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Articles avec #drame tag

Délivrance (Deliverance)

Publié le par Rosalie210

John Boorman (1972)

Délivrance (Deliverance)

« On a vaincu la rivière » annoncent triomphalement à la fin de la première journée Lewis, Ed, Drew et Bobby, les quatre citadins venus concrétiser leurs fantasmes de conquête de ce coin sauvage de Georgie avant qu’il ne disparaisse sous les aménagements. Sous un vernis écologiste, leur vraie motivation est narcissique : se prouver à eux-mêmes qu’ils sont des hommes qui « en ont » dans le pantalon en affrontant la nature, la vraie avant qu’elle ne soit émasculée par la main de l’homme. Le film est une attaque en règle du mâl(e) américain, sa suffisance, son arrogance et son machisme. Car ce qu'ils croient être la nature n'est qu'un trompe-l’œil pour touristes, la vraie descente (aux enfers) commence le lendemain et chacun en ressortira marqué à jamais. Lewis (Burt REYNOLDS), le mâle dominant est amputé de la jambe après avoir vécu un martyre physique et l’humiliation morale de dépendre de ses camarades comme un bébé. Drew (Ronny COX) l’artiste qui rêve de communion avec la nature et qui l’espace d’un magique duo guitare-banjo avec un autochtone aussi virtuose que demeuré croit pouvoir toucher son rêve du bout des doigts finit noyé (ou assassiné, le film reste volontairement ambigu sur ce point) dans la rivière avec le corps disloqué. Ed (John VOIGHT), le discret père de famille obligé de prendre les rênes après la blessure de Lewis contrôle mal ses flèches quand il ne se blesse pas avec. Son initiation à la survie dans des conditions extrêmes est aussi rapide que brutale. Du moins échappe t-il in-extremis au viol que veulent lui faire subir deux chasseurs dégénérés du coin qui symbolisent la vengeance de la nature c’est-à-dire de la barbarie. Bobby (Ned BEATTY) n’a pas cette chance. Petit, gros et complexé, moqué par ses camarades, il compense avec une surenchère de propos sur ses exploits virils avant que son viol ne le rabaisse plus bas que terre. Si cette scène-choc a fait sensation à l’époque et reste aujourd’hui incontournable c’est parce qu’elle est la clé du film. Lorsque la nature idéalisée par ces hommes révèle son véritable visage bestial, ceux-ci sont eux-mêmes ramenés au stade animal (le violeur compare Bobby à un cochon et lui demande de couiner) et c’est en se dépouillant de toute conscience morale, en ne conservant que l’instinct de survie que ceux-ci s’en sortent (sauf Drew justement qui ne peut renoncer complètement à ce qui fait de lui un homme ce qui le condamne). Il n’est pas difficile de voir derrière ces quatre destins individuels une critique des fondations de l’Amérique : la conquête de l’ouest et l’éradication des « sauvages », la destruction de la nature par les aménagements et les ravages écologiques (ironiquement le retour à la civilisation des trois survivants se fait par l’apparition de carcasses de voitures rouillées abandonnées au bord de l’eau), la glorification du virilisme et sa destructivité. L’Amérique s’est construite par la violence et elle a eu beau recouvrir ou lester les cadavres derrière son vernis de civilisation, ceux-ci n’en finissent pas de ressurgir telle cette main livide sortant de l’eau dans les cauchemars de Ed.

