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Maurice

Publié le par Rosalie210

James Ivory (1987)

Maurice

Des trois adaptations des romans de Forster que réalisa avec succès James Ivory entre 1985 et 1992, Maurice est celle que je préfère. Le fait que ces oeuvres aient si bien résisté à l'épreuve du temps montre qu'il était injuste d'accuser Ivory d'académisme. Et c'est particulièrement vrai en ce qui concerne Maurice. Outre sa justesse de ton dans le parcours initiatique de ce jeune homme vers la connaissance de lui-même, le film est frémissant, sensuel sous son apparence corsetée. Car Forster et Ivory s'intéressent à des êtres épris de liberté qui se heurtent à la norme, ils dépeignent un désir aux prises avec les règles. Forster ancien étudiant à Cambridge et homosexuel clandestin a écrit un livre largement autobiographique qui n'a été publié qu'après sa mort. L'époque Edwardienne et l'atmosphère feutrée du collège anglais sied particulièrement bien à Ivory qui peut la filmer à sa manière à la fois pudique et inquisitrice, discrète et subversive.

Maurice est sans doute un des meilleurs films qui existe sur la condition homosexuelle vécue de l'intérieur dans une société "peu encline à accepter la nature humaine" comme le dit si justement le médecin hypnotiste joué par Ben Kingsley. Une sensation précoce de différence, la peur d'être rejeté par sa famille et par ses proches, la crainte de se confier, l'illusion et l'espoir que ce n'est qu'un goût passager ou que la science va venir à la rescousse, l'appréhension d'être découvert dans le milieu professionnel, le chantage qu'une telle découverte peut provoquer, le regard particulier sur le corps masculin, le chagrin d'être trahi et abandonné par l'âme soeur avec laquelle on vivait un amour platonique mais passionné, l'apprentissage de la solitude, l'amertume devant l'hypocrisie et l'intolérance, la répression légale vécue à juste titre comme une scandaleuse injustice. Mais aussi la découverte des plaisirs de la chair, l'étonnement d'être perçu comme tel par un autre homosexuel, la joie de renverser les barrières (sexuelles et sociales) de s'assumer, d'être soi-même quelles qu'en soient les conséquences par ailleurs.

Maurice (James Wilby, bouleversant) passe par tous ces états puisqu'il finit par accepter sa condition et l'idée d'un bonheur possible dans sa différence avec le garde-chasse Alec Scudder (Rupert Graves, magnifique). A l'inverse, son ancien grand amour Clive (Hugh Grant alors tout jeune et tout aussi remarquable que ses deux partenaires) ne supporte pas la pression sociale qui pèse sur ses épaules. Lorsque l'un de ses anciens camarades, le vicomte Risley est arrêté et condamné pour ses moeurs (une allusion à peine voilée au procès d'Oscar Wilde), il craque et après avoir rompu avec Maurice, il s'assèche dans une vie stérile faite de conventions et de mensonges. Comme dans Les Vestiges du jour, autre joyau de sa filmographie, Ivory excelle à suggérer via la fissure d'un plafond, un regard mélancolique derrière une fenêtre fermée les fêlures d'un être qui a renié sa nature profonde et s'est construit sa propre prison. 

 

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La prisonnière du désert (The Searchers)

Publié le par Rosalie210

John Ford (1956)

La prisonnière du désert (The Searchers)

Ce film beau et profond a été souvent considéré comme le deuxième d'une trilogie fordienne consacrée à l'histoire du western. La Chevauchée fantastique signait son acte de naissance, L'Homme qui tua Liberty Valance son acte de décès et entre les deux, La Prisonnière du désert en montrait la face obscure. Mais j'aimerais apporter une nuance. A l'image de son héros, Ethan Edwards, le film est à la fois sombre ET lumineux. Ce clair-obscur est parfaitement retranscrit dans les célèbres cadrages ciselés qui ouvrent et referment le film. Dans une même image composée à la façon d'un cadre dans le cadre Ford synthétise l'alternance intérieur/extérieur qui caractérise ses films. L'intérieur sombre représente le foyer familial des pionniers, un univers matriciel autant qu'un possible tombeau. La caméra située au fond du foyer filme la porte ouverte dans l'encadrement de laquelle apparaît un bout de l'immensité rougeoyante et monumentale du désert, symbole de l'ouest sauvage que les pionniers soumis à rude épreuve tentent de conquérir et de domestiquer. Les deux mondes peuvent-ils s'interpénétrer? La greffe est-elle possible ou bien l'un des mondes rejettera-t-il l'autre? Quelle nation naîtra de ce "choc des mondes"?

