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Articles avec #drame tag

L'Armée des ombres

Publié le par Rosalie210

Jean-Pierre Melville (1969)

L'Armée des ombres

1969 est une année charnière dans la représentation de la Résistance en France. Lorsque sort le film de Jean-Pierre MELVILLE, De Gaulle a démissionné depuis quatre mois. Or il avait contribué à construire dans l'après-guerre une mémoire officielle de réconciliation nationale selon laquelle une majorité de français avaient résisté aux allemands pendant la guerre. Des résistants célébrés comme des héros à l'image de Jean Moulin dont l'entrée au Panthéon en 1964 donna lieu à un célèbre discours d'André Malraux: "Entre ici Jean Moulin avec ton terrible cortège. Avec ceux qui sont morts dans les caves sans avoir parlé, comme toi; et même, ce qui est peut-être plus atroce, en ayant parlé (…) Entre, avec le peuple né de l’ombre et disparu avec elle — nos frères dans l’ordre de la Nuit (…) Aujourd’hui, jeunesse, puisses-tu penser à cet homme comme tu aurais approché tes mains de sa pauvre face informe du dernier jour, de ses lèvres qui n’avaient pas parlé ; ce jour-là, elle était le visage de la France… "

Le film de Jean-Pierre MELVILLE ne remet pas fondamentalement en cause cette vision. De Gaulle est montré comme le chef unique de la Résistance (alors que le film se déroule avant l'unification de ses différents mouvements), "Saint Luc" (Paul MEURISSE) étant un substitut de Jean Moulin. D'autre part le seul personnage important que l'on peut croire collaborateur dans le film (joué par Serge REGGIANI) s'avère en réalité résistant, validant la thèse de l'historien Robert Aron du "double jeu" des pétainistes. Néanmoins il amorce un changement d'époque de par la vision démythificatrice et désenchantée qu'il donne de la Résistance. Une vision distanciée et fragmentée par le souvenir qui semble au fur et à mesure que le film avance se transformer en cauchemar ("Mauvais souvenirs, soyez pourtant les bienvenus" est la phrase qui sert d'exergue au film). Les résistants sont montrés moins comme des héros que comme des morts en sursis voire des fantômes sortis d'outre tombe. L'aspect profondément carcéral et oppressant du film (lié aux décors, à la photographie glaciale, quasiment privée de couleurs, à la bande-son sinistre) donne au spectateur l'impression d'avoir basculé dans une dimension sépulcrale. Une impression renforcée par les personnages et l'interprétation des acteurs. Contrairement à ce que faisait Malraux dans son discours d'hommage à Jean Moulin, le spectateur ne peut s'identifier aux résistants du film. L'accès à leur intériorité nous est refusé car ils l'ont eux-mêmes verrouillée pour pouvoir s'adonner à leur activité. Cela fait d'eux des êtres froids, inexpressifs et interchangeables, inhumains, désincarnés et insensibles à l'exception des personnages joués par Jean-Pierre CASSEL et Simone SIGNORET. Mais c'est aussi leur refus d'abdiquer toute humanité qui en fera des proies faciles. D'autre part le quotidien des résistants est marqué par l'ennui entrecoupé de brefs moments de montée d'adrénaline. Ils attendent beaucoup, se cachent, fuient et se taisent. Et ils n'hésitent pas à tuer. Pas seulement le nazi ou le collaborateur mais aussi quiconque dans leur rang qui serait susceptible de les trahir. Le plus impitoyable de tous étant Gerbier (Lino VENTURA) dont le dévouement à l'organisation et la dévotion à la hiérarchie se rapproche des codes de la mafia japonaise: "Le mot “aimer” n’a de sens pour moi que s’il s’applique au patron". Rapprocher ainsi ces hommes de l'ombre du monde des gangsters avec des codes de film policier a quelque chose de passablement dérangeant.

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L'Homme qui voulut être roi (The Man Who Would Be King)

Publié le par Rosalie210

John Huston (1975)

L'Homme qui voulut être roi (The Man Who Would Be King)

"L'homme qui voulut être roi", nouvelle de Rudyard Kipling de 1888 retravaillée magistralement par John HUSTON en 1975 n'est rien de moins que l'histoire d'une illusion et d'une désillusion, l'origine et la dissipation du malentendu qui accompagna la colonisation du monde par les européens à travers l'exemple du Kafiristan (région afghane connue aujourd'hui sous le nom de Nouristan) conquise brièvement par deux aventuriers et anciens sergents de l'armée britannique, Daniel Dravot (Sean CONNERY) et Peachy Carnehan (Michael CAINE) à la fin du XIX° siècle.

