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Articles avec #drame tag

Le Labyrinthe de Pan (El Laberinto del Fauno)

Publié le par Rosalie210

Guillermo del Toro (2006)

Le Labyrinthe de Pan (El Laberinto del Fauno)

"Le labyrinthe de Pan" (traduction infidèle à l'original qui est "Le labyrinthe du faune") est un film hybride. Et comme beaucoup de films hybrides, il a pu susciter à sa sortie de l'incompréhension et du rejet, d'autant qu'il n'a pas été "vendu" pour ce qu'il était réellement: un conte de fée horrifique ou un film d'horreur onirique. Bien que très différent par sa forme du "Brazil" de Terry Gilliam, il partage sur le fond un même principe fondamental, celui de l'échappée imaginaire au coeur d'une réalité terrifiante, les deux univers entretenant des rapports de plus en plus étroits au fur et à mesure de la progression du film.

"Le labyrinthe de Pan" est aussi un grand film sur le choix. Il rappelle que même dans les situations les plus terribles (comme le contexte de terreur franquiste du film), c'est ce que l'être humain conserve de plus précieux. L'héroïne Ofelia est pourtant de par son âge et son genre dans une situation de dépendance et de vulnérabilité absolue. Et pourtant c'est elle qui incarne les bons choix (et au final la figure sacrificielle du sauveur) face à sa mère qui incarne les mauvais choix. Celle-ci renonce en effet à son indépendance d'adulte en échange d'une illusoire protection auprès de celui qui lui paraît être le plus fort (il y a de quoi méditer, même aujourd'hui à ce sujet). De ce fait non seulement elle régresse en redevenant une petite fille impuissante et dépendante (comme le symbolise le fauteuil roulant) mais elle nous montre toute l'étendue de sa soumission face à un mari misogyne qui la rabaisse (encore le symbole du fauteuil roulant), la tient à distance et est prêt à la sacrifier pour accéder à l'immortalité (à travers le fils qu'elle lui donnera et qui sera son miroir comme lui est le miroir de son propre père: bel exemple de narcissisme qui nie l'altérité.)

Logiquement, la dualité et le conflit sont le moteur du film (homme contre femme, enfant contre adulte, rêve contre réalité, choix contre renoncement fataliste, bleu contre orange). Si on reste sur l'exemple développé un peu plus haut, Carmen, la mère veut que sa fille se soumette à l'ordre franquiste auquel elle s'est elle-même soumise. Mais Ofelia résiste avec toutes les forces de son esprit. Son premier contact avec le capitaine Vidal consiste à serrer ses livres contre elle comme un bouclier et à lui tendre la main gauche, une déclaration de guerre (la main gauche est associée au diable). Les trois épreuves qu'elle affronte sont le reflet de cette résistance. La première qui rappelle fortement "Alice au pays des merveilles" mais aussi "Mon voisin Totoro" la voit affronter et triompher d'un énorme crapaud (son beau-père) qui stérilise un arbre creux (symbole utérin du féminin) dont elle sort couverte de boue. Ainsi elle échappe au dîner où sa mère voulait qu'elle paraisse en petite fille modèle pour plaire à son beau-père. La deuxième épreuve la met aux prises d'un ogre attablé devant un festin et dont le comportement sanguinaire évoque le tableau de Saturne dévorant ses enfants peint par Goya. L'allusion à Vidal est transparente puisqu'il détient sous clé un énorme stock de vivres qu'il utilise comme arme de guerre. Ofelia va jusqu'à le provoquer en touchant au festin et en refusant de se plier au temps qu'il veut lui imposer (Vidal se prend en effet pour le maître des horloges). Plutôt que de sortir par la porte qu'il contrôle à l'aide d'un sablier, elle trace sa propre porte à la craie, une belle manifestation de libre-arbitre devant laquelle il est désemparé (incapable d'empathie, Vidal ne comprend aucun autre choix que les siens). La troisième épreuve, la plus cruciale consiste au prix de son sacrifice à arracher son petit frère des griffes du monstre pour briser le cercle vicieux de la reproduction du même.

