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Articles avec #drame tag

Key Largo

Publié le par Rosalie210

John Huston (1948)

Key Largo

"Key Largo" est un film insulaire. Il ne se déroule que dans des lieux clos et coupés du monde. L’hôtel de l’île de Key Largo frappé par la tempête est le principal théâtre de l’action (mot qui se justifie d’autant plus que le film est l’adaptation d’une pièce de théâtre) mais il ne faut pas oublier le dernier quart d’heure sur un bateau entre Key Largo et Cuba. Ce contexte de huis-clos dans des espaces de plus en plus exigus créé une atmosphère particulière, confinée, étouffante et oppressante et donc propice aux tensions exacerbées (les émissions de téléréalité reposent sur le même principe repris as nauseam). Bien qu’une dizaine de personnages se retrouvent enfermés dans l’hôtel et une demi-douzaine sur le bateau, le film est en réalité un duel entre deux hommes qui sortent de mondes révolus ravagés par la violence mais dont les choix vont s’avérer être aux antipodes. D’un côté le commandant Frank McCloud (Humphrey BOGART), vétéran de la seconde guerre mondiale désabusé et sans attaches, de l’autre le gangster Johnny Rocco (Edward G. ROBINSON) tout droit sorti des années de Prohibition qui rêve de devenir le nouveau Al Capone. Parce que Frank a trop fait l’expérience de la violence, il refuse de s’y laisser entraîner de nouveau, quitte à passer pour un lâche. Néanmoins sa relative indifférence cède progressivement le pas à de la compassion pour les victimes du gang dont il partage le sort que ce soit James Temple, le propriétaire infirme (Lionel BARRYMORE), Gaye Dawn la compagne alcoolique de Johnny (Claire TREVOR) ou un groupe d’indiens dont deux sont recherchés par la police. La belle-fille de Temple, Nora, objet de la convoitise de Johnny Rocco, représente évidemment l’espoir d’une renaissance ce que souligne sans ambiguïté l’un des derniers plans du film (Humphrey BOGART et Lauren BACALL rejouent ainsi devant John HUSTON leur rencontre quatre ans auparavant dans le « Le Port de l'angoisse (1944) » où la deuxième réussissait à ferrer un poisson particulièrement glissant). A l’inverse, Johnny Rocco qui est fermé à tout sentiment d’humanité apparaît au final comme un faible qui ne sait pas contrôler ses nerfs que ce soit sous l’effet de l’insulte ou des coups de boutoir de la nature contre laquelle il est impuissant en dépit de son flingue.

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Le Faucon maltais (The Maltese Falcon)

Publié le par Rosalie210

John Huston (1941)

Le Faucon maltais (The Maltese Falcon)

Le premier film de John HUSTON est aussi l'un des premiers grands classiques du film noir, il a d'ailleurs contribué à fixer les règles du genre (le privé, la femme fatale, l'intrigue tortueuse, l'esthétique expressionniste etc.) et fait de Humphrey BOGART une star. Néanmoins en dépit de sa remarquable interprétation et de la qualité de la mise en scène, le film manque d'épaisseur et de subtilité. Sur le thème de la course à l'étoffe "dont sont faits les rêves", John HUSTON est allé beaucoup plus loin humainement avec ses films suivants tels que "Le Trésor de la Sierra Madre" (1948) ou "Quand la ville dort" (1950). Non seulement "Le Faucon maltais" est sec, squelettique mais son apologie du virilisme est tellement grossière qu'elle me fait rire (ce qui pour un film noir est tout de même gênant). Sam Spade (Humphrey BOGART) a bien raison de dire qu'il ne "connaît rien aux femmes" ou plutôt au monde féminin. Plutôt qu'un "redresseur de torts" il s'agit surtout d'un beau mufle. D'abord, comme tout macho qui se respecte, il remet à sa place quelques garces coupables d'avoir le feu aux fesses. Admirons la subtilité de la scène où Brigid O'Shaughnessy (Mary ASTOR), cette menteuse congénitale diablement attirante remue les tisons dans la cheminée pour mieux l'allumer peu après que notre ami qui a deux fers au feu soit pris en flagrant délit de fricotage avec Iva, la veuve de feu son associé (Gladys GEORGE). Toutes deux après être tombées aux pieds de l'irrésistible privé subissent le châtiment qu'elles méritent, l'une en voyant son amant filer dans les bras de celle qui a tué son mari, l'autre en étant envoyée en prison par mister justicier Spade qui lui envoie une punchline d'anthologie "si tu prends vingt ans je t'attendrai, si tu prends perpétuité je garderai un beau souvenir de toi". Mais comme se valoriser auprès du "sexe faible" ne suffit pas à son ego surdimensionné, il faut encore qu'il écrase de sa supériorité les autres hommes. Son associé Miles Archer (Jerome COWAN) qu'il supplante auprès de la gent féminine et les bandits, des "lopettes" qu'il prend plaisir à tabasser et humilier. Cela commence avec Joël Cairo (Peter LORRE) dont le mouchoir parfumé au gardénia et les manières précieuses nous indiquent sans ambiguïté les tendances homosexuelles. Avec une jouissance non feinte, Sam Spade lui donne à deux reprises la raclée qu'il mérite et lui vole son flingue (histoire de rappeler que le seul homme dans la pièce, c'est lui!). Spade inflige un traitement pire encore à l'homme de main, Wilmer Cook (Elisha COOK Jr.), le ridiculisant, le désarmant lui aussi avec une facilité déconcertante et après l'avoir poussé à bout, lui donnant la raclée qu'il mérite (il est trop fort ce Sam Spade). Lui aussi a droit à sa punchline assassine adressée à son patron Kasper Gutman (Sydney GREENSTREET) qui au vu de ses manières est vraisemblablement aussi de la jaquette "Ne le laissez pas se balader avec ça [un flingue], il peut se blesser. Je les ai pris à un cul de jatte qui les lui avait chipés". J'avoue avoir éclaté de rire, surtout que Elisha COOK Jr. a remis le couvert dans le rôle du souffre-douleur avec "L'Ultime razzia" (1956) de Stanley KUBRICK. Bref, le "Faucon maltais" a beau se présenter comme un film "moral" à l'image de son héros "moins pourri qu'il n'en a l'air", il n'en reste pas moins qu'il véhicule des valeurs aussi discutables que celles qu'il est censé combattre.

