet, le danseur au service des dames. Tous deux tenus par des piliers de la bande de Cassavetes (Gena Rowlands et Seymour Cassel), ils sont à la fois objets de désir et de défoulement. Faces montre le vrai visage d'une certaine Amérique de la réussite. Et il n'est pas beau à voir même si les fragments d'humanité arrachés aux masques sont bouleversants.

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Elephant

Publié le par Rosalie210

Gus Van Sant (2003)

Elephant

Elephant est le deuxième film de ce que Gus Van Sant a appelé sa trilogie de la mort (ou tétralogie si on ajoute "Paranoïd Park (2007)". Un cinéma expérimental, sensoriel, consacré à l'errance d'une jeunesse déboussolée et qui s'inspire de faits réels. Elephant est ainsi une relecture élégiaque, mythologique, anthropologique et chorégraphique de la tuerie du lycée de Columbine à Littletown (Colorado) qui avait défrayé la chronique en 1999.

"Qui fait l'ange fait la bête." C'est l'expression qui vient tout de suite à l'esprit quand la caméra filme de face, de profil et encore plus de dos cet étrange bestiaire adolescent, somme d'êtres hybrides enfermés dans un aquarium géant. L'ange-taureau, c'est John, jeune garçon androgyne qui fait figure de minotaure serpentant dans les interminables couloirs labyrinthiques de son lycée. Mais sa présence n'est qu'un trompe-l'oeil, les véritables tueurs se prénommant Eric et Alex. Ce dernier joue du Beethoven, une référence appuyée à Kubrick et au héros d'Orange Mécanique (les déambulations dans les couloirs d'un lieu clos faisant penser elles à Shining). Fidèle au mythe des 7 jeunes gens et 7 jeunes filles livrées en pâture au monstre, Gus Van Sant dresse une série de portraits funéraires des derniers moments sur terre des principales victimes des tueurs. Chacun nous est présenté isolément comme enfermé dans sa bulle (y compris sonore) ou sa caverne même si les trajectoires de tous ces jeunes n'arrêtent pas de se croiser, d'autant que la distorsion du temps permise par le cinéma nous fait retourner en arrière pour filmer la même scène d'un autre point de vue. Cette mise en scène savante suggère que ces jeunes ont en commun un profond mal-être mais qu'ils ne parviennent pas à communiquer pour autant. C'est le regard d'une jeune fille qui fuit obstinément l'objectif, c'est la résistance d'une seconde à mettre un short, c'est le rituel boulimique-anorexique de trois autres qui s'enferment parallèlement mais séparément dans les toilettes pour se faire vomir après la cantine, c'est le harcèlement que subissent les plus faibles dans le silence le plus complet. Une violence qui appelle en retour la violence. Michelle, la jeune fille timide au physique ingrat moquée par les autres porte sur son sweat-shirt un tigre qui ne demande qu'à sauter à la gorge des autres. Alex qui est également un souffre-douleur souffre de surdité et comme son partenaire Eric, est un homosexuel refoulé dans une ambiance teinté d'homophobie.

A force de transparence, de géométrie rectiligne, de dimensions disproportionnées, de silence, le lycée où évoluent ces adolescents finit par incarner le tombeau mais aussi un vide abyssal: celui des adultes, les grands absents du film. Certains traversent de temps à autre le champ de la caméra mais ils ne sont que des figures fantomatiques d'arrière-plan. Les parents sont défaillants et/ou insignifiants, les professeurs indifférents... Et par conséquent on est guère surpris de voir ces jeunes sans repères confondre les jeux vidéos de tueries et la réalité, s'acheter des armes sur internet sans contrôle (l'une des significations du titre se rattache à l'Eléphant, mascotte du parti Républicain qui défend l'accès libre aux armes) et tuer sans état d'âme.

Le lycée filmé par Gus Van Sant a tout d'une arche de Noé (dysfonctionnelle) juste avant le déluge. La dimension sinon divine du moins cosmique du film est très forte. Le huis-clos du lycée est interrompu par des plans de verdure automnale (civilisation moribonde?) alors que les pulsions et souffrances refoulées s'accumulent dans le ciel sous forme de gros nuages noirs menaçants. L'orage qui éclate quand la violence se déchaîne est une autre interprétation possible du titre car l'Eléphant est la monture du dieu de la foudre indien Indra. Une fois purgé, le ciel retrouve sa sérénité habituelle.

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Shadows

Publié le par Rosalie210

John Cassavetes (1959)

Shadows

Même année de réalisation (1959), même envie de briser les règles d'un certain cinéma traditionnel, même sens du système D pour pallier les carences budgétaires et les approximations techniques, même goût pour les déambulations urbaines et les conversations chaotiques entre futilités et questions existentielles, même caméra en liberté filmant comme on respire... Shadows, premier film de Cassavetes qui marque la naissance du cinéma indépendant américain est une sorte de frère d'A bout de souffle, manifeste de la nouvelle vague du cinéma français.
" Le film que vous venez de voir est une improvisation." Ce carton inséré dans le générique de fin ne doit surtout pas être pris au pied de la lettre. Même si l'idée de Shadows est née lors d'une improvisation théâtrale, même si l'histoire s'est construite au fur et à mesure du tournage, une grande partie du film à été scénarisée et les dialogues écrits. L'impression de spontanéité, d'improvisation, de naturel qui émane du film n'est pas le fruit du hasard mais de choix de mise en scène comme celui qui consiste à enlever les marqueurs au sol pour donner plus de liberté de mouvement aux comédiens. La caméra est obligée pour ne pas les perdre de les coller au plus près, d'épouser leur rythme.
Il est beaucoup question de rythmes et de couleurs dans Shadows qui baigne dans la musique jazz et les battements de pouls du Manhattan nocturne des années 50 (cinémas, concerts, music-hall, pistes de danse, soirées privées intellos etc.) Il y est aussi beaucoup question d'identité. Hugh, Ben et Lelia qui sont frères et sœur et afro-américains ont bien des difficultés à trouver leur place dans la société. Hugh est un musicien de jazz en crise car sa musique ennuie les clients et on lui demande de s'entourer de chorus girls pour rebooster l'audience ce qu'il trouve humiliant. De plus sa négritude manifeste l'expose particulièrement au racisme et en retour le rend agressif et intolérant. Ben, son jeune frère métis est un paumé qui erre avec ses amis de bar en bar pour tenter de chiper les filles des autres ce qui lui vaut de rudes "recadrages" à coups de poing. Quant à Lelia, elle fait une expérience particulièrement douloureuse liée à son teint de peau très clair. Elle tombe en effet amoureuse de Tony, un petit blanc baratineur et lâche avec lequel elle va de désillusion en désillusion. Au plus près des visages et donc des émotions, Cassavetes nous livre quelques scènes magistrales: celle de la déception (voire du dégoût) du premier rapport sexuel très loin de ce qu'elle s'était imaginé et celle du racisme ordinaire où tout est dit en deux plans: celui du visage de Tony qui s'assombrit (sans jeu de mots) lorsqu'il découvre le frère de Lelia et comprend donc qu'elle est noire. Et celui du visage de Lelia qui lit celui de Tony et comprend que leur histoire est finie. L'absurdité de ce racisme est particulièrement bien mis en valeur par les lumières qui font souvent paraître Tony plus noir que Lelia.

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