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Articles avec #drame tag

Les Désaxés (The Misfits)

Publié le par Rosalie210

John Huston (1961)

Les Désaxés (The Misfits)

Grand film sur le crépuscule des idoles et des mythes fondateurs de l'Amérique, le film de John Huston constate la mort de l'âge d'or hollywoodien et du cinéma qu'il incarne. C'est pourquoi les fêlures des personnages principaux se confondent avec les acteurs qui les interprètent dans une mise en abyme saisissante. Clark Gable, qui fut le roi des séducteurs à l'écran dans les années 30 a perdu de sa superbe en vieillissant, à l'image du cow-boy désabusé et alcoolique qu'il interprète. Déjà malade au moment du tournage (on voit nettement ses mains trembler sur certaines images), il jette ses dernières forces dans le tournage du film en exigeant de réaliser lui-même ses cascades. De même, son personnage revit brièvement et intensément au contact de Roslyn, le personnage interprété par Marylin Monroe. Un personnage paradoxal, à l'image de l'actrice qui à 35 ans était déjà au bout du rouleau, usée par les médicaments et l'alcool. Roslyn est Marilyn, Huston ne laisse aucun doute à ce sujet par le truchement de célèbres photos de l'actrice qui apparaissent collées à l'intérieur d'un placard. Celle-ci, présente dans presque tous les plans, reste à l'écran cette déesse d'une beauté magnétique, incandescente, lumineuse et angélique. Elle met tant d'intensité dans ses gestes et ses paroles qu'elle irradie de son énergie vitale les hommes brisés qu'elle croise sur son chemin et qui la croient douées pour la vie. Seul Gay (Gable) voit l'envers de la médaille en lui disant qu'elle est la personne la plus triste qu'il connaisse. On la sent terriblement fragile, au bord du gouffre, prête à craquer à chaque instant. Enfin Montgomery Clift qui fut l'un des acteurs les plus prisés à la fin des années 40 et au début des années 50 est lui aussi en proie de multiples dépendances qui ont ruiné sa santé. L'accident de voiture qui a ravagé son visage a achevé de faire de lui un fantôme. Il joue le rôle de Perce, un cow-boy au comportement masochiste, voire suicidaire. Comment ne pas s'émouvoir quand Roslyn le supplie d'arrêter de se blesser?

De tels éclopés donnent vie à un film qui se situe à la frontière du western crépusculaire et du road movie. Les codes du western sont subvertis par la déchéance des héros dont l'identité et les repères sont mis à mal par le changement de société qui n'est plus celle des pionniers mais celle de l'American way of life. Tels les mustangs du film, il s'agit de perdants magnifiques condamnés à brève échéance. Aucun n'arrive à trouver sa place dans le nouveau monde, aucun n'a de foyer. Roslyn divorce au début du film, Gay est seul et n'arrive pas à renouer le contact avec ses deux enfants, Perce est orphelin de père et sa mère remariée ne lui laisse aucune place. Tous sont perdus et errent dans le désert. Gay et Roslyn essayent de fonder un foyer dans la maison inachevée de Guido (Eli Wallach) pour qui le temps s'est arrêté avec la guerre et la mort de sa femme. Mais peut-on faire pousser la vie dans un lieu aussi lourdement mortifère au milieu du désert? La chasse aux mustangs, magnifique, hatelante et terrible séquence de 30 minutes magnifiée par la photographie de Russell Metty et la mise en scène de John Huston apporte la réponse.

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Le Samouraï

Publié le par Rosalie210

Jean-Pierre Melville (1967)

Le Samouraï

Le "Samouraï", l'un des plus grands films de Melville et Delon est un pont jeté entre une ascendance américaine (celle des films noirs) et une descendance asiatique. On ne compte plus les cinéastes japonais, chinois ou coréens qui s'en sont inspirés, Alain Delon faisant même l'objet d'un culte à Hong-Kong. Parallèlement, le film a également eu un impact sur des cinéastes occidentaux comme Jim Jarmush ("Ghost Dog, la voie du Samouraï"), Nicolas Winding Refn (dont le personnage de "Drive" découle du "Samouraï"), Michael Mann ("Heat") ou Quentin Tarantino ("Reservoir Dogs").