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Junon et le Paon (Juno and the Paycock)

Publié le par Rosalie210

Alfred Hitchcock (1930)

Junon et le Paon (Juno and the Paycock)

"Junon et le paon" souffre d'un double défaut: c'est l'adaptation d'une pièce de théâtre et il a été réalisé au début du parlant c'est à dire à une époque où la mobilité de la caméra était limitée. Le résultat ressemble à du théâtre filmé avec des longueurs et des acteurs qui parfois surjouent. Alfred HITCHCOCK n'aimait d'ailleurs pas ce film et avoue dans son entretien avec François TRUFFAUT (qui ne l'aimait pas non plus) que la pièce ne se prêtait pas à une transposition cinématographique. Si le film reçut à sa sortie d'excellentes critiques, c'est pour la qualité littéraire de la pièce et non pour sa qualité cinématographique. Le cinéma parlant était sans doute alors trop neuf pour permettre des critiques vraiment pertinentes. Si l'on ajoute que le son et l'image sont passablement altérés dans l'unique copie restante du film et qu'il n'est proposé (en version non restaurée) qu'en bonus de DVD, on comprend encore mieux qu'il fasse figure de vilain petit canard dans la filmographie de sir Alfred.

Mais en dépit du fait qu'il s'agit d'une oeuvre mineure et inaboutie elle mérite quand même d'être vue. Tout d'abord la pièce d'origine est une étude intéressante de la déréliction des liens familiaux sous l'effet de la misère et du malheur, l'histoire évoluant de la comédie vers une sombre tragédie. De ce fait, si j'ai eu du mal à entrer dans le film, celui-ci a fini par me captiver. Ensuite, Alfred HITCHCOCK s'est plus approprié la pièce qu'on ne le dit que ce soit dans le portrait d'une famille repliée sur elle-même et dysfonctionnelle, chaque personnage possédant son infirmité propre (le père mythomane, la mère abusive, le fils estropié, la fille perdue) ou dans son aspect métaphysique, la croyance en un dieu-sauveur débouchant sur un déluge de malheurs. D'ailleurs Alfred HITCHCOCK reconnaissait avoir réutilisé l'un des personnages de la pièce dans "Les Oiseaux" (1962) qui a une filiation certaine avec "Junon et le Paon" (mais on reconnaît également des aspects de "Psychose" (1960), "Fenêtre sur cour" (1954) ou "La Loi du silence) (1953)". Ensuite bien que trop rares, il y a tout de même quelques éclats cinématographiques de toute beauté au milieu de cet ensemble de scènes dialoguées statiques. Le film est ainsi ponctué d'entrées dans le champ ou de travellings sur le personnage de Johnny qui soulignent sa culpabilité dans une affaire de meurtre qui est plusieurs fois évoquée et qui est un ingrédient essentiel du drame. Parfois, ces mouvements du personnage ou de la caméra sont suivis du bruit de rafales de balles et d'un fondu au noir tout à fait éloquent.