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Glass

Publié le par Rosalie210

M. Night Shyamalan (2019)

Glass

Si je suis globalement rétive aux films de super-héros (il y a tout de même des exceptions en ce qui concerne Batman et Spiderman), j'aime beaucoup en revanche les œuvres qui interrogent leur univers. J'avais été par exemple impressionnée par les sculptures en lego que Nathan Sawaya avait consacré aux héros de DC Comics avec notamment une vision angoissante d'un Superman se retrouvant emmuré dans sa propre cape. C'est dans cette même veine que se situe "Glass", troisième volet d'une trilogie qui effectue la jonction entre "Incassable" (2000) et "Split" (2016). En effet le titre, "Glass" va au delà du nom du personnage interprété par Samuel L. JACKSON. Il illustre de manière troublante la célèbre phrase de Jean COCTEAU extraite du film "Le Sang d un poète (1930)", "Les miroirs feraient bien de réfléchir un peu plus avant de renvoyer les images" ^^. D'abord parce qu'il s'agit d'un film de réflexion et non d'action privilégiant la fixité sur le mouvement. Les combats sont par exemple systématiquement avortés, celui de la fin dans la tour d'Osaka étant purement et simplement escamoté. Sa surface vitrée ne réfléchit donc que le vide, omniprésent dans l'ensemble du film. Cette manière de déjouer les attentes du spectateur interroge aussi bien l'identité du super-héros que sa place dans le monde. M. Night SHYAMALAN souligne le même paradoxe que Brad BIRD. Omniprésents dans la culture populaire américaine depuis les années 30, les super-héros sont invisibles dans la réalité (d'où le fait qu'elle ne reflète que le vide, le film de M. Night SHYAMALAN se plaçant délibérément dans un registre réaliste). Est-ce la preuve définitive que les super-héros ne sont qu'un mythe et que leurs supporters ont tort d'y croire ou est-ce parce qu'ils n'ont pas le droit d'exister tels qu'ils sont réellement? Dans "Les Indestructibles" (2004), leur intégration se fait au prix de la dissimulation de leur véritable identité. Dans "Glass", ils sont enfermés à l'asile (ce qui implique qu'il sont considérés comme des malades) dans ce qui est une très intéressante relecture de "Vol au-dessus d un nid de coucou" (1975) (et d'une partie de "L Armée des douze singes" (1995) dans lequel jouait Bruce WILLIS et qui était également un hommage au film de Milos FORMAN). Le docteur Ellie Staple (Sarah PAULSON) est une nouvelle Miss Ratched dont la douceur apparente dissimule les noirs desseins éradicateurs. Se situant dans le registre de la manipulation, elle ne cesse de faire douter d'eux-mêmes les trois hommes qu'elle doit "traiter" pour les détruire de l'intérieur et l'opération projetée sur Elijah (le cerveau du trio tout aussi manipulateur qu'elle) est un avatar de la lobotomie subie par McMurphy avec lequel elle est engagée dans une véritable lutte de pouvoir. On apprécie d'autant plus le twist final qui illustre parfaitement la phrase de Cocteau, la faille du dispositif de surveillance résidant justement dans le fait d'enregistrer des images qui non réfléchies (par les gardes-chiourmes de la normalité) peuvent échapper à leur contrôle et servir de "preuve" (même si ce ne sont que des images et non la réalité, la confusion est inévitable: "c'est vrai, je l'ai vu" ^^).

"Glass" a également un autre sens intéressant. Il renvoie à la vulnérabilité de super-héros que l'on croit à tort invincibles. Cet aspect renvoie à la mythologie grecque, plus précisément à Achille, le héros de la guerre de Troie. Sa mère l'a plongé bébé dans le Styx, l'un des fleuves des Enfers, pour que son corps devienne invulnérable ; mais son talon, par lequel le tient Thétis, n'est pas trempé dans le fleuve et reste celui d'un mortel. Par conséquent il meurt d'une flèche plantée dans le talon. Chacun des trois super-héros de "Glass" possède ainsi une faiblesse qui lui est fatale. David Dunn alias "L'Homme incassable" ou le "Superviseur" (Bruce WILLIS) est hydrophobe, Elijah Price alias M. Glass (Samuel L. JACKSON) souffre de la maladie des os de verre et la Bête alias Kevin Wendell Crumb alias les 22 autres personnalités de sa "Horde" (James McAVOY) lorsqu'elle est ramenée à sa condition humaine ne survit pas aux balles dans le corps. Car entre la bête et le surhomme, ces personnages sont avant tout des hommes et c'est cette dimension humaine qui les rend vulnérables. Elle passe par l'emprise du temps (géniaux flashbacks sur des scènes coupées de "Incassable" (2000) qui témoignent du vieillissement de Bruce WILLIS et de Spencer TREAT CLARK qui joue son fils), les traumatismes de l'enfance (à l'origine de l'hydrophobie de David alors que Elijah résiste à sa lobotomie en se remémorant une scène où enfant il s'est blessé en faisant un tour de manège à sensations, deux scènes de flashbacks également coupées du film "Incassable" (2000) alors que Kevin et Casey partagent des souvenirs indélébiles de maltraitances infligées par un de leurs parents) et enfin l'amour pour les êtres chers (la mère pour Elijah, le fils pour David et Casey pour Kevin, son contact étant le seul moyen de lui rendre son humanité). En les rendant humains trop humains, c'est au final notre propre humanité que M. Night SHYAMALAN interroge.