Lorsqu'au XVI° siècle les indigènes d'Amérique rencontrèrent les conquistadors espagnols, ils les prirent pour des dieux en raison de leurs chevaux, animal alors inconnu outre atlantique et de leurs fusils qui crachaient "un feu surnaturel". Dans "L'homme qui voulut être roi", la grande illusion commence quand Dravot reçoit une flèche en pleine poitrine qui en se fichant dans sa cartouchière ne le blesse pas. Mais le gilet pare-flèche improvisé étant caché sous sa veste, les indigènes croient alors qu'ils sont en présence d'un être immortel. Cette croyance facilite leur soumission.

Du côté des colonisateurs, on croit dur comme fer en la supériorité de la civilisation occidentale et l'impérieuse nécessité de la répandre dans le monde entier. En 1899, Rudyard Kipling, fervent partisan de la colonisation (au point que Orwell le traitera de prophète de l'impérialisme britannique) écrit "Le fardeau de l'homme blanc". Dans ce poème, il évoque le devoir des occidentaux de civiliser, de subvenir aux besoins et d'administrer les peuples indigènes jugés inférieurs. La mission civilisatrice qui n'est pas propre à Kipling (Jules Ferry en France lui aussi fervent partisan de la colonisation dit à peu près la même chose au même moment) se retrouve bien évidemment dans le film quand Dravot et Carnehan pacifient la région (bien évidemment il faut prouver qu'avant l'arrivée des occidentaux, c'était le chaos) puis quand Dravot devenu roi rend la justice et promulgue des lois. Là encore, il y a du travail. Carnehan est révulsé par les mœurs archaïques et barbares qu'il découvre au Kâfiristân telles que le jeu de polo avec une tête humaine ou l'offre qui lui est faite de se servir parmi les 27 filles et 22 fils du chef de tribu Ootah (Doghmi Larbi).

Mais ce qui est à l'origine du principal malentendu entre les colonisateurs et les indigènes, ce sont les valeurs humanistes et progressistes défendues par la franc-maçonnerie, association à laquelle Dravot, Carnehan mais aussi Kipling (qui dans le film devient un personnage, "frère" et témoin de leur aventure, joué par Christopher PLUMMER) appartiennent. Peu de films mettent ainsi en valeur cette organisation ésotérique et secrète au jargon particulier (dans le film ils se désignent comme les "fils de la veuve" ou les "frères trois points"). En effet c'est le symbole maçonnique que Dravot porte autour du cou (offert par Kipling) qui fait de lui un roi ou plutôt selon le jargon maçonnique le "grand architecte de l'univers", les indigènes le reconnaissant comme le fils d'Alexandre le Grand (le dernier conquérant du Kafiristan qui lui aussi possédait ce symbole).

Seulement voilà, Kipling écrivait dans un contexte colonial, John Huston réalise dans un contexte post-colonial si bien que l'histoire s'intègre parfaitement dans son oeuvre. En effet dans nombre de ses films, l'entreprise d'un homme ou d'un groupe qui semblait sur le point de réussir échoue à cause de l'hubris humaine. La mégalomanie de Dravot le trahit auprès des indigènes qui découvrent qu'il n'est qu'un humain comme eux. Ironiquement, ce n'est pas aux cieux qu'il finira mais au fond d'un précipice. Quant à Carnehan, il est crucifié selon la vision christique que Kipling avait de la colonisation, le fardeau n'étant finalement selon lui qu'un chemin de croix face à l'ingratitude des indigènes. Mais John HUSTON ouvre son film par une brillante exploration de toutes les contradictions du personnage et à travers lui de la colonisation: il vole la montre de Rudyard Kipling (cupidité) mais découvre dessus le symbole de la franc-maçonnerie qui lui indique qu'on ne vole pas un frère (valeurs humanistes). Il se fait donc un devoir de lui rendre sa montre mais pour y parvenir il utilise un indigène comme bouc-émissaire (et il faut bien observer sa moue de dégoût quand celui-ci crache par terre avant qu'il ne le jette du train).