Pour conclure, le capitaine Vidal (joué de façon magistrale par Sergi Lopez) est certes le monstre de l'histoire mais Guillermo del Toro pointe tout autant du doigt ceux et celles qui nourrissent la bête tout en se défaussant de leur responsabilité d'adulte. C'est d'ailleurs pourquoi Ofelia finit par se choisir une mère de substitution dans la résistance, la gouvernante Mercedes.

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Full Metal Jacket

Publié le par Rosalie210

Stanley Kubrick (1987)

Full Metal Jacket


"Full Metal Jacket", l'avant-dernier film de Kubrick est une éprouvante initiation où celui-ci démontre avec une impressionnante rigueur formelle par A+B comment la machine de guerre US déshumanise ses jeunes recrues et combien il est difficile voire impossible de conserver un tant soit peu sa personnalité et son libre-arbitre une fois qu'on a mis les doigts dans l'engrenage militariste. Un thème cher à Kubrick, même en dehors de ses films de guerre ("Orange mécanique" en est le plus bel exemple).

"Full Metal Jacket" se divise en deux grandes parties reliées par une transition un peu faible. La première partie est consacré au conditionnement des recrues par le terrifiant et grotesque sergent-instructeur Hartman (L. Lee Hermey), lequel utilise l'humiliation et les brimades pour les mettre au pas et détruire leur personnalité et leur humanité (considérée comme une impardonable faiblesse). On peut d'ailleurs faire un parallèle avec les camps de concentration: les recrues portent un uniforme, ont les cheveux rasés et sont affublés de sobriquets dévalorisants en lieu et place de leurs noms véritables ("Blanche-Neige", "Grosse Baleine", "Guignol" etc.) Les plans-séquences se succèdent, montrant la répétition des mêmes entraînements de forçat, des mêmes chants virilistes, des mêmes insultes racistes, antisémites, sexistes, homophobes jusqu'à ce que le bourrage de crâne produise ses effets: l'adaptation servile ou le pétage de plombs sanglant. Il n'y a que deux voies possible. Kubrick nous montre dès cette première partie que les efforts de "Guignol" (Matthew Modine) pour conserver son individualité sont voués à l'échec, il finit par rentrer dans le rang et même par se montrer plus zélé que les autres lors de l'expédition punitive contre "Grosse Baleine" (Vincent d'Onofrio).

La deuxième partie montre ce que ce conditionnement produit sur le terrain. Là encore les efforts du dénommé "Guignol" pour préserver son identité de sujet pensant et critique dans le conflit échouent et il sombre corps et âme dans la pire des visions du monde, celle du darwinisme où on tue pour ne pas être tué. La scène du sniper filmée comme une partie d'échecs est une grande leçon de mise en scène mais c'est aussi une leçon d'histoire. Kubrick filme ce qu'est un conflit asymétrique entre une armée et une guérilla qui a l'avantage du terrain. Un ennemi invisible et insaisissable réussit à abattre méthodiquement plusieurs hommes et à terrifier tout un groupe qui l'imagine puissant et musclé... alors qu'il s'agit d'une frêle jeune fille isolée. Et le conditionnement de la première partie de révéler non seulement sa cruauté (ça on le savait déjà) mais aussi son insondable bêtise. De quoi faire réfléchir sur les causes de l'échec des USA au Vietnam et du traumatisme durable de ses soldats.