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Les Herbes folles

Publié le par Rosalie210

Alain Resnais (2008)

Les Herbes folles

Il m'a fallu 10 ans pour tomber amoureuse "Des Herbes folles". Le film m'avait dérouté au premier visionnage et c'est au fil du temps qu'il m'est revenu par bribes fulgurantes, finissant par former dans mon esprit un tout parfaitement limpide. Décalé, irréel et surréaliste (Luis BUÑUEL n'est pas loin, Magritte non plus si j'en juge par l'affiche), le film épouse la forme du rêve éveillé avec ses excroissances anarchiques comme le souligne son beau titre. Plus profondément encore, il suit la pure "logique" illogique du désir ce qui en fait aussi un retour aux sources de la fibre romanesque du cinéma où tout devient possible, y compris les idées les plus "folles". Il s'agit d'ailleurs d'une adaptation littéraire ce que rappelle la voix-off de Edouard BAER tout aussi hésitante et contradictoire que ne le sont les comportements des personnages du film. L'histoire est en réalité d'une simplicité confondante, celle d'une rencontre "fatale" entre une sorcière aux cheveux de feu (elle peut faire du bien avec son jardin des "hélices" comme du mal avec la fraise de son cabinet de dentiste) et un homme fantomatique (nimbé de lumière verte, comme Madeleine dans "Vertigo") (1958) que sa triste épouse (Anne CONSIGNY) tente de raccrocher à la vie en lui donnant des tâches ménagères concrètes à accomplir pour qu'il ne s'envole pas (ou ne déraille pas encore car il traîne un lourd passé derrière lui dont on ne saura rien sinon qu'il a perdu ses droits civiques et a des pensées meurtrières). Marguerite Muir (Sabine Azéma) est à la fois la descendante de Lucy Muir, la sublime héroïne de Joseph L. MANKIEWICZ et de l'aviatrice Hélène Boucher. Pourtant elle a peu à peu laissé tomber sa passion et s'est laisser enfermer dans la routine. Jusqu'à ce que Georges Palet (André DUSSOLLIER) ne découvre son portefeuille dans un parking. Une photo engageante, un nom évocateur, un diplôme d'aviatrice, il n'en fallait pas plus pour que son imagination ne s'emballe. C'est pourquoi il ne peut accepter qu'elle ne fasse que le remercier ("c'est tout"?) ou -comme son épouse- qu'elle ne fasse que s'inquiéter pour lui ("Alors vous m'aimez?"). Les paroles de Georges sont d'autant plus déconcertantes qu'elles semblent tout droit sorties de son inconscient, sans l'ombre du moindre filtre social. Marguerite met donc du temps à embrayer et prend peur dans un premier temps (ce qui est parfaitement normal) mais lorsqu'elle accepte de le voir pour la première fois à la sortie d'un cinéma (une scène nocturne magnifique, filmée comme du WONG Kar-Wai), elle a la même "révélation" sur lui que lui sur elle. C'est que leur histoire est faite pour un écran/écrin de cinéma et lui seul avec les pas de danse désaccordés du "tu me suis, je te fuis, tu me fuis, je te suis" qui alimentent le manque et donc le désir, le baiser filmé sur fond de jingle MGM avec le mot "fin"... mais dans un film d'aujourd'hui, il ne peut plus être le climax. Il y a donc ensuite une séance de haute voltige qui sert de métaphore sexuelle à partir d'un acte manqué particulièrement suggestif (une braguette ouverte!) Cette histoire de mort (petite et grande) et de résurrection (la sève monte tellement en Georges Palet qu'il ne peut plus fermer son pantalon, cette verdeur nouvelle n'ayant plus rien à voir avec la lumière cadavérique qui le nimbait jusque là) laisse entendre que la vie n'est qu'un grand cycle, une histoire toujours recommencée (les premières et dernières images du film le soulignent d'ailleurs). 

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La Confusion des sentiments

Publié le par Rosalie210

Etienne Périer (1979)

