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Articles avec #drame tag

L'Amour à mort

Publié le par Rosalie210

Alain Resnais (1984)

L'Amour à mort

Il peut être dur d'entrer dans un film aussi austère et formaliste, janséniste diront certains, bergmanien diront d'autres plus justement car il est baigné de culture protestante. Mais quand on y arrive, on est largement récompensé tant derrière son apparente aridité, ce film est riche et puissant.

Dans une scène du film, Simon (Pierre ARDITI) qui parie avec Elisabeth (Sabine AZÉMA) à pile ou face lance une pièce de monnaie mais celle-ci reste suspendue dans les airs en tournoyant sur elle-même comme si le temps s'était arrêté. C'est une métaphore du film lui-même. Parce qu'il fonctionne de façon binaire et suspend le vol du temps. Au niveau du symbolisme des couleurs, le rouge de la passion et le noir funèbre dominent largement les débats. Mais surtout le film est construit sur une alternance de piles (des instants de "vie") et de faces (des plages musicales composées par Hans Werner HENZE sur fond d'écrans noirs parfois striés de blanc par les flocons de neige qui tombent) un peu comme les touches noires et blanches d'un piano. En dépit du montage particulièrement tranchant, il n'y a pas de rupture entre la vie et la mort mais un continuum, la musique étant conçue pour commencer à l'endroit exact où se termine la voix de l'acteur (tout comme le titre "L'Amour à mort" fonctionne comme un tout indissociable).

L'amour dont il est question dans le titre est en effet indissociable de la mort. Il s'agit de l'histoire d'une passion fusionnelle, cette forme d'idéal romantique mortifère à propos duquel Garance- ARLETTY dans "Les Enfants du Paradis" (1943) disait "c'est dans les livres qu'on aime comme ça, et dans les rêves, mais pas dans la vie !" Et pour cause puisque ce désir d'union absolue ne peut s'atteindre que dans la mort (dont la variante brève, la "petite mort" est montrée plusieurs fois)… ou par la sublimation de l'art qui arrache des fragments d'éternité au flux continuel de la vie. "L'Amour à mort" comporte une évidente dimension réflexive. Il met en scène deux types de relations amoureuses: l'Eros, la forme passionnelle, brève et violente de l'amour incarnée par Simon et Elisabeth et l'Agapé, la forme apaisée de l'amour au long cours incarnée par Judith et Jérôme les pasteurs protestants (Fanny ARDANT et André DUSSOLLIER). Ils permettent d'introduire également une dimension spirituelle où ces deux formes d'amour se retrouvent. Alors que Elisabeth n'a de foi qu'en son amour pour Simon qui la pousse à le rejoindre dans la mort, Judith et Jérôme ont la foi religieuse qui les motivent à répandre l'amour de Dieu autour d'eux dans le monde des vivants sans rien attendre en retour.

Réflexion très riche sur l'amour, la mort, l'art et la foi, "l'Amour à mort" comporte aussi une réflexion sur le temps. Ainsi Judith a connu avec Simon l'amour-passion qui l'a conduite au bord du suicide, une expérience propre à l'adolescence dont elle a fait le deuil pour devenir adulte. Simon lui n'a jamais dépassé le stade de l'adolescence (on pourrait même dire celui de la petite enfance où le désir d'union fusionnelle avec la mère est très fort, Garance dit d'ailleurs à Baptiste qu'il parle comme un enfant juste avant la citation que j'ai rappelée plus haut). C'est pourquoi il a échoué à ressentir l'amour Agapé avec son ex-femme et ses enfants et n'a eu aucun mal à les quitter lorsque lui a été donner l'occasion de replonger dans sa "drogue" avec Elisabeth. Sombre et torturé, Simon ressemble à un mort-vivant (Pierre ARDITI s'est d'ailleurs considérablement amaigri pour coller à la peau du personnage). C'est ainsi qu'il nous est présenté puisqu'il revient littéralement d'entre les morts après une attaque qui l'a fait basculer brièvement de l'autre côté (analogie frappante avec l'art qui a une dimension vampirique). Quant à Elisabeth, elle incarne le côté solaire de cette passion, sa foi l'illuminant de l'intérieur. C'est pourquoi Judith, contrairement à Jérôme qui a moins d'expérience personnelle se refuse à la juger et à condamner son geste. Et ce d'autant plus qu'elle considère le sacrifice de Jésus comme une forme de suicide, sa condamnation par l'Eglise n'étant qu'un moyen de contrôler les corps et les âmes des fidèles.

