Avec Stanley Donen, c'est l'un des derniers grands représentants de l'âge d'or hollywoodien qui s'est éteint à l'âge de 94 ans. Il était le réalisateur de la plus célèbre et célébrée comédie musicale de tous les temps, "Chantons sous la pluie" en 1952, il n'avait alors que 27 ans. Trois ans auparavant, il avait déjà tourné une comédie musicale avec Gene Kelly, "Un jour à New-York" après avoir rencontré ce dernier sur les planches d'un spectacle de Broadway où il était danseur professionnel. Tous deux révolutionnent le genre au cinéma en le sortant du carcan des studios et en multipliant les audaces formelles. En 1957, il dirige Audrey Hepburn et Fred Astaire, l'idole de son enfance dans "Drôle de Frimousse" après avoir déjà dirigé ce dernier dans "Mariage royal" en 1951. Outre ses comédies musicales, Stanley Donen a brillé dans la parodie du film d'espionnage hitchcockien avec notamment son fabuleux "Charade" de 1963 réunissant Audrey Hepburn et Cary Grant.
Stanley DONEN n'a pas fait que des comédies musicales, il a également excellé dans la comédie policière. La preuve avec "Charade", un petit bijou du genre porté par un duo de stars réuni pour la seule et unique fois à l'écran: Cary GRANT et Audrey HEPBURN. On peut déplorer la lourde tendance d'apparier de jeunes et jolies actrices avec des acteurs qui auraient l'âge d'être leur père d'autant que Stanley DONEN est un récidiviste. En effet il avait jeté quelques années plus tôt Audrey HEPBURN dans les bras de Fred ASTAIRE pour Drôle de frimousse (1956). Cependant le couple Grant/Hepburn fonctionne bien à l'écran et dégage beaucoup de charme et d'élégance ce qui fait que l'on oublie assez vite ce désagrément, hélas très courant, société patriarcale oblige!
"Charade" lorgne explicitement du côté des thrillers hitchcockiens comme "Vertigo (1958)" (la bagarre sur le toit), "Psychose (1960)" (le meurtre dans la salle de bains) ou "L'Ombre d'un doute (1943)" (le personnage qui tombe d'un train) sans parler de la présence de Cary GRANT qui a joué dans plusieurs de ses films dont "La Mort aux trousses (1959)". Mais "Charade" est aussi une comédie pétillante dont le célèbre générique aux couleurs pop est signé Maurice BINDER créateur de génériques pour les James Bond. La question du faux-semblant y est centrale. Comme dans la "Lettre" d'Edgar Allan Poe, la clé de l'énigme se trouve sous le nez des personnages sans qu'ils s'en aperçoivent alors que Regina Lampert a de sérieux problèmes avec l'identité de ses partenaires amoureux. Veuve d'un mari dont elle ne savait rien, pas même le vrai nom puisqu'il se dissimulait sous de fausses identités, elle tombe amoureuse d'un personnage qui lui ment sur son identité réelle. Et Cary Grant, spécialiste des rôles à multiples facettes s'en donne à cœur joie. Est-il pour autant semblable à son mari, peut-elle lui faire confiance, qui est-il réellement? Ces questionnements donnent lieu à un jeu de pistes et à un marivaudage des plus réjouissants. Car derrière la multiplicité des identités, il y a une question récurrente, la seule qui soit d'importance (le trésor n'étant qu'un Mc Guffin): "Y-a-t-il une madame Peter Joshua? Alexander Dyle? Adam Canfield? Brian Cruikshank?" Avec dans les trois premiers cas, une seule et même réponse, ils sont divorcés. La quatrième étant un peu différente et logique puisqu'elle dénoue l'intrigue en même temps qu'elle lève le voile sur la véritable identité du protagoniste.
Audrey HEPBURN a souvent interprété des personnages se situant à mi-chemin du conte de Cendrillon et du mythe de Galatée. Fille de chauffeur dans "Sabrina (1954)", vendeuse des rues à l'accent cockney dans "My fair lady (1963)" et employée de librairie mal fagotée dans "Drôle de frimousse", on la retrouve à chaque fois transformée en gravure de mode pour les beaux yeux de son Pygmalion. Dans "Drôle de frimousse" celui-ci est un photographe inspiré de Richard Avedon (conseiller technique sur le tournage) et interprété par Fred ASTAIRE. En conjuguant leurs talents, Stanley DONEN réalise un film suprêmement élégant et visuellement splendide. C'est une explosion de couleurs ("Think Pink" mais aussi vert, jaune, blanc, rouge, bleu etc.) qui inspireront Jacques DEMY quelques années plus tard pour ses propres comédies musicales. Les clichés d'Audrey HEPBURN en mouvement (du pur Avedon) sont magiques, se mariant parfaitement aux décors parisiens et franciliens (des escaliers de l'Opera à ceux du Louvre où elle prend la pose de la victoire de Samothrace avec la statue en arrière-plan, son foulard lui tenant lieu d'ailes). Les chorégraphies de Fred ASTAIRE sont superbes et son talent reste intact alors qu'il a 58 ans (il s'agit de l'un de ses derniers grands rôles).