La Confusion des sentiments

"La Confusion des sentiments" est une adaptation télévisuelle datant de la fin des années 70 de la célèbre nouvelle (que l'on qualifie aussi de court roman) de Stefan Zweig. Celle-ci dépeint avec une rare justesse les tourments d'une passion interdite alimentée par des désirs aussi violents que refoulés qui entretiennent une atmosphère d'érotisme électrique. Si l'image a beaucoup vieilli et aurait eu besoin d'une restauration lors de son transfert en DVD, force est de constater que Etienne PÉRIER a rendu justice à l'écriture d'orfèvre de Stefan Zweig tout en modernisant quelque peu son oeuvre. Il est amusant que certains aient cru bon de préciser dans leur critique qu'il ne s'agissait pas d'un film gay. Pourtant en dépit du personnage frustré et provocant de la femme du professeur c'est bien le désir homosexuel qui est au coeur du film aussi bien au niveau des dialogues que des images. La caméra devient l'œil et l'âme du professeur qui se pâme devant la musculature supposée d'Hamlet qu'il ne peut imaginer "gras" ou les statues de jeunes éphèbes grecs semblables au corps de l'élève qu'il désire, qu'il ne peut s'empêcher d'entrevoir ou d'imaginer nu ou demi-nu et dont il n'est séparé que par une fragile porte qu'il espère de toutes ses forces voir s'ouvrir. Il en va de même avec des lignes de dialogues dont le contenu est sans ambiguïté ("Je n'ai rien contre les mauvais sujets, au contraire"; "Quand l'amitié atteint ce degré d'exaltation, est-ce encore de l'amitié?"; "Je vais vous faire apporter un lit où le professeur viendra vous border"). Comme dans le livre, chaque élan est suivi d'un retour de bâton plongeant l'élève un peu plus dans la confusion, le professeur soufflant le chaud et le froid, non parce qu'il joue avec lui mais parce qu'il est déchiré entre ce qu'il voudrait désirer (une communion d'esprit avec Roland, une amitié qui serait socialement acceptable) et ce qu'il désire réellement (une fusion charnelle). Et que dire de l'interprétation! Michel PICCOLI comme Stefan Zweig épouse les moindres frémissements de son personnage dévoré par les tourments de sa passion impossible « Il faut revenir à des sentiments de chair, de passion, de vie ! Il n’y a plus de belles histoires que l’on raconte. Et, La Confusion des sentiments en est une justement. Avec trois personnages, d’une intégrité, d’une pureté, d’une rigueur, d’une intensité de vie exceptionnelle (…) c’est la beauté des sentiments.» (Michel PICCOLI à propos de "la Confusion des sentiments".)

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Le Faux Coupable (The Wrong Man)

Publié le par Rosalie210

Alfred Hitchcock (1956)

Le Faux Coupable (The Wrong Man)

Si le thème du faux coupable est omniprésent dans toute la filmographie de Alfred HITCHCOCK, le film portant le titre éponyme est un drame sérieux, tourné de façon quasi documentaire sur les lieux d'un fait réel survenu trois ans plus tôt. Le spectateur habitué aux extravagances du maître sera surpris par l'austérité qui émane du film. Il faut dire qu'il s'inscrit, tout comme "La Loi du silence" (1953) réalisé quelques années plus tôt dans une vision empreinte de catholicisme. Manny Balestrero (Henry FONDA) est un martyr qui subit en silence un véritable chemin de croix. Et ce jusqu'à ce que à force de souffrances et de ferveur (il ne se sépare jamais de son chapelet qu'il égrène en plein procès et possède des images pieuses chez lui) un miracle ne se produise: l'arrestation du vrai coupable à qui il ressemble de façon troublante. C'est peut-être là qu'est d'ailleurs la principale limite du film. Contrairement à "La Loi du silence" (1953) où le prêtre n'avait pas la conscience tranquille parce qu'il dissimulait des pulsions et des désirs inavouables, le héros du "Faux coupable" n'a aucune véritable intériorité. En avoir une, ce serait plonger dans les zones grises de l'âme humaine. Or en faisant incarner le bien et le mal par deux personnages différents, Alfred HITCHCOCK prive son héros d'ambiguïté, donc d'épaisseur. Manny est une image pieuse et non un homme. C'est d'autant plus dommage que son calvaire, filmé la plupart du temps en caméra subjective, donne lieu à de belles idées de mise en scène dont le célèbre mouvement de caméra circulaire tournant autour de Manny dans sa cellule qui donne à la fois une impression de vertige tout en suggérant un basculement possible dans la folie. Mais, encore une fois ce qui pourrait rendre enfin le personnage intéressant est porté par quelqu'un d'autre à savoir Rose, l'épouse jouée par Vera MILES qui perd progressivement la raison alors que Manny reste désespérément hiératique.