"Le Samouraï" est effectivement un film fascinant, de sa première à sa dernière image. Il n'est pas seulement asiatique par son titre et son exergue (soi-disant tirée du Bushido). Melville a le sens de l'épure, filme le silence avec talent et met en avant un personnage hiératique qui s'efface derrière sa mission en vertu d'un code d'honneur (exactement comme Ishiguro dans son roman "Les Vestiges du jour" avec le personnage du majordorme Stevens adapté au cinéma par Ivory). Le générique de début est une leçon de mise en scène à lui tout seul de par son dépouillement. Le décor est minimaliste, la musique est absente, remplacée par les pépiements du bouvreuil et les bruits extérieurs. Tout concourt à nous introduire dans un monde ou le maître mot est l'économie. La parole se caractérise par sa rareté, le geste par sa précision et sa répétition. A la manière d'un rituel, Jef (Alain Delon) enfile sa panoplie de tueur à gages (trench coat, chapeau, gants blancs) comme s'il revêtait une seconde peau. Il en va de même pour les lieux, strictement circonscrits (l'appartement de Jef, le garage, le métro, le commissariat, le club de jazz, l'appartement et l'immeuble de Jane jouée par Nathalie Delon alors l'épouse d'Alain). Jef les arpente encore et encore à la manière d'un géomètre du crime. Alain Delon interprète avec beaucoup de talent (et de charisme) ce personnage de loup solitaire froid comme le serpent dont le masque d'impassibilité ne se fend qu'avec le personnage de la pianiste (jouée par Cathy Rosier). C'est lors de leurs échanges de regards (particulièrement à la fin du film) que l'on réalise tout ce que le personnage de Jef Costello a de tragique. Au sens premier du terme puisque le club de jazz où a lieu le dénouement possède une scénographie proche du théâtre.

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Oliver Twist

Publié le par Rosalie210

Frank Lloyd (1922)

Oliver Twist

Les œuvres de Charles Dickens ont été adaptées dès les débuts du cinéma. Ainsi le tout premier film en rapport avec "Oliver Twist" date de 1897. Il s'agit d'un court-métrage mettant en scène sous forme de sketch la mort de Nancy Sikes. Suivront un deuxième court-métrage en 1909 puis deux longs-métrages en 1912 et 1920 perdus en totalité ou en partie. Le film de Frank Lloyd de 1922 a lui même été considéré comme perdu jusqu'à ce qu'on en retrouve une copie sans intertitres et légèrement incomplète dans les années 70. Par conséquent David Lean ne pouvait pas s'en inspirer alors que la version de Polanski comporte plusieurs passages quasiment identiques au film de Lloyd (Oliver défaisant les cordages de navire, enlevant les marques des mouchoirs, contemplant la borne kilométrique indiquant la distance à parcourir jusqu'à Londres, la première apparition de Nancy et de Beth...)

La version de Frank Lloyd (qui avait déjà adapté un livre de Dickens en 1918, "Un conte de deux villes") est sans doute la plus fidèle de toutes au roman d'origine mais elle en diffère quand même sur un point: elle est moins sombre. Oliver n'est pas fouetté par M. Sowerberry et les facéties du petit Jackie Coogan (la star du "Kid" de Chaplin, tourné un an auparavant) désamorcent la violence de plusieurs scènes. D'autre part contrairement à la version de Lean et de Polanski, il n'est pas frappé par un passant lorsqu'il s'enfuit après le vol dont est victime M. Brownlow et il n'est pas utilisé comme bouclier humain par Sikes lorsqu'il s'enfuit sur les toits. Conformément au roman, il est recueilli et soigné après sa blessure au bras par les deux femmes qu'il avait tenté malgré lui de cambrioler (absentes aussi bien chez Lean qui escamote cet épisode que chez Polanski qui les remplace par un cambriolage chez M. Brownlow). Par conséquent il n'est pas arraché aux griffes de ses bourreaux à la dernière minute mais un bon quart d'heure avant la fin du film ce qui en déplace l'enjeu. Celui-ci devient une enquête sur les origines d'Oliver.