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Easy Rider

Publié le par Rosalie210

Dennis Hopper (1969)

Easy Rider

« C’est dur d’être libre quand on est un produit acheté et vendu sur le marché. Mais ne leur dit pas qu’ils ne sont pas libres, ils sont capables de massacrer pour prouver qu’ils le sont. S’ils voient un individu libre, ils ont peur, ça les rend dangereux. »

Cette citation de George Hansen (Jack Nicholson dans son premier film important) est l’étendard d’ « Easy Rider ». Le film narre l’odyssée de deux motards hippies, Wyatt (Peter Fonda, fils de Henry et frère de Jane) et Billy (Dennis Hopper), « Born to be Wild » pour reprendre le titre phare de Steppenwolf (mais toute la BO est somptueuse). Sur leurs choppers achetés avec l’argent de la drogue, ils traversent l’Amérique à contresens (ils sont d'ailleurs pour la majorité des sédentaires un contresens) pour aller fêter Mardi Gras à la Nouvelle-Orléans. Leur apparence et leurs manières jugées provocatrices (Wyatt par exemple arbore une panoplie de motard aux couleurs du drapeau US qui lui vaut le surnom de « Captain America ») leur vaut un rejet systématique qui les oblige à vivre en marge, c’est à dire à littéralement coucher dehors en attendant de servir de défouloir à la violence verbale et physique des rednecks haineux et bornés. C’est ça le prix de la liberté dont parle le personnage de Nicholson. Le nihilisme qui clôt le film suggère qu’elle n’existe pas ce qui remet en cause la prétendue démocratie américaine. "Born to be wild" devient comme en écho "Born to kill" dans "Full Metal Jacket" de Kubrick qui commence par la tonte des cheveux de la chair à canon destinée au bourbier vietnamien (les cheveux longs des hippies obsèdent les rednecks).

« Easy Rider » n’est pas qu’un plaidoyer pour la liberté sur le fond, il l’est aussi sur la forme. Le film est considéré comme le point de départ du Nouvel Hollywood, ce courant cinématographique né à la fin des années soixante qui s’inspire à la fois du néoréalisme italien et de la Nouvelle Vague française. Du premier, il a ce regard documentaire très cru sur l’Amérique profonde et son intolérance viscérale à l’égard de l’autre ainsi que sur le mouvement hippie. Du second, il adopte le style heurté d’un « À bout de souffle »avec les « flashs mentaux » et le trip hallucinogène dans le cimetière, la jeunesse de ses protagonistes et leur côté indomptable. Des deux mouvements, il reprend le tournage à petit budget, en décors naturels avec un sens de la débrouille qui produit un résultat confondant de naturel.
 

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Sophie Scholl-Les derniers jours (Sophie Scholl – Die letzten Tage)

Publié le par Rosalie210

Marc Rothemund (2005)

Sophie Scholl-Les derniers jours (Sophie Scholl – Die letzten Tage)

1942-1943 est un tournant dans l'histoire du IIIeme Reich. Alors que l'Allemagne nazie baigne encore dans le mythe de son invincibilité, elle connaît ses premiers revers militaires, en Afrique du nord, en Sicile et surtout à Stalingrad qui égratigne au passage un autre mythe, celui du surhomme aryen. Cette fragilisation radicalise encore un peu plus le régime, lancé dans une guerre totale à outrance depuis l'invasion de l'URSS en juin 1941 qui se traduit notamment par l'extermination des juifs d'Europe mise en œuvre en URSS puis étendue à toute l'Europe en 1942.

C'est dans ce contexte que se situent les événements racontés par le film. La résistance intérieure était très difficile en Allemagne à cause de la répression impitoyable et de la puissance de l'embrigadement des esprits. Cependant, elle existait, notamment dans les milieux chrétiens dont les convictions humanistes étaient foulées aux pieds par les agissements du régime hitlérien. Le milieu universitaire à la longue tradition critique n'était pas non plus totalement asservi. C'est d'ailleurs sans doute pour neutraliser ces deux institutions qu'Hitler embrigadait les jeunes dans les organisations nazies. Sans toujours cependant parvenir à les lobotomiser. Sophie Scholl, une étudiante âgée d'une vingtaine d'années avait fondé en juin 1942 avec son frère Hans et d'autres étudiants un mouvement antinazi baptisé "La Rose blanche". Leur activité consistait principalement à imprimer et distribuer des tracts, à écrire des slogans sur les murs et collecter du pain pour les prisonniers des camps de concentration.

Le film se concentre sur les six derniers jours de la vie de Sophie Scholl, de son arrestation le 17 février 1943 à son exécution le 22 février. Il se base sur une abondante documentation historique, notamment les procès-verbaux d'interrogatoires de la Gestapo de Hans et Sophie longtemps dissimulés dans les archives est-allemandes et rendus accessibles après la fin de la guerre froide. Cela se traduit dans la plus grande partie du film par un dispositif théâtral épuré où une héroïne aux convictions humanistes inébranlables tient tête à un policier de la gestapo dont l'argumentaire idéologique s'effrite pour laisser place à des motivations bien connues dans la victoire d'Hitler (la revanche sur la France avec l'humiliation du traité de Versailles) ou bassement humaines (l'ambition carriériste). Ce policier est néanmoins montré sur un jour bien trop favorable par rapport à la réalité historique. Le film passe en effet complètement sous silence le fait que Sophie Scholl est sortie de l'interrogatoire avec la jambe cassée. De même, son frère et leur ami restent propres sur eux jusqu'à la fin. L'édulcoration de la réalité passe également par les gestes d'humanité des geôlières de Sophie ou le silence penaud des témoins nazis du procès lorsque Sophie parle en leur nom "Vous en avez assez de cette guerre mais vous n'osez pas le dire". Cet adoucissement est dommageable car il rend moins évident le courage dont Sophie a fait preuve, témoignant que quelles que soient les circonstances, l'être humain garde toujours son libre-arbitre.
 

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L'Inconnu du Nord-Express (Strangers on a Train)

Publié le par Rosalie210

Alfred Hitchcock (1951)

L'Inconnu du Nord-Express (Strangers on a Train)

Quand Patricia Highsmith rencontre Hitchcock cela donne "L'Inconnu du Nord-Express". Deux rails parallèles qui convergent en un même point avant de se dénouer au terme d'une course folle à bord d'un manège qui s'emballe. A bord d'un train, un homme sans histoire (en apparence), Guy Haines rencontre son double inversé, Bruno Antony pour qui il éprouve des sentiments ambivalents (ça c'est pour Highsmith). En dépit de ses réticences, il accepte de déjeuner avec lui, signant tacitement un pacte faustien (ça c'est pour Hitchcock). Bruno propose de tuer l'épouse encombrante de Guy et demande à ce dernier en échange de le débarrasser de son père qu'il déteste. Bien entendu Guy n'assume pas sa part du contrat et tente de fuir Bruno mais son ombre le poursuit.

Les pulsions sexuelles refoulées et transmuées en pulsions meurtrières sont comme souvent chez Hitchcock au cœur du film. Guy a un problème avec les femmes. Il est pris en tenaille entre "la vierge et la putain" c'est à dire une promise frigide et une épouse lubrique qui "ne pense qu'à ça" (avec d'autres, suggérant ainsi que le pauvre Guy ne la satisfait pas). Tout dans la mise en scène suggère son attraction-répulsion pour Bruno, cet "obscur objet du désir" qu'il refoule mais qui revient toujours le hanter quelque part dans un coin de l'image. Bruno quant à lui est piégé au cœur d'un conflit oedipien. Il souhaite tuer son père par procuration pour (inconsciemment) pouvoir coucher avec sa mère abusive selon un schéma très proche de celui de Norman Bates dans "Psychose". Comme Norman, Bruno est un psychopathe qui éprouve une haine meurtrière vis à vis des femmes, surtout lorsqu'elles sont désirables. L'attirance qu'il éprouve pour Guy est carnassière: il veut le dominer, le manipuler, le dévorer et la fin sur le manège avec le va et vient du sabot du cheval et sa position au-dessus de sa victime métaphorise le viol.

Comme il est impossible dans les années 50 d'exprimer directement de telles turpitudes, tout est en effet suggéré par la mise en scène, les lieux et les objets. Le train et le tunnel ("of love") sont une métaphore bien connue de l'acte sexuel comme dans "La Mort aux trousses" mais comme Hitchcock fusionne l'amour et la mort, le "tunnel of love" devient le "tunnel of death" lorsque l'ombre de Bruno recouvre celle de la femme qu'il s'apprête à étrangler. Un acte qui est filmé comme un baiser et vu à travers les lunettes de la jeune femme, métaphore du regard voyeuriste de la mère castratrice (c'est la même métaphore que la longue-vue de "Fenêtre sur cour" dont le personnage principal a la jambe -c'est à dire sa virilité- dans le plâtre). Et de même que Bruno est le double maléfique de Guy (comme Tom l'était de Jonathan dans "L'Ami Américain" autre transposition d'Highsmith), la femme que Bruno pense avoir détruit renaît à travers un double (joué par Patricia Hitchcock, la fille de Sir Alfred qui a droit à deux zooms saisissants), preuve que la mère est indestructible. Quant aux relations entre les deux hommes, la mise en scène suggère combien elle se développe dans le refoulement et la clandestinité avant que leurs pulsions n'explosent dans la scène du manège, celle-ci étant une scène de violence et de plaisir coupable entremêlés débouchant sur la mort, la petite et la grande.

Si en dépit de toutes ses qualités le film n'est pas tout à fait un chef d'œuvre, c'est la faute de l'interprétation, très inégale. Si Robert Walker est excellent dans le rôle de Bruno, Farley Granger est catastrophique dans celui de Guy. Il est totalement inexpressif, ne semble jamais être vraiment concerné par ce qui lui arrive ce qui affadit le film, celui-ci reposant en partie sur ses épaules.

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Les Guichets du Louvre

Publié le par Rosalie210

Michel Mitrani (1974)

Les Guichets du Louvre

C'est au moment de la sortie de "La Rafle" en 2010 que l'on s'est brusquement souvenu des "Guichets du Louvre", le premier film français consacré à la rafle du Vel d'Hiv, sorti en 1974 qui était depuis tombé dans l'oubli.

Les années 70 marquent en effet en France le réveil des mémoires de la seconde guerre mondiale jusque-là occultées par le résistancialisme du Général de Gaulle selon lequel les français auraient été tous résistants ("la France n'a pas besoin de vérités, la France a besoin d'espoir"). "Le Chagrin et la Pitié" de Marcel Ophüls sorti en 1969 en dépit des conditions difficiles de sa diffusion est un tournant qui ouvre la porte à d'autres films explorant la réalité de la collaboration comme "Lacombe Lucien" de Louis Malle sorti la même année que les "Guichets du Louvre" ou "Monsieur Klein" de Joseph Losey sorti en 1976.

A l'origine des "Guichets du Louvre", il y a le livre éponyme de Roger Boussinot écrit vingt ans après les faits qui raconte en détails le déroulement de la funeste journée du 16 juillet 1942 à laquelle il a pris part essentiellement en tant que témoin. Alors étudiant d'obédience anarchiste, il a essayé avec d'autres jeunes de sauver (en vain) des juifs. Son impuissance l'a plongé dans une amnésie traumatique dont il a mis 20 ans à sortir "la première censure infligée à ce récit fut la difficulté, pour moi-même d’accepter ce souvenir." Son livre s'est ensuite heurté à une censure plus officielle car il y mettait en cause les protagonistes français de la rafle: la police du régime de Vichy, la gendarmerie mobile et les membres du PPF (parti populaire français de Jacques Doriot, un mouvement fasciste, véritable pépinière de futurs miliciens). Rappelons qu'il fallut attendre 1995 pour que le président Jacques Chirac reconnaisse officiellement la collaboration de l'Etat français à la Shoah.

