Nicky Larson et le Parfum de Cupidon
Philippe Lacheau (2019)
Quand le "Monde" titre son article web en date du 9 février 2019 "Tsukasa Hojo, un mangaka complexe qui va bien au-delà de son chef-d'oeuvre "Nicky Larson" ("City Hunter" en VO) je ne peux qu'applaudir des deux mains. On est bien loin désormais du manga-bashing des années club Dorothée dans la presse française. Tsukasa Hojo mélange en effet les genres avec un talent hors pair et pas seulement en passant sans transition du tragique au burlesque et d'un dessin détaillé, plein d'action et réaliste à un dessin comique caricatural. J'ose à peine imaginer la réaction des idéologues de la famille tendance "manif pour tous" devant son manga seinen "Family Compo" où les Watanabe ont échangé leur rôle, la mère ayant été assignée homme à sa naissance par la génétique et la société et le père, ayant été de même assigné femme. Leur neveu qu'ils hébergent est quant à lui amoureux de sa cousine qui refuse d'être définie par son genre ce qui est source de confusions et d'interrogations. Si j'évoque "Family Compo" c'est aussi pour faire mieux comprendre ce qu'est réellement "City Hunter". Dans un polar/film d'action classique, le héros se doit d'être un séducteur hyperviril et les femmes, des "clodettes" qui lui servent de faire valoir. "City Hunter" est une subversion complète de ce schéma avec son héros qui se fait taper dessus chaque fois qu'il fait "mokkori" (c'est à dire à chaque fois qu'il a une érection) par sa "partenaire", Kaori (Laura en VF) qui veille à réfréner ses ardeurs, ardeurs qui restent par ailleurs parfaitement stériles face à des femmes certes hyper-sexy mais toutes plus fortes les unes que les autres (dans la lignée des "Cat's eye"), lesquelles l'envoient tout simplement balader ou le mènent par le bout du nez (comme le faisait Tam avec l'inspecteur Quentin dans "Cat's eye"). La relation Ryo/Nicky-Kaori/Laura est par ailleurs marquée par l'empêchement et la confusion des sentiments mais aussi des identités. Kaori est un garçon manqué qui passe son temps à repousser/réfréner les manifestations sexuelles de Ryo à l'aide de son énorme marteau mais en même temps, elle aimerait le séduire et être aimée de lui. Ryo de son côté se comporte envers Kaori tantôt en protecteur, tantôt en partenaire dans une relation asexuée d'associés/d'amitié virile. Il fuit son intimité dans la boutade et nie sa féminité tout comme il laisse les coups de marteau l'émasculer: c'est tellement plus facile que d'aller sonder ses zones d'ombre.
Le fait est que Philippe LACHEAU a compris ce qui fait l'essence de "City Hunter" même s'il n'a pas réussi complètement à le traduire. S'il a en bouché un coin à ceux qui le dénigraient c'est qu'il est incontestable qu'il aime et respecte cette œuvre (il a d'ailleurs obtenu le soutien de son auteur). Ce n'est pas par hasard que le parfum de Cupidon assigne à Nicky un objet de désir masculin (Letellier joué par Didier BOURDON). Celui-ci est traité sur le mode de la bouffonnerie mais cela entre bien dans la valse des places et des identités qui caractérise l'œuvre de Tsukasa Hojo. Dommage que son interprétation de Nicky soit aussi neuneu, parfois à la limite de la parodie alors que tout l'intérêt du personnage réside dans le fait que la façade comique "bébête" dissimule une dimension tragique qui ne l'est pas du tout. En dépit de cette limite, il parvient quand même à bien retranscrire la complexité de sa relation avec Laura. Et ce d'autant mieux que Élodie FONTAN est absolument parfaite dans le rôle, un rôle dont Philippe LACHEAU montre bien toutes les facettes (marteau compris mais il n'abuse pas de l'engin non plus). Sa relation avec Nicky est motrice comme dans le manga et le dessin animé (mention spéciale aux passages cultes où ils ne forment plus qu'une seule entité chorégraphique comme la case iconique où Nicky tire à travers ses jambes à elle). Le dynamisme du film concerne également les scènes d'action, intenses et la mise en scène, ingénieuse, notamment dans le découpage des scènes, parfois revues sous un nouvel angle qui apporte des informations cruciales. Reste qu'outre son jeu, Philippe LACHEAU doit également affiner ses personnages secondaires, pas très drôles, ses gags, souvent très lourds et ses clins d'œil à la génération club Do, pas toujours bien écrits et intégrés (même si le cameo de Dorothée est sympa). Un peu plus de travail sur l'atmosphère polar (délaissé au profit de la comédie) ne ferait pas de mal non plus. Mais pour un premier essai, c'est plutôt pas mal.