Outre sa fidélité au roman, le film se distingue par l'excellence de son interprétation. Outre Jackie Coogan qui compose dans la lignée du Kid un Oliver plus facétieux que pathétique, le film comporte une autre star de l'époque dans le rôle de Fagin, Lon Chaney. Ses caractéristiques sont proches des illustrations du livre de Dickens signées Cruikshank mais en 1922 les caricatures de receleurs juifs ne choquent personne alors qu'en 1948 le nez crochu d'Alec Guiness provoquera la polémique. Lon Chaney compose un Fagin fourbe à souhait mais son rôle est réduit, il est manifeste que des passages le concernant ont disparu, surtout à la fin. Les acteurs qui jouent Sikes et Nancy (Georges Siegmann et Gladys Brockwell) sont également remarquables de nuances. Le premier n'est pas qu'une brute épaisse, il est hanté par son crime et étreint par la peur et le remord. La seconde est à la fois pleine de vivacité et de mélancolie.

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Oliver Twist

Publié le par Rosalie210

Roman Polanski (2005)

Oliver Twist

"Oliver Twist" est une sorte de suite officieuse du "Pianiste". Les points communs entre les deux films (qui se suivent dans la filmographie de Polanski) sont nombreux: adaptation d'une oeuvre littéraire, reconstitution historique, personnage de victime passive, ballottée par les événements et sauvée par un don naturel dans lequel Polanski a mis beaucoup de lui-même. Comme Oliver, Polanski est un ancien enfant rescapé de l'horreur. Et comme Szpilmann, son talent artistique l'a sauvé. S'y ajoute également une crudité dans la violence qui était absente du film de David Lean, plus onirique (même si Polanski choisit lui aussi de ne pas montrer le meurtre de Nancy). Enfin, le sauvetage s'accompagne d'un sentiment de perte et de la mélancolie qui l'accompagne. Dans le "Pianiste", Szpilmann se retrouve orphelin et ne peut remercier son bienfaiteur qui meurt prisonnier des russes. Dans "Oliver Twist" il n'y a pas le happy-end qu'il y avait chez Lean car le bonheur d'Oliver chez M. Brownlow est terni par l'exécution de Fagin qu'il considère également comme son bienfaiteur. Les liens d'affection avec ce dernier sont beaucoup plus mis en valeur que chez David Lean ce qui explique cette fin douce-amère. L'ambiguïté de la relation entre le bourreau et sa victime caractéristique du cinéma de Polanski se retrouve donc même dans un film dit "pour enfants". On peut d'ailleurs souligner que Polanski a enlevé tout ce qui a trait à la famille biologique d'Oliver. Sa mère n'apparaît pas de même que son demi-frère Monks. Ce déracinement est pour beaucoup dans l'impression que le destin d'Oliver se joue sur du hasard et de la chance bien plus que sur une quête des origines.

L'adaptation de Polanski est donc beaucoup plus personnelle qu'on ne l'a dit. Il a créé un Oliver qui lui ressemble. Le "Pianiste" avait été taxé à sa sortie d'académique avant que la Palme d'or et le succès du film n'en révèlent l'originalité. Même si "Oliver Twist" est moins réussi que le "Pianiste". D'abord parce que c'est la énième adaptation du chef-d'oeuvre de Dickens et qu'il y a quand même un air de déjà-vu. Ensuite la reconstitution trop léchée tue un peu l'émotion. A moins que ce ne soit le jeu de Barney Clark (Oliver) que je ne trouve pas très convaincant. Néanmoins il s'inscrit parfaitement dans l'oeuvre de Polanski et à ce titre il vaut le détour.

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Ascenseur pour l'échafaud

Publié le par Rosalie210

Louis Malle (1958)

Ascenseur pour l'échafaud

Bien avant de voir "Ascenseur pour l'échafaud", je l'ai entendu. Le cinéma art et essai dans lequel j'ai découvert la plupart des classiques diffusait en effet systématiquement l'air de Miles Davis dans les salles avant chaque projection. Quelle envoûtante entrée en matière qui confirme tout ce que le film doit à sa BO.

Ce qui est fascinant dans le premier long-métrage de fiction de Louis Malle, ce sont toutes les influences qui l'animent et qui en font un film carrefour entre la France et les USA, la tradition et la modernité.

L'influence du film noir américain est très forte, notamment le rôle de la fatalité, la tension permanente, le suspense permettant de dresser un portrait psychologique des personnages. On retrouve également les thèmes du thriller hitchcockien; crime (presque) parfait, blonde fatale et faux coupable. L'influence du cinéma classique français est également présente avec un scénario bien ficelé et des seconds rôles bien marqués comme le pilier de bar joué par Félix Marten ou le commissaire joué par un débutant plein d'avenir, Lino Ventura.