Le film de Michel Mitrani propose une véritable immersion dans le récit du livre qui se déroule quasi-intégralement dans le quartier du Marais, bouclé par la police pour y rafler les juifs tout au long de la journée (la rafle s'est d'ailleurs poursuivie le lendemain). En 1974, le quartier n'avait pas été rénové et la reconstitution minutieuse produit un saisissant effet de réalisme. Il en va de même en ce qui concerne les réactions des protagonistes. Le jeune homme se heurte à la passivité, l'incrédulité ou la méfiance des juifs qu'il vaut sauver d'autant que la mission consiste à entraîner avec lui une femme et/ou des enfants ce qui le fait passer au choix pour un violeur ou pour un pédophile. Quant aux policiers et aux témoins non-juifs (dont Paul, le héros de l'histoire et double de Boussinot), ils ne sont pas univoques, il y en a qui font du zèle et se réjouissent, d'autres s'indignent et font de la résistance passive ou active, la majorité étant tout simplement indifférente.

Si le film n'a cependant pas réussi à marquer les mémoires, c'est en raison de la faiblesse de son intrigue principale, celle de la rencontre amoureuse éphémère entre Paul (Christian Rist) et Jeanne (Christine Pascal), la jeune fille juive qu'il tente d'escorter hors de la zone dangereuse. Leur histoire traîne en longueur, se répète beaucoup et se perd dans les sables. Leurs réactions à lui et à elle manquent de subtilité. Il aurait mieux valu sacrifier cette histoire au profit d'une narration moins classique où seul l'aspect kafkaïen de la trajectoire du héros aurait été conservé. Il y aurait gagné en puissance.

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Païsa (Paisà)

Publié le par Rosalie210

Roberto Rossellini (1946)

Païsa (Paisà)

Païsa est à la fois un cours d'histoire et de géographie, un reportage pris sur le vif (ou presque, quelques mois seulement séparent les événements de leur reconstitution par Rossellini) et une série de six tableaux qui réunis forment une fresque de la campagne d'Italie de 1943 à 1945 avec la progression des alliés du sud au nord:

-Le premier récit se situe dans le contexte du débarquement en Sicile de juillet 1943.
-Le deuxième daté de septembre 1943 filme Naples libérée mais en ruines et en proie à la misère noire. Le sort des orphelins qui tentent de survivre est au cœur de cet épisode.
-Le troisième évoque la libération de Rome en février 1944 et la prostitution de femmes romaines.
-Le quatrième se place au cœur des combats pour la libération de Florence en août 1944. Lui aussi montre les conditions de vie difficiles de la population.
-Le cinquième se situe en septembre-octobre 1944, au cœur de la Romagne, défendue village par village par les allemands (bien que non évoqué dans le film, on pense au massacre des habitants de Marzabotto, l'Oradour sur Glane italien).
-Le sixième enfin évoque les combats dans le delta du Pô dans lequel les alliés s'enlisèrent jusqu'au printemps 1945.

Chaque récit, d'une longueur équivalente (environ 20 minutes) mêle la grande et la petite histoire. Il commence par une contextualisation historique avec des images qui parfois sont prises dans les archives puis il se resserre sur des destins individuels qu'il parvient à restituer de façon admirable. A chaque nouveau récit, on assiste à différentes modalités de rencontre entre des italiens et des américains: difficultés de communication, incompréhension et malentendus, choc culturel, hospitalité, fraternisation et relations amoureuses systématiquement brisées par la guerre.

La puissance qui se dégage de ces récits est telle que ces fragments pourtant très ancrés dans l'espace et dans le temps deviennent intemporels et universels. Par exemple dans le quatrième épisode, lorsque les personnages traversent un musée florentin dont les trésors sont emballés, on pense à toutes les destructions récentes du patrimoine moyen-oriental. Il en va de même lors des scènes de civils massacrés ou de partisans froidement exécutés. Les détails documentaires et le dépouillement de la narration donnent un accent de vérité unique à l'ensemble.