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La Bataille (The Battle)

Publié le par Rosalie210

D.W. Griffith (1911)

La Bataille (The Battle)

"La Bataille" est le dernier des sept courts-métrages que D.W. GRIFFITH a consacré à la guerre de Sécession entre 1910 et 1911, quelques années avant son célèbre long-métrage "Naissance d'une Nation" (1915). Il s'agit d'un récit édifiant dont le patriotisme convaincu pourrait tout à fait faire office de document de propagande militariste. Comme toujours en pareil cas, c'est la lâcheté qui est montrée du doigt avec un soldat qui panique dès le premier accrochage et part se cacher chez sa fiancée. Bien évidemment celle-ci lui rit au nez et lui demande de se comporter en homme. Transcendé par ce remontage de bretelles en bonne et due forme, le soldat devient soudainement un héros qui risque sa vie pour ramener à son camp en panne sèche de munitions un chariot de poudre (conduit par Lionel BARRYMORE!). Stanley KUBRICK qui était profondément antimilitariste a brillamment démontré dans "Les Sentiers de la gloire" (1957) comment la lâcheté et le courage étaient habilement exploités par les généraux pour manipuler leurs soldats. Il n'y a bien évidemment pas ce recul chez D.W. GRIFFITH qui reste béat d'admiration devant les uniformes rutilants tels que celui qu'avait porté son papa (colonel de l'armée des confédérés pendant la "Civil war" comme l'appellent les américains et qui avait eu un comportement héroïque en menant une charge victorieuse alors qu'il était blessé). A défaut de tuer le père, D.W. GRIFFITH livre néanmoins un film déjà très ambitieux pour son époque et son format avec des reconstitutions de bataille spectaculaires et un grand nombre de figurants.

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L'Homme qui en savait trop (The Man who knew too much)

Publié le par Rosalie210

Alfred Hitchcock (1934)

L'Homme qui en savait trop (The Man who knew too much)

Alfred HITCHCOCK fait partie des quelques cinéastes qui ont réalisé un remake de l'un de leur propres films. "L'homme qui en savait trop" existe donc en deux versions, l'une anglaise datée de 1934 et l'autre américaine, réalisée 22 ans plus tard. La première version, inégale, ressemble à une ébauche du film de 1956. Les éléments essentiels du puzzle sont déjà en place (thriller d'espionnage sur fond de crise de couple) mais ils ne sont pas aussi développés que dans le remake américain, notamment en ce qui concerne les scènes intimistes, trop rapidement traitées. L'identité européenne du film est en revanche plus forte et en phase avec le contexte historique de l'époque. Outre le Royal Albert Hall de Londres et l'espion français (interprété dans la version de 1934 par Pierre FRESNAY), le film commence dans les Alpes suisses et fait un détour symbolique par l'Allemagne au travers du personnage joué par Peter LORRE qui s'est exilé en Angleterre après l'arrivée de Hitler au pouvoir à l'instar de Fritz LANG qui est alors en France et à qui Alfred HITCHCOCK rend ainsi hommage (en plus d'évidents emprunts à l'expressionnisme). Et si la crise du couple Lawrence n'est pas aussi approfondie que celle du couple McKenna, elle est évoquée avec moins de puritanisme. Louis Bernard est un séducteur qui tourne autour de Jill Lawrence (Edna BEST) au grand dam de son mari jaloux (Leslie BANKS), lequel espère redorer son blason viril en menant seul l'enquête et obligeant sa femme à l'attendre. Sauf qu'au final, non seulement l'attentat est déjoué par le cri de Jill (comme dans la version américaine) mais celle-ci est une championne de tir qui parvient à abattre le tueur au moment où il allait s'emparer de leur fille.

En dépit de ses imperfections, "L'homme qui en savait trop" marque un tournant dans la filmographie hitchcockienne de par sa maîtrise technique des effets de suspense et dans la manière dont il s'en sert pour jouer avec le spectateur. Le film regorge de scènes de bravoure très réussies (le meurtre de l'espion, la scène chez le dentiste, la bagarre dans l'église, le concert, le siège et l'assaut final). Reste à les lier ensemble de façon plus convaincante pour construire un récit cohérent qui fasse sens. 