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Les Moissons du ciel (Days of Heaven)

Publié le par Rosalie210

Terrence Malick (1978)

Les Moissons du ciel (Days of Heaven)

Deuxième film de Terrence MALICK après "La Balade sauvage" (1972), "Les Moissons du ciel" a souvent été comparé avec raison au film de John FORD "Les Raisins de la colère" (1940) (même si le contexte historique est différent, le film parle de la brutalité des rapports de classe sociale sur fond de ruralité en crise) mais aussi au méconnu et pourtant magnifique "CITY GIRL" (1929) de Friedrich Wilhelm MURNAU dont il adopte le caractère naturaliste. Mais c'est avec le "Barry Lyndon" (1975) de Stanley KUBRICK que "Les Moissons du ciel" a le plus d'affinités, aussi bien sur le plan esthétique que narratif:

- Une composition picturale des images avec des références aux peintres américains Edward Hopper (la maison du maître) ou Andrew Wyeth (le corps humain perdu dans l'immensité des espaces champêtres).

- Un usage exclusif de la lumière naturelle avec une prédilection comme Stanley KUBRICK pour les heures magiques entre chien et loup de l'aube et du crépuscule. Ce qui signifie les mêmes prouesses techniques et la même maniaquerie perfectionniste. Comme Stanley KUBRICK, Terrence MALICK est un cinéaste de la rareté. Pour "Les Moissons du ciel" il a bénéficié de l'aide de deux chefs opérateur surdoués Néstor ALMENDROS et son assistant Haskell WEXLER, le premier travaillant à l'époque notamment pour François TRUFFAUT et Éric ROHMER (une illustration parmi d'autres de la connexion étroite existant entre le cinéma indépendant américain et la Nouvelle Vague française).

- Une narration distanciée à l'aide de l'utilisation d'une voix-off, celle de Linda (Linda MANZ) la petite sœur du protagoniste principal, Bill (Richard GERE) qui est le témoin privilégié des événements racontés dans le film (c'est d'ailleurs l'unique raison d'être de ce personnage).

Néanmoins le film de Terrence MALICK est inférieur à celui de Stanley KUBRICK. En effet si la dimension macrocosmique du film est une splendide réussite avec des plans d'une beauté à tomber par terre, une captation frémissante et sensuelle de la nature et la puissance allégorique de la séquence biblique de l'invasion des sauterelles et du grand incendie, il n'en va pas de même en ce qui concerne la dimension microcosmique. Terrence MALICK a voulu effacer au maximum les personnages et leurs relations pour montrer l'aspect dérisoire de la vie humaine et souligner son imperfection et sa petitesse dans l'univers. Le problème est que ce parti-pris rend la comédie humaine du film (que ce soit en terme de relations sociales ou de rapports amoureux) inconsistante là où celle de Stanley KUBRICK conservait toute sa puissance. L'homme n'est qu'une poussière dans l'univers mais il en fait aussi partie. A ce titre, il l'exprime tout entier. Le priver de cette puissance expressionniste le vide de sa substance. Cela peut expliquer l'ennui que certains peuvent ressentir en regardant un film qui peut laisser froid de par son positionnement inhumain.

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Barry Lyndon

Publié le par Rosalie210

Stanley Kubrick (1975)

Barry Lyndon

Lorsque je suis amenée à voir un navet, je compense aussitôt avec l'un des plus beaux films du monde, un régal pour l'œil, l'oreille et l'esprit. "Barry Lyndon" est une œuvre d'art totale. C'est un film qui se contemple, qui s'écoute, qui se lit mais surtout qui se vit. "Barry Lyndon" fait partie de ces films qui rappellent que le septième art est celui du mouvement, de l'anima(tion). Stanley KUBRICK avait déclaré qu'il avait voulu réaliser un documentaire sur le XVIII° siècle c'est à dire transformer le passé (film historique) en présent (film documentaire). Ce tour de force, il l'a accompli en réalisant une œuvre vivante, humaine, naturelle et par conséquent une œuvre sur laquelle le passage du temps n'a pas de prise.

- "Barry Lyndon" est un film qui se contemple. Son rythme volontairement lent permet au spectateur d'apprécier la beauté de chaque image, conçue comme un tableau vivant faisant référence à la peinture anglaise du XVIII° siècle (Gainsborough, Hogarth, Constable etc.). C'est le résultat de la photographie exceptionnelle de John ALCOTT et du sens du cadre tout aussi exceptionnel de Stanley KUBRICK: harmonie des proportions, symétrie de la composition, zooms arrières découvrant progressivement des paysages plus sublimes les uns que les autres dans lequel sont insérés les personnages. La sensibilité photographique de Stanley KUBRICK se ressent aussi dans le travail époustouflant accompli sur la lumière naturelle qu'elle soit extérieure ou intérieure. La plupart des plans d'extérieur ont été filmés à l'aube ou au crépuscule, nimbant les images d'un voile poétique et mélancolique alors que ceux d'intérieur sont éclairés de côté, soit par la lumière provenant des fenêtres soit par celles des bougies. Outre la prouesse technique qui a fait couler beaucoup d'encre, ce travail a nécessité beaucoup de temps et de patience, Stanley KUBRICK n'hésitant pas à user les nerfs de son équipe pour capter un passage nuageux ou un ensoleillement précis. C'est ce travail sur la lumière qui contribue à donner au film de Stanley KUBRICK un aspect naturel d'une qualité incomparable à tous ceux qui sont réalisés en studios avec des lumières factices.

