Le Port des passions (Thunder Bay)
Anthony Mann (1953)
"Le Port des passions" est un film handicapé par plusieurs facteurs.
Le premier et non des moindres est le fait qu'il a été tourné au beau milieu des magnifiques westerns réalisés par Mann et mettant en scène James Stewart. Plus précisément entre "Les Affameurs" et "L'Appât" d'un côté et "Je suis un aventurier" de l'autre. Evidemment à côté de tels géants, "le Port des passions" fait figure de nain.
Le deuxième problème est lié à la faiblesse d'un scénario quelque peu manichéen que l'on peut résumer ainsi "pêcheurs obscurantistes contre prospecteurs visionnaires". Dans ce que l'on peut qualifier de conflit d'usage avant la lettre les pétroliers ont le beau rôle: ce sont des héros venus insuffler dynamisme et modernité à la petite communauté de Louisiane endormie sur ses traditions. D'ailleurs les filles du patron-pêcheur ne s'y trompent pas: elle craquent pour les deux beaux aventuriers joués par James Stewart et Dan Duryea au grand dam de leur père.
Enfin le troisième problème est lié au deuxième. La réception du film ne peut plus être la même aujourd'hui. Même s'il s'agit plutôt d'un film d'aventures, il est imprégné de l'esprit pionnier des westerns que Mann tournait à la même époque. Celui qui poussait à conquérir, à explorer, à mettre en valeur des territoires vierges (ou considérés comme tels par les occidentaux, c'était bien là le problème). Mais cette période est révolue, de même que son idéologie dominante. Aujourd'hui les sociétés occidentales récoltent les effets pervers de ce qu'elles ont semé. D'une part la revanche de ceux qui ont été spoliés (guerre coloniales, terrorisme etc.) D'autre part la pollution et le réchauffement climatique. Impossible de souscrire aujourd'hui au message du film à savoir l'apologie du progrès technologique et du pétrole vu comme une "ressource naturelle" à exploiter au même titre que la crevette.
Cependant, en dépit de tous ces défauts le film reste agréable à voir. Il est bien mis en scène, bien photographié et bien joué par des pointures de l'époque (Stewart et Duryea mais aussi Joanne Dru vue dans des chefs d'oeuvre du western comme "La Rivière rouge" de Hawks et "La Charge héroïque" de Ford.) Et puis il a une valeur historique car il permet de mieux comprendre d'état d'esprit qui a accouché par exemple du projet d'aménagement de l'aéroport de Notre Dame des Landes dans les années 60, un projet tout juste remis en cause en 2018 sous la pression entre autre de ces soi disant arriérés de paysans.
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