D'autre part le film oscille entre un cinéma de genre conventionnel (le polar adultère) et enfermé en studio (comme l'assassin dans son ascenseur-cercueil) et une liberté de mouvement qui annonce la nouvelle vague, surtout celle du cinéma indépendant US. Jeanne Moreau, magnétique, filmée caméra à l'épaule erre dans la nuit en décors réels sur une mélodie jazzy plaintive et mélancolique improvisée exactement comme les héros des films de Cassavetes. Un passage inoubliable qui a suffi à faire entrer le film dans la légende! La photographie, très belle est signée d'un opérateur emblématique de la nouvelle vague Henri Decaë. Et la cavale de Georges Poujouly et Yori Bertin annonce, certes en mode beaucoup plus mineur celle de Poiccard-Patricia dans "A Bout de Souffle".

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Oliver Twist

Publié le par Rosalie210

David Lean (1948)

Oliver Twist

"Oliver Twist" est le roman le plus connu de Charles Dickens et l'un des plus adaptés que ce soit pour le théâtre, le cinéma ou la télévision. Après "Les Grandes Espérances" en 1946, "Oliver Twist" est le deuxième film de David Lean inspiré par cet auteur. Ce n'est cependant pas la première version cinématographique du roman puisqu'un film muet du début des années 20 a été retrouvé dans les années 70 avec Lon Chaney (dans le rôle de Fagin) et Jackie Coogan (dans le rôle d'Oliver). Les versions antérieures ont été perdues partiellement ou totalement.

La version de David Lean est l'une des plus fidèles au roman dont elle restitue la critique sociale et la puissance romanesque. Elle conserve aussi l'aspect mélodramatique et les invraisemblances des rebondissements propres aux conventions du roman-feuilleton. S'y ajoute l'excellence de l'interprétation et une mise en scène inspirée, proche par moments de l'expressionnisme allemand. La séquence d'ouverture, très forte, fait penser à "Faust" de Murnau. On y voit une jeune femme sur le point d'accoucher, hors mariage et donc sans abri, luttant contre les éléments déchaînés symbolisant sa propre douleur. La photographie donne une allure inquiétante aux branches nues des arbres, aux nuages noirs qui s'amoncellent et au souffle du vent sur l'eau. Et lorsqu'elle entre à l'hospice, la mise en scène suggère qu'elle enferme son enfant dans un tombeau. La privation d'air et de lumière à laquelle est soumise Oliver est sans cesse rappelée, suggérant son interminable descente dans les enfers des bas-fonds. A l'hospice, il travaille et vit dans des espaces souterrains. Chez le croque-mort, il dort parmi les cercueils et mange au sous-sol. Chez Fagin, il vit dans un taudis aux fenêtres closes. Les décors (par exemple les toiles peintes représentant la ville en perspective, les escaliers qui se chevauchent, les coins de rue en arêtes vives) sont hérités également du muet. On pense par exemple à "L'heure suprême" de Frank Borzage avec le pont suspendu au dernier étage d'un immeuble parisien offrant une vue onirique sur la cité endormie.

Mais par contraste avec ces ténèbres qui l'entourent, la lumière est également soulignée. Celle qui émane d'Oliver, petit garçon pâle et frêle qui conserve son innocence en dépit de toutes les horreurs qu'on lui fait subir et en dépit des tentatives de corruption dont il est l'objet. Celle des gens qui le reconnaissent comme tel et tentent de le protéger, jouant le rôle des parents qu'il a perdu. M. Brownlow dont la demeure évoque le paradis perdu puis retrouvé et Nancy qui en se sacrifiant apparaît comme une mère de substitution. Ce symbolisme a d'ailleurs fait l'objet d'une polémique à la sortie du film, taxé d'antisémite. Oliver est un petit ange blond qui fait très aryen alors que Fagin (joué par un Alec Guiness méconnaissable sous le maquillage) possède tous les traits de la caricature antisémite très vivace dans les années 30 et 40: énorme nez crochu, barbe et cheveux longs, dos voûté, air fourbe, avarice... Lean s'est défendu en disant que jamais le mot juif n'est prononcé dans le film. Mais en fait, l'antisémitisme est logé dans l'œuvre originale. Lean s'est inspiré des descriptions de Dickens et des illustrations de Cruikshank les accompagnant. Comme le souligne Laurent Bury (professeur de littérature anglaise à Lyon 2) dans les bonus du DVD, les auteurs britanniques du XIX° étaient presque tous antisémites, cette caricature était donc largement répandue.