-"Barry Lyndon" est un film qui s'écoute. Stanley KUBRICK savait redonner vie et sens à la musique classique en la mariant aux images de ses films mais avec "Barry Lyndon", il atteint un degré de perfection inédit dans cette fusion. Parmi les morceaux présents dans le film, j'en citerai trois qui me paraissent particulièrement remarquables: la mélancolie poignante des chants celtiques évoquant le paradis perdu de l'Irlande natale de Redmond Barry, la sarabande solennelle de Haendel qui souligne le "fatum" qui pèse sur lui et enfin le romantisme tragique du trio de Schubert qui épouse à la perfection la sublime scène intimiste quasi-muette de séduction entre Redmond Barry et Lady Lyndon (Marisa BERENSON). Non seulement l'anachronisme du morceau ne se remarque pas mais il souligne l'un des aspects les plus modernes du XVIII° siècle: l'invention de l'intimité notamment par l'investissement croissant de la sphère domestique dans les milieux nobles et bourgeois. Marie-Antoinette se réfugiant dans le cocon du petit Trianon pour échapper à la cour de Versailles où sa vie était un spectacle permanent en est l'un des exemples les plus célèbres. Le XIX° ne fait que couronner ce triomphe de l'intimisme notamment avec le développement de la musique de chambre et les améliorations du piano (inventé au XVIII° mais qui n'atteint sa plénitude expressive qu'au XIX°).

- Comme la majorité de ses films, "Barry Lyndon" est une adaptation littéraire, celle des "Mémoires de Barry Lyndon du royaume d'Irlande" de William Makepeace Thackeray. Il s'agit donc d'une autobiographie fictive ce qui explique d'une part le caractère profondément mélancolique du film et d'autre part la présence de la voix-off qui ne se contente pas de commenter l'action mais l'anticipe, nous révélant ainsi que le destin tragique de Redmond Barry est déjà scellé. La voix-off permet aussi au spectateur d'acquérir une certaine distance par rapport à l'histoire. Elle coupe court au pathos qui pourrait surgir de scènes particulièrement dramatiques comme celle de la mort de Bryan (David MORLEY). Le ton décalé employé dans certaines situations a le même objectif. Par exemple l'extrême politesse du langage employé par le Captain Feeney (Arthur O SULLIVAN) fait oublier qu'il s'agit d'un voleur qui plonge Redmond Barry dans une situation dramatique en le dépouillant de tous ses biens. L'aspect littéraire du film réside également dans le fait qu'il s'agit d'un bildungsroman, du moins dans sa première partie. Le film est en effet divisé en deux parties égales: l'ascension et la chute (toujours ce goût pour la symétrie!) qui elle est en rapport avec la tragédie. La première partie du film appartient également au genre picaresque de par l'errance et les aventures d'un héros toujours en mouvement et qui ne parvient pas à trouver sa place. La deuxième partie en revanche est un quasi huis-clos théâtral plus propice au déroulement de la tragédie. Le héros enfin, Redmond Barry est un personnage complexe dont le comportement, dicté par le ressentiment est lui aussi "symétrique". Dans un premier temps, il est victime de sa naïveté lorsqu'il découvre que sa cousine dont il est amoureux l'a manipulé avec la complicité de la famille pour faire un mariage d'argent. Dans un second temps, endurci et aguerri par les épreuves qu'il a traversé, il se venge en faisant lui-même un mariage d'intérêt avant de le détruire en dilapidant la fortune de sa femme, en bafouant cette dernière ainsi que les codes sociaux en vigueur dans les hautes sphères. Comme le héros de "Eyes wide shut" (1999), Edmond Barry est un personnage falot (d'où le choix du lisse Ryan O NEALpour l'interpréter) qui réussit à entrer de façon opportuniste dans un milieu fortuné et décadent dont il ne maîtrise pas les codes. Il finit donc par être rejeté et par retourner dans son milieu d'origine. Mais la tragédie propre à Redmond Barry est d'être un déraciné privé d'ascendance comme de descendance. Il n'est guère étonnant que les moments où il se montre le plus sincère et le plus vulnérable soient liés à la perte: celle de son père de substitution le capitaine Grogan (Godfrey QUIGLEY), celle de sa terre natale ravivée par la rencontre avec le chevalier de Balibari (Patrick MAGEE et enfin celle de son fils.

