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Residue

Publié le par Rosalie210

Merawi Gerima (2020)

Residue

"Residue" est le premier long-métrage de Merawi Gerima, réalisateur indépendant afro-américain issu d'une famille de cinéastes et d'écrivains. Il est en particulier le fils du célèbre cinéaste éthiopien Haile Gerima, figure légendaire du mouvement cinématographique L.A. Rebellion qui fait référence à la génération de jeunes cinéastes africains et afro-américains (incluant également la mère de Merawi Gerima) qui ont étudié à la UCLA Film School de la fin des années 1960 à la fin des années 1980 (école suivie également par Merawi Gerima) et ont créé un cinéma noir offrant une alternative au cinéma hollywoodien classique. Il a été projeté en avant-première à la Cinémathèque dans le cadre de la cinquième saison du cycle rétrospectif "American fringe" en novembre 2021. Il doit sortir au cinéma en France le 5 janvier 2022.

"Residue" raconte l'histoire de Jay, alter ego du cinéaste (le film entre fiction et documentaire a de fortes résonances autobiographiques) qui après des études cinématographiques en Californie revient sur les lieux de son enfance dans le quartier d'Eckington à Washington DC et a toutes les peines du monde à y retrouver ses marques tellement celui-ci a changé. Merawi Gerima aborde ainsi deux thèmes majeurs dans son film: la gentrification des quartiers pauvres des grandes villes* et le sentiment de trahison généré par le départ du héros et son changement de classe sociale. Les retrouvailles de Jay avec ses anciens amis reposent en effet sur un malentendu. Lui pense que son métier est un moyen de militer, de témoigner et de faire oeuvre de mémoire (dans la mouvance "Black Lives Matter") alors que les autres considèrent qu'il s'est rallié aux blancs qui effacent peu à peu l'identité noire du quartier sous leurs yeux impuissants. De fait, Jay se retrouve typiquement dans la situation inconfortable du transfuge (situation si bien décrite part Annie Ernaux dans "La Place") qui est rejeté aussi bien par son ancienne communauté que par les blancs qui poussent par tous les moyens ses parents à déménager pour s'approprier leurs biens et renforcer leur entre-soi. Pour ne pas perdre pied, Jay s'accroche alors à ses souvenirs d'enfance, le film étant parsemés de flashbacks filmés avec beaucoup d'élégance et de fluidité. On découvre peu à peu le triste sort des membres de sa bande. Disparu, mort, emprisonné, aucun n'a pu sortir du ghetto et c'est aussi cette génération perdue que filme Jay/Gerima a qui il redonne des racines: les mères et les grands-mères de ces garçons sont bien mises en valeur (alors que la plupart des pères sont absents ou ont failli hormis comme par hasard celui de Jay) et lorsque celui-ci retrouve un "grand frère" dans le parloir d'une prison, une projection onirique les montre au beau milieu de la forêt comme si le cadre carcéral n'avait plus de prise. Quant aux blancs, ils restent la plupart du temps hors-champ ou bien en fond ou au bord du cadre, comme cela a été si longtemps le cas des noirs dans les films blancs. Mais si Merawi Gerima choisit l'art pour s'exprimer, la colère de son double cinématographique débouche sur une explosion de violence stérile.

* Un thème qui ne concerne pas que les USA. A quand les films témoignant de la gentrification de la petite couronne de la banlieue parisienne se cachant derrière l'édification du "Grand Paris" (mais sans ses pauvres)? Par exemple la Butte rouge de Châtenay Malabry "rénovée", Saint-Denis et Aubervilliers grignotées par les futures installations olympiques etc.