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My Own Private Idaho

Publié le par Rosalie210

Gus Van Sant (1991)

My Own Private Idaho

Adaptation contemporaine du "Henry IV" de Shakespeare, relecture du "Falstaff" de Welles à la sauce beatnik, description documentaire du quotidien de deux prostitués, western moderne et road movie nihiliste, roman-photo kitsch (la scène des couvertures de magazines pornos et les tableaux vivants dépeignant les scènes de sexe) et teen movie, "My Own Private Idaho" est un peu tout cela à la fois. C'est aussi comme le titre l'indique un film très personnel. Gus Van Sant se dépeint à la fois à travers le personnage de Mike le blond (remarquablement joué par le regretté River Phoenix) et de Scott le brun (Keanu Reeves, parfait pour le rôle également). Un pied bohème dans le cinéma expérimental le plus radical ("Gerry"), l'autre ambitieux dans le cinéma mainstream hollywoodien ("Will Hunting").

Mike est un jeune vagabond d'une sensibilité fêlée qui gagne sa vie en se prostituant. La ressemblance de River Phoenix avec James Dean saute aux yeux d'autant qu'ils sont morts tous deux très jeunes après seulement quelques films. Le personnage de Mike est non seulement un rebel without a cause mais il est aussi without a home. Ses racines sont inexistantes comme le symbolise la maison projetée sur la route, une image empruntée au "magicien d'Oz". Mike n'a pas de père et sa mère qu'il ne cesse de convoquer dans ses souvenirs est insaisissable. Sa quête des origines est donc vouée à l'échec tout comme sa tentative de trouver sa place quelque part. Il ne parvient pas à exister et est condamné à errer sans fin, prisonnier du bas-côté de la route et de sa sous-culture marginale ("walk on the wild side") sans espoir et sans perspective d'en sortir. Sa seule évasion, ce sont ses crises de narcolepsie qui le déconnectent régulièrement du monde réel. Sa passivité et sa marginalité font de lui un anti-héros qui subvertit les codes virilistes à l'œuvre dans le cinéma traditionnel (comme le western).

Scott, personnage shakespearien (un domaine de prédilection de Keanu Reeves qui enchaînera avec Don John dans "Beaucoup de bruit pour rien") représente quant à lui le fils de bonne famille en rupture avec son père et tout ce qu'il représente: le patriarcat, les relations hiérarchiques, le pouvoir, la richesse, l'hétérosexualité. Il s'est choisi un nouveau père (qui est aussi un initiateur y compris sexuel), Bob (William Richert), un néo-Falstaff qui entretient une petite cour des miracles dans un vieux théâtre désaffecté. Mike gravite également dans ce monde parallèle et utopique. Mais contrairement à Mike, condamné à végéter dans une adolescence éternelle, Scott est en transition vers l'âge adulte. Ce qui pour lui, signifie endosser le costume de son père et renier ses anciennes amours.

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Les Grandes Espérances (Great Expectations)

Publié le par Rosalie210

David Lean (1946)

Les Grandes Espérances (Great Expectations)

La meilleure adaptation du roman de Charles Dickens, à la lisière de l'étrange et du fantastique. Il y a le cimetière fantomatique et ses bagnards évadés aux mines patibulaires et puis bien entendu le manoir délabré et poussiéreux où vit recluse Mrs Havisham (Martita Hunt). Depuis qu'elle a été abandonnée le jour de ses noces, elle a arrêté le temps, laissant tout pourrir sur pied. Ceux qui connaissent l'attraction "Phantom Manor" à Disneyland Paris ont une idée précise de l'ambiance lugubre de ce lieu. La légende de la fille Ravenswood qui sert de base à l'attraction est en effet tout droit sortie du roman de Dickens ("Panthom Manor" est également matîné d'influences française et américaine: "Le fantôme de l'opéra" et la maison de "Psychose" ont également été des sources d'inspiration).