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Rashômon

Publié le par Rosalie210

Akira Kurosawa (1950)

Rashômon

Il y a eu un avant et un après "Rashômon" dans l'histoire du cinéma mondial. Lorsque les américains ont occupé l'archipel nippon après la seconde guerre mondiale, ils ont poussé ces derniers à exporter leur cinéma dans le monde entier et notamment en Europe. C'est ainsi que les sélectionneurs du festival de Venise ont choisi "Rashômon" de Akira KUROSAWA parmi les films du catalogue des studios Daiei qui a été le premier à se lancer dans l'aventure. "Rashômon" a non seulement remporté le Lion d'or et ouvert les portes de l'occident au cinéma japonais mais Akira KUROSAWA est devenu le plus célèbre réalisateur asiatique et une source d'influence majeure tant pour ses compatriotes que pour les réalisateurs occidentaux: Sergio LEONE, George LUCAS, Francis Ford COPPOLA, Quentin TARANTINO, Martin SCORSESE ou encore Steven SPIELBERG.

"Rashômon" a constitué un choc aussi bien technique, esthétique que narratif, les trois dimensions étant indissociables. Le film a ouvert des perspectives nouvelles dans la manière de raconter une histoire en abandonnant la linéarité au profit du "questionnaire à choix multiple". Akira KUROSAWA a transposé une énigme de polar (mais qui a tué le mari?) genre qu'il maîtrise à la perfection dans le Japon médiéval ce qui d'ordinaire ne lui aurait pas permis de franchir les fourches caudines de la censure américaine. Celle-ci était en effet impitoyable avec le chambara (film de sabre) et le jidai-geki (films médiévaux en costume), néanmoins elle s'était assouplie au début des années 1950 (le Japon était devenu un allié dans la guerre de Corée) et de plus le film ne faisait en aucune manière l'apologie de la guerre. Il dépeint avec génie les zones d'ombre de l'âme humaine dans l'anomie d'un monde ravagé par la guerre où chacun "a ses raisons" de ne pas dire toute la vérité pour reprendre l'expression de Jean RENOIR. Chaque acteur et chaque témoin livre sa version des faits ce qui entraîne autant de retours en arrière. Il y a d'ailleurs deux niveaux de flashbacks, ceux qui montrent les témoignages lors du procès et ceux qui revisitent le drame lui-même. Le présent du film est incarné par trois hommes, deux témoins et un passant qui commentent les différents récits et jouent un peu le rôle du chœur. La musique (japonisée) du Boléro de Ravel et la photographie impressionniste soulignent le caractère à la fois cyclique et changeant du récit ainsi que la complexité des êtres. Peu à peu, en recoupant les versions, on s'aperçoit que chacun ment pour se donner le beau rôle et dissimuler une part de lui-même dont il a honte et qu'il ne veut pas montrer à la société. Le bûcheron (Takashi SHIMURA) tait son acte cupide, le bandit Tajomaru (Toshirô MIFUNE) cache ses moments de faiblesse, le mari (Masayuki MORI) dissimule sa couardise et sa femme (Machiko KYÔ) sa perfidie. Néanmoins s'il n'y a pas de vérité absolue et que des vérités relatives, il n'en est pas de même des actes. Face aux ravages de la guerre (toile de fond du film), le film se termine sur un moment de grâce lié à un geste désintéressé, l'un de ces gestes qui permet de ne pas désespérer totalement de l'humanité.

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A travers l'orage (Way Down East)

Publié le par Rosalie210

D.W. Griffith (1920)

A travers l'orage (Way Down East)

On peut ne pas aimer D.W. GRIFFITH, trouver ses films soporifiques, trop longs, passéistes, mélodramatiques ou mal fagotés mais ceux qui affirment qu'il doit tout à Lillian GISH et à quelques beaux extérieurs sont des quiches en cinéma ou des snobs. D'abord parce que D.W. GRIFFITH s'il a moins inventé que perfectionné la grammaire cinématographique est l'un de ceux qui ont le plus contribué à construire cet art. Ensuite parce que c'est un formidable conteur dans la lignée des feuilletonnistes du XIX°. Dans "A travers l'orage" comme dans ses autres films, il entremêle les fils de son intrigue de façon à toujours maintenir en haleine le public. Enfin parce qu'il sait mettre en scène des climax d'une grande intensité qui frappent l'imagination du spectateur. Dans "A travers l'orage", le morceau de bravoure de la débâcle finale est entrée dans les annales pour son caractère spectaculaire et kamikaze (qui aujourd'hui risquerait sa vie ou du moins son intégrité physique pour faire du cinéma? A l'époque l'engagement de l'équipe était total et on a mal pour Lillian GISH dont les cheveux et la main trempent réellement dans l'eau glacée) ainsi que l'utilisation particulièrement efficace du montage alterné.