Il n'en reste pas moins qu'on aurait pu espérer un scénario plus moderne et plus conforme à la réalité. Non celui de la projection d'un amalgame de fantasmes masculins sur une charmante actrice passive (en dépit de son vernis intello, d'ailleurs tourné en dérision) mais celui d'une actrice atypique allant démarcher d'elle-même et révéler au monde entier le talent d'un créateur tout aussi atypique et donc fait pour elle, alias Hubert de Givenchy. Mais transposer cette réalité-là aurait transgressé les règles du patriarcat (et du narcissisme masculin). Alors on se contente d'avaler la pilule conservatrice à l'aide de la beauté de l'emballage.
"Un jour à New-York", le premier film du duo Stanley Donen-Gene Kelly est une sorte de brouillon de l'âge d'or de la comédie musicale des années 50 dont le chef d'œuvre absolu, "Chantons sous la pluie" est signée par ce même duo.
"Un jour à New-York" est une sorte de laboratoire où sont expérimentées des idées nouvelles. Quelques scènes sont tournées en extérieurs pour aérér le film. Le surgissement particulièrement dynamique des marins hors du bateau dans le port de New-York fait penser aux ouvertures des films de Jacques Demy. L'harmonie des couleurs et la stylisation des décors préfigurent également l'esthétique des années 50. La musique est signée Léonard Bernstein que l'on associe à la modernité de "West side story". Et puis il y a les passages où Gene Kelly danse et qui sont prodigieux.
Mais il y a une énorme carence du côté du scénario. Celui-ci est inconsistant et on suit cette histoire très premier degré, sans enjeux forts avec un enthousiasme plus que modéré. D'autre part les personnages sont trop caricaturaux. Certes en dehors de Miss Métro (Vera Allen) tout droit sortie d'une pub pour ménagère de moins de 50 ans, les femmes sont assez anti-conformistes. Mais elles traitent leurs marins comme des hommes-objets ce qui n'est qu'une autre forme de sexisme. Brunehilde (Betty Garrett) "lève un mec" (Chips alias Frank Sinatra, très effacé) grâce à son métier de chauffeur de taxi alors que Claire (Ann Miller) jette son dévolu sur Ozzie (Jules Munshin, plutôt marrant) en tant que "spécimen d'homme des cavernes". Ça ne fait pas vraiment rêver.
Et dire qu'à sa sortie il n'avait pas rencontré le succès... Aujourd'hui c'est un monument du 7° art, un film culte qu'on ne se lasse pas de voir et revoir tant pour ses numéros musicaux magiques et aériens (le duo de claquettes dans le cours de diction " Moses supposes his toeses are roses", la chanson-titre sous l'averse, le pas de 2 dans le studio désert, le solo acrobatique de Donald O' Connor "Make em laugh" et le Broadway ballet avec Cyd Charisse et Scarface) que pour sa reconstitution enlevée de l'histoire du cinéma hollywoodien. Le film se situe à un moment charnière celui du passage du muet au parlant qui constitue un bouleversement total de cette industrie dont nous apercevons aussi les coulisses (avant-premières et premières, plateaux de tournage, doublage etc.) Chantons sous la pluie n'est pas qu'une comédie musicale c'est du cinéma total avec de multiples films et genres dans le film: western, cape et épée, film noir, film d'action, burlesque... Mais l'idée géniale est celle du film muet (le spadassin royal) qui se transforme en film parlant puis en musical (le chevalier dansant). Ces tâtonnements donnent lieu à des scènes hilarantes principalement à cause du personnage de Lina Lamont à la voix de crécelle (doublé d'un cheveu sur la langue) et à la bêtise insondable. Son partenaire Donald Lockwood s'en sort mieux. Certes Kathy Selden se moque de son jeu d'acteur muet limité mais c'est Gene Kelly qui l'interprète: il a le charme, l'humour, il chante et c'est un dieu de la danse. L'avenir s'ouvre à lui. Film euphorisant Chantons sous la pluie a également donné lieu à une des scènes les plus glaçantes du cinéma lorsque Alex fredonne la chanson-titre dans Orange mécanique de Stanley Kubrick.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.