A ce questionnement collectif se superpose une histoire intimiste douloureuse et complexe. L'élément perturbateur de la famille Edwards qui surgit du désert dans le premier plan du film n'est autre qu'Ethan, le frère maudit. Son retour inattendu après huit années d'absence révèle les failles cachées de la famille. Le frère d'Ethan, Aaron ne se réjouit guère de le revoir car les deux hommes sont amoureux de la même femme, Martha qui a épousé Aaron mais semble toujours très éprise d'Ethan qui est resté célibataire. Là-dessus vient se greffer un fils adoptif métis, Martin Pawley qu'Ethan supporte d'autant plus mal que lui-même n'a pas su trouver sa place dans la famille. Mais dès cet instant, l'ambivalence d'Ethan nous est révélée car on apprend que c'est lui qui a sauvé la vie de Martin après le massacre de toute sa famille et l'a en quelque sorte adopté (ce que la suite du film confirmera).

Cette introduction nous donne toutes les clés dont nous avons besoin pour comprendre la suite c'est à dire l'obsession avec laquelle Ethan se lance à la poursuite des Comanches qui ont enlevé sa nièce Debbie et l'incertitude que nous avons jusqu'au bout du sort qu'il lui réserve. En surface, il dit vouloir sa peau car ayant été souillée par les indiens, elle ne fait plus partie de la famille. Ce préjugé raciste est d'ailleurs partagé par les voisins des Edwards qui après leur disparition font figure de famille de substitution. Laurie leur fille (un double de Martha) qui est fiancée à Martin Pawley ne dit-elle pas que Debbie n'est plus qu'un "rebut, vendue de multiples fois" et qu'il vaudrait mieux qu'Ethan la tue? Mais en profondeur, ce qui torture Ethan Edwards est son secret familial, une ambivalence amour/haine liée au fait que Debbie est la fille de la femme qu'il a tant aimé et en même temps la preuve vivante de l'échec de sa vie personnelle puisqu'elle n'est pas sa fille. Deux choix s'ouvrent devant lui: ou la vengeance (supprimer la filiation de son frère) ou la réparation (protéger Debbie ce qu'il n'a pas pu faire pour sa mère). C'est pourquoi le geste instinctif par lequel il soulève l'enfant au-dessus de lui joue un rôle si important dans le film. Il symbolise la reconnaissance d'un lien de filiation plus fort que tout.

En créant Ethan Edwards, Ford s'est montré particulièrement audacieux. Dans un pays très porté sur le manichéisme, il a créé un héros complexe, imparfait, ambigu. Ethan est un sauveur mais lorsque la haine le submerge on le voit commettre des actes cruels et vils et certaines de ses paroles font frémir. S'il réussit à recomposer sa famille à l'image d'une nation désormais métissée, il en reste exclu et devra continuer à errer dans le désert à la recherche de lui-même.

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L'homme qui tua Liberty Valance (The Man Shot Liberty Valance)

Publié le par Rosalie210

John Ford (1962)

L'homme qui tua Liberty Valance (The Man Shot Liberty Valance)

L'homme qui tua Liberty Valance fait partie des westerns crépusculaires de John Ford réalisés à la fin de sa carrière. Des héros vieillis, désabusés, parfois cyniques parfois nostalgiques se retrouvent aux prises avec les contradictions de la nation américaine: la violence et la loi, l'individu et la communauté, la tradition et le progrès. Le film raconte l'intégration d'un Far West sans foi ni loi dans le monde civilisé c'est à dire sa disparition. Et pourtant les mythes de l'ouest continuent à travailler la société américaine (la frontière à franchir, l'auto-défense..)

Dans le film tiré d'une nouvelle de Dorothy M. Johnson, le territoire de la petite ville de Shinbone devient un Etat de l'Union et la loi de la jungle est remplacée par la constitution et le code civil. Mais l'ascension sociale et politique de l'avocat Randsom Stoddard (James Steward) qui commence plongeur à Shinbone et finit sénateur a un prix. Celui du sacrifice de son principal allié, le cow-boy Tom Doniphon (John WAYNE) sans lequel il aurait péri sous le fouet ou sous les balles du criminel sans foi ni loi Liberty Valance (Lee Marvin) qui faisait régner la terreur dans la région. Doniphon partage le même humanisme que Stoddard mais c'est un homme solitaire, fier et profondément individualiste. En refusant toute compromission avec la civilisation de "la loi et l'ordre" de Stoddard il signe sa perte et celle du genre western avec lui tant Wayne en est la figure emblématique. Cette mort est symbolisée par l'incendie du ranch qu'il avait fait construire pour lui et Hallie et par son cercueil surmonté d'un cactus en fleur déposé par son ex-fiancée. En acceptant de recevoir l'instruction dispensée par Stoddard, elle finit par l'épouser ainsi que son monde. Un autre personnage important de Shinbone prend le parti de Stoddard, le journaliste Dutton Peabody (Edmond O'Brien) mais lui à tout à gagner au règne d'une société démocratique qui protège la liberté de la presse.