D'autre part si la trame de base de "A travers l'orage" est celle d'un mélodrame, D.W. GRIFFITH transcende ce matériau pour en faire quelque chose de beaucoup plus nuancé et moderne. Il n'oppose la ville et la campagne que pour mieux les englober toutes deux dans sa critique des mœurs et de la société américaine. Si la ville est montrée comme un lieu de perdition, la campagne est remplie de puritains psychorigides, d'hypocrites mielleux et de commères médisantes et jalouses. D'ailleurs le personnage vil de l'histoire, Lennox Sanderson (Lowell SHERMAN) a un pied (à terre) dans chaque milieu, étant accueilli à bras ouverts dans l'un comme dans l'autre. A l'inverse c'est bien parce que le personnage d'Anna Moore (Lillian GISH extraordinaire et bien servie par la caméra de D.W. GRIFFITH) ne trouve sa place nulle part qu'elle se réfugie dans la nature sauvage qui menace de l'engloutir. Du moins jusqu'à ce que David (Richard BARTHELMESS) en loup solitaire ne se dresse contre cet ordre fatal des choses. Car la critique sous-jacente du film va même au-delà de la stigmatisation des filles-mère dans la lignée des "Misérables" de Victor Hugo jusqu'aux films de Jacques Demy un siècle plus tard. Il s'attaque aux racines patriarcales des inégalités hommes-femmes. Le personnage d'Anna ne reste pas cantonné à celui de la "pauvre fille perdue", il évolue et s'affirme au point d'être capable de tenir tête à son abuseur qui veut l'effacer du paysage. Certaines répliques semblent même avoir été écrites l'année dernière, lors de la polémique "Metoo" et "Balancetonporc": "Supposons qu'ils découvrent votre passé, vous n'auriez plus qu'à partir". "Et vous, supposons qu'ils découvrent votre passé?", "C'est différent pour un homme, tout le monde trouvera normal qu'il ait des aventures amoureuses". En une phrase, D.W. GRIFFITH résume l'ignominie d'une société qui en soutenant les plus forts contre les plus faibles camoufle sa barbarie derrière une façade respectable. C'est pourquoi quand le père de famille ultra-puritain (Burr McINTOSH) décide de chasser Anna de la maison sans chercher à connaître le fond de l'histoire, elle dénonce son abuseur devant toute la communauté réunie sans oublier d'égratigner la "sainte famille" au passage "Pourquoi ne cherchez-vous pas à découvrir toute la vérité? Cet homme, un honorable invité à votre table, pourquoi ne cherchez-vous pas à connaître sa véritable vie?" Peu importe au final que D.W. GRIFFITH glorifie la monogamie et ne condamne la stigmatisation sociale que vis à vis des jeunes filles chastes victimes d'abus (et non vis à vis des femmes libérées, D.W. GRIFFITH n'est pas Frank BORZAGE et son sublime "La Femme au corbeau" (1928) en dépit du déchaînement naturel commun aux deux films), il y a aujourd'hui suffisamment d'abus sexuels liés aux rapports de domination devant lesquels la société se montre sourde et aveugle pour rendre son propos pertinent encore de nos jours.

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A bout de course (Running on empty)

Publié le par Rosalie210

Sidney Lumet (1988)

A bout de course (Running on empty)

« A bout de course » s’ouvre sur le défilement d’un ruban de bitume. Encore que sa progressive dissolution dans le noir puisse également signifier l’adieu à une époque, celle des seventies à la fois libertaires et engagées dont le road-movie est un symbole. En effet au bout de quelques minutes, on comprend qu’il s’agit de l’histoire d’une famille traquée par les agents du FBI pour un acte terroriste commis par les parents, militants de l’ultra gauche. Une quinzaine d’années auparavant, en 1971. Ils ont plastiqué un laboratoire du M.I.T (Massachussetts Institute of Technology) qui fabriquait du napalm pour l’armée américaine alors engagée dans la guerre du Vietnam. L’ironie du sort veut que cet acte violent commis au nom d’idéaux pacifistes ait mutilé un gardien, condamnant les parents à une vie d’errance perpétuelle. Au contexte américain où la mobilité est un fait de société (il n’est pas rare qu’une famille déménage 30 fois au cours de son existence au gré d’offres de boulots souvent temporaires) s’ajoute les origines juives communistes d’Arthur le père (Judd HIRSCH) qui donne à cette odyssée un caractère biblique. Annie la mère (Christine LAHTI) ayant renié son milieu bourgeois d’origine en rompant le contact avec ses parents a accepté de faire corps avec le destin du père… du moins jusqu’à un certain point.