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Rome ville ouverte (Roma città aperta)

Publié le par Rosalie210

Roberto Rossellini (1945)

Rome ville ouverte (Roma città aperta)

Dans ce qui est le plan séquence le plus célèbre du premier volet de la trilogie de la guerre (les deux autres sont "Païsa" et "Allemagne année zéro"), Pina (Anna Magnani) court en hurlant derrière le camion qui emporte son fiancé Francesco avant de s'effondrer sur le sol, tuée d'une balle tirée depuis le camion. La caméra saisit l'instant de ce basculement en plein vol ce qui le rend inoubliable.

C'est en ce sens que "Rome ville ouverte" est l'un des films fondateurs du néoréalisme. Réalisé à la fin de la guerre avec des bouts de pellicule (au sens propre), il va chercher dans la rue une matière brute qu'il filme à la manière d'un reportage ou plus exactement d'une reconstitution historique à chaud, le film ayant été tourné à proximité des faits réels dont il s'inspire. Le résultat est saisissant de vérité ce qui explique l'influence que ce film a eu sur de nombreux réalisateurs (ceux de la Nouvelle Vague notamment). Et ce alors qu'en fait le film se détache bien souvent du réalisme pour atteindre une dimension mystico-religieuse. Les trois personnages principaux de l'histoire sont filmés comme des martyrs (il y a quelque chose d'iconique dans leurs postures et expressions de visage) et leur parcours relève plus de la tragédie que du documentaire. C'est de la dualité (vie-art, terre-ciel, documentaire-fiction, réalisme-romanesque, communisme-catholicisme) que naît la beauté singulière du film.

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L'Etat des choses (Der Stand der Dinge)

Publié le par Rosalie210

Wim Wenders (1982)

L'Etat des choses (Der Stand der Dinge)

"L'Etat des choses" est un film esthétiquement magnifique. Il bénéficie notamment d'une photographie noir et blanc d'Henri Alekan qui sublime les séquences de l'hôtel dévasté en bord de mer et d'une musique inspirée de Jürgen Knieper.

Mais hélas, toute cette beauté tourne à vide. On nage en plein ego trip. Wenders multiplie les mises en abyme qui ne renvoient qu'à lui-même et ses états d'âme du moment, dominés par l'amertume et la déprime. L'identité de son double de cinéma (joué par Patrick Bauchau) renvoie aux deux plus grands cinéastes allemands de l'histoire, Fritz (Lang) pour le prénom et Munro (Murnau) pour le nom. Ce sont deux figures tutélaires d'autant plus incontournables qu'entre eux et la génération de Wenders il y a un grand vide dans le cinéma allemand lié évidemment au nazisme. Fritz tourne (justement) un film de science-fiction post-apocalyptique au Portugal à l'intérieur du film de Wenders, les "Survivants" qui suscite l'intérêt. Hélas le tournage des "Survivants" est interrompu rapidement faute de pellicule et d'argent. A la place, on doit subir "l'Etat des choses", une interminable attente neurasthénique faite d'ennui et de vacuité pour toute l'équipe des "Survivants" mais aussi pour le spectateur. Le producteur, Gordon, étant introuvable, Munro finit par partir le chercher à Los Angeles. En fait il se cache car il est traqué par la mafia qui veut lui faire payer de s'être engagé sur un film tourné en noir et blanc et qui n'a donc (selon elle) aucune chance de retour sur investissement. Une intrigue digne d'un film noir, "l'Etat des choses" se voulant une réflexion sur le cinéma remplie de références aux genres cinématographiques et à ses grands réalisateurs.