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Le Crime de l'Orient-Express (Murder on the Orient-Express)

Publié le par Rosalie210

Sidney Lumet (1974)

Le Crime de l'Orient-Express (Murder on the Orient-Express)

Le remake récent de Kenneth BRANAGH a fait ressortir l'aspect volontairement suranné du film de Sidney LUMET réalisé en 1974. Celui-ci, bien connu pour son éclectisme, a en effet décidé de donner un cachet de classique des années 30 à son film (pour coller à l'époque de la narration du roman de Agatha Christie) plutôt que de l'ancrer dans le bouillonnement créatif des années 70 dont il était pourtant partie prenante. En résulte un résultat un brin nostalgique, l'impression d'être dans une bulle artificiellement hors du temps dans laquelle il est agréable de se plonger.

En effet cette partie de Cluedo élégante et racée se déguste avec plaisir de par le nombre de grandes stars présentes au mètre carré: Lauren BACALL en grande dame un peu fofolle, Ingrid BERGMAN en bigote, Sean CONNERY en colonel, Anthony PERKINS en proie au complexe d'Œdipe 14 ans après "Psychose" (1960), Jean-Pierre CASSEL pour la touche frenchy, Vanessa REDGRAVE, Jacqueline BISSET, Michael YORK etc. Leurs personnages sont plus intéressants qu'ils n'en ont l'air car ils sont dichotomiques. En apparence, ils ressemblent tous à de lisses images d'Epinal à collectionner mais leurs regards perçants, gestes nerveux incontrôlés et changements parfois brusque d'expression révèlent les êtres réels qui se cachent derrière le rôle qu'ils interprètent. De même l'aspect ludique et mécanique de l'enquête repose sur un substrat tragique très bien souligné dans la séquence introductive et également dans le dénouement qui fait écho au premier film de Sidney LUMET, "Douze hommes en colère" (1957). En effet s'il faut chercher un fil conducteur à son œuvre (dont le caractère disparate est un frein à sa lisibilité), c'est sa critique des institutions (policière, judiciaire, politique, médiatique) et son intérêt pour les gens qui par leurs fonctions ont la responsabilité d'autres vies entre leurs mains. Le policier Hercule Poirot (Albert FINNEY vieilli pour ressembler à un homme de plus de 50 ans) choisit ainsi de sacrifier la vérité pour mettre fin à l'hécatombe en vies humaines provoquée par l'affaire Cassetti alors que les 12 jurés improvisés mettent la leur en danger pour que justice soit rendue.

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L'Homme qui en savait trop (The Man who knew too much)

Publié le par Rosalie210

Alfred Hitchcock (1956)

L'Homme qui en savait trop (The Man who knew too much)

Alfred HITCHCOCK fait partie des quelques réalisateurs qui ont fait un remake d'un de leurs propres films. "L'Homme qui en savait trop" est en effet la version hollywoodienne du film au titre éponyme qu'il avait réalisé en 1934 au temps de sa période anglaise. Bénéficiant de plus de moyens, il réalise donc un film plus spectaculaire qu'il qualifie lui-même de travail de professionnel à côté d'une première version qu'il considérait comme amateur.

"L'Homme qui en savait trop" peut être appréhendé de deux manières. Soit on ne se focalise que sur ses séquences d'anthologie en dédaignant le reste. En ce cas, on se concentrera surtout sur les 12 minutes du concert au royal Albert Hall, véritable concentré du génie de Alfred HITCHCOCK dans l'art de faire monter le suspense par l'association savante du montage alterné et de la musique. Il est d'ailleurs amusant de voir qu'il y a deux maîtres d'œuvre dans cette séquence: Bernard HERRMANN son compositeur fétiche qui dirige l'orchestre et le joueur de cymbales, sorte de double du réalisateur qui joue quelque peu sadiquement sur les attentes du public.