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L'Anguille (Unagi)

Publié le par Rosalie210

Shohei Imamura (1997)

L'Anguille (Unagi)

Méfiez-vous de l'eau qui dort et du feu qui couve. "L'Anguille" commence comme un "Psychose" (1960) made in Japan. Le héros, Takuro Yamashita (Kôji YAKUSHO) est un homme taciturne en surface mais dévoré de l'intérieur par la jalousie. Laquelle prend la forme d'une mystérieuse lettre écrite par une femme (son imagination?) qui lui souffle à l'oreille que son épouse si attentionnée en apparence pourrait bien s'éclater au lit avec un autre pendant qu'il s'adonne à son activité favorite: la pêche. Afin de vérifier, il retourne chez lui plus tôt que prévu et surprend sa femme avec son amant en pleine action. Une longue scène voyeuriste suivie, on s'en doute de quelques dizaines de coups de couteau bien sanguinolents (âmes sensibles, s'abstenir) assénés sans aucune émotion apparente, comme si Takuro était déconnecté de son corps. Cette acmé de violence se substitue en effet, on le comprend à l'impuissance sexuelle de Takuro, lequel va se livrer illico à la police et passe les huit années suivantes en prison.

Ce préalable établi, Shôhei IMAMURA s'intéresse, en employant un ton tragi-comique et contemplatif très réussi à la manière dont Takuro va tenter de se reconstruire. En tant qu'ancien taulard bénéficiant d'une liberté conditionnelle il est une sorte de paria sous surveillance. C'est donc dans un angle mort de la société japonaise qu'il va s'établir, une friche industrielle dans laquelle il retape un local désaffecté qu'il transforme en salon de coiffure, un métier qu'il a appris en prison. Solitaire et quasi-mutique, Takuro cherche bien plus dans ce lieu l'ascèse que la socialisation (il est d'ailleurs placé sous la responsabilité d'un bonze, cela ne s'invente pas). Néanmoins et presque malgré lui il se constitue un réseau de relations des plus zarbis: outre le bonze et son épouse, un charpentier, un jeune frimeur trimballant sa voiture de sport, un ancien co-détenu devenu éboueur, un étudiant obsédé par les OVNI et enfin Keiko (Misa Shimizu), une jeune femme qu'il a sauvé du suicide et qui est le portrait craché de son ancienne épouse.

Chacun de ces personnages symbolise une facette de lui-même. Le bonze et sa femme représentent son désir de rédemption et d'élévation. Le charpentier incarne son envie de se reconstruire et la voiture du frimeur, son fantasme de puissance sexuelle. L'éboueur incarne ses mauvais penchants et sa culpabilité. Enfin le fou d'OVNI est à l'image du pêcheur d'anguilles. Celle qui frétille dans l'aquarium de Takuro joue le même rôle de porte d'entrée sur l'inconnu que le monolithe de Stanley KUBRICK dans "2001, l odyssée de l espace (1968)". Sauf que cet inconnu n'est pas l'univers mais l'intériorité de Takuro. "Le moi n'est pas maître dans sa propre demeure" disait Freud. L'anguille, sa seule confidente, symbolise son inconscient et ses pulsions enfouies (dont sa sexualité refoulée). Le parcours de cette anguille est à l'image de celui de Takuro. Son espace vital est d'abord réduit à l'extrême, lui permettant juste de survivre. L'anguille obtient ensuite des espaces captifs de plus en plus spacieux avant de recouvrer sa liberté dans les eaux de la rivière.