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La Balade sauvage (Badlands)

Publié le par Rosalie210

Terrence Malick (1973)

La Balade sauvage (Badlands)

Ce n'est pas par son sujet que le premier film de Terrence MALICK innove. La cavale des amants meurtriers, tirée d'un fait réel évoque en effet entre autre "Bonnie and Clyde" (1967) de Arthur PENN qui avait été le mentor de Terrence MALICK alors étudiant à l'American Film Institute. En revanche, son traitement à la fois violent et distant, sanglant et contemplatif est nouveau. Il faut dire que les amants de la "Balade sauvage" se complètent dans l'étrangeté. Kit (Martin SHEEN) est une tête brûlée qui se prend pour James DEAN. Du costume aux postures, tout rappelle l'acteur de "REBEL WITHOUT A CAUSE" (1955) disparu à l'âge de 24 ans. Cependant, Kit évolue très vite vers la psychopathologie meurtrière tout en cherchant à faire la publicité de ses actes. Son besoin de reconnaissance est tel qu'il finit par se laisser arrêter par la police. Holly (Sissy SPACEK) est une jeune fille de 15 ans à l'allure romantique mais au comportement étrangement détaché. N'étant jamais sortie de son bled du Dakota du sud et vivant sous la férule d'un père tyrannique, on comprend ce qui l'attire dans le personnage de Kit: l'aventure, la liberté, le risque. Mais le mélange de radicalité (assassinat du père, incendie de la maison familiale, jet aux ordures de ses effets personnels) et d'indifférence avec laquelle elle fait le deuil de son enfance laisse perplexe. De même, face aux agissements violents et de plus en plus erratiques de Kit, elle ne manifeste pas d'émotion particulière, se contentant de se retrancher en elle-même. Si l'on ajoute que c'est elle qui raconte l'histoire en voix off, on comprend pourquoi elle nous apparaît lointaine, comme s'il s'agissait d'un rêve. Le tout est accentué par l'ode à la nature qui transparaît dans certains passages du film, celle-ci servant de refuge pour les deux jeunes gens dont la relation est interdite par le père puis qui se retrouvent traqués par la société. On remarque particulièrement la très belle photographie des paysages qui est une caractéristique du cinéma de Terrence MALICK. Cette errance de marginaux se servant dans les maisons bourgeoises et tuant à l'occasion fait d'ailleurs quelque peu penser aux films de Bertrand BLIER.

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Snake Eyes

Publié le par Rosalie210

Brian De Palma (1998)

Snake Eyes

"Snake eyes" est un film malin, divertissant, prenant, à la mise en scène virtuose. La séquence d'ouverture, morceau de bravoure d'une durée de 12 minutes est un faux plan-séquence qui suit les mouvements d'un héros ou plutôt antihéros surexcité et cabotin, Rick Santoro (Nicolas CAGE dans un de ses meilleurs rôles) dans les coulisses du palais des sports d'Atlantic city qui deviendra le théâtre d'un drame se jouant à huis-clos. En parfait maniériste, Brian De PALMA rend ainsi hommage au dispositif de "La Corde" (1948) de Alfred HITCHCOCK qui était conçu pour apparaître comme un unique plan-séquence grâce à des effets trompe l'œil.

D'œil et de regard, il en est beaucoup question dans "Snake eyes". La caméra semble s'enrouler autour des lieux labyrinthiques à la manière d'un serpent et pour cause: l'œil dont il est question, c'est justement celui de la caméra. Au fur et à mesure du déroulement du film, cette scène originelle sera revue plusieurs fois, à chaque fois à partir d'un point de vue différent, donnant peu à peu des clés de compréhension au spectateur placé en position de détective et non de consommateur passif. En effet si la séquence d'ouverture nous annonce d'emblée que les images peuvent mentir (la présentatrice d'un émission TV transforme l'ouragan Jezebel en orage tropical), elles peuvent également servir à résoudre des énigmes. A deux reprises, Rick utilise la vidéo, d'abord pour confondre Tyler (Stan SHAW) puis son soi-disant meilleur ami, Kevin Dunne (Gary SINISE). Au passage, il y perd quelques plumes tout en y gagnant une intégrité qu'il avait perdue depuis longtemps. Le rachat est encore possible pour lui comme le montre le plan où il observe le billet ensanglanté, se disant à lui-même "Je n'ai jamais tué personne". Néanmoins la fin, bien ironique, utilise le double effet kiss cool de la médiatisation: Rick Santoro est célébré comme un héros pour avoir sauvé la vie de Julia Costello (Carla GUGINO) avant que toutes les casseroles qu'il a accumulé au cours de sa carrière de policier corrompu ne lui tombent dessus en même temps. On le voit alors chercher à fuir la caméra après s'être pavané devant elle.