Car cet aspect de l’histoire reste en arrière-plan, telle une épée de Damoclès suspendue au-dessus des personnages. On a même tendance même à oublier par moments leur statut de clandestins en cavale tant le film s’attache à dépeindre leur quotidien et non leurs moments de rupture. Ce qui intéresse Sidney LUMET et ce qui rend ce film inoubliable, ce sont les répercussions du drame sur les enfants. Obligés de changer d’identité, d’apparence et de déménager tous les six mois, comment peuvent-ils se construire et se projeter dans l’avenir ? Doivent-ils payer pour une faute qu’ils n’ont pas commise au nom de l’unité du « clan » obligé de se serrer les coudes dans l’adversité ? Cette loyauté qui les condamne au silence n’est-elle pas incompatible avec la rébellion propre à l’adolescence, indispensable pour s’autonomiser ? C’est tout le questionnement qui traverse le personnage central de Danny, le fils aîné de 17 ans, merveilleusement interprété par River PHOENIX. Pour caractériser ses contradictions internes, outre une magnifique scène impressionniste entre ombre et lumière, Sidney LUMET fait apparaître sur la porte d’un placard un poster de Charles CHAPLIN, la star du muet et juste derrière, un poster de James DEAN, le symbole de la jeunesse rebelle des années 50 (identification renforcée a postériori par le fait que River Phoenix comme James Dean est mort très jeune). D’autre part se pose la question de la transmission. Ironiquement (là encore), le seul véritable héritage que reçoit Danny est celui de sa mère Annie (car du côté du père, derrière une idéologie révolue il n’y a qu’un trou béant). En effet Sidney LUMET montre qu’il est impossible de faire table rase du passé. Celle-ci a eu beau couper tout contact avec ses parents, elle a emporté avec elle un clavier de piano, symbole de ses talents musicaux et elle l’a transmis à Danny qui s’avère être un musicien surdoué. Il n’est pas surprenant qu’elle finisse par éprouver le besoin de renouer les liens avec son père pour lui confier l’avenir de son fils lors de l’une des scènes les plus fortes du film. Cette évolution d’Annie était déjà perceptible lors des retrouvailles avec Gus (L.M. Kit CARSON) l’un de ses camarades activistes resté figé dans le radicalisme de sa jeunesse et qui lui reproche de s’être embourgeoisée (parce qu’elle a fondé une famille et qu’elle refuse de le suivre dans un nouveau « coup » dont l’issue tragique ne fait aucun doute). Subtilement, Sidney LUMET renvoie dos à dos les deux systèmes, celui du réseau activiste révolutionnaire et celui de la cellule familiale en ce qu’ils privent les individus de leur libre-arbitre. Alors que les parents se sont engagés très jeunes dans une voie dont ils payent à vie les conséquences, leur fils se sent tellement lié à eux qu’il ne se donne pas l’autorisation de s’engager dans une voie qui lui serait propre. En même temps, le film dépeint le moment clé où celui-ci découvre que son talent peut lui ouvrir une perspective d’avenir distincte de ses parents en étant remarqué par son professeur de musique et en tombant amoureux précisément de sa fille alors que l’attachement en dehors du clan lui est en principe interdit (comme le montre l’abandon du chien dans la séquence d’introduction). Quant à l’accusation « d’embourgeoisement » émise par Gus et par le père de Danny à propos de la vie de famille et de la passion de la musique classique, elle tombe d’elle-même à partir du moment où les « vieux » ont confisqué de façon contre-nature la rébellion qui est le privilège de la jeunesse. La fin tragique de Gus et l’errance sans but de la famille de Danny (« Running on empty » comme le dit le titre en VO, ils tournent à vide) montre que ce choix de vie nihiliste n’en est pas un. Danny ne peut sortir de son aliénation familiale qu’en restant sur place et en prenant racine quelque part. Le tout avec l’aide de sa mère mais aussi de son père qui s’avère moins psychorigide qu’il n’en a l’air. La mort de Gus a souligné que leur existence était une impasse et il aime suffisamment son fils pour lui laisser une chance d’en construire une qui ne le soit pas : « Va changer le monde. Nous avons essayé ».

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Quartier lointain

Publié le par Rosalie210

Sam Gabarski (2010)

Quartier lointain

En 1967, le cinéaste japonais Shôhei IMAMURA réalise " L'Évaporation de l'homme" (1968), un documentaire consacré à un johatsu, c'est à dire un homme qui choisit de disparaître comme 100 mille japonais chaque année (selon l'enquête de Stéphane Remael consacré aux "Evaporés du Japon" parue en 2014). Il y a en effet une spécificité japonaise de la disparition volontaire (tout comme le suicide) liée aux rigidités de la vie sociale à laquelle certains préfèrent se soustraire. Il existe même à Tokyo ou à Osaka des quartiers spécifiques qui accueillent les johatsu et les aident à refaire leur vie, une possibilité liée au fait que le système d'adressage japonais est si compliqué que même les japonais non familiers des lieux s'y perdent (ne parlons même pas d'un occidental pour qui c'est un véritable enfer). Les quartiers-ghettos sont ainsi tout simplement introuvables puisqu'ils sont si repliés sur eux-mêmes qu'on ne les trouve pas sur les cartes.

