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Articles avec #mankiewicz (joseph l.) tag

Le Reptile (There Was a Crooked Man...)

Publié le par Rosalie210

Joseph L. Mankiewicz (1970)

Le Reptile (There Was a Crooked Man...)

Avant-dernier film de Joseph L. Mankiewicz, "Le Reptile" est aussi sa seule incursion dans le genre du western, genre qu'il revisite à sa sauce et dont il déconstruit les codes avec jubilation. Le contexte "nouvel Hollywoodien" s'y prêtait, ce sont d'ailleurs les scénaristes de "Bonnie and Clyde" de Arthur Penn qui ont écrit celui du "Reptile". On a donc un western en forme de scène de théâtre ou plutôt de fosse aux serpents: le pénitencier où se déroule l'essentiel de l'histoire. Celui-ci est dominé par deux anciennes gloires du western fordien et hawksien transformés en figures parodiques: un gredin faux derche égoïste et cupide, Paris Pitman (Kirk Douglas) et un donneur de leçons constipé, Woodward Peterman (Henry Fonda) à barbe de patriarche. Bref on est loin des héros du western classique, "sa-tire" dans tous les coins et le film comporte de ce fait quelques morceaux de bravoure jubilatoires. J'en citerait deux que j'ai trouvé particulièrement savoureux: la servante cliché tout droit sortie de "Autant en emporte le vent" qui joue la comédie de la "brave négresse battue et contente" à la famille qu'elle sert tout en leur tirant dans le dos (au sens figuré) et l'inauguration du réfectoire de bienfaisance pour les détenus avec discours lénifiants des autorités locales transformé par Paris Pitman en joyeuse pagaille où tous les faux-semblants explosent. Ironiquement, la bouffe insipide finit contre les tableaux coquins recouverts à la demande du très puritain Peterman alors que la dame de charité finit par perdre ses vêtements au passage. Et ce n'est pas le seul élément sexuel perturbateur, l'homosexualité se taillant une part notable dans les agissements de certains des personnages alors que d'autres comme Pitman ne sont mus que par l'appât du gain qui les conduit à se jouer de tout le monde.  Néanmoins le film comporte des longueurs  et manque de profondeur, la pirouette finale étant même franchement grossière. John Huston a fait preuve de beaucoup plus de finesse dans "Le Trésor de la sierra madre" alors que Mankiewicz s'en tient à des masques grimaçants totalement cyniques et misanthropes, sans une once d'ambiguité. Dommage. 

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Guêpier pour trois abeilles (The Honey Pot)

Publié le par Rosalie210

Joseph L. Mankiewicz (1967)

Guêpier pour trois abeilles (The Honey Pot)

Admiratrice de longue date de la filmographie de Joseph L. MANKIEWICZ, je découvre avec jubilation son antépénultième film que je ne connaissais pas encore. Certes "Guêpier pour trois abeilles" n'est pas un chef d'œuvre. Beaucoup le considèrent avec raison comme un brouillon de son génial dernier film "Le Limier" (1972). "Guêpier pour trois abeilles" souffre d'un début un peu poussif à mon goût, de quelques longueurs et de l'interprétation trop monolithique de Cliff ROBERTSON dans un rôle pourtant crucial. Mais en dépit de ces défauts, il s'agit tout de même d'une véritable pépite injustement méconnue.

"Guêpier pour trois abeilles" est une libre adaptation de la pièce de théâtre élizabéthaine "Volpone" du dramaturge anglais Ben Jonson. Le film s'ouvre ainsi sur la représentation de la pièce à laquelle assiste le personnage principal qui va en transposer l'intrigue dans sa propre vie. Les personnages portent d'ailleurs les noms anglicisés de la pièce (Fox pour Volpone qui signifie renard en italien et McFly pour Mosca alias la mouche son serviteur). Le film brasse tous les thèmes fétiches du réalisateur: le personnage démiurge qui voit son jeu/scénario/machination se retourner contre lui, la recherche de la vérité des sentiments derrière les faux-semblants sociaux et enfin les relations entre maîtres et domestiques. Ici le maître du jeu est Cecil Fox (Rex HARRISON), un célibataire richissime sans héritier qui comme dans la pièce feint cyniquement d'être à l'article de la mort pour faire venir à son chevet trois de ses anciennes maîtresses afin de leur faire croire qu'il pourrait léguer sa fortune à l'une d'entre elles. L'objectif affiché est de se payer leur tête en se délectant se les voir se bouffer le nez. Pour mettre son plan à exécution, il embauche un comédien raté, Mosca (Cliff ROBERTSON qui hélas pour nous l'est vraiment) qu'il veut faire passer pour son héritier afin d'humilier les trois femmes. Mais un ingrédient imprévu se glisse dans la machinerie trop bien huilée de Cecil Fox: l'infirmière d'une de ses trois ex-maîtresses, Sarah Watkins (Maggie SMITH géniale, il faut absolument la découvrir dans ce rôle) dont il se méfie car il la trouve "finaude". C'est en effet elle qui va dérégler le jeu et en révéler les faux-semblants en y introduisant des éléments sur lesquels il n'a pas de prise, les sentiments notamment. Sa présence a en effet le pouvoir de faire tomber les masques et de réintroduire de l'humanité dans le spectacle de marionnettes qui nous est offert. Pour le plus grand malheur de Cecil Fox mais pour le plus grand bonheur de McFly qui en tombe amoureux (et réciproquement, c'était écrit tant Sarah se comporte en fine mouche ^^^^). Ce n'est pas par hasard si la société de production de Joseph L. MANKIEWICZ s'appelait Figaro tant le couple de serviteurs dépasse celui des maîtres. On peut même dire que la fin du film est sans ambiguïté: l'avenir leur appartient.

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La Comtesse aux pieds nus (The Barefoot Comtessa)

Publié le par Rosalie210

Joseph L. Mankiewicz (1954)

La Comtesse aux pieds nus (The Barefoot Comtessa)

"La Comtesse aux pieds nus", l'un des plus grands films de Joseph L. MANKIEWICZ est une déconstruction du mythe de Cendrillon, tant sur la forme que sur le fond. La forme est en effet éclatée avec une structure narrative en flashbacks (huit au total) se déployant à partir d'une scène centrale récurrente qui de façon très significative n'est pas celle du mariage de Cendrillon mais de son enterrement. En effet sur le fond, "La Comtesse aux pieds nus" narre l'envers tragique des rêves de princesse avec une description particulièrement amère et désenchantée des milieux "de rêve" traversés par l'héroïne, Maria Vargas. Qu'elle navigue dans l'industrie hollywoodienne, l'aristocratie italienne ou la jet set sur la Riviera, c'est le même parfum de décadence très "fin de siècle" qui envahit l'écran avec une impressionnante galerie d'ectoplasmes. Dans ce contexte Maria Vargas (Ava GARDNER dans son plus grand rôle avec "La Nuit de l'iguane" (1964)) plantureuse danseuse espagnole pleine de fierté et d'énergie (inspirée par Rita HAYWORTH) symbolise l'espoir d'une régénération. Mais cet espoir est un tragique leurre dans lequel elle se laisse enfermer, elle qui pourtant ne jure que par sa liberté (symbolisée par sa haine des chaussures, la pantoufle de verre étant ici plutôt synonyme de carcan). En effet c'est elle au contraire qui se retrouve progressivement vidée de son énergie vitale par cette galerie de vampires dont les plus beaux spécimens sont le producteur Kirk Edwards (Warren STEVENS), le milliardaire Alberto Bravano (Marius GORING) et le comte Tornato-Favrini (Rossano BRAZZI). Dans l'une des scènes les plus significatives du film, le comte la regarde avidement danser au milieu des gitans, son désir de possession ne faisant alors aucun doute. Ce passage jette un nouvel éclairage sur la scène où tel le prince charmant, il vient la sauver des griffes d'Alberto Bravano pour partir avec elle (un précédé de réitération d'une même scène en variant les points de vue qui n'a pas attendu Quentin TARANTINO ou Gus VAN SANT pour être utilisé au cinéma). Peu de temps après Maria Vargas se fait ériger une statue à son effigie. Dans la scène d'enterrement qui constitue le point nodal du film, c'est cette statue qui a remplacé l'être de chair et de sang: une simple image, comme celles des trois films que Maria Vargas aura tourné. La boucle est ainsi bouclée car Hollywood vend du rêve. Comme le dit le grand ami désabusé de Maria Varga, le scénariste et réalisateur Harry Dawes (Humphrey BOGART dont la présence magnétise le film autant que celle de Ava GARDNER) " c'était l'homme de tes rêves et toi la femme des siens. Vous auriez pu vous rendre heureux. La vie fout le scénario en l'air." Il n'y a en effet pas de place pour la guerre dans les contes de fées.