Ce dispositif complexe et cette réflexion pessimiste sur la "mort du cinéma d'auteur" n'a en fait qu'un but, permettre à Wenders de régler ses comptes avec l'industrie hollywoodienne qui lui a confisqué "Hammett" sur lequel il travaillait depuis quatre ans. Tant de nombrilisme finit par devenir extrêmement lassant. Le manque de générosité du film se ressent dans son absence d'enjeux narratifs ("un film sans histoire c'est comme une maison sans murs") comme d'émotions ("je ne ressens rien, je n'ai pas de sentiments").

Heureusement, la sensation d'impasse ressentie par Wenders sur ce film lui permettra de magnifiquement rebondir par la suite.

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Harry, un ami qui vous veut du bien

Publié le par Rosalie210

Dominik Moll (2000)

Harry, un ami qui vous veut du bien

C'est en regardant "l'Ami américain" de Wim Wenders que j'ai repensé à "Harry, un ami qui vous veut du bien" de Dominik Moll. Et pour cause, les deux films ont une origine commune qui se nomme Patricia Highsmith. "L'Ami américain" s'inspire de deux de ses romans et Dominik Moll avoue avoir été très influencé par "L'inconnu du Nord-Express". Ce qui évidemment souligne le caractère très hichcockien de son film, une vraie pépite du cinéma français, hélas trop avare de ce genre de thriller psychanalytique. Le titre fait penser à "Mais qui a tué Harry?", les plans de la maison ont des relents de "Psychose" tout comme l'œil qui espionne par le trou de la serrure, Le nom de Harry, Ballesteros est très proche de celui de Manny Balestrero, le personnage principal du "Faux Coupable" etc.

Ce qui rapproche également le film de Moll et celui de Wenders, c'est le concept de double (selon Freud) ou encore d'ombre de la personnalité (selon Jung). Une partie refoulée de la personnalité d'un personnage apparemment sans histoire mais en réalité miné par la frustration surgit comme par magie dans le monde réel et bouleverse sa vie. Celle-ci devient plus excitante mais aussi plus dangereuse, jalonnée de crimes. Dans "Harry, un ami qui vous veut du bien", Michel (Laurent Lucas) est entravé dans son accomplissement personnel par la présence envahissante de ses parents, la jalousie de son frère, sa vie de famille qui le "bouffe" et les soucis d'argent. Harry (Sergi Lopez), son inconscient se matérialise dans les toilettes (une des nombreuses allusions à "Shining" de Kubrick, une autre des grandes références du film de Moll), non pour lui suggérer -du moins dans un premier temps- d'assassiner sa femme et ses filles mais pour lui parler de ses talents d'écrivain. Talents bien enfouis au fond d'un vieux carton oublié et laissés en friche depuis des années. Plus le film avance, plus on jubile de voir les désirs refoulés de Michel jaillir à la surface et briser la fragile barrière du moi et de la "normalité". Une pièce symbolise le basculement progressif de Michel dans une autre dimension: la salle de bains dans laquelle il se retranche pour reprendre l'écriture. Sa couleur rose qui contraste violemment avec le reste de la maison fait penser à l'intérieur d'un cerveau. On peut y voir l'influence de Lynch et également de Kubrick (la fin de "2001, l'Odyssée de l'espace".)

La remontée à la surface de ce qui est enfoui a toujours un aspect ambivalent et "Harry, un ami qui vous veut du bien" ne fait pas exception à la règle. Harry est un tueur (altruiste certes mais cela ne change rien au caractère mortifère de son personnage) mais c'est aussi une bête de sexe pleine aux as. Sa remontée à la surface permet à Michel de se reconnecter à sa libido et à sa créativité en berne, de retrouver sa puissance personnelle perdue pour aller de l'avant (l'œuf étant le symbole de ce renouveau). L'enjeu est cependant d'empêcher cette pulsion vitale de se transformer en pulsion autodestructrice en la renvoyant à temps dans les tréfonds du subconscient (bien au fond du puisard enfin rebouché).

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