Soit on regarde qui occupe le centre de cette séquence ainsi que de l'autre morceau d'anthologie qu'est le passage de la chanson "Que sera sera" et on perçoit beaucoup mieux l'unité d'un film a priori fait de séquences disparates en terme de rythme, de scénario ou de technique. La chanteuse et actrice Doris DAY, symbole plutôt mièvre et conservateur de l'American way of life avait été imposée à Alfred HITCHCOCK. Celui-ci sut transformer cette contrainte en atout majeur. Car la Joséphine du film qui pour se conformer au patriarcat américain a sacrifié sa vie artistique pour plaire à son mari prend une revanche éclatante dans le film. Ce n'est pas pour rien qu'elle est surnommée Jo (comme la Jo March masculine de Louisa May Alcott). Alors que son mari Benjamin (James STEWART) qui ne voit pas plus loin que le bout de son nez passe son temps à se ridiculiser ou à se fourvoyer, elle manifeste une intuition et une clairvoyance à toute épreuve qui la pousse systématiquement vers les bonnes pistes et lui permet de se retrouver au centre de l'intrigue (et de son dénouement). La fin où elle appelle son fils par le chant sonne comme une revanche éclatante sur les tentatives de musellement de son mari. N'est-ce pas son cri si longtemps retenu qui sauve le premier ministre d'une mort certaine? La scène où son mari la drogue pour soi-disant la ménager n'en devient alors que plus ironique et savoureuse alors que les transparences marocaines soulignent le bonheur en toc de ce modèle familial américain.

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Le Nouveau Monde (The New World)

Publié le par Rosalie210

Terrence Malick (2005)

Le Nouveau Monde (The New World)

Terrence MALICK filme la Virginie à l'aube de sa colonisation par l'Angleterre comme un paradis perdu rousseauiste. Un territoire vierge et innocent à l'image de ses habitants indigènes qui vivent dans une communion mystique avec la nature. Du matin au soir ils répètent comme des rituels des gestes embrassant l'énergie cosmique qui font penser à ceux du Qi-Gong chinois. La voix intérieure de John Smith les décrit comme dénués de jalousie, n'ayant aucun sens de la possession, doux, affectueux, fidèles, exempts de toute fourberie, ne connaissant ni le mensonge, ni la cupidité, ni la tromperie, ni l'envie, ni la calomnie. Leur princesse Pocahontas ressemble à une déesse d'une beauté surnaturelle.

Par contraste, les premiers colons anglais apportent avec eux la crasse, la misère, l'individualisme et la division. Terrence MALICK ne les caricature pas, c'est important de le souligner. Là où ils sont, il n'y a que la forêt et les marécages à se partager. Le seul or disponible est celui des rayons du soleil. Des richesses que Terrence MALICK magnifie avec sa caméra ondoyante qui s'appuie somptueusement sur les premières mesures de "l'Or du Rhin" de Wagner. Mais à côté de ces princes de la nature que sont les indiens, les anglais font figure d'handicapés, inaptes à voir les beautés de ce monde et encore moins à vivre avec. Au lieu de s'intégrer dans l'environnement, ils construisent un fort en abattant les arbres pour s'y retrancher, laissant les indigènes et la nature à l'extérieur. Une traduction saisissante de cet apartheid de la "sauvagerie" qui pousse les anglais à domestiquer tout ce qui entre en contact avec eux. Par conséquent leur univers, clos derrière des murs est froid et stérile. Le père de Pocahontas, clairvoyant, perçoit l'incompatibilité de leur vision du monde avec celle de la tribu et veut les chasser avant qu'ils ne contaminent tout. Ce sont les gestes de fraternité de Pocahontas (la nourriture, les semences, l'apprentissage de la langue) à leur égard lié à son amour pour John Smith qui en décideront autrement.

Même s'il s'agit d'une version romancée des premiers contacts entre colons et indiens, ces événements permettent de restaurer le sens profond de la fête de Thanksgiving dont les valeurs sont à l'opposé de celles qui sont prônées par la civilisation occidentale. Ce n'est pas la seule trace du passage de Pocahontas (Q ORIANKA KILCHER) puisqu'après avoir été reniée par sa tribu et abandonnée par John Smith (Colin FARRELL) qui est dépeint comme pro-indien mais n'en reste pas moins une âme de colon égoïste qui ne veut ni donner ni s'engager, elle épouse un aristocrate John Rolfe (Christian BALE) avec lequel elle a un petit garçon. Même dans les jardins taillés au cordeau, même contenue dans des vêtements corsetés, même frappée par les maux du désespoir et de la maladie, elle parvient encore à irradier de son harmonie intérieure.

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