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Blanches colombes et vilains messieurs (Guys and dolls)

Publié le par Rosalie210

Joseph L. Mankiewicz (1955)

Blanches colombes et vilains messieurs (Guys and dolls)

"Blanches colombes et vilains messieurs" est une œuvre à la fois impersonnelle et incohérente. Impersonnelle car il s'agit de la commande d'un producteur, Samuel GOLDWYN qui a fait des choix surprenants. Au lieu de s'assurer les services d'un spécialiste de la comédie musicale comme Stanley DONEN ou Vincente MINNELLI, il a désigné un réalisateur très éloigné du genre, Joseph L. MANKIEWICZ et qui n'est parvenu à aucun moment à exprimer sa personnalité propre (plutôt intellectuelle et ironique avec un intérêt prononcé pour les conflits de classes sociales). Au niveau du casting, c'est tout aussi fouillis avec un mélange peu harmonieux entre d'une part des professionnels chevronnés ayant joué dans la comédie musicale sur les planches de Broadway et des premiers rôles totalement novices dans le genre comme Marlon BRANDO et Jean SIMMONS, les deux têtes d'affiche. La mayonnaise ne prend pas et on a l'impression le plus souvent d'avoir deux films différents juxtaposés. Sans parler de Frank SINATRA qui semble se demander ce qu'il fait là et est totalement éteint. Paradoxalement, les meilleurs moments sont ceux de Marlon BRANDO et Jean SIMMONS qui s'en sortent bien et s'avèrent même inventifs et dynamiques malgré leurs rôles stéréotypés alors que les comédiens professionnels ronronnent dans une routine mécanique profondément ennuyeuse. Si l'on ajoute que les chorégraphies pompées sur le spectacle sentent la poussière (quand elles ne sont pas tout simplement vulgaires), que les décors en studio font ringards et que le scénario est insignifiant, il est clair que cette comédie musicale est un pur produit commercial mal fagoté mais bankable puisque ayant rencontré un grand succès à sa sortie et ayant des fans encore aujourd'hui. Mais si vous aimez vraiment les films de Joseph L. MANKIEWICZ, passez votre chemin. En revanche si vous aimez Marlon BRANDO, vous pouvez vous risquer à subir ces 2h30 de purge pour les quelques moments sympas où il apparaît en poussant la chansonnette.

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L'Affaire Cicéron (Five Fingers)

Publié le par Rosalie210

Joseph L. Mankiewicz (1952)

L'Affaire Cicéron (Five Fingers)

La première incursion de Joseph L. MANKIEWICZ dans le thriller d'espionnage est aussi un bijou d'ironie, un des films où l'on voit le plus les personnages courir après des chimères et s'épuiser pour un résultat vain. Bien qu'ayant repris un projet qui avait été commencé sans lui, il lui a donné une orientation personnelle en donnant aux oppositions de classe sociale un rôle moteur qu'elles n'avaient pas à l'origine. D'autre part si le film est parsemé de brillants dialogues à la Ernst LUBITSCH, il comporte également de grandes séquences de suspense qui relèvent davantage du thriller hitchcockien. Bernard HERRMANN signe d'ailleurs la musique du film.

L'histoire, basée sur des faits réels tourne autour du fameux "Ciceron", nom de code donné à l'espion qui entre 1943 et 1944 a vendu des copies de documents confidentiels britanniques aux allemands ce qui leur aurait peut-être permis d'infléchir le cours de la guerre s'ils les avaient correctement exploités. Mais trop suspicieux avec une source qu'ils n'arrivent pas à cerner et encore moins à contrôler, ils laissent passer leur chance de saboter le débarquement allié. Ciceron a d'ailleurs d'autant moins de scrupules à leur livrer des documents top secret qu'il est persuadé qu'ils ne sauront pas s'en servir. Quant aux britanniques, ils sont tellement aveuglés par le souci de conserver leurs traditions archaïques qu'ils ne voient même pas que leur valet les dupe juste sous leur nez. Joseph L. MANKIEWICZ fait ainsi une satire des deux belligérants qui renvoie à celle qu'il fait de ses deux personnages principaux, Diello et Anna.

Car "Ciceron" n'est autre que Diello (James MASON) le valet de l'ambassadeur britannique de Turquie. Comme tous les personnages de Joseph L. MANKIEWICZ il est mû par un rêve: échapper à sa condition. L'appât du gain n'est pour lui qu'un instrument de revanche sociale qu'il espère concrétiser en imitant le mode de vie et l'apparence du milliardaire qu'il a aperçu un jour quand il était mousse sur un balcon à Rio. Il utilise également cet argent pour soumettre à ses désirs la comtesse Anna Staviska (Danielle DARRIEUX) qui le fascine et qu'il sait aux abois sur le plan financier. Mais celle-ci, obsédée par la préservation de son rang s'avère encore plus retorse que lui. Si elle est bien obligée d'accepter dans un premier temps les faveurs de l'ancien domestique de son mari, c'est pour mieux l'escroquer et le trahir ensuite. Elle lui fait ainsi payer l'humiliation d'avoir été sous sa dépendance financière et plus profondément encore, d'avoir eu du désir pour lui et qu'il s'en soit servi. A ce jeu de dupes, tous deux sortent perdants, leurs désirs ne s'avérant n'être que de la fausse monnaie laquelle finit éparpillée aux quatre vents, façon puzzle tout comme la copie des plans de l'opération Overlord.

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Chaînes conjugales (A Letter to Three Wifes)

Publié le par Rosalie210

Joseph L. Mankiewicz (1949)

Chaînes conjugales (A Letter to Three Wifes)


"Chaînes conjugales" est exemplaire de l'œuvre de Joseph L. MANKIEWICZ. Il s'agit d'une satire sociale de l'american way of life qui a d'ailleurs inspiré la série "Desperate Housewives" (2004) mais le réalisateur va bien au-delà pour interroger des sentiments mis à l'épreuve par les normes sociales. Cette épreuve comme souvent chez Joseph L. MANKIEWICZ se présente sous forme d'une lettre. Une lettre signée d'une femme, Addie Ross, omniprésente dans les discours et dont on entend la voix (celle de Celeste HOLM) mais invisible dans la réalité. Au vu de son caractère omnipotent et de son emprise sur les trois couples du film, elle peut représenter le rêve inaccessible et oppressant de "l'American way of life" ("on n'épouse pas ses rêves" disait déjà la mère de Miranda dans "Dragonwyck" (1946) à propos de son fantasme de la vie de château lui aussi façonné par son éducation et lui aussi concrétisé par une lettre). Dans celle-ci, elle annonce qu'elle est partie avec l'un des maris de ses trois "amies" sans préciser lequel. Bien entendu la lettre arrive au moment où les trois femmes partent en excursion. Sur le bateau, puis sur l'île, elles sont coupées de toute possibilité de communication avec l'extérieur ce qui leur laisse toute latitude pour s'interroger sur la viabilité de leur couple sous forme de trois flashbacks. Ceux-ci permettent de mettre en évidence le poids que les normes de la société américaine fait peser sur les relations de couple en restreignant leur liberté et en polluant leurs sentiments avec des considérations matérialistes. Dans le premier cas de figure, Deborah Bishop (Jeanne CRAIN) souffre d'un manque de confiance en elle lié à son statut de déclassée. Elle a rencontré son mari à la Navy où l'uniforme gommait les différences sociales mais de retour à la vie civile, elle a de grandes difficultés à s'intégrer dans un milieu social qui n'est pas le sien (symbolisé par ses problèmes vestimentaires). Dans le deuxième cas de figure le couple formé par Rita Philipps (Ann SOTHERN) et son mari George (Kirk DOUGLAS) a inversé le schéma de répartition des rôles sexués: Rita qui travaille à la radio est ambitieuse et carriériste alors que son mari qui gagne moins qu'elle est un enseignant érudit qui considère son métier comme un sacerdoce et se fiche de la réussite. On mesure toute la clairvoyance avant-gardiste de Joseph L. MANKIEWICZ lorsque George 70 ans avant les stylos rouges se définit comme un "prolétaire dans le pays le plus riche du monde" et lorsque 56 ans avant "le temps de cerveau disponible" du PDG de TF1 il évoque les émissions radio fabriquées notamment par sa femme comme du vide entre deux pages de publicités manipulatrices. Enfin le troisième couple, formé par Lora Mae (Linda DARNELL) et son ex-patron, Porter (Paul DOUGLAS) plus âgé qu'elle est celui qui est le plus abîmé par les représentations sociales. Leur différence d'âge, leur différence de classe et de statut social sont autant de moyens d'introduire le poison du soupçon de vénalité dans une société obsédée par l'argent. Ce soupçon introduit la peur de l'autre (pour elle d'être "possédée" par lui comme un objet que l'on achète et pour lui de se faire "avoir" par elle en exploitant ses sentiments pour profiter de son argent), la peur empêche la communication des sentiments, chacun s'enfermant dans une coquille de (faux) cynisme pour se protéger de ce qu'il perçoit comme une menace pour son intégrité. Et voilà comment ce qui est à la base un malentendu peut détruire un couple. Par delà leurs différences, c'est le même mal qui ronge les trois couples et s'il pèse davantage sur les femmes que sur leurs maris c'est parce que l'oppression sociale et la tyrannie des apparences s'exerce davantage sur elles. Pourtant la démonstration de Joseph L. MANKIEWICZ est sans appel: leurs craintes ne sont pas fondées car elles ont confondu des fiascos purement sociaux avec la réalité de l'amour bien réel que leur porte leur mari. Addie Ross peut casser tous les verres qu'elle veut: elle n'est que du vent.

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Le Château du Dragon (Dragonwyck)

Publié le par Rosalie210

Joseph L. Mankiewicz (1946)

Le Château du Dragon (Dragonwyck)

Il y a du "Rebecca" (1939), il y a également du "Laura" (1944) dans "Dragonwyck" (d'autant que l'héroïne s'appelle Miranda et qu'elle est jouée par Gene TIERNEY) mais il y a surtout du Joseph L. MANKIEWICZ dont c'est le premier film. A partir d'une commande dont il ne voulait pas en raison de son caractère de "roman de gare" il réussit à faire une œuvre personnelle sous la houlette de Ernst LUBITSCH qui en raison de problèmes de santé ne put réaliser lui-même le film et se contenta de le produire. Les raisons qui poussèrent Ernst LUBITSCH vers une œuvre a priori aux antipodes de son style sont aussi mystérieuses que celles qui permirent à Joseph L. MANKIEWICZ d'en faire une pièce maîtresse de sa filmographie. Bien qu'il y ait des éléments gothiques dans le film, rien ne se déroule selon le canevas habituel du genre. Le manoir pas plus que le portrait de la défunte ne sont des entités maléfiques, ce sont juste les oripeaux archaïques d'un monde aristocratique importé d'Europe condamnés à disparaître dans la société américaine telle qu'elle se construit au XIX°. Comme dans son dernier film "Le Limier" (1972), "Dragonwyck" est une satire sociale où la guerre des classes fait rage sur fond de rivalité amoureuse dans un lieu symbolisant l'ancien monde. D'un côté les paysans ne supportent plus leur subordination féodale à un maître dans un pays fondé sur des valeurs (celles des Lumières) qui sont en contradiction flagrante avec la tyrannie qui leur est imposée. De l'autre, Nicholas Van Ryn (Vincent PRICE qui n'avait pas encore entamé sa longue carrière dans l'épouvante couronnée par le "Thriller" de Michael JACKSON) est un homme psychorigide, corseté (au sens figuré et au sens propre, Vincent PRICE en portait réellement un sous ses vêtements) arc-bouté sur ses privilèges, un homme aliéné par son hérédité. La réduction inéluctable du territoire où il exerce son emprise le fait peu à peu sombrer dans la drogue et la folie meurtrière dirigée contre ses épouses qui ne parviennent pas à lui donner l'héritier qui lui permettrait de perpétuer son système. Van Ryn qui cultive les plantes toxiques est en effet aussi vénéneux que la Violet Venable de "Soudain l'été dernier" (1959). La gouvernante des Van Ryn dont le regard impitoyable sur le monde qu'elle sert rejoint la révolte paysanne qui gronde nous informe sur le triste sort des femmes qui vivent ou ont vécu dans le manoir. L'arrière-grand-mère de la famille était tellement opprimée qu'elle s'est suicidée. Katrine (Connie MARSHALL) la fille du premier mariage de Nicholas grandit sans amour. Johanna (Vivienne OSBORNE) la mère de Katrine compense sa frustration d'être délaissée par la boulimie. Miranda, la jeune gouvernante naïve et ignorante apparaît comme une proie d'autant plus idéale pour Nicholas qu'elle est d'origine modeste. Joseph L. MANKIEWICZ fait ainsi coup double. Sa satire sociale se double d'une critique de la condition des femmes. Leur imagination romantique débridée tant raillée par les hommes ("ce sont des sentimentales qui rêvent du grand amour") n'est que le contrecoup de leur enfermement domestique sous l'autorité du patriarcat. Ainsi l'itinéraire de Miranda se résume au passage d'une prison à une autre, certes plus grande et plus luxueuse mais plus aliénante encore. Le seul motif d'espoir