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Pickpocket

Publié le par Rosalie210

Robert Bresson (1959)

Pickpocket

"Pickpocket" était fait pour le style bressonien. Pas seulement par le contenu du film, l'histoire du chemin tortueux par lequel Michel (Martin LaSALLE) parvient à la grâce, incarnée par la figure de madone de Jeanne (Marika GREEN). Mais aussi par son style fait de répétitions et de fragmentations.

Le film se caractérise en effet tout d'abord par un art de la reprise. Robert BRESSON filme les mêmes lieux, les mêmes situations, emploie les mêmes sons et la même musique (la suite n°7 d'après Jean-Baptiste Lully). Michel acquiert la dextérité nécessaire à son activité en s'entraînant à répéter les mêmes gestes jusqu'à ce qu'il les maîtrise. Les séquences de vol à la tire, surtout lorsqu'elles sont réalisées en bande ressemblent à des chorégraphies réglées au millimètre près. Elles relèvent de l'art de la prestidigitation. Un véritable prestidigitateur, Henry Kassagi a d'ailleurs été conseiller technique sur le film. Mais la répétition suggère aussi l'addiction. Michel est prisonnier d'un besoin compulsif de voler qui l'aliène. La mise en scène de plus en plus encadrante suggère cet enfermement progressif dans le vice.

Ensuite, le film est fragmenté. Tout d'abord sur le plan narratif, il y a de nombreuses ellipses temporelles qui ont pour but d'épurer le récit et de mettre en valeur des temps morts qui sont habituellement évacués du scénario comme les entrées et les sorties. La fragmentation touche aussi l'espace qui n'est jamais vu intégralement mais plutôt selon un point de vue humain. Elle concerne également le son qui est retravaillé par Robert BRESSON de façon à effacer certains bruits et à en amplifier d'autres. Le bruit de fond est éliminé ce qui rend les lieux de circulation ou de sociabilité étrangement silencieux. A l'inverse certains sons comme celui de la fête foraine ou de la course de chevaux servent à se substituer à l'image qui reste hors-champ. Cette dissociation est aussi celle du pickpocket qui doit faire en sorte que sa main s'autonomise par rapport à son regard pour anesthésier la vigilance de la victime afin qu'elle ne se rende compte de rien. Le non-jeu des acteurs ou plutôt des "modèles" comme les qualifie Robert BRESSON va de pair avec l'inexpressivité du pickpocket qui doit afficher un masque de neutralité pour qu'on ne puisse pas lire ses intentions sur son visage.

Cependant répétitions et fragmentations ne seraient rien sans l'objectif final qui est celui de la conversion. Michel apparaît comme un être fuyant le contact humain et la réalité. Il se prend pour un surhomme nietzschéen qui se croit au dessus des lois alors qu'il assouvit surtout ses pulsions. Son arrestation et son séjour en prison auront un effet émancipateur paradoxal et lui permettront de s'ouvrir à l'autre et à l'amour.

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Sueurs froides (Vertigo)

Publié le par Rosalie210

Alfred Hitchcock (1958)

Sueurs froides (Vertigo)