En voyant ce film, on s'aperçoit de l'absurdité qu'il y a à opposer systématiquement le classicisme fordien au baroquisme maniériste de Sergio Leone. Le style diffère mais le darwinisme social agit de façon identique dans leurs westerns crépusculaires respectifs. On pense en particulier à Il était une fois dans l'Ouest où joue également Woody Strode. Le chemin de fer apporte la civilisation, ceux qui s'y adaptent survivent les autres périssent.

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Mon oncle

Publié le par Rosalie210

Jacques Tati (1958)

Mon oncle

Pour comprendre en quoi Mon Oncle était un film visionnaire en 1958 il faut le resituer dans son contexte historique. La France sort alors de la reconstruction et entre de plein-pied dans la haute croissance qui est au coeur des 30 Glorieuses. Cette haute croissance est marquée par une transformation radicale du paysage urbain et l'adoption de l'american way of life où le matérialisme, l'utilitarisme, l'hygiénisme et l'individualisme règnent en maîtres. La publicité et les salons ménagers véhiculent un idéal de modernité où la maîtresse de maison explose de bonheur devant son dernier robot Moulinex pendant que le chef de famille astique sa voiture dernier cri. Mais dans ce nouveau monde aseptisé, normalisé, mécanisé et déshumanisé "on a pas besoin d'acrobates." Or le destin de Tati (et de son double de cinéma, Hulot) marqué par l'anti-conformisme a fait de lui l'un de ces acrobates qui ne peuvent se plier au système. S'il s'agit d'un handicap social certain, cette liberté de corps et d'esprit lui a permis d'observer et de retranscrire son époque avec clairvoyance. Il n'est d'ailleurs guère surprenant que son film ait déplu en France et qu'il se soit fait traiter de réactionnaire. Nul n'est prophète en son pays et il n'était pas de bon ton de critiquer une idéologie qui était alors au coeur des décisions politiques autant que la norme sociale.

Mon Oncle décrit deux mondes ou plutôt un monde en pleine mutation. Une image récurrente et magnifique résume ce basculement. Au premier plan, un mur écroulé symbolise l'ancien monde en train de disparaître, celui du village de St Maur avec ses calèches, ses pavés, ses becs de gaz, ses terrains vagues, son marché, son bistrot et sa baraque biscornue où vit Hulot tout au sommet dans un modeste 2 pièces. Un monde archaïque, sale et délabré mais convivial et pittoresque. Un monde poétique aussi où les valeurs de Hulot peuvent s'épanouir: rêverie, flânerie, détours, flottements, magie du quotidien (magnifique moment où un rai de lumière reflété par la vitre de Hulot fait chanter un oiseau). Au second plan les barres d'immeubles alignées symbolisent le monde en train de naître. Un monde uniformisé, froid, vide, géométrique, blanc, asphalté, mécanisé où l'automobile est reine et où les valeurs maîtresses sont la vitesse, la technologie et la rentabilité. Tati prophétise la déshumanisation des banlieues-dortoirs à travers l'architecture: "Ce qui me gêne, ce n'est pas qu'on construise des immeubles neufs, il en faut, mais des casernes. Je n''aime pas être mobilisé, je n'aime pas la mécanisation (...) Je ne crois pas que les lignes géométriques rendent les gens aimables." Il souligne aussi l'esclavage insidieux qu'instaure ce modèle de société. Le couple Arpel si fier de sa maison luxueuse ne se rend pas compte qu'elle ressemble à une prison dont les hublots-yeux-miradors scrutent les mouvements du dehors. Le "tout communique" de Mme Arpel ne renvoie pas à la convivialité mais à une société de la surveillance où le bruit des objets couvre les voix humaines. Quant aux Arpel eux-même ils sont en voie de robotisation comme le souligne le gros plan sonore du claquement des chaussures de Mme Arpel sur les dalles du jardin. Celle-ci apparaît comme la caricature de la desperate housewife hantée par la nécessité de nettoyer, servir et paraître. Car à l'agencement rigoureux de sa maison et de son jardin d'où aucun clou ne dépasse répond une stricte hiérarchisation de ses visiteurs. Selon leur statut social, elle déclenche ou ne déclenche pas le jet d'eau de la fontaine en forme de poisson qui règne au milieu du jardin. Voir Hulot involontairement désordonner cet agencement strict est de ce fait un plaisir jubilatoire qui fait souffler un vent de liberté et de fantaisie tout comme ses frasques à l'usine de M. Arpel où un tuyau en plastique se transforme en chapelet de saucisses. Mais la fin est sans équivoque: le temps passe, le monde évolue et le passé est irrémédiablement condamné. La suite 10 ans plus tard sera le quartier de tours et de barres vitrifiées de Playtime où la question centrale sera: comment y réinventer la vie?

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Charlot Vagabond (The Tramp)

Publié le par Rosalie210

Charles Chaplin (1915)

Charlot Vagabond (The Tramp)

Sixième film réalisé pour la Essanay, Charlot Vagabond est tout comme le troisième, Charlot Boxeur un court métrage important dans la filmographie de Chaplin car il y peaufina le personnage qui le rendit célèbre dans le monde entier. La silhouette immédiatement reconnaissable de Charlot avec ses godillots usés, son pantalon trop large, sa veste étriquée, son chapeau melon, sa canne et sa petite moustache avait fait son apparition dès 1914 avec les films de la Keystone. Mais c'est Charlot Vagabond qui lui donna sa personnalité définitive, compassionnelle et mélancolique. Si le film est surtout burlesque avec son lot de chutes et de coups assez répétitifs, Charlot s'avère être un clown triste dont l'incapacité à se faire aimer d'Edna malgré son dévouement introduit un certain pathos dans l'histoire. Mais il finit toujours par se ressaisir et à repartir de l'avant comme le montre la très belle dernière scène sur la route qui annonce celle, mythique, des Temps modernes.

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Allô...Brigade spéciale (Experiment in Terror)

Publié le par Rosalie210

Blake Edwards (1962)

Allô...Brigade spéciale (Experiment in Terror)

Ayant peur d'être enfermé dans la comédie et désireux de prouver l'étendue de ses capacités, Blake Edwards décide au début des années 60 de changer de registre et de réaliser un film noir. De fait "Experiment in terror" (titre en VO) porte bien son nom. Il s'agit effectivement d'une expérimentation qui donne un résultat contrasté.

Le point fort du film ce sont les séquences virtuoses sur le plan technique comme la séquence inaugurale de l'agression dans le garage tournée quasiment en un seul plan où Edwards réussit à créer et à maintenir une tension remarquable alors que la scène est très longue. On retrouve de tels morceaux de bravoure ailleurs dans le film avec par exemple à la fin une séquence de poursuite dans la foule assez anthologique. La mise en scène s'appuie d'autre part sur une photographie N/B magnifique due au chef opérateur Philipp Lathrop et sur une musique tout aussi somptueuse d'Henri Mancini. Ce climat d'angoisse très réussi a vraisemblablement inspiré plus tard David Lynch: le quartier où vit la jeune femme se nomme Twin Peaks.

Mais la forme n'est pas tout et par bien des aspects, le film d'Edwards se limite à un brillant exercice de style. L'intrigue par exemple comporte des moments faibles plus ou moins bien camouflés par les mouvements virtuoses de la caméra (la séquence des mannequins). D'autre part l'un des scénaristes a tellement voulu magnifier le FBI où il avait travaillé quelques années plus tôt que le prétendu réalisme documentaire avec lequel est traité cette institution prête à sourire. Kelly la jeune femme agressée compose leur numéro et ô prodige, ne tombe pas sur un quelconque standard mais sur une huile qui de plus est ô miracle immédiatement disponible et se rend chez elle en moins d'une demi-heure. Un simple coup de fil et le FBI est à votre porte. Si c'est pas beau ça!

Mais la plus grande béance du film est l'absence totale d'épaisseur des personnages, aussi transparents les uns que les autres. Le refus de la psychologie est volontaire et a pour but d'épurer l'intrigue. Mais si cela fonctionne ponctuellement, cela affaiblit l'ensemble du film. Le tueur par exemple est un prédateur sexuel qui s'en prend à des jeunes femmes et les séquences où il est face à Kelly puis face à Toby sont réellement terrifiantes. Même si le code Hays était déjà affaibli à cette époque, Edwards ne pouvait pas tout montrer mais ce qu'il suggère (une main qui se promène sur un corps, l'obligation de se déshabiller devant lui) suffit à faire frémir. Mais hélas il ne peut maintenir durant tout le film ce climat de tension extrême puisque l'on ne peut s'attacher à ces femmes ni à qui que ce soit. Et on ne comprend pas davantage ce tueur qui d'un côté massacre des femmes et de l'autre joue les protecteurs avec celle qui a un enfant hospitalisé. C'est sur le point précis de la psychologie/psychanalyse que l'on mesure toute la distance qui sépare un Blake Edwards d'un Hitchcock. Experiment in terror a des points communs avec Psychose et Lee Remick fait terriblement penser à Tippi Hedren dans la scène de "viol" des Oiseaux. Mais Psychose et les Oiseaux sont au Panthéon du cinéma mondial et pas Expériment in terror et c'est pleinement justifié.

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La chevauchée fantastique (Stagecoach)

Publié le par Rosalie210

John Ford (1939)

La chevauchée fantastique (Stagecoach)

La chevauchée fantastique est un chef d'oeuvre du western et du cinéma tout court.

Son aspect mythique est lié au fait qu'il établit les bases du western classique hollywoodien (et même au-delà). C'est en effet le premier western parlant de John Ford qui s'imposera comme le réalisateur majeur du genre, c'est le premier film tourné à Monument Valley qui deviendra le symbole du western tout entier, c'est le premier western de Ford avec John WAYNE qui sera révélé au grand public et deviendra la figure emblématique du genre. Un genre que Ford a contribué à réhabiliter tout en faisant sortir Wayne de son statut d'acteur de série B. Le célèbre mouvement de caméra par lequel on le découvre dans le film est à lui seul une des plus belles entrées de star de l'histoire du cinéma.

Mais si le film reste incontournable aujourd'hui c'est parce qu'il possède des qualités intrinsèques. Ford se révèle être un conteur hors-pair, un psychologue-né et fait preuve d'une précision sans faille dans les choix de bande-son, de cadrages, de montage, ce qui assure la réussite de son histoire et de sa mise en scène. Celle-ci alterne avec bonheur des scènes d'action étourdissantes dans l'immensité cosmique comme celle de l'attaque des indiens, et des scènes intimistes dans un huis-clos théâtral qui lui permettent d'analyser en profondeur ses personnages et les évolutions de leurs relations. La réunion de caractères différents dans un espace restreint et dans un climat tendu n'est pas en soi un thème nouveau. Ford s'est d'ailleurs inspiré d'une nouvelle de Ernest Haycox sortie en 1937, Stage to Lordsburg qui transposait dans un cadre américain la nouvelle de Maupassant Boule de Suif. Mais Ford a transcendé son sujet en posant un regard profondément humaniste sur ses personnages. En prenant le parti des exclus victimes des préjugés du puritanisme américain, il fait une critique sociale salutaire. Les épreuves que vivent les personnages révèlent leurs vraies personnalités et ce sont ceux qui sont les plus ostracisés (Boone, Dallas et Ringo Kid) qui s'avèrent être ceux qui ont les plus grandes qualités morales. Le voyage est d'ailleurs symboliquement synonyme de transformation. Les barrières de classe et les jugements moraux très palpables au début de leur périple finissent par tomber avec pour catalyseur la naissance d'un bébé dans des conditions particulièrement précaires. Seul Gatewood, le banquier escroc reste en dehors de cette communion. Symbolisant le capitalisme-voyou, il est mis hors d'état de nuire et remplace en prison le "hors la loi" Ringo Kid qui en faisant alliance avec le Shérif Curly Wilcox (un père de substitution) réintègre la société. Les bandits ne sont pas ceux que l'on croit!

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Mam'zelle Charlot (A Woman)

Publié le par Rosalie210

Charles Chaplin (1915)

Mam'zelle Charlot (A Woman)

Un court-métrage burlesque à la trame conventionnelle et aux effets comiques peu originaux (chutes et torgnoles) qui aurait sombré dans l'oubli sans le moment où Charlot se travestit après avoir rasé sa moustache. Sa composition délicate est plus vraie que nature et réussit à jeter le trouble. Son numéro tout en minauderies et oeillades coquines est tout simplement époustouflant et confirme si besoin était son talent exceptionnel d'acteur.