Est-ce à dire que Takuro est sauvé? Bien que la fin du film soit ouverte, on peut constater une évolution dans sa relation avec Keiko. En dépit du fait qu'il l'a sauvée, il se refuse obstinément à ingérer la nourriture qu'elle lui prépare pour le remercier. Or la nourriture est un substitut de la sexualité. En refusant d'être nourri par elle, il la tient à distance en lui signifiant son refus d'avoir des relations sexuelles avec elle (répétant ainsi la relation avec son ex-femme qui lui préparait de bons petits plats mais lui préférait la/les refiler à d'autres). Cette peur? Empêchement? Impossibilité? est au cœur du problème. Or à la fin du film, dans la bagarre générale entre Takuro, ses amis, l'ex de Keiko et ses sbires, l'aquarium est brisé et l'anguille libérée. Et Takuro accepte le bento (panier-repas) de Keiko comme il a accepté de reconnaître son enfant (qui n'est pourtant pas de lui et pour cause!), répondant enfin à ses besoins les plus profonds.

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Une affaire de famille (Manbiki kazoku)

Publié le par Rosalie210

Hirokazu Kore-Eda (2018)

Une affaire de famille (Manbiki kazoku)

Dans la culture japonaise, le bien et le mal n'existent pas de façon absolue (sans doute parce qu'il n'y a jamais eu de "Dieu le père" pour le leur dicter). Ce qui compte, c'est d'être en accord avec soi-même et de s'accomplir en choisissant son destin quelles qu'en soit les conséquences. Suivre sa voie avec sincérité, même si cela implique de transgresser une bonne demi-douzaine de lois est le fondement ancestral de cette morale que les occidentaux qualifient d'ailleurs et c'est révélateur de leur ethnocentrisme "d'amorale". Un terme lu dans la critique de Télérama sur "Une affaire de famille" mais aussi dans une autre critique à propos d'une autre Palme d'or japonaise, "L Anguille" (1997) de Shôhei IMAMURA. En dépit de l'occidentalisation du Japon tant juridique qu'économique depuis la révolution Meiji et encore plus depuis 1945, l'acculturation de la société est restée superficielle, surtout lorsqu'on interroge ses marges (ce que font les deux films).

La famille est le microcosme le plus pertinent pour étudier cette tension entre la loi (extérieure, désincarnée) et la morale (intérieure et incarnée). Censée incarner le pilier de la société dans le schéma patriarcal occidental selon lequel (Dieu) le père représente la loi, elle est ici joyeusement déconstruite selon les "critères" d'une morale de la voie intérieure. Ainsi la famille dépeinte par Hirokazu KORE-EDA vit en marge des règles économiques et sociales issues de l'Etat de droit et du capitalisme mais en harmonie avec ses propres règles intérieures. Aux yeux de la loi, ce sont des délinquants multirécidivistes et des asociaux mais eux n'en ont cure puisqu'ils sont heureux avec les règles qu'ils se sont inventés. Le vol est permis puisque ce qui se trouve dans les magasins n'appartient encore à personne, à condition que cela n'entraîne pas la faillite du magasin. Et ces rapines sont indispensables pour compléter les salaires des emplois précaires occupés par les parents. Un enfant livré à lui-même et maltraité que l'on recueille et qui choisit de rester n'est pas volé à sa famille biologique, il est sauvé d'un manque d'amour et d'attention. Les enfants qui vont à l'école sont uniquement ceux qui ne peuvent pas s'instruire à la maison. Et ce qui passe pour un recel de cadavre est à la fois une combine pour échapper au prix des obsèques et un moyen de ne pas se séparer. Les liens du sang et les états civils sont superbement ignorés. Les patronymes sont mouvants, les liens exacts entre les personnages sont volontairement embrouillés. Cela ne rend que plus limpides et magnifiques les scènes d'élans du coeur et du corps. Celle où Nobuyo la mère (Sakura ANDÔ) reconnaît sa fille en la petite Juri par la similitude de leurs cicatrices. Celle où elle la serre contre elle en lui expliquant que c'est ce que l'on fait quand on aime. Celle où la chaleur de l'été transfigure la pièce surchargée et exiguë qui les abrite et embrase le désir des parents. Celle enfin où le fils Shôta parvient à dire "papa" à Osamu (Lily FRANKY) qui court à perdre haleine derrière le bus qui l'emporte loin de lui. L'atomisation de cette famille par les agents de la loi a donc quelque chose d'un crime et les dernières images devraient être diffusées dans tous les services sociaux d'aide à l'enfance qui sacralisent les liens du sang et les règlements au lieu d'être à l'écoute de ce que l'enfant vit et ressent.

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Munich

Publié le par Rosalie210

Steven Spielberg (2005)

Munich

Et si le 11 septembre avait commencé par la sanglante prise d’otages aux jeux olympiques de Munich le 5 septembre 1972 ? Choix d’un événement hautement symbolique et mondialement médiatisé, agissements d’une cellule terroriste de l'organisation Septembre noir, grosses failles dans le dispositif de sécurité permettant la facile infiltration du village olympique par le commando et surtout, mise en œuvre par l’Etat agressé (Israël) de la traque et de l’assassinat des commanditaires de la prise d’otages et de leurs complices sur plusieurs années voire décennies. Car c’est cela qui forme l’essentiel de la réflexion de Steven SPIELBERG : l’engrenage infernal de la violence. Renvoyant dos à dos israéliens et palestiniens en entremêlant les noms des athlètes assassinés et ceux du commando et en les faisant dialoguer à leur insu, il s’attache à raconter le parcours meurtrier d’un petit groupe d’agents de l’opération de représailles israélienne « Colère de Dieu » au caractère international affirmé : leur chef, Avner, un sabra israélien (Eric BANA), Steve un ancien soldat australien (Daniel CRAIG), Hans, un antiquaire (Hans ZISCHLER), Robert un fabricant belge de jouets et de bombes (Mathieu KASSOVITZ) et Carl, un irlandais (Ciarán HINDS). A chaque nouveau meurtre, les membres du groupe perdent un peu plus leur intégrité physique, morale et psychologique comme s’il s’agissait d’une autodestruction programmée. Tout d'abord parce qu'ils sont confrontés à des ennemis dont Steven SPIELBERG restitue la dimension humaine et vulnérable. Ensuite parce qu'il montre également l’importance des dommages collatéraux de cette violence aveugle. Ainsi le deuxième meurtre est construit sur un suspens autour de la petite fille de l’homme à abattre qui décroche le téléphone piégé à la place de son père. Le troisième meurtre dévaste un hôtel entier, mutile des innocents et manque tuer Avner lui-même. Ils s’interrogent d’autant plus sur la légitimité de leurs actions que l’Etat pour lequel ils travaillent joue un double jeu. Il interdit la peine de mort tout en commanditant des exécutions à des groupes qu’il ne reconnaît pas officiellement. Avner a ainsi dû démissionner du Mossad et doit prétendre agir pour son seul compte. Il n’est guère étonnant dans ces conditions que celui-ci développe une paranoïa aigue contre ses propres commanditaires et qu’il refuse de leur livrer les noms des mystérieux indicateurs français, Louis et Papa (joués par Mathieu AMALRIC et Michael LONSDALE que l’on retrouvera deux ans plus tard dans « La Question humaine") (2007) qui lui ont permis de localiser les cachettes des hommes à abattre et les moyens de les neutraliser. Ce clan mafieux tout droit sorti du film « Le Parrain (1972) » en dépit de ses ambiguïtés est le seul re(père) d’Avner en raison de son caractère familial souligné par le caractère sacré de la cuisine et du repas pris en commun. Un partage fraternel et réitéré par l'envoi de produits du terroir qu'Avner ne parviendra pas à obtenir d'Ephraim (Geoffrey RUSH) l'agent "non incarné" du Mossad.

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Le Spéculateur en grains (A Corner in Weath)

Publié le par Rosalie210

D.W. Griffith (1909)

Le Spéculateur en grains (A Corner in Weath)

Un court-métrage de D.W. GRIFFITH de 1909 qui prouve si besoin était que la prédation capitaliste et les problèmes qu'elle engendre ne date pas d'aujourd'hui. A l'aide du montage alterné qui est sa signature, D.W. GRIFFITH créé une œuvre typiquement populiste où les élites (les riches capitalistes) sont désignés comme étant les affameurs du peuple. En réalité c'est moins le capitalisme qui est visé que ses dérives sauvages au début du XX° siècle, celles qui reviennent en force avec la globalisation dérégulée aujourd'hui. Le "roi du blé" et sa clique financière s'enrichissent en spéculant sur le prix des grains (sans avoir l'intention de les acheter pour autant) jusqu'à obtention du monopole sur le marché du blé. Par conséquent le prix du pain flambe sous l'effet de cette fausse demande spéculative. Le drame est que les gens du peuple ne peuvent plus en acheter et les paysans qui ne peuvent plus vendre sont par conséquent ruinés. Ils réduisent leur production ce qui entraîne une pénurie enrayant les œuvres de secours populaire. Et lorsque la population tente de se révolter, on lui envoie les forces de l'ordre pour la réprimer. C'est donc l'économie réelle et le système social qui s'effondrent pour le profit d'un tout petit nombre complètement déconnectés d'une réalité qu'ils détruisent. Le fait que le roi du blé finisse englouti dans le silo comme s'il subissait un châtiment divin ne change rien à l'affaire car le problème émane d'un système et non d'un individu.

Cette critique que l'on peut trouver manichéenne mais qui au vu de l'actualité s'avère d'une troublante pertinence se combine avec la beauté des images composées comme des tableaux vivants (une autre caractéristique de D.W. GRIFFITH). Celles de la paysannerie font penser indéniablement aux oeuvres picturales de Millet telles que "le Semeur".

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Pulsions (Dressed to kill)

Publié le par Rosalie210

Brian De Palma (1980)

Pulsions (Dressed to kill)

C'est un film que j'ai découvert par fragments à l'occasion de conférences sur d'autres films qui lui sont intimement lié, "Blow Out" (1981) et "Psychose" (1960). "Blow Out (1981)", le film suivant de Brian De PALMA s'ouvre sur une scène identique à celle qui clôt "Pulsions". Un slasher s'approche des fenêtres d'une résidence puis y pénètre pour poignarder/taillader/égorger sa proie, une jeune femme nue en train de prendre sa douche. La scène est tournée en caméra subjective ce qui renvoie au caractère un peu bis du film matriciel de "Pulsions" et de "Blow Out" (1981) (et du genre slasher tout entier): "Psychose" (1960). Sans être un remake plan par plan comme le "Psycho" (1998) de Gus Van SANT, "Pulsions" est une relecture très fidèle au film de Alfred HITCHCOCK et à ses thèmes sous-jacents ici époque oblige mis au premier plan. Kate Miller (Angie DICKINSON) est la jumelle de Marion Crane. Comme elle, son apparence de femme domestiquée cache un volcan de désirs sexuels inassouvis qui la poussent à partir vers l'inconnu en transgressant la loi et la morale. Cette errance physique et psychique a comme retour de bâton un très fort sentiment de culpabilité matérialisé par le flic qui contrôle Marion sur la route et la petite fille aux yeux accusateurs qui fixe Kate dans l'ascenseur sans parler du fait qu'elle découvre que l'homme qui l'a satisfaite sexuellement est atteint d'une MST. Autre point commun, les deux femmes se confient intimement à un homme à l'apparence inoffensive (mais dont elles devraient davantage se méfier ^^). Puis arrive la scène de meurtre qui efface le personnage central du paysage au bout du premier tiers du film. Dans un cas comme dans l'autre, le meurtre a lieu dans un espace confiné à connotation érotique (l'ascenseur étant un substitut de la cabine de douche), le couteau et le rasoir étant des substituts phalliques d'hommes schizophrènes dont la personnalité féminine castratrice et dominatrice punit la libido masculine à chaque fois qu'elle se manifeste. La suite prend la forme dans les deux cas d'une enquête menée par la police et deux tiers (amant et sœur dans un cas, témoin et fils dans l'autre) avec force explications jusqu'à la résolution finale où forcé dans ses retranchements, le tueur se démasque travesti, couteau/rasoir à la main. Enfin "Pulsions" comme son modèle est une mise en abyme de la pulsion scopique, les nombreux voyeurs du film renvoyant au spectateur.

Néanmoins, tout en étant fidèle au matériau d'origine Brian De PALMA joue beaucoup plus sur le dédoublement et la démultiplication. Les reflets, les split-screens, les jeux d'échos ternaires (par exemple la douche, reprise trois fois si l'on inclut la scène d'ascenseur ou la femme blonde en imperméable, tantôt meurtrière, tantôt victime, tantôt flic) sont nombreux, mettant en lumière la personnalité fragmentée des principaux protagonistes. Le réalisateur ajoute également une très importante dimension onirique au film puisque une partie des scènes retranscrivent les fantasmes des personnages. La scène la plus admirable à cet égard est celle du musée, très largement inspirée d'un autre film de Alfred HITCHCOCK, "Vertigo" (1958). Brian De PALMA retranscrit le vertige du désir avec des travellings en steady-cam labyrinthiques où les tableaux et les visiteurs renvoient au désir sexuel de Kate, lequel s'incarne dans un bel inconnu pour qui elle laisse tomber un gant (métaphore sexuelle) avant qu'ils ne s'amusent à se perdre (préliminaires) et à se retrouver jusqu'au premier véritable orgasme de Kate dans le taxi. Enfin, le maniérisme du réalisateur se combine avec ses propres obsessions intimes, "Pulsions" n'étant pas en dépit des apparences un exercice de style. Le personnage de Peter (Keith GORDON) renvoie en effet (encore un reflet!) à Brian De PALMA lui-même lorsqu'il était adolescent. Il avait été en effet commandité par sa mère pour enquêter sur son propre père qu’elle soupçonnait d’infidélité à l'aide de ses talents de bidouilleur informatique. Avec les outils d'espionnage adéquat, il avait alors suivi son père à la trace jusqu'à le coincer avec sa maîtresse.

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La Fureur de vaincre (Jing wu men)

Publié le par Rosalie210

Lo Wei (1972)

La Fureur de vaincre (Jing wu men)

Le meilleur film de Bruce Lee, le plus emblématique en tout cas. C'est LO Wei qui dirige le film (il joue également un rôle, celui de l'inspecteur de police) avec beaucoup plus de moyens que pour le film précédent "Big Boss (1971)" et une technique (découpage, ralentis) qui met en valeur la précision des chorégraphies de Bruce LEE. Ce dernier concentre en lui une énergie phénoménale qui lorsqu'elle explose dévaste tout sur son passage. Si la "La Fureur de vaincre" est culte c'est d'abord en tant que symbole de résistance à l'oppression (avec une forte connotation nationaliste). Le film se déroule à l'époque de l'occupation japonaise de la concession internationale de Shanghai durant la seconde guerre mondiale. Bruce LEE revêt la défroque de Chen Zhen, un personnage ayant réellement existé, disciple d'un célèbre maître de kung fu, Huo Yuanjia (1869-1910) mort empoisonné à l'issue d'une ultime victoire contre l'école japonaise. Les actes d'insoumission de Chen Zhen pour venger son maître restaurent la fierté humiliée de tout un peuple. Chen Zhen est un bloc de rage tout entier tourné vers la vengeance même s'il s'offre une pause romantique et quelques passages comiques où il revêt divers déguisements (ridicules) pour mieux espionner ou neutraliser ses adversaires. Il y a le passage culte où il affronte et vainc un dojo tout entier au cri de "non, les chinois ne sont pas les malades de l'Asie orientale" avant de faire manger des morceaux de l'insulte calligraphiée à deux de leurs auteurs . Il y a la scène où il détruit une pancarte interdisant aux chinois et aux chiens de se promener dans un parc (une telle pancarte n'a jamais existé mais il y a une assimilation un peu forcée entre le sort des chinois et celui des juifs pendant la guerre). Et puis il y a le célébrissime arrêt sur image qui clôt le film, ce cri de fureur et cet élan héroïque qui refuse de retomber devant le peloton d'exécution. Car c'est l'autre raison qui explique le statut iconique du film. Le mythe Bruce Lee, l'intensité et la brièveté de son parcours ainsi que sa mort tragique et prématurée est contenu tout entier dans ce plan.

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Voyage à Tokyo (Tôkyô monogatari)

Publié le par Rosalie210

Yasujiro Ozu (1953)

Voyage à Tokyo (Tôkyô monogatari)

A la fin du film, Shukishi Hirayama (Chishû RYû) offre à sa belle-fille Noriko (Setsuko HARA) la montre de sa femme Tomi (Chieko HIGASHIYAMA) qui vient de décéder. Pour la remercier de son accueil envers eux durant leur séjour à Tokyo, il lui enjoint de reprendre le cours de sa vie, de faire le deuil de leur fils (son époux tué à la guerre huit ans auparavant) et d'accepter de les "trahir" en se remariant. Avec la montre, il lui offre le temps, ce temps auquel nul n'échappe, qui confronte les humains à la douleur de la perte et à la mélancolie. Mais se soustraire au temps c'est en quelque sorte passer à côté de sa vie.

"Voyage à Tokyo", le film qui a fait connaître le cinéma humaniste de Yasujiro OZU en France est une œuvre délicate, bouleversante et profonde sur les changements que le temps fait subir aux relations entre les parents qui vieillissent et leurs enfants qui grandissent et s'éloignent. La modernisation du Japon dans le cadre du deuxième miracle économique durant les années 50 et 60 contribue également à agrandir la distance entre les générations. C'est ainsi que par petites touches discrètes et en étant au plus près de ses personnages grâce à son regard caméra particulier, Yasujiro OZU dépeint la mise à l'écart des parents par leurs propres enfants qui n'ont plus de temps à leur consacrer, leur énergie étant entièrement dévolue à construire l'avenir économique du pays. Il y a une dimension certainement critique dans la description de cette modernité pour laquelle on sacrifie les relations humaines pour s'élever socialement et s'enrichir, la fille aînée se montrant de surcroît pingre et mesquine au point de ne penser qu'à récupérer les affaires de sa mère une fois celle-ci morte. Néanmoins Ozu est tout sauf manichéen et rappelle que couper le cordon et manifester un certain égoïsme est le prix à payer pour assumer une vie propre. Noriko qui vit dans le passé et pour qui en quelque sorte le temps s'est arrêté n'est pas heureuse. Si elle se sent si proche de ses beaux-parents c'est parce que comme eux elle se sent mise à l'écart et abandonnée. Mais elle est encore jeune si bien que cette attitude passive, ce refus d'évoluer a quelque chose d'infantile et de mortifère. C'est par amour pour elle que son beau-père lui enjoint de rejoindre le flux de ceux qui vivent même si cela signifie s'éloigner de lui "Quand on perd ses enfants, on est malheureux. Mais quand ils vivent, ils deviennent lointains. Il n'y a pas de solution au problème."

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Oslo, 31 août (Oslo, 31. August)

Publié le par Rosalie210

Joachim Trier (2011)

Oslo, 31 août (Oslo, 31. August)

Au premier visionnage en 2012, je n'avais pas aimé ce film tout en reconnaissant sa virtuosité technique. Le personnage d'Anders (Anders Danielsen LIE) m'avait paru être un gosse de riches plaintif, un intellectuel "fin de siècle" se regardant le nombril et se complaisant dans sa vacuité. La découverte des origines de "Oslo 31 août" à savoir "Le Feu Follet" de Drieu la Rochelle adapté au cinéma par Louis MALLE en 1963 m'a aidé à mieux l'apprécier.

Parmi les scènes remarquables du film, on peut citer un jeu d'échos particulièrement subtil entre trois scènes:

- La scène d'ouverture qui rend hommage au matériau littéraire d'origine avec une adaptation des fragments du "Je me souviens" de Georges Perec. On entend des voix d'hommes et de femmes évoquer des souvenirs d'un Oslo à visage humain qui n'est plus (les habitations ayant été remplacées par des bureaux ou des parkings).

- La scène du café où Anders écoute les conversations autour de lui sans y participer comme s'il ne faisait déjà plus partie de ce monde. On pense à une référence aux "Les Ailes du désir" (1987) sauf qu'au lieu d'être un ange qui aspire à l'humanité, Anders est un humain qui aspire à rejoindre le monde des anges. A un moment donné, il entend une fille faire une longue listes de désirs un peu sur le mode du jeu de cartes de Lynn Gordon "52 choses à faire dans sa vie avant de mourir". Or le drame de Anders est justement de ne plus rien ressentir, comme s'il était déjà mort intérieurement.

-La scène de fin, une succession de plans à rebours des lieux visités par Anders tout au long du film. Des plans désormais vides de présence humaine qui soulignent cruellement l'absence du protagoniste principal. Mais avant d'en arriver à cet effacement total, on remarque tout au long du film combien Anders a fait le vide autour de lui entre sa copine qui ne répond pas au téléphone, sa soeur qui refuse de le voir, ses parents partis en voyage et qui ont vendu la maison ou son ami Thomas (Hans Olav BRENNER) qui l'invite à une soirée où lui-même ne vient pas.


Ultime remarque, la première tentative de suicide de Anders dans le lac fait penser à "L'Intendant Sanshô" (1954) de Kenji MIZOGUCHI.

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Opération dragon (Enter the Dragon)

Publié le par Rosalie210

Robert Clouse (1973)

Opération dragon (Enter the Dragon)


"Aucun des quelques films interprétés par Bruce LEE n’est un chef-d’œuvre, mais Bruce LEE est un chef-d’œuvre dans chacun de ses films" disait Olivier Père sur le site d'Arte en 2010. Ce qui est vrai pour des films comme "La Fureur du Dragon" (1972) ou "Le Jeu de la Mort" (1978) où il n'y a que les combats du petit dragon à sauver l'est à un degré moindre pour celui-ci. Il est plus réussi dans son ensemble mais sans sa tête d'affiche il aurait été oublié depuis longtemps. Surtout c'est celui qui a fait de Bruce LEE une star en occident, hélas à titre posthume puisque celui-ci était déjà décédé quand le film est sorti.

"Opération dragon" est la première collaboration cinématographique entre les USA et la Chine. C'est une évolution dans la manière dont l'industrie hollywoodienne traite les minorités, teintée d'opportunisme devant le succès de Bruce LEE à Hong-Kong. En effet bien que né à San Francisco, Bruce LEE s'est heurté durant les années 60 au rejet raciste de l'industrie hollywoodienne et de la télévision qui comme pour les afro-américains préférait embaucher des acteurs blancs et les grimer qu'employer d'authentiques asiatiques. Cependant au début des années 70, les mouvements contestataires de jeunesse et pour les droits civiques ont quelque peu changé la donne. Il n'est d'ailleurs pas innocent qu'un acteur de la blaxploitation, Jim KELLY joue aux côtés de Bruce LEE dans le film. Quitte à élargir le public, autant faire d'une pierre deux coups!

"Opération dragon" est ainsi une tentative réussie de mélange d'influences occidentales et orientales. Bruce Lee endosse un rôle à la James Bond avec île mystérieuse et base secrète à infiltrer et méchant à la Dr. No à neutraliser. Sauf que l'ambiance est orientalisante et que le kung-fu remplace les flingues. Bruce LEE a en effet obtenu carte blanche pour orchestrer les combats et chorégraphies du film et ses mouvements félins et ultra-rapides ont été magnifiés par les plans larges du réalisateur Robert CLOUSE. Ultime coup de génie, la scène finale, tournée dans une pièce dotée de 8000 miroirs qui démultiplie à l'infini l'image du petit dragon fait penser à "La Dame de Shanghai" (1947) de Orson WELLES.

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