"Vertigo" avait été un semi-échec à sa sortie. Aujourd'hui il est considéré comme le plus grand film de Alfred HITCHCOCK et l'un des plus grands films de l'histoire du cinéma. Il faut dire qu'il le reflète à la perfection. Comme le disait Hélène Frappat à propos de "La Baie des Anges" (1962) de Jacques DEMY "C'est un grand film sur le cinéma (…) cette forme de transfusion artificielle de la vie et du sang dont ont besoin les artistes et les vampires (…) cette forme de maladie ou de vice que l'art constitue dès lors qu'il devient beaucoup plus intense que la vie (…) Le film met en scène la violence qu'il y a à être accroché au royaume des ombres, des spectres et des morts quand tout nous convoque de l'autre côté, vers l'horizon lumineux des vivants." Comme les héros accros au jeu de la "La Baie des Anges" (1962), Scottie (James STEWART) perd tout contact avec la réalité pour le vertige d'une fiction qui l'entraîne toujours plus loin dans la spirale de la folie obsessionnelle. Dès lors qu'il pose les yeux sur Madeleine (Kim NOVAK), une femme-icône fabriquée de toutes pièces pour le manipuler, il s'enflamme et tombe aveuglément dans le panneau. Scottie est obsédé par cette femme qui se dit possédée par une morte. Or c'est le cas: cette femme n'est qu'une image ce qui confère à la passion de Scottie un caractère profondément mortifère comme le confirme la fin du film: derrière l'image il n'y a que du vide. Scottie apparaît moins alors comme une victime (d'accrophobie, de manipulations) que comme un être incapable d'aimer. Les femmes de chair et d'os amoureuses de lui (Madge l'amie de jeunesse jouée par Barbara BEL GEDDES et Judy, sosie réel de la fictive Madeleine) ne parviennent pas à le détourner de son obsession car elles sont à l'image de la vie: imparfaites. Madeleine, la femme parfaite est quant à elle à l'image de la mort: froide, distante, nimbée d'une lumière verte fantomatique qui contraste avec le rouge de la passion que Scottie éprouve à son égard. Tout autour d'eux est dévitalisé et irréel: ce ne sont que lieux vides, cimetières, musées, couronnes mortuaires. Lorsque Scottie veut la faire revivre à travers le corps de Judy, il affirme un peu plus ses fantasmes nécrophiles et fétichistes et son désir de possession. Car Madeleine-Judy n'est à ses yeux qu'une femme-objet, une poupée de chair que l'on habille et que l'on déshabille à sa guise comme Gavin Elster (Tom HELMORE) l'avait fait avant lui. Et si Judy souhaite comme tout le monde être aimée pour elle-même, elle se soumet au regard des hommes comme tant de femmes avant et après elle. "Vertigo" comme d'autres films d'Hitchcock est un grand film sur le regard qui est à la base de l'art éminemment visuel qu'est le cinéma. Le célébrissime générique en est la parfaite illustration.

"Vertigo" est un film matriciel dont l'influence sur la cinéphilie mondiale a été considérable. Chris MARKER et Terry GILLIAM se sont tous deux inscrits dans la généalogie du sequoia géant de "Vertigo", le premier avec "La Jetée" (1963), le second avec son remake, "L Armée des douze singes" (1995). Lui-même est dérivé de "Brazil" (1985) dont la parenté avec "Vertigo" saute aux yeux: un homme qui rêve d'une femme inaccessible et duale (au point de mourir deux fois comme Madeleine-Judy) et qui dans ses cauchemars tombe dans le néant d'une tombe ou d'un cercueil. Autre exemple célèbre de film dérivé de "Vertigo": "Mulholland Drive" (2001) de David LYNCH avec ses personnages d'actrices qui se dédoublent en version blonde et en version brune. Et Brian De PALMA bien sûr dont toute la filmographie est hantée par la figure tutélaire de Alfred HITCHCOCK. 

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Les salauds dorment en paix (Warui yatsu Hodo yoku nemuru)

Publié le par Rosalie210

Akira Kurosawa (1960)

Les salauds dorment en paix (Warui yatsu Hodo yoku nemuru)

Méconnu en France sans doute parce qu'il s'agit d'un film noir et non d'un film historique, "Les salauds dorment en paix" est pourtant l'un des plus grands chefs d'œuvre de Akira KUROSAWA, mêlant avec virtuosité cinéma et théatre.

Le film est tout d'abord une satire au vitriol du Japon d'après-guerre gangrené par la corruption. La mise en scène est étourdissante de maîtrise. A l'image de Jean RENOIR, Akira KUROSAWA joue beaucoup sur la profondeur de champ pour instaurer une distance critique avec l'action qui se déroule sous nos yeux. La scène d'ouverture d'une durée de vingt minutes (qui a inspiré Francis Ford COPPOLA pour celle du film "Le Parrain" (1972)) se déroule pendant le banquet de mariage de la fille du patron avec son secrétaire particulier mais un aéropage de journalistes chargé de couvrir l'événement fait des commentaires acerbes et se délecte des incidents au parfum de scandale qui éclatent en direct. Lors d'une autre scène, un employé de la compagnie qui se fait passer pour mort contemple caché dans une voiture le spectacle de ses funérailles durant lesquelles les dirigeants s'inclinent devant son effigie alors qu'une bande magnétique enregistrée à leur insu dévoile leur contentement d'avoir poussé un témoin gênant de leurs pratiques mafieuses au suicide.

Mais là où le film atteint des sommets d'intensité, c'est lorsque sur ce cloaque nauséabond il greffe une tragédie shakespearienne digne de "Hamlet" dont Akira KUROSAWA s'est librement inspiré tout en étant encore plus sombre et fataliste que l'œuvre d'origine. Il y a quelque chose de pourri au pays du soleil levant et c'est la relation filiale qui en paye le prix. En effet les pères s'y révèlent d'une totale indignité. Nishi (Toshirô MIFUNE) veut venger le sien qui l'a jamais reconnu alors que son beau-père n'hésite pas à briser sa fille Yoshiko (Kyôko KAGAWA) pour mieux l'anéantir. Kurosawa semble nous dire qu'en sacrifiant leurs enfants au profit de leur hiérarchie ou de leurs ambitions sociales, les pères privent leur pays d'avenir. La fin se déroule dans un paysage ravagé lié aux stigmates de la guerre qui dans les années 60 ne semble toujours pas terminée. La mort de Nishi, laissée en hors-champ est racontée par un personnage tiers comme celle d'Ophélie dans "Hamlet". Il y a aussi un fantôme, le fameux employé revenu d'entre les morts pour terrifier sa hiérarchie. Et pour confondre son beau-père en public, Nishi commande une pièce montée en forme de scène de crime comme le faisait Hamlet avec les comédiens chargés de rejouer la scène devant le roi.

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Les Oiseaux (The Birds)

Publié le par Rosalie210

Alfred Hitchcock (1963)

Les Oiseaux (The Birds)

L'une des grande force de ce chef d'œuvre de Alfred HITCHCOCK, c'est son dépouillement. Aucune explication, aucun flashback, aucune enquête, un paysage austère et des cris d'oiseaux pour seule bande-son sur fond de silence post-apocalyptique. La mise en scène créé une atmosphère d'angoisse diffuse qui finit par exploser en scènes de violence proprement cauchemardesques. On pense en particulier à la célèbre scène où Mélanie (Tippi HEDREN) attend près de la porte de l'école pendant que les oiseaux se regroupent dans son dos à son insu. Alfred HITCHCOCK en profite pour promener le spectateur, le mettant partiellement dans la confidence pour maintenir son intérêt mais pas suffisamment pour qu'au moment où Mélanie découvre avec horreur l'apocalypse prête à se déchaîner, il ne soit pas lui aussi saisi d'effroi. Du grand art!

Les "Oiseaux" peut tout à fait s'appréhender dans le sens d'une illustration du passage de "L'introduction à la psychanalyse" où Freud évoque les trois découvertes scientifiques qui ont remis en question les représentations que l'homme se faisait de lui-même et de sa place dans l'univers: "La première fois, ce fut lorsqu'elle a montré que la terre, loin d'être le centre de l'univers, ne forme qu'une parcelle insignifiante du système cosmique dont nous pouvons à peine nous représenter la grandeur. Cette première démonstration se rattache pour nous au nom de Copernic, bien que la science alexandrine'ait déjà annoncé quelque chose de semblable. Le second démenti fut infligé à l'humanité par la recherche biologique, lorsqu'elle a réduit à rien les prétentions de l'homme à une place privilégiée dans l'ordre de la création, en établissant sa descendance du règne animal et en montrant l'indestructibilité de sa nature animale. Cette dernière révolution s'est accomplie de nos jours, à la suite des travaux de Ch. Darwin, de Wallace' et de leurs prédécesseurs, travaux qui ont provoqué la résistance la plus acharnée des contemporains. Un troisième démenti sera infligé à la mégalomanie humaine par la recherche psychologique de nos jours qui se propose de montrer au moi qu'il n'est seulement pas maître dans sa propre maison, qu'il en est réduit à se contenter de renseignements rares et fragmentaires sur ce qui se passe, en dehors de sa conscience, dans sa vie psychique."