est lié au personnage du docteur Jeff Turner (Glenn LANGAN) qui se pose ouvertement en rival de Nicholas, auprès des paysans comme auprès de Miranda. En effet la seule grande scène de plein air du film est celle où Miranda fait sa connaissance et par la suite il joue un rôle essentiel dans son sauvetage des griffes de son bourreau. Il incarne une perspective d'avenir autre que celle d'une éternelle claustration. Et ce n'est certainement pas par hasard si l'autre personnage déterminant dans le sauvetage de Miranda est Peggy sa petite servante estropiée (Jessica TANDY). Combinant plusieurs formes de discrimination (classe sociale, sexe et handicap), elle subit les propos haineux de Nicholas qui n'ont rien à envier à l'eugénisme nazi (« Repoussante petite infirme, pourquoi vous a-t-on permis de vivre et non à mon fils ?"). 

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Le Limier (Sleuth)

Publié le par Rosalie210

Joseph L. Mankiewicz (1972)

Le Limier (Sleuth)

Une petite musique guillerette et moqueuse, un rideau de théâtre qui s'ouvre sur la scène, le dernier -et génial- film de Joseph L. MANKIEWICZ annonce la couleur d'emblée. Il nous promet toutes sortes de "funny games", y compris le sien, lui qui mystifie le spectateur dès le début avec son casting bidon (incluant Eve Channing, clin d'œil à son film le plus célèbre) alors qu'il n'y a en réalité que trois protagonistes: les deux acteurs et lui-même, chacun étant à tour de rôle le metteur en scène de l'histoire qu'il souhaite raconter au spectateur. Mais si l'emballage est ludique, ce qui se joue vraiment ne l'est pas, il s'agit ni plus ni moins qu'une version duelliste de la lutte des classes opposant un aristocrate et un parvenu sur une scène de théâtre (le manoir du premier) mais transcendée par le pouvoir du cinéma.

La première partie du "Limier" expose la mise en scène de Sir Andrew Wyke (Laurence OLIVIER) pour prendre au piège l'amant de sa femme Milo Tindle (Michael CAINE) et le punir. Andrew est un écrivain de romans policiers richissime et friand de jeux de pouvoir. Son univers est à la fois infantile et inquiétant. Il vit seul ou plutôt entouré d'automates au milieu d'un capharnaüm de jeux de stratégie, de trophées à sa gloire et de déguisements qui sont autant de miroirs déformants plus ou moins grotesques de son egocentrisme et de sa mégalomanie. Des miroirs déformants, il y a en a d'ailleurs dans le jardin qui est en partie constitué d'un labyrinthe végétal par lequel Milo doit passer pour le rejoindre. Ce labyrinthe ressemble à une toile d'araignée dans laquelle Milo va se faire piéger comme le bleu qu'il est (et nous avec). Atteint dans son orgueil de mâle dominant, Andrew qui se définit comme un "champion olympique sexuel" parvient à manipuler (châtrer?) Milo avec une aisance stupéfiante, le renvoyant sans arrêt à ses origines modestes pour mieux assoir sa supériorité et mettre en doute la possibilité d'une relation durable avec sa femme. Il le dépouille de sa dignité et le ravale à l'état de bouffon puis de pitoyable larve se traînant à ses pieds en implorant qu'on lui laisse la vie sauve histoire de lui faire comprendre où est sa vraie place. Les plans en plongée et contre-plongée soulignent le jeu de pouvoir qui s'est instauré entre les deux hommes alors que les automates spectateurs et complices comptent les points, Joseph L. MANKIEWICZ par son montage et ses angles de caméra leur insufflant la vie comme dans les films d'animation.