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Sometimes always never

Publié le par Rosalie210

Carl Hunter (2018)

Sometimes always never

"Sometimes always never" est un film britannique étonnant (disponible en ce moment sur Canal) que j'ai découvert grâce à une critique élogieuse sur une page dédiée au cinéma. Et puis le personnage principal est joué par Bill NIGHY qui est un acteur que j'adore depuis que je l'ai vu dans "Love Actually" (2003) (le who's who des plus grands comédiens britanniques, à égalité avec la saga Harry Potter dans laquelle il a d'ailleurs fini par décrocher un petit rôle, disant non sans humour qu'il était le dernier à ne pas y avoir été embauché!) et plus récemment dans "The Bookshop" (2017) (je l'ai vu aussi dans "Good Morning England" (2008) mais à l'époque, je n'avais pas trop accroché et cela demande donc un second visionnage).

Disons-le tout de suite le gros point fort du film est son esthétique qui fait beaucoup penser à celle de Wes ANDERSON: même obsession de la symétrie, même goût pour les couleurs pop et les collections d'objets vintage, même maniaquerie du détail. S'y ajoute quelque chose que je n'avais encore jamais vu au cinéma, une composition du cadre à la manière d'un collage dans lequel les personnages (et parfois même leur voiture) semblent détourés et aplatis par rapport au décor, à la limite du cartoon. Il faut dire que le réalisateur, Carl HUNTER a travaillé dans le monde de la musique mais aussi du livre et a réalisé des pochettes de disque, des illustrations photographiques et des posters. C'est pourquoi (comme Wes ANDERSON encore!), le film a une forte identité littéraire: il est découpé en chapitres avec des pages-titre ("itinéraire", "embarrassant" et "espoir") alors que le jeu de Scrabble qui est le point de ralliement de tous les personnages permet de belles associations poétiques. Ainsi quand Jack, le petit-fils de la famille invite la fille qui lui plaît à jouer, on constate que les mots de leur partie se rapportent tous au champ lexical de l'amour alors que lorsque le grand-père, Alan, joue (alias Bill NIGHY) on navigue davantage dans le monde de l'exotisme (il évoque ses voyages mais comme le film épouse son point de vue et que celui-ci est complètement décalé par rapport au réel, on est "dépaysé").

Tout cela forme un ensemble tellement charmant, créatif et rafraîchissant que l'on oublie largement les faiblesses du scénario. Celui-ci tourne en effet autour d'une intrigue ténue (pour ne pas dire fantôme), prétexte à réunir une famille désunie autour de son patriarche, Alan. Lequel en sa qualité de tailleur élégant mais quelque peu maniaque (à l'image du film évidemment puisque comme je l'ai dit, celui-ci épouse son point de vue) explique la règle du boutonnage de la veste à trois boutons à son petit-fils Jack, règle qui donne son titre au film: celui du haut, parfois, celui du milieu toujours et celui du bas jamais.

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La Première folie des Monty Python/Pataquesse (And Now For Something Completly Different)

Publié le par Rosalie210

Ian MacNaughton (1971)

La Première folie des Monty Python/Pataquesse (And Now For Something Completly Different)

Premier film des Monty Python, "Pataquesse" (son premier titre) qui fête son cinquantième anniversaire est un florilège de leurs meilleurs sketches extraits de l'émission de télévision "Monty Python s Flying Circus" (1969) qui fit les beaux jours de la BBC1 entre 1969 et 1974. Le film datant de 1971, seules les deux premières saisons de l'émission (qui en compte quatre) sont représentées. Les sketches ont été retournés pour le cinéma avec le projet (réussi!) de donner à la troupe une notoriété internationale.