En effet les "Oiseaux" s'apparente à une revanche (ou selon une lecture religieuse, à une punition) des forces de la nature sur la prétention des hommes à vouloir dominer leur environnement et leurs émotions. La scène finale montre un paysage saturé et contrôlé par les volatiles, un paysage que les hommes vaincus doivent abandonner, chassés de leurs maisons (non sans qu'auparavant, ceux-ci ne leur ait fait sentir ce que cela fait d'être en cage). Plusieurs scènes parmi les plus terrifiantes montrent Mélanie se faire attaquer par les volatiles alors qu'elle est confinée dans un espace clos dont elle ne peut pas sortir (une cabine téléphonique, un salon puis une chambre). Mélanie est perçue comme une intruse dont l'arrivée à Bodega Bey perturbe l'équilibre qui y régnait. Pour Lydia (Jessica TANDY) la mère de Mitch (Rod TAYLOR), elle est une dangereuse rivale qui menace de lui voler son fils d'autant qu'elle lui ressemble en plus jeune. Pour Annie (Suzanne PLESHETTE) l'institutrice qui a renoncé à Mitch tout en ne parvenant pas à se séparer de lui, elle est une projection de la séductrice idéale (d'autant que Annie est brune et Melanie blonde). Les attaques dont est victime Mélanie peuvent donc être vues comme celles de l'inconscient de ces femmes. Mais l'inverse est également vrai car elles sont également toutes deux attaquées par les oiseaux.

L'acharnement des oiseaux sur les enfants peut s'expliquer comme une punition divine cherchant à priver l'homme de sa descendance afin que la nature reprenne ses droits comme le montre la prise de possession des oiseaux sur la maison de Mitch. Mais il est aussi un reflet des carences parentales subies dans l'enfance par Mélanie abandonnée par sa mère et par Mitch dont la mère se comporte en petite fille ou en amante jalouse (quant au père, il est inexistant pour Mélanie et décédé chez Mitch). Les hommes sont ainsi vus comme des oiseaux contre-nature qui au lieu de couver leurs oeufs les dévorent. Il est d'ailleurs significatif que le film se dénoue sur l'adoption de Mélanie par la mère de Mitch. Une Mélanie dépouillée de sa carapace et redevenue une petite fille démunie à la suite des traumatismes infligés par les oiseaux alors qu'au contraire Lydia y trouve un accomplissement, se sentant plus forte et plus indispensable.

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Take Shelter

Publié le par Rosalie210

Jeff Nichols (2011)

Take Shelter

A sa sortie, le film de Jeff NICHOLS avait été encensé mais je n'avais pas du tout accroché. Depuis, les critiques ont réévalué le réalisateur à la baisse alors qu'en revoyant son deuxième film j'ai réévalué mon opinion à la hausse tout en conservant de sérieuses réserves. La principale est que je ne parviens jamais à ressentir la moindre ambiguïté quant à la dimension où se déroule l'apocalypse décrite dans le film. Hormis la dernière scène (qui du coup me semble complètement artificielle), nous n'avons que le point de vue de Curtis LaForche (Michael SHANNON) qui nous est montré (de façon répétitive qui plus est!) se réveillant dans son lit après des cauchemars ou visions de plus en plus terrifiants. Par conséquent, l'interprétation qui l'emporte largement de mon point de vue est celle d'un dérèglement mental interne (lourdement) appuyé par ses visites aux psychologues et à sa mère diagnostiquée schizophrène paranoïde. La vision des éclairs zébrant le ciel que Curtis est seul à voir fait également penser aux fissures qui apparaissent dans les murs de "Répulsion (1965)" de Roman POLANSKI, film qui parlait également d'un personnage s'enfonçant peu à peu dans la folie. La désagrégation mentale du personnage se traduit par la perte de contrôle de sa vie: il s'endette, perd son travail, se débarrasse de son chien, tourne le dos à ses amis, met sa femme à distance. En revanche il adopte un comportement fusionnel avec sa fille sourde-muette (donc atteinte d'un handicap qui la coupe du monde, comme lui?)

Si je trouve cette lecture individualiste plutôt convaincante bien que non exempte de maladresses (d'autant que Michael SHANNON est excellent), je le suis moins dès qu'il s'agit de la relier au cosmos. Pour que la croyance en une apocalypse prenne, il aurait fallu décentrer le regard du personnage principal et montrer un microcosme globalement déréglé comme le fait Gus Van SANT dans "Elephant" (2003), film choral dépeignant les derniers instants d'une communauté avant sa désintégration ou Alfred HITCHCOCK dans "Les Oiseaux" (1962), film auquel on pense forcément lorsqu'on évoque le thème du jugement dernier. La scène où Curtis se la joue prophète de malheur dans la salle des fêtes tombe comme un cheveu sur la soupe étant donné que dans toutes les scènes qui précédaient, il semblait convaincu que le problème venait de lui même si cela affectait ses rapports aux autres et au monde. Et ces "autres" et ce "monde" sont trop peu développés pour que l'on y croie. Si bien qu'au bout d'un moment le film finit par sérieusement se déliter et nous repousser loin des personnages.

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Last Days

Publié le par Rosalie210

Gus Van Sant (2005)

Last Days

"Last Days" est le troisième film de la trilogie de la mort tournée par Gus Van SANT entre 2002 et 2005. Il partage avec les deux autres opus "Gerry" (2002) et "Elephant" (2003) le caractère d'élégie funèbre en mémoire d'adolescents ou d'adultes fauchés en pleine jeunesse, le dispositif expérimental et dépouillé et enfin une origine puisée dans des faits réels. "Gerry" (2002) évoquait l'histoire de deux garçons qui s'étaient perdus dans le désert dont un seul avait réussi à survivre. "Elephant (2003)" s'inspirait librement de la tuerie du lycée de Columbine."Last Days" est dédié à Kurt COBAIN car bien que le héros s'appelle Blake, il est évident qu'il s'agit du fantôme du chanteur du groupe Nirvana qui s'est suicidé en 1994 à l'âge de 27 ans. En dépit de son apparence flottante, le film comporte beaucoup de détails extrêmement précis relatifs aux derniers jours du chanteur. Comme son double réel, le compte à rebours commence lorsque Blake s'échappe du centre de désintoxication où il était enfermé. L'événement (comme tout ce qui est relatif aux faits) reste hors-champ. On le devine au bracelet que Blake porte au poignet, au rituel de purification auquel il s'adonne lorsqu'il traverse la forêt et enfin à un coup de téléphone où son évasion est évoquée. Blake comme Kurt COBAIN porte un pull rayé noir et rouge. Gus Van SANT utilise magnifiquement cette couleur sur les vêtements du chanteur pour créer un contraste avec la verdure dans laquelle il trouve son principal refuge. On trouve également dans le film, le détective engagé par Courtney LOVE, la femme de Kurt COBAIN et chanteuse du groupe Hole à l'époque, pour le retrouver ainsi que le jardinier qui découvre le corps. Comme le chanteur de Nirvana, Blake a une petite fille qu'il a plus ou moins abandonné et aurait dû partir en tournée en Europe avec son groupe juste après sa désintoxication. Enfin c'est dans la cabane du jardin qu'il écrit sa lettre d'adieu celle qui sera publiée partout ensuite et notamment adressée à ses fans. Blake meurt par overdose mais une carabine est retrouvée à ses côtés. Kurt COBAIN meurt d'un coup de carabine dans la bouche mais l'autopsie révèle qu'il s'était gavé d'héroïne auparavant. C'est bonnet blanc et blanc bonnet.

Ce que ce film très sensoriel (comme les deux autres) nous rend palpable, c'est à quel point Blake lors de ses derniers moments n'était déjà plus présent au monde. Son détachement face au réel fait penser au "Le Feu follet (1963)" et son remake "Oslo, 31 Août" (2011) qui narraient eux aussi les derniers moments d'une personnalité qui avait choisi de se suicider. Blake est décrit comme un fantôme ou un zombie qui se traîne d'une pièce à l'autre, ploie sous un fardeau invisible (mais qui est suggéré par le harcèlement incessant des sonneries de téléphone, les coups à la porte, les allées et venues des amis de passage et surtout l'incursion du détective auquel il réussit à échapper) et ne communique plus avec personne. L'a-t-il jamais fait d'ailleurs tant il semble fuir le contact humain. Dans un plan-séquence extraordinaire qui se compose d'un lent travelling arrière, on le voit jouer seul en simulant son groupe à l'aide d'une machine, le JamMan qui permet de passer en boucle de la musique enregistrée. Cet autisme donne lieu aussi à des scènes comiques décalées lorsqu'il est confronté à un représentant du Big Business ou lorsque deux mormons débarquent pour tenter de convertir à leur foi ces néo-hippies. Mais Blake est bien trop christique pour eux. Sa mort est filmée comme une délivrance, elle lui permet enfin de quitter l'unité de lieu où il était enfermé depuis le début du film ainsi que le champ de la caméra.

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