La deuxième partie du film que l'on pourrait intituler "L'arroseur arrosé" montre la vengeance de Milo qui va créer sa propre mise en scène pour mystifier à son tour Andrew et prendre le dessus. Il se fait passer pour un inspecteur rustique à l'accent cockney régulièrement ridiculisé dans les romans policiers de Wyke afin de de prendre à son propre piège et d'en tirer une revanche symbolique. En effet dans ses romans, Andrew Wyke oppose régulièrement un détective aristocratique et fin limier (St John Merridew) à l'inspecteur "balourd" d'extraction plébéienne pour mieux ridiculiser ce dernier (on pense aujourd'hui aux romans policiers d'Elisabeth George mettant en scène deux policiers de Scotland Yard issus de milieux sociaux opposés, l'inspecteur Thomas Lynley et le sergent Barbara Havers mais époque oblige, ils s'apprécient et se respectent). La prise de pouvoir de Doppler-Tindle sur Wyke a donc un parfum de revanche sociale jubilatoire pour le spectateur. Mais Milo contrairement à Wyke ne joue pas. Ce qu'il ressent (terreur, humiliation, rage, haine) est réel et aveuglé par son désir de revanche, il fera l'erreur de vouloir pousser son avantage en entamant une troisième partie. Cette intrusion de la réalité dans le jeu autarcique (on pourrait même dire masturbatoire) de Wyke sera fatale à ce dernier alors que le fait de jouer avec des règles et sur le terrain de l'adversaire sera également fatal à Milo, le film s'achevant sur un résultat perdant-perdant.

Mankiewicz ne se distingue pas seulement par sa mise en scène mais aussi par sa remarquable direction d'acteurs. Leur réalité rajoute encore un degré de mise en abyme à l'histoire qui est un jeu (d'acteurs) dans le jeu (des personnages du film) dans le jeu (des personnages des romans policiers de Wyke). La réalité et la fiction se confondent remarquablement. D'un côté un Lord, Sir Laurence OLIVIER icône shakespearienne à la réputation bien établie, de l'autre une étoile montante Michael CAINE d'origine prolétaire. A leur différence d'âge (65 ans contre 39 ans au moment du tournage du film) s'ajoute donc une authentique différence d'origine sociale, repérable notamment par la différence de diction (en VO) et brillament exploitée dans le film. Lorsque Wyke écrase Milo de son mépris en le traitant de "petit coiffeur de quartier", on pense au professeur Higgins de "My Fair Lady" traitant Eliza, elle aussi afflublée d'un accent cockney de "raclure de macadam". Et lorsque Milo Tindle parle de ses origines modestes et de ses efforts pour s'élever au-dessus de sa condition, notamment en rabotant son nom pour paraître moins métèque, impossible de ne pas penser à Maurice Joseph Micklewithe adoptant le nom de scène "Michael Caine" qui est d'ailleurs devenu définitivement le sien en 2016 tandis qu'il se faisait anoblir en 1987 par la reine d'Angleterre.

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Quelque part dans la nuit (Somewhere in the night)

Publié le par Rosalie210

Joseph L. Mankiewicz (1946)

Quelque part dans la nuit (Somewhere in the night)

"Quelque part dans la nuit", le deuxième film de Mankiewicz sorti en 1946 appartient au genre du film noir par son atmosphère nocturne (comme le titre l'annonce), les lieux de l'action, glauques, et son intrigue alambiquée (ce n'est pas le "Grand Sommeil" mais l'héroïne a quelque chose de Lauren Bacall par son look et ses attitudes).