Mais Mrs Havisham ne se contente pas de gâcher sa vie dans une existence mortifère, elle veut perpétuer son malheur. Elle élève une petite fille, Estella pour en faire un instrument de vengeance. Afin de lui aiguiser l'appétit, elle lui donne Pip, le fils du forgeron comme compagnon de jeu et souffre-douleur. Lean a révélé dans ce film le talent de la jeune Jean Simmons qui joue Estella adolescente ainsi que celui d'Alec Guiness qui joue Herbert Pocket, l'ami de Pip. En revanche, il a été moins inspiré pour le choix de Pip adulte. John Mills paraît beaucoup trop vieux pour le rôle (il a 38 ans et est censé en paraître 21!) même s'il est talentueux. Quant à Estella adulte (Valérie Hobson), elle manque un peu de caractère comparé à Jean Simmons.

"De grandes espérances" est un récit initiatique dans lequel Pip doit apprendre le discernement (le brouillard est très présent dans le film). Alors que Mrs Havisham ne lui veut que du mal, il se méprend sur ses intentions et croit qu'elle est sa bienfaitrice. Et plus Estella le maltraite, le manipule et le rejette, plus il s'éprend d'elle, ne cherchant jamais à lui résister. Il faut dire que la femme qui l'a élevé est un véritable dragon. A l'inverse il est terrifié par Abel Magwitch le bagnard (Finlay Currie) qu'il prend pour un croquemitaine alors qu'il cache un grand coeur et une profonde blessure. Il n'est pas plus tendre envers son père adoptif, le forgeron Joe (Bernard Miles), timide et maladroit mais profondément bon. Pourtant ce sont ces deux hommes situés dans les tréfonds de l'échelle sociale qui lui permettront de s'en sortir alors que l'aristocrate hautaine est condamnée à brûler en enfer. La vision de la "justice" britannique est d'ailleurs très critique, s'abattant impitoyablement sur les malheureux pour les broyer.
 

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The Walk-Rêver plus haut

Publié le par Rosalie210

Robert Zemeckis (2015)

The Walk-Rêver plus haut

"Personne ne peut les saquer. On dirait deux armoires de classement." Voilà ce que les new-yorkais pensaient des tours jumelles du World Trade Center lorsqu'elles furent érigées au début des années 70. C'était l'époque où les pays de la Triade avaient besoin d'affirmer leur puissance en construisant toujours plus haut, sans se soucier d'esthétique ni d'intégration à l'environnement urbain. La tour Montparnasse à Paris est là pour nous le rappeler.

Mais contrairement à la tour Pompidou, celles du WTC ont reçu un magnifique cadeau: le baptême du magicien funambuliste Philippe Petit. Non seulement il a perçu la beauté qui se cachait derrière la laideur des bâtiments mais il a eu la générosité de faire partager sa vision au mépris de la loi et au risque de sa vie. Et Zemeckis a su en bon historien nous reconstituer cet épisode avec maestria et ainsi l'immortaliser.

"Seul un insatisfait tordu, antisocial, anarchiste et enragé entreprendrait une chose pareille." Comme tous les héros de Zemeckis, Philippe (joué par Joseph Gordon-Levitt) est un rêveur, un marginal, un solitaire, un subversif, un grand enfant qui joue aux gendarmes et aux voleurs. C'est aussi un passionné qui éprouve le besoin de se mettre en danger en se lançant des défis dangereux et illégaux. Cette forme d'art vivant et le total engagement qu'il requiert lui attirent l'admiration et le soutien d'un petit groupe de jeunes gens qui l'assistent ainsi que d'un père de substitution, le forain Papa Rudy (Ben Kingsley) qui lui enseigne tous ses secrets.

Si les séquences qui précèdent l'acte de Petit, ludiques et enlevées, relèvent du film de casse à la sauce frenchy, celle de la traversée sur le fil relève du plus pur poème visuel, entre vertige et contemplation (même sans 3D). "Tu leur a donné vie, tu leur a donné une âme, ils adorent ces tours maintenant". Zemeckis suggère de belle manière que ce sont les européens qui ont créé l'Amérique. D'ailleurs quand Petit n'est pas en train de traverser l'espace entre les tours, il est juché au sommet de la statue de la liberté, une oeuvre offerte par les français aux new-yorkais!

L'aura des tours du WTC devenues l'un des symboles de l'Amérique explique le choc planétaire de leur destruction le 11 septembre 2001 qui a fait oublier les deux autres attentats ayant eu lieu le même jour. Zemeckis ne pouvait oublier ce fait d'autant que Petit qui avait baptisé les tours a recueilli également une petite partie de leurs cendres.