Le titre francophone du Flying Circus résume parfaitement l'humour anglais des Python "Absurde n'est-il pas?" Absurde, non-sensique et pourtant non dénué de sens, c'est d'ailleurs sur un autre film à sketches que s'est achevé la carrière cinématographique des Python (en tant que groupe), le bien justement intitulé "Monty Python : Le Sens de la vie" (1982). Même s'il n'y a pas un fil directeur aussi travaillé que dans le film de 1982, "Pataquesse" bénéficie quand même d'effets de transition entre les sketches qui ainsi résonnent entre eux notamment grâce aux animations loufoques de Terry GILLIAM. Les cibles du groupe sont les institutions, tournées en ridicule: l'armée, l'administration, le mariage, le patriarcat, l'Eglise ou encore les médias. Certains sketches sont hilarants (pas forcément les plus connus selon moi): le gang des vieilles dames qui terrorisent le quartier (les hell's grannies, il fallait y penser!); le conseiller d'orientation matrimoniale (Eric IDLE) qui se paye en nature avec l'épouse aguicheuse juste sous le nez du mari cocufié (rôle attribué à Michael PALIN, le spécialiste des benêts et des faibles en tous genres) ou dans le même genre le désopilant "Nudge Nudge" avec dans le rôle de l'obsédé, toujours Eric IDLE et celui de l'homme subissant ses insinuations sexuelles, Terry JONES. On rajoutera la chanson du bûcheron (Michael PALIN), de plus en plus tendancieuse au fur et à mesure de son déroulement ou encore "Blackmail", une émission de télévision extorquant de l'argent aux spectateurs, notamment un militaire (Graham CHAPMAN) en diffusant des images compromettantes*. Humour grinçant rehaussé par le fait que le présentateur putassier (Michael PALIN encore!) était quelques minutes auparavant un timide comptable, "M. Anchois" qui cherchait une reconversion plus excitante dans le bureau d'un conseiller d'orientation professionnelle (John CLEESE)...

* Et qui s'appuie sur la réalité historique de la société britannique experte en chantage sexuel (comme le montre "La Victime" (1961) de Basil DEARDEN).

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Plaire, aimer et courir vite

Publié le par Rosalie210

Christophe Honoré (2018)

Plaire, aimer et courir vite

J'avais juré de ne plus jamais remettre les pieds dans le cinéma de Christophe Honoré, l'un des réalisateurs parmi les plus affectés du cinéma français actuel dont j'ai détesté chacun des films que j'ai pu voir. Mais le passage de "Plaire, aimer et courir vite" sur Arte m'a donné quand même envie de le voir à cause des deux acteurs principaux que j'aime beaucoup: Pierre Deladonchamps et Vincent Lacoste. Le fait est qu'ils sont impeccables, chacun dans leur registre et qu'ils vont bien ensemble. Il y a aussi incontestablement un caractère intimiste et personnel dans ce film qui convoque les fantômes d'un grand nombre d'artistes morts du sida (ou trop jeunes et admirés par Christophe Honoré) dans les années 80 qui seraient autant de "Jacques" (l'écrivain déclinant joué par Pierre Deladonchamps) que pourrait enfin rencontrer le jeune "Arthur" (l'étudiant breton joué par Vincent Lacoste, étoile montante vraisemblablement un double de Christophe Honoré au même âge). La maîtrise technique (cadrages, lumière, mouvements de caméra) se combine à une bande sonore magnifique. J'ai beaucoup écouté Cocteau Twins à une époque, Ariodante à une autre et la scène qui l'accompagne est particulièrement belle. Quand aux "gens qui doutent" de Anne Sylvestre, c'est une chanson sublime et elle accompagne également une très belle scène intimiste dans laquelle Jacques est en proie à des sentiments contradictoires qui le font souffrir.

