The Limits of Control
Jim Jarmusch (2009)
Jim Jarmusch aime se confronter au cinéma de genre pour le retourner comme un gant et en produire un "négatif". Ainsi "The Limits of Control" est de son propre aveu "Un film d'action sans action", autrement dit un anti-James Bond. Pourtant les codes sont les mêmes: tueur à gages flegmatique, opaque et super-classe, déplacements incessants, rencontre avec des intermédiaires faisant avancer la quête à coups d'indices cryptés, fille superbe et très peu vêtue offerte sur le lit de la chambre d'hôtel, son double superbe et très peu vêtue sur le lit de la chambre d'hôtel mais avec un gun dans les mains, grands espaces et architectures magnifiés par la photographie et le cadre, dénouement dans le bunker ultra-sécurisé d'une villa de luxe. Mais en même temps, le héros, homme sans nom impassible et laconique qui n'est pas sans rappeler l'économie de mots, de gestes et d'expressivité d'Alain Delon dans "Le Samouraï" de Melville refuse le sexe, les armes à feu... et les portables. Autrement dit toutes les manifestations de la virilité alpha telle qu'elle se manifeste dans le genre version mainstream destiné au public occidental. D'ailleurs le personnage se définit en creux par ce qu'il n'est pas, ce qu'il ne veut pas, ce qu'il ne sait pas (le négatif) et logiquement il est noir (c'est Isaach de Bankolé qui l'interprète). Logiquement aussi il est un grand adepte de tai-chi, de contemplations, de déambulations et d'expressos en double. Son périple à travers une Espagne fantomatique jalonné de rencontres pittoresques aux terrasses de cafés fait penser tantôt à "Ghost Dog" (La "zen attitude d'un personnage lui aussi inspiré de "Le Samouraï", le multilinguisme), tantôt à "Paterson" (les rituels du café en double et de la bouteille d'eau plate, des exercices de tai-chi, des échanges de boîtes d'allumettes, de diamants et de clés, des postures toujours identiques) tantôt à "Night on Earth" (la galerie de guest-stars qui s'invitent à la table du héros pour monologuer quelques minutes avec lui, de Tilda Swinton à Gael Garcia Bernal en passant par John Hurt), tantôt à "Dead Man" (la progression du voyage de la capitale jusqu'à son terminus dans une région reculée et sauvage) et bien sûr à "Coffee and Cigarettes" (mais sans cigarettes). En dépit des paroles sibyllines et de la nonchalance du héros et du film, celui-ci avance vers sa cible qui apparaît assez limpide, une fois dévoilée. C'est Bill Murray qui incarne le magnat du capitalisme et de ses valeurs honnies (à commencer par la société de contrôle par la technologie, téléphones, écrans et hélicoptères) auquel s'oppose logiquement la liberté des artistes qui aiguillent leur "vengeur" zen, déterminé et incorruptible vers un dernier plan-écran-tableau vierge. Un concentré de Jarmusch.
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