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Contact

Publié le par Rosalie210

Robert Zemeckis (1997)

Contact

"Contact" est un chef d'oeuvre de la hard science-fiction. Comme "2001, l'Odyssée de l'espace" de Kubrick et "Interstellar" de Nolan, autres must du genre, il s'appuie sur des bases scientifiques solides. Il s'agit de l'adaptation du roman éponyme de l'astronome américain Carl Sagan qui a collaboré à l'élaboration du programme SETI (recherche d'émissions intelligentes avec un réseau de radio-télescopes) dont il est question dans le film.

Mais livre et film se distinguent des autres œuvres du genre par le fait de reposer entièrement sur les épaules d'une héroïne dont l'histoire personnelle se confond avec son obsession: capter un message venu du fin fond de l'espace. Brillante astrophysicienne, Ellie Arroway (Jodie Foster) est aussi une femme seule au monde. Pas seulement parce qu'elle est orpheline (elle a perdu sa mère à la naissance et son père à l'âge de 9 ans), mais aussi parce qu'elle est une femme dans un monde d'hommes et une idéaliste se débattant au sein d'un milieu corrompu par l'argent et le pouvoir. Son supérieur, Dave Drumlin (Tom Skerritt) machiste bouffi, "conseiller de deux présidents" et "membre honoraire à vie de l'académie nationale des sciences" incarne l'un et l'autre et n'a de cesse que de lui couper l'herbe sous le pied ou de s'accaparer ses découvertes. C'est lui que l'on voit dans les médias, lui qui apparaît au côté du président, lui qui est désigné pour effectuer le voyage vers Vega.

Mais Ellie a "dieu" (John Hurt, milliardaire excentrique et omniscient qui vit dans l'espace) avec elle. La confrontation entre la religion et la science est l'autre grand thème du film. Les découvertes d'Ellie suscitent l'hostilité des créationnistes qui tentent de saboter la mission. Elle-même en est écartée parce qu'elle n'a pas la foi, or selon le comité chargé de la sélection de l'astronaute chargé d'aller sur Vega, l'élu doit être croyant pour représenter 95% de l'humanité (j'ai du mal à croire qu'il n'y ait que 5% d'athées dans le monde mais bon...) Enfin son histoire d'amour compliquée et contrariée avec le fervent chrétien Palmer Joss (Matthew McCONAUGHEY) symbolise ce qui sépare foi et science mais aussi ce qui les réunit: la recherche d'un sens à l'existence.

Ellie Arroway est une héroïne profondément zemeckienne: indépendante, passionnée, intègre, perfectionniste, obstinée. Comme Doc dans la saga "Retour vers le futur", c'est une scientifique géniale mais en marge du système. Elle est le prolongement à l'ère contemporaine de Clara Clayton dans "Retour vers le futur III": le père de la hard science-fiction n'est autre que Jules Verne, figure tutélaire de Doc et de Clara.

Mais "Contact" n'est pas seulement passionnant sur le fond, il l'est aussi dans sa forme. Zemeckis multiplie des morceaux de bravoure technique qui ont fait date. L'introduction de 3 minutes, magistral travelling arrière partant de la terre jusqu'aux confins de l'univers est accompagné d'une bande-son qui suggère la remontée du temps: les années 90,80,70,60,50,40 et enfin 30 ou plus exactement 36, date de la première retransmission d'un événement (les Jeux Olympiques de Berlin) dans l'espace et qui 60 ans après a été capté sur Vega. On ne peut mieux suggérer la distorsion de l'espace-temps qui est centrale dans tout film sur les voyages spatiaux. Zemeckis nous fait également le coup des images d'archives falsifiées comme dans "Forrest Gump", la Warner a d'ailleurs reçu par la suite un avertissement de la Maison Blanche pour avoir utilisé sans autorisation des images de Bill Clinton, insérées de manière bluffante dans le film. Depuis 20 ans, les cinéphiles sont fascinés par l'incroyable trucage du plan séquence du miroir où Ellie enfant (Jena Malone) découvre son père décédé au bas des escaliers. Lorsqu'elle repart au premier étage chercher son médicament, la caméra "traverse" le miroir de la salle de bain et tout est vu en reflet inversé. Enfin lorsque Ellie découvre Vega, son ravissement est si total et si profond que Zemeckis utilise la technique du morphing pour nous montrer brièvement le visage de l'enfant qu'elle était se superposer à son visage adulte

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