Néanmoins ce qui me déplaît dans le cinéma de Christophe Honoré n'a pas disparu comme par magie. En particulier le côté verbeux-prétentieux. Autant les scènes musicales ou simplement chorégraphiées sont réussies, autant les scènes dialoguées brisent le charme par leur caractère souvent péremptoire, poseur, ampoulé et condescendant. C'est censé refléter le caractère de diva du dandy qu'est Jacques (et son métier, écrivain) sauf que cela revient de film en film comme une signature, celle de Christophe Honoré. Ainsi grâce à lui, on saura que manger des BN au petit déjeuner c'est un truc de plouc (ça c'est dans "Métamorphoses"), que les hôtels bon marché puent l'eau de javel (ça c'est dans "Plaire, aimer et courir vite") et que nous, pauvres spectateurs de la plèbe ne sommes "pas des Lumières" (ça c'est dans "Les Malheurs de Sophie"). L'indélicatesse paradoxale d'un monsieur se définissant comme raffiné et érudit se révèle de temps à autre ainsi, au détour de ces petites phrases méprisantes, à l'image d'un personnage écrit pour une partition de mélodrame mais dont l'ego surdimensionné et le caractère dominateur font obstacle à toute forme d'empathie, particulièrement lorsqu'il prend la parole. Goujat avec les femmes, classant ses amants en catégories comme des étalons de concours (mais à partir de références littéraires, histoire d'étaler sa science en prime), se livrant à des ébats sexuels excluant son meilleur ami devenu trop vieux (Denis Podalydès, remarquable, comme ses deux partenaires)*, se querellant avec un ex en phase terminale devant son fils de 9 ans et faisant la leçon à tout le monde, Jacques a beau être gay et malade, jamais Christophe Honoré ne laisse ce versant prendre le dessus sur celui du mâle dominant version intello-bobo-macho qui contrôle et manipule à qui mieux mieux. Heureusement que Pierre Deladonchamps (ultra talentueux, je ne le répèterai jamais assez!) parvient grâce à son jeu sensible à faire passer un peu d'humanité dans le personnage. Christophe Honoré devrait par exemple apprendre outre la simplicité et l'humilité l'art du silence, comme Ada dans "La Leçon de Piano" à qui il rend un drôle d'hommage dont on ne sait si c'est de l'art ou du cochon ^^.

* L'affiche du film où l'on voit trois hommes hilares dans un lit est purement et simplement MENSONGERE. Et j'ai en horreur le mensonge.

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A l'est de Shangai (Rich and Strange)

Publié le par Rosalie210

Alfred Hitchcock (1931)

A l'est de Shangai (Rich and Strange)

Sixième film parlant de Alfred HITCHCOCK (en deux ans!), "Rich and Strange", encore marqué dans son style par l'ère du muet (cartons, phrases non sonorisées, peu de dialogues, jeu forcé, plans expressifs) est une comédie sentimentale et d'aventures atypique dans sa filmographie. A mi-chemin entre "L'Ile de la tentation" et "Titanic" (1997), le film raconte le naufrage puis le sauvetage d'un couple parti se régénérer dans une croisière autour du monde. C'est un film mineur mais très plaisant, rehaussé par un humour percutant et une réflexion sur le couple qui ne manque pas de pertinence. D'abord parce que Fred et Emily cherchent des raisons extérieures à l'usure de leur couple (le train-train quotidien) et pensent que l'exotisme va tout résoudre. Evidemment, c'est le contraire qui se passe puisque l'exotisme prend la forme de l'adultère (très habilement suggéré). Ensuite parce qu'en mettant ainsi en danger leur couple, chacun découvre l'autre sous un jour plus réaliste et Fred et Emily peuvent ainsi prendre un nouveau départ. Nul doute qu'il y ait une part d'autobiographie dedans (même si l'argument est tiré d'un roman de Dale Collins rédigé en parallèle) d'autant que le scénario a été co-écrit avec Alma REVILLE, épouse de Alfred HITCHCOCK à la ville. Joan BARRY, l'actrice qui joue Emily n'est autre que la voix que l'on entend dans "Chantage" (1929), le premier film parlant de Alfred HITCHCOCK.

