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Les sentiers de la gloire (Paths of Glory)

Publié le par Rosalie210

Stanley Kubrick (1957)

Les sentiers de la gloire (Paths of Glory)

Les sentiers de la gloire met en lumière les scandaleuses injustices commises par l'armée française pendant la première guerre mondiale et longtemps étouffées. Il s'inspire en effet d'un fait réel: En 1915, 4 officiers accusés de lâcheté furent exécutés pour l'exemple à la suite d'un ordre du sinistre général Réveilhac qui face au refus de ses troupes de se lancer dans un assaut impossible n'avait pas hésité à ordonner de faire tirer sur ses propres hommes. Comme dans le film, le colonel d'artillerie avait refusé d'obéir sans un ordre écrit.

Ce que le film met parfaitement bien en lumière, c'est que l'armée est une société en miniature reproduisant les barrières et rapports de force entre les classes sociales. Les simples soldats issus de milieux populaires s'entassent dans les tranchées boueuses et puantes et servent de chair à canon tandis que les officiers aristocrates vivent abrités dans des châteaux, donnent des réceptions et ont droit de vie et de mort sur une populace qu'ils méprisent. Le colonel Dax joué par Kirk Douglas qui est avocat dans le civil représente les classes moyennes en essor. Il va et vient entre les deux mondes, à la fois supérieur des soldats et subordonné des généraux.

Le film montre également que l'armée est une institution où règne une culture de l'irresponsabilité généralisée. Chacun peut se défausser de ses actes sous le prétexte qu'il obéit à un ordre et se défouler sur les autres sans être inquiété. En cela il souligne à quel point la première guerre a préfiguré la monstruosité de la seconde où sous les mêmes prétextes, des milliers de civils hommes, femmes et enfants ont subi le même sort. Il dénonce également les manipulations psychologiques dont sont victimes les soldats à qui on inculque le culte du courage pour qu'ils perdent tout discernement et aillent se faire massacrer ou exécuter sans broncher.

Les sentiers de la gloire est donc moins un film contre la guerre qu'un film contre l'armée dans lequel Kubrick donne toute la mesure de son antimilitarisme humaniste. Les autorités françaises ne s'y sont pas trompées. Sorti en 1957 en pleine guerre d'Algérie, le film fut invisible en France jusqu'en 1975. Il ne fut pas officiellement censuré mais le Quai d'0rsay fit pression sur les distributeurs pour qu'ils renoncent à l'exploiter. Le gouvernement tenta même de s'ingérer dans les affaires intérieures de la Belgique pour y faire interdire le film (car c'est là que les cinéphiles français se rendaient pour le voir).

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Docteur Folamour (Dr. Strangelove)

Publié le par Rosalie210

Stanley Kubrick (1964)

Docteur Folamour (Dr. Strangelove)

Grand joueur d'échecs (et donc passionné par la géostratégie sans parler de son sens de la géométrie de l'espace) et brillant compositeur d'images grâce à ses débuts comme photographe Kubrick n'a quasiment réalisé que des chefs-d'oeuvres dont beaucoup liés aux conflits contemporains (1ere guerre mondiale, guerre froide, guerre du Vietnam...)

"Messieurs, vous ne pouvez pas vous battre ici voyons! Nous sommes dans le salon de la guerre!", "Mein Führer, je marche!", "Nous avons un petit problème avec la bombe", " "Je suis résolu à ne pas tolérer l'infiltration communiste, la propagande communiste, la subversion communiste, l'intoxication et le complot communiste qui sappent et qui putrifient tous nos plus précieux fluides corporels." Voici quelques-unes des répliques cultes d'une comédie grinçante qui ne l'est pas moins.

Ce bijou d'humour noir a été réalisé peu après la crise des missiles de Cuba qui faillit provoquer une apocalypse nucléaire mondiale. Kubrick ridiculise avec brio américains et soviétiques secondé par Peters Sellers dans un triple rôle étourdissant. Les américains en prennent tous pour leur grade: général fou paranoïaque ("Jack D. Ripper" est une allusion à peine voilée à Jack l'éventreur) ou stupide (Buck "Turgidson" un nom à connotation sexuelle), major "King Kong" à mi chemin entre le cowboy et le gorille, président impuissant et pusillanime. Quant au docteur Folamour, inspiré par le scientifique allemand Werhner Von Braun, il souligne le cynisme des USA (et des autres vainqueurs) qui n'ont pas hésité à exfiltrer 1500 cerveaux nazis à la fin de la guerre lors de l'opération Paperclip pour se servir de leurs compétences (Von Braun a travaillé pour la NASA et joué un rôle clé dans le programme Apollo).