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Les cinq secrets du désert (Five Graves to Cairo)

Publié le par Rosalie210

Billy Wilder (1943)

Les cinq secrets du désert (Five Graves to Cairo)

Le deuxième film hollywoodien de Wilder sorti pendant la seconde guerre mondiale brode une intrigue d'espionnage à partir de l'épisode de la guerre du désert qui opposa les allemands aux anglais pour le contrôle du canal de Suez, principale voie d'accès alliée aux colonies britanniques de l'Océan indien et à l'URSS. Mais le film est moins historique que propagandiste. Il s'agit surtout d'expliquer comment les alliés ont pu vaincre Erwin Rommel, l'un des plus brillants généraux nazis. L'intrigue est assez invraisemblable et fait penser à une série B. Mais la Wilder's touch relève l'ensemble. Le film s'insère parfaitement dans la thématique wildérienne déguisement-usurpation d'identité-quiproquo cette fois-ci à des fins dramatiques. Le rythme du film est très maîtrisé avec une situation de huis-clos tendu où le suspens est constant grâce à des rebondissements parfaitement calculés. La plupart sont introduits par Farid le maître d'hôtel qui joue un rôle clé. La photographie est superbe et Erich von Sroheim impérial dans le rôle de Rommel.

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Moonrise Kingdom

Publié le par Rosalie210

Wes Anderson (2012)

Moonrise Kingdom

Peu de films de ces cinq dernières années m'ont autant éblouie et touchée que Moonrise Kingdom. A l'image de son titre, le film est un conte initiatique d'une grande poésie. L'action est située dans les années 60 sur une île de la Nouvelle-Angleterre à la veille d'une formidable tempête. Dans ce lieu presque coupé du monde, deux univers coexistent mais ne se mélangent pas. D'un côté celui des adultes qui incarnent presque tous des figures d'autorité (policier, avocat, chef scout...) est carré, clos et cartésien. Il est matérialisé par la visite de la maison des Bishop pièce par pièce puis par celle du camp scout qui reprend la même esthétique et la même mise en scène en forme d'inventaire méticuleux permis par des travellings horizontaux ou verticaux. Mais cette impression de maîtrise et d'ordonnance géométrique est contredite par la taille et l'aspect de leurs habitations qui ressemblent à des miniatures. De fait les adultes du film s'avèrent absents, tragiquement impuissants, démissionnaires, mous, défaitistes et incapables d'habiter leur fonction. C'est pourquoi devant le désert parental, les enfants ont développé leur propre univers en forme de fusée ou de bateau, arrondi, ouvert sur l'extérieur et l'imaginaire. Le refuge de Suzy au sommet de sa maison ressemble à un phare, la découpe de la tente qui permet à Sam de s'enfuir ressemble à un hublot, l'improbable cabane perchée des scouts semble tutoyer les étoiles, et surtout La crique où les enfants abritent leur amour et qui porte un nom sans âme est rebaptisée par eux "Moonrise Kingdom". Cette même crique arrondie que Sam continue à peindre dans le salon carré des parents de Suzy.
Ces enfants qui symbolisent la vie et la lumière, qui incarnent les animaux de l'arche de noé, qui prennent toutes les initiatives, qui bouillonnent d'énergie sont menacés de dévitalisation par la coercition qui s'exerce sur eux. Leur soif de liberté ne peut s'exprimer que par la transgression. Sam et Suzy que leur sensibilité aigue, leur précocité et leurs problèmes familiaux rendent particulièrement inadaptés et vulnérables sont en première ligne. Suzy est cataloguée comme étant une enfant perturbée alors que Sam est promis aux séances d'électrochoc voire à la lobotomie. Seule la tempête libératrice qui éclate à la fin du film (une sorte de mai 1968 avant la lettre?) et renverse tout sur son passage peut rebattre les cartes. Le tout avec l'aide d'un adulte qui finit par sortir de son apathie, le capitaine Sharp (Bruce Willis dans un de ses meilleurs rôles). Sharp est une version adulte d'un Sam à qui on aurait brisé les ailes. Sa rencontre avec celui-ci, son désir de le protéger et de protéger sa relation avec Suzy va le reconnecter à la vie.

Le style vignettes colorées et surchargées de détails de Wes Anderson reconnaissable entre tous est ici mis au service d'une histoire haletante et de personnages forts et émouvants. L'hommage à Kubrick y est particulièrement appuyé des poses de Lolita de Suzy aux débordements liquides sur fond de décors géométriques qui étaient le leitmotiv de Shining. La bande-son tout aussi travaillée que l'image est également très belle et en harmonie avec l'histoire racontée (la famille, l'arche...)

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