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L'Ange exterminateur (El Angel exterminador)

Publié le par Rosalie210

Luis Buñuel (1962)

L'Ange exterminateur (El Angel exterminador)

"Qui veut faire l'ange fait la bête", l'expression de Blaise Pascal est parfaitement appropriée pour parler de l'un des plus célèbres films de Luis BUÑUEL. Dix ans avant "Le Charme discret de la bourgeoisie" (1972), il cible déjà cette classe située au sommet de l'échelle sociale pour mieux la faire chuter de son piédestal. Le tout avec force métaphores religieuses (le titre, tiré de l'Apocalypse mais aussi les premières et dernières images ainsi que les agneaux qui traversent l'écran et font penser à l'agnus dei) mais aussi politiques et sociales. La séquence d'introduction sépare en effet les personnages en deux camps très nets. D'un côté les domestiques qui n'ont qu'une idée, se tirer à temps de ce qu'ils sentent instinctivement être un guêpier et sur lesquels les ordres des bourgeois n'ont aucun effet. Idée jouissive (et juste): la nécessité de sauver sa peau l'emporte sur l'ordre social. De l'autre les bourgeois qui tournent tellement en rond (comme le montre la répétition de certaines scènes) dans leur tout petit monde qu'ils finissent coincés à l'intérieur d'un salon avec le majordome (qui bien que chef des larbins paye ainsi le fait d'être toujours l'imitateur le plus zélé des maîtres). Il n'y a pourtant aucun obstacle visible qui les empêche de sortir de l'espace réduit dans lequel ils (se?) sont confinés. Mais le fait est qu'ils sont incapables de franchir la limite qui sépare le salon de la salle à manger qui communique vers le monde extérieur alors que celui-ci est au contraire incapable d'y entrer. C'est comme si les deux mondes (celui de la bourgeoisie et celui du peuple) s'étaient déconnectés physiquement l'un de l'autre. S'ensuit une étude satirique de ces hommes et de ces femmes dont on suit l'inexorable et humiliante déchéance, d'autant plus saisissante qu'ils sont parés pour aller à l'opéra. Mais la faim, la soif, la promiscuité, l'inconfort, la saleté ont rapidement raison de leur vernis de civilisation. Plus les jours passent, plus l'animalité de ces gens qui se croyaient au-dessus du commun des mortels ressort. C'est la bousculade pour un verre d'eau; les agissements lubriques de certains hommes sur les femmes pendant leur sommeil; les hallucinations qui s'emparent des esprits; les propos d'un des confinés sur sa congénère qui rompt le silence tacite en proclamant "qu'elle sent la hyène"; les animaux égorgés, cuits et mangés à même le sol du salon avec le bois des meubles et des instruments de musique; l'apparence de plus en plus négligée; les besoins naturels assouvis dans les placards quand ils ne servent pas à enfermer les cadavres; les pulsions de lynchage sur le maître de maison, accusé d'être la cause de l'impasse dans laquelle s'est enfermée la communauté. Et si l'une de ses membres parvient à briser le maléfice en utilisant un énième mécanisme de répétition, le piège se referme à nouveau un peu plus tard, cette fois dans une église. Quand on voit la date du film (1962), le comportement d'insubordination des domestiques et la séquence dans laquelle les bourgeois observent un ours se promener dans la salle à manger où ils ne peuvent pénétrer eux-mêmes, il n'est pas absurde d'accréditer la thèse selon laquelle cet ours pourrait représenter l'URSS étant donné que le communisme est sans doute le pire cauchemar que pouvaient éprouver les bourgeois à l'époque. Mais le film montre surtout leur déconnexion du réel et leur dépendance vis à vis du peuple qui lui à l'inverse peut parfaitement se passer d'eux. A méditer donc.

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Jauja

Publié le par Rosalie210

Lisandro Alonso (2014)

Jauja

"Jauja" qui signifie "Eldorado" est une expérience cinématographe assez radicale qui peut dérouter par son ascétisme mais qui s'avère en fait très riche*. Je le rapprocherais d'au moins trois autres films:

- "La Prisonnière du désert" (1956) parce qu'il s'agit d'une épure de western (mais en Patagonie, le réalisateur étant argentin) et que le personnage principal (joué par Viggo MORTENSEN) est un capitaine danois à la recherche de sa fille disparue (volontairement au départ puis "évanouie dans la nature") dans cette immensité sauvage quelque part à la fin du XIX° siècle sur fond de conquête coloniale et de massacre des autochtones.

- "Gerry" (2002) pour les longs plans-séquence d'un homme déraciné qui marche dans un désert sans fin non à la recherche d'une issue mais d'un fantôme.

- "2001 : l'odyssée de l espace" (1968) en raison des failles spatio-temporelles à travers un objet qui ici n'est pas un monolithe noir mais une simple figurine de soldat en bois (du genre casse-noisette). On peut y ajouter un chien et une caverne (et là on pense à "Pique-nique à Hanging Rock" (1975) et à ses mystérieuses disparitions inexpliquées de jeunes filles occidentales en territoire aborigène). Le saut temporel dans notre époque nous amène à nous demander si ce que nous avons vu du XIX° avec ses paysages désertiques et ses tentes pour seuls abris relève d'une histoire qui serait alors généalogique (et expliquerait l'apparition à la fin du XX° des arbres et de la maison, symboles d'enracinement) ou du rêve (le saut temporel commence par le réveil de celle qu'on croit être Ingeborg, la fille du capitaine danois mais il s'avère qu'il s'agit vraisemblablement de sa descendante a moins qu'elle ait dormi 100 ans ce que le château, la forêt peuvent suggérer sans parler de la pelade du chien) ou les deux.

"Jauja" partage avec les deux derniers films l'économie de paroles, le caractère contemplatif (et donc la lenteur), la réduction de l'humain à l'état non de figurine mais de figurant perdu dans un univers beaucoup plus vaste que lui et enfin l'aspect énigmatique car plus le film avance, plus il tend vers l'abstraction, le surnaturel et la métaphysique.

On peut ajouter deux caractéristiques formelles qui relient "Jauja" aux débuts du cinéma: outre le fait que sans être muet, le film n'est pas très bavard, l'image est au format carré 1:33 ce qui surprend, nous qui sommes habitués plutôt au cinémascope pour filmer d'immenses paysages. Enfin celle-ci bénéficie d'une grande profondeur de champ et la composition des plans qui sont fixes se fait selon une diagonale qui amène le spectateur à s'intéresser à deux histoires en parallèle: celle qui se déroule au premier plan et celle qui est esquissée en arrière-plan et n'est pas facilement déchiffrable d'ailleurs. Une manière de suggérer là encore que l'on navigue dans deux dimensions, deux temporalités et deux espaces.

* Il est cependant considéré comme le film le plus accessible de Lisandro ALONSO.

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Diaboliquement vôtre

Publié le par Rosalie210

Julien Duvivier (1967)

Diaboliquement vôtre

Un film victime de la mode est un film rapidement démodé. Ayant récemment visionné le premier film de Julien Duvivier, "Haceldama" (1919), j'ai eu envie de voir le dernier "Diaboliquement vôtre", sorti alors que Julien Duvivier venait de décéder au volant de sa voiture. Ironie du sort, le film s'ouvre sur un générique trépidant en caméra subjective censé simuler une vitesse excessive puis un accident de la route. Mais une fois ces premières minutes écoulées, le film s'avère décevant. D'abord et surtout parce qu'il est impersonnel. "Diaboliquement vôtre" est calqué sur ce qui marchait à l'époque, c'est à dire le thriller de machination dérivé (jusque dans le titre!) du film de Henri-George Clouzot, "Les Diaboliques" et de certains thrillers hitchcockiens (en premier lieu "Vertigo"). Mais sans le génie de l'un et de l'autre bien entendu. Car en prime l'intrigue est grossièrement ficelée et la plupart des acteurs ont un jeu trop limité pour s'en dépêtrer honorablement. On est gêné pour la pauvre Senta Berger (engagée pour sa plastique qui permet au spectateur de se rincer l'oeil lorsqu'elle apparaît dans un déshabillé suggestif) censé interpréter l'épouse de l'accidenté amnésique et qui ne sait utiliser qu'un seul registre, celui de l'infantilisation à outrance. Quant on sait que l'accidenté est interprété par un Alain Delon au top de sa virilité féline, lui parler comme à un demeuré ou un enfant de deux ans ne colle pas du tout. Les autres sont encore plus mono-expressifs si possible. Seul Alain Delon crève l'écran (ce qui n'est pas difficile) mais il n'est vraiment pas aidé par le scénario mollasson et convenu. Et lui aussi est employé pour de mauvaises raisons (c'était l'acteur en vogue que tout le monde s'arrachait). Dommage donc que la carrière de Julien Duvivier s'achève sur cette sortie de route qui n'a même pas été un succès commercial.

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Maborosi (Maboroshi no Hikari)

Publié le par Rosalie210

Hirokazu Kore-Eda (1995)

Maborosi (Maboroshi no Hikari)

"Maborosi" est le premier long-métrage de Hirokazu KORE-EDA. Même s'il ne met pas autant les personnages au centre de l'image que dans ses films ultérieurs, il est déjà orienté vers son thème obsessionnel, celui de la famille: famille dysfonctionnelle et famille recomposée. Dans "Maborosi", on passe de l'une à l'autre à travers la métaphore d'un pont qui nous entraîne d'un quartier populaire d'Osaka jusqu'à un petit village de pêcheurs. L'héroïne, Yumiko est un personnage hanté, comme le film lui-même qui a un caractère fantomatique: image épurée et parole rare. Hirokazu KORE-EDA établit un parallèle entre un souvenir d'enfance traumatique de Yumiko (le départ sans retour de sa grand-mère) et le deuil de son premier mari, Ikuo, qu'elle ne parvient pas à faire. Les plans dans lesquels Yumiko regarde ceux qu'elle aime s'éloigner d'elle pour toujours sont filmés de façon identique, les deux figures se mélangent dans ses rêves, sa période conjugale avec Ikuo est filmé de façon irréelle (extérieurs et intérieurs vides montrés en plans fixes, ambiance nocturne, Ikuo presque réduit à l'état de silhouette) et enfin elle emporte avec elle un souvenir sonore de Ikuo (une clochette accrochée à une clé de vélo) lorsqu'elle se remarie. Tout suggère à quel point ces départs (qui, comme dans "Nobody Knows" (2003) sont en réalité des abandons) ont laissé un grand vide en elle que rien ne peut venir combler.

Pourtant la deuxième partie du film qui raconte la nouvelle existence de Yumiko auprès de son second mari apporte de l'espoir à ce qui sinon aurait ressemblé à un film-tombeau (ou un film de fantômes). En dépit de l'intense mélancolie qui continue à la ronger de l'intérieur, tout semble reprendre vie autour d'elle: on y sent respirer la nature, le cadre s'élargit, permettant aux enfants de s'ébattre dans de grands espaces alors que la musique prend son envol et que les températures se réchauffent. Et on voit aussi ce dégel au fait que Yumiko s'insère dans une petite communauté dominée par un personnage qui n'est pas sans lui rappeler sa grand-mère défunte. Ce qui logiquement lui fait craindre plus que de raison pour sa vie. On y voit ses larmes couler, son questionnement s'exprimer (pourquoi m'a-t-il abandonné?), un feu au bord de la mer et une procession funéraire qui peut symboliser son travail de deuil. Mais l'interprétation de la fin reste ouverte avec un cadre vide hormis une table, une lettre, un objet lumineux (la clochette et la clé sans doute) et une fenêtre ouverte: Yumiko s'est-elle libéré de ses démons pour toujours ou les a-t-elle rejoints, cédant comme son défunt mari à "l'appel du vide" ("Mabososi" en japonais)?

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