Ce contexte particulier faisait que la transposition de "Quartier Lointain", le célèbre manga de Jiro Taniguchi dans un contexte franco-français tenait de la gageure. Pour rappel, il s'agit de l'histoire d'un père de famille de 48 ans qui s'évapore en faisant un voyage spatio-temporel. Ce voyage lui permet de revivre un moment clé de son adolescence, celui où son père a lui-même disparu sans laisser de traces… en 1967. Sauf que tout en se retrouvant dans le corps de celui qu'il était à 14 ans, le héros conserve son caractère et son expérience d'adulte. Ce décalage lui permet de voir ses parents avec le regard de quelqu'un à même de les comprendre et d'explorer des détails qui lui avaient échappé pour peut-être sinon pouvoir changer le passé, du moins faire la paix avec lui-même et ne pas reproduire les mêmes erreurs dans son présent d'homme adulte.

"Quartier lointain" comme toute l'œuvre de Jiro Taniguchi multiprimée est un miracle de finesse et de sensibilité. Son style graphique aux cases ordonnées et l'universalité de ses propos lui ont permis de toucher en France un public plus large que celui qui lit habituellement des mangas. Le réalisateur Sam GARBARSKI s'est donc lancé dans une entreprise périlleuse: adapter le manga tout en le francisant. Les critiques ont été divisées à la sortie du film mais selon moi c'est une réussite. Le réalisateur parvient à créer une atmosphère éthérée qui sied particulièrement bien à un voyage qui ressemble à un rêve. Il respecte le cheminement d'origine du héros qui au lieu de rentrer dans le Tokyo/Paris actuel atterrit dans le village de montagne de son enfance (Kurayoshi/Nantua) d'abord de nos jours puis en 1967. Il est particulièrement bien épaulé par la musique planante du groupe "Air" dont est d'ailleurs fan Jiro Taniguchi (qui apparaît brièvement dans le film). L'interprétation globale contribue également à rendre l'atmosphère étrange et irréelle. Alors que certains l'ont trouvé atone, j'ai aimé la mélancolie et la douceur qui se dégagent de la prestation de Pascal GREGGORY (Thomas adulte) et de Léo LEGRAND (Thomas adolescent). Le premier apparaît déconnecté du monde, somnambulique, au bout du rouleau, traînant sa valise comme un poids mort. Le décalage entre l'apparence juvénile et la gravité du second qui semble avoir une connaissance quasi omnisciente de la vie le rendent inquiétant, tel l'extra-terrestre qu'il est en réalité. Et même s'il n'y a pas de phénomène de société autour des disparitions volontaires en France, qui n'a jamais eu envie de prendre un train?

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L'année dernière à Marienbad

Publié le par Rosalie210

Alain Resnais (1961)

L'année dernière à Marienbad


" Des salles silencieuses où les pas de celui qui s’avance sont absorbés par des tapis si beaux, si épais, qu’aucun bruit de pas ne parvient à sa propre oreille. Comme si l’oreille, elle-même, de celui qui s’avance, une fois de plus, le long de ce couloir, à travers ces salons, ces galeries, dans cette construction d’un autre siècle, cet hôtel immense, luxueux, baroque, lugubre où des couloirs interminables se succèdent aux couloirs, silencieux, déserts, surchargés par des corps sombres froids des boiseries, de stucs, des panneaux moulurés, marbres, glaces noires, tableaux aux teintes noires, colonnes, encadrements sculptés des portes, enfilades de portes, de galeries, de couloirs transversaux qui débouchent à leur tour sur des salons déserts, des salons surchargés d’une ornementation d’un autre siècle. Des salles silencieuses où les pas de celui qui s’avance… " Ainsi commence "L'Année dernière à Marienbad" un film aussi beau qu'énigmatique, issu de la fusion entre l'écriture du pape du nouveau roman Alain Robbe-Grillet et de l'un des plus importants représentants de la Nouvelle vague, Alain RESNAIS dont c'est seulement le second long-métrage. Néanmoins le film pourrait tout à fait s'intituler "Toute la mémoire des statues" tant il effectue la synthèse entre deux de ses précédents courts-métrages: "Toute la mémoire du monde" qui filme la bibliothèque nationale de France comme les circonvolutions labyrinthiques d'un cerveau et "Les statues meurent aussi" (1953) fondé sur l'animisme de la statuaire africaine.

Tout n'est en effet que labyrinthe et leitmotiv dans ce film-cerveau confinant à l'abstraction qu'est "L'année dernière à Marienbad". On se perd d'autant plus dans l'architecture et les jardins de l'immense hôtel que les plans vertigineux de perspectives tracées par les miroirs, couloirs, enfilades de portes ou de colonnes, d'allées aux arbres taillés ou de bassins en cascades ne cessent de revenir en boucle tout comme l'écriture qui ressasse sans fin les mêmes mots. Tout cette géométrie déroutante, close et répétitive a pour but d'installer une temporalité très particulière, hors du monde qui pourrait être celle du rêve. Cette dimension onirique est renforcée par des personnages aussi rigides et figés que des statues (leurs silhouettes uniformes dans le jardin font penser à celles de Folon ou de Magritte) et qui lorsqu'ils s'animent, répètent mécaniquement tels des robots les mêmes gestes ou les mêmes phrases souvent copiés sur ceux de leurs voisins. Cette facticité du comportement va de pair avec l'environnement en trompe l'oeil donnant à l'ensemble un caractère déshumanisé.

Deux personnages se détachent cependant de ce cadre fantomatique. Un homme, X (Giorgio ALBERTAZZI) et une femme, A (Delphine SEYRIG). Ils ne cessent de se perdre et de se retrouver dans le labyrinthe spatio-temporel construit par le film qui est aussi celui de leur mémoire (thème fondamental de la filmographie de Alain RESNAIS). L'homme cherche à persuader la femme qu'ils se sont déjà rencontrés "l'année dernière" à plusieurs endroits possibles. Mais elle lui résiste et dit ne pas se souvenir. Pour appuyer ses dires, il égrène des souvenirs très précis et même une photographie comme autant de pièces à conviction ou de morceaux d'un immense puzzle que le spectateur serait invité à reconstituer. Le nombre important de photographies conservées par la femme et le caractère répétitif des souvenirs laisse entendre en effet que cette entreprise s'est déjà produite plusieurs fois, qu'il y a eu plusieurs "années dernières" dans "plusieurs endroits" et qu'elles ont toutes échoué. Ce jeu de pistes laisse au spectateur la possibilité de forger plusieurs interprétations de cette histoire. L'homme qui contrairement aux pantins de cire qui peuplent le château est doté d'une conscience, d'une mémoire et d'une imagination peut vouloir échapper à la prison mentale de l'hôtel par le sentiment amoureux. Ce qui implique de fabriquer une femme à son image en l'humanisant. Statue parmi d'autres au début du film (sa posture le suggère fortement), la femme est de plus en plus vivante au fur et à mesure qu'elle se laisse toucher par le récit de l'homme au point que le film finit par épouser son point de vue à elle (c'est donc qu'elle est un être suffisamment autonome pour en avoir un). L'allusion finale au conte de Cendrillon (la chaussure, les 12 coups de minuit) laisse entendre que le temps leur est compté. Mais à l'inverse, on peut aussi voir cet homme comme un prédateur et la femme comme une proie. Les flashs mentaux récurrents peuvent être vus comme un traumatisme. En effet l'intrusion mainte fois répétées de l'homme dans sa chambre et ses réactions d'horreur font penser à un viol de même que la contamination de ses pensées en elle. Comme le nouveau roman et le cinéma de Alain RESNAIS sont très formalistes, on peut ajouter encore une autre sens à cette histoire, celle d'un personnage qui se rebelle contre le metteur en scène pour s'autonomiser, prendre le contrôle du film (les images contradictoires seraient alors l'expression d'une lutte de pouvoir) et s'en échapper à la fin.

Un film aussi abstrait, cérébral et froid en apparence ne fait pas penser a priori à du Alfred HITCHCOCK, pourtant son image apparaît brièvement à la dixième minute du film. C'est que Alfred HITCHCOCK qui est admiré par la Nouvelle vague dissimule son formalisme derrière des histoires divertissantes. Plusieurs de ses films ont pour point de départ des figures géométriques abstraites qui deviennent ensuite figuratives: la spirale de "Vertigo" (1958), les lignes de "La Mort aux trousses" (1959) ou de "Psychose" (1960). On peut ajouter que l'histoire de "La Mort aux trousses" (1959) ressemble à celle de Marienbad avec l'histoire d'un homme que l'on confond avec un fantôme et qui s'extrait d'un monde de simulacres en tombant amoureux.

Enfin "Shining" (1980) réalisé vingt ans après "L'année dernière à Marienbad" partage des caractéristiques avec lui, notamment l'hôtel-labyrinthe hors du temps et les flashs mentaux.

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