Mais surtout "Quelque part dans la nuit" est déjà un film personnel. Il est construit autour d'un puzzle identitaire comme bon nombre des films ultérieurs de Mankiewicz. Sauf qu'ici, ce n'est pas un ou plusieurs tiers qui résolvent l'énigme. C'est le personnage principal qui se prend lui-même pour objet d'enquête. Amnésique à la suite d'une blessure de guerre, il part à la recherche d'un lui-même réduit à l'état de traces et dans lequel il ne se reconnaît pas. Le film s'ouvre alors sur une dimension plus intime et explore les thèmes de la renaissance, de la quête identitaire, du double et du libre-arbitre. Ayant failli mourir, le héros revient à la vie dans une nouvelle peau et sous un nouveau nom. Mais il est une coquille vide. Et ce qu'il découvre sur son passé lui fait horreur. Il revient sur les pas de celui qu'il a été et qui est bel et bien mort pour changer la nature de ses actes. On assiste ainsi au dédoublement du héros. Larry Cravat avait vendu son âme pour 2 millions de dollars et perdu sa femme, George Taylor remet l'argent à la police, livre tous ses complices et retombe amoureux d'une femme qui s'apparente à une sœur jumelle de celle qu'il a perdu. Si l'on file la métaphore du nom du héros (George "Tailleur" ou bien Larry "Cravate"), on peut dire qu'il effectue des retouches pour que sa vie s'adapte à sa nouvelle personnalité. On peut juste déplorer le manque de charisme de l'acteur qui interprète George Taylor/Larry Cravat cela limite la portée du film et c'est bien dommage.

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Soudain l'été dernier (Suddenly, Last Summer)

Publié le par Rosalie210

Joseph L. Mankiewicz (1959)

Soudain l'été dernier (Suddenly, Last Summer)

"Soudain, l'été dernier" est une pièce en un acte de Tennessee Williams aux résonances autobiographiques: une mère castratrice, un fils poète à l'homosexualité cachée et honteuse, une sœur (cousine dans le film) fragile ayant subi une lobotomie. En résumé, des personnages incapables d'affronter la dure réalité et s'en protégeant par toutes sortes de mécanismes de défense.

La bonne idée de Mankiewicz est de bâtir son film sur le thème de la cure psychanalytique. En cinéaste traquant la vérité derrière les faux-semblants, il mène à travers son double, le Dr Cukrowicz (Montgomery Clift), une enquête qui couche après couche permet de la percer à jour. Plaçant ses personnages dans un huis-clos étouffant, il les fait évoluer dans une "forêt de symboles" (plantes et oiseaux carnivores, squelettes, fous, dieux, saints, martyrs...) Sauf que cette forêt-là est une jungle si épaisse qu'il faut une certaine patience pour en démêler les lianes. La parole libératrice occupe une place essentielle dans de longues scènes dialoguées ainsi que les réminiscences de la jeune Catherine Holly (jouée par Elisabeth Taylor) dont le traumatisme a été si profond qu'elle a tout oublié pour survivre. Quant à sa tante, Mrs Violet Venable (jouée par Katharine Hepburn), elle s'est réfugiée dans le déni et une posture mégalomane. Ses apparitions saisissantes dans l'ascenseur donnent l'impression qu'il s'agit d'une déesse qui descend des cieux alors qu'elle tente avec son argent de contrôler tout son entourage. Son obsession est de faire taire définitivement Catherine dont les paroles lui sont insupportables.

Mais quel est donc le terrible secret qui lie ces deux femmes? Il s'agit des circonstances exactes de la mort de Sébastien, cousin de l'une et fils de l'autre. Deux récits, deux visions d'un homme double. Une victime expiatoire dévorée par ses proies et un bourreau à la recherche de chair fraîche (la station balnéaire "Cabeza de lobo" signifie "Tête de loup"). Un être manipulé et manipulateur, cherchant à la fois à s'élever dans la sublimation et à se vautrer dans la fange. Sa fin digne d'une tragédie grecque a quelque chose de pasolinien alors que les deux femmes échangent leur place (l'une guérit, l'autre devient folle à son tour).

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