Le salon de la guerre devient ainsi un festival de bêtise, d'ego surgonflé et de frustrations sexuelles en tout genre. Le film est truffé d'allusions qui montrent que la guerre froide est une démonstration de puissance virile. L'apocalypse nucléaire et les perspectives de "sélektion" qui en résultent (les meilleurs éléments seraient emmenés sous terre et encouragés à se reproduire) excitent tant Folamour par exemple qu'il ne peut s'empêcher d'ériger son bras en l'honneur d'Hitler sans parler du fait qu'il se redresse pour marcher!

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Larry Flynt (The People VS. Larry Flynt)

Publié le par Rosalie210

Milos Forman (1996)

Larry Flynt  (The People VS. Larry Flynt)

"On refait toujours le même film" disait Jean Renoir. C'est particulièrement frappant dans le cas de Milos Forman. Ses films sont pour la plupart centrés sur des personnages masculins de fiction (Mc Murphy, Coalhouse Walker Junior) ou ayant réellement existé (Amadeus, Larry Flynt, Andy Kaufman). Des mauvais garçons charismatiques, provocateurs, showmen (plusieurs sont artistes) luttant le plus souvent pour la liberté d'expression ou le respect de leurs droits fondamentaux contre un système tyrannique. Ces leaders quelle que soit la noblesse de leur cause sont très imbus d'eux-même, manipulateurs et parfois grossiers. Néanmoins ils finissent tous par devenir des personnages christiques en se sacrifiant pour leur cause.

Larry Flynt est emblématique de ce type de personnage et parcours. La célèbre et polémique affiche qui le montre crucifié sur un ventre féminin en string avec pour seul vêtement un drapeau américain ainsi que celle moins sulfureuse qui le montre baillonné avec ce même drapeau dit tout.

Larry est en effet au départ un type plutôt minable, tenancier d'une boîte de strip-tease qui va avoir une idée de génie: créer Hustler un magazine concurrent de Playboy sans la caution "porno chic et bon teint" de celui-ci". Ce simple magazine va déchaîner les passions et confronter Larry à l'intégrisme religieux mais aussi au déferlement de haine raciste (car son magazine abolit toutes les barrières du bon goût de l'époque, y compris celle des "races.") C'est pourquoi son avocat très BCBG (Edward Norton) le défend bec et ongles y compris contre lui-même. Il dit en substance "je n'aime pas ce que vous dites mais je me battrai pour que vous puissiez le dire." On ne peut que penser à Charlie Hebdo où le débat sur la liberté d'expression a croisé la violence et le terrorisme (Flynt a été victime d'un serial killer suprémaciste blanc et la rédaction de Charlie Hebdo de deux islamistes fanatiques).

A noter que le véritable Larry Flynt fait une apparition dans le film où il joue...le juge de Larry Flynt!

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Les Ombres du coeur (Shadowlands)

Publié le par Rosalie210

Richard Attenborough (1993)

Les Ombres du coeur  (Shadowlands)

Les Ombres du coeur est un film qui m'a fascinée dès le premier visionnage et continue depuis à me fasciner. Il est en effet traversé de mouvements contradictoires. D'un côté Attenborough s'attache d'une façon parfois un peu pesante et académique (mais pourquoi pas après tout au vu du sujet?) à retranscrire les rites, les fêtes et les moeurs du microcosme oxfordien des années 50 où d'austères professeurs célibataires endurcis cultivaient à la fois l'art des Belles Lettres et celui de la misogynie. D'autre part, tel un chien fou dans un jeu de quilles, il y jette avec une certaine délectation une jeune écrivaine moderne, juive, américaine, communiste et qui n'a pas la langue dans sa poche. Choc des cultures garanti qui donne lieu à des scènes savoureuses comme celle où elle remet à sa place un professeur particulièrement goujat.

Néanmoins l'essentiel du film -inspiré de la véritable histoire de C.S Lewis et Joy Gresham- se situe sur un plan beaucoup plus intimiste. Joy ne fréquente pas Oxford pour le plaisir des joutes oratoires mais parce qu'elle veut rencontrer en personne l'écrivain avec lequel elle entretient une correspondance depuis deux ans et qu'elle admire. Vieux garçon puritain et fervent croyant, vivant avec son frère dans une relation vaguement incestueuse, C.S Lewis est à priori aux antipodes de Joy mais leur confrontation, parfois houleuse finit par porter ses fruits.

Lewis s'avère bloqué dans son développement par le traumatisme de la mort de sa mère lorsqu'il était enfant et dont il ne s'est jamais remis. C'est pourquoi bien qu'il ne connaisse rien aux enfants il est capable d'écrire des récits pour la jeunesse (Les chroniques de Narnia) car il est resté lui-même un enfant. D'autre part il s'est construit une bulle et une carapace qui le mettent à l'abri de tout risque émotionnel "vous vous êtes construit une vie où vous êtes intouchable." Le comble du mensonge étant ses nombreuses conférences où il évoque le pouvoir rédempteur de la souffrance alors qu'il s'est blindé contre elle. Sa rencontre avec Joy ("Joie") provoque un tsunami dans sa vie. Il va longtemps lui résister et nier ses sentiments mais la maladie de Joy finit par lui ouvrir les yeux et lui faire comprendre qu'il doit se déclarer avant qu'il ne soit trop tard. C'est ainsi qu'en quelques mois, il va traverser toutes les émotions qu'il avait refusé de vivre, de la joie la plus intense à la douleur la plus cruelle "la peine qui nous attend fait partie de notre bonheur d'aujourd'hui. C'est la règle du jeu". Grâce à Joy, Lewis parvient au terme de son cheminement à continuer à aimer, même par delà la mort de sa femme.

Antony Hopkins était alors au sommet de sa carrière cinématographique. En effet son rôle de C.S Lewis est contemporain des deux autres grands rôles romantiques qui ont fait sa gloire: Hannibal Lecter (Le silence des agneaux) et le majordome Stevens (Les vestiges du jour). Quant à Debra Winger, elle est parfaite en maîtresse femme la fois incisive et douce.

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Cléo de 5 à 7

Publié le par Rosalie210

Agnès Varda (1962)

Cléo de 5 à 7

Cléo de 5 à 7 , réalisé en 1961 est l'un des films les plus célèbres d'Agnès Varda. Il est emblématique de son oeuvre à la fois lumineuse et hantée par la mort. Durant la réalisation du film, Agnès Varda avait en tête un tableau d'Hans Baldung Grien intitulé La jeune fille et la mort et dont une reproduction est affichée dans l'appartement de Cléo. De même le titre est volontairement équivoque. Moi-même j'ai longtemps cru avant de le voir que Cléo avait un rendez-vous galant alors que le tirage des tarots par la cartomancienne au début du film annonce d'emblée que son rendez-vous est avec la grande faucheuse. Ce "5 à 7", c'est en effet le temps (filmé en temps réel) qui sépare la séance de tarots du résultat des examens médicaux qui doivent confirmer si oui ou non Cléo est atteinte d'un cancer.

Durant ces quatre-vingt dix minutes d'attente, Cléo va effectuer un parcours dans Paris où toutes sortes de messages subliminaux disséminés dans la ville lui envoient des signaux qui ravivent son angoisse: "Rivoli deuil", "Bonne santé", "Pompes funèbres", "Boulevard de l'hôpital". Ce cheminement reflète le parcours intérieur de Cléo qui va se métamorphoser, passant de la jeune fille frivole obsédée par le reflet du miroir à la jeune femme tournée vers les autres et empreinte de gravité. D'image factice modelée par des fantasmes masculins standardisés, elle devient une "belle" personne autonome qui regarde et qui agit.


L'un des moments les plus forts du film se situe dans le parc Montsouris. Cléo a réalisé dans la première partie du film que sa vie était vide et son entourage, indifférent. Sous la cascade, elle rencontre Antoine, un soldat permissionnaire sur le point de repartir dans l'enfer de la guerre d'Algérie, contemporaine de la réalisation du film. Parce qu'ils sont tous deux en danger de mort, les jeunes gens ont des échanges paisibles et dépourvus de tout artifice. Cléo révèle ainsi à Antoine son véritable prénom: Florence. Cléo est le pseudonyme d'une chanteuse de variétés périssables. Florence renvoie à la Renaissance. Les sculptures comme toutes les oeuvres d'art authentiques gravent pour l'éternité la beauté de ce qui est fragile, éphémère et mortel. Elles sont le fruit d'un vrai regard et non d'un miroir aux alouettes.

Les deux jeunes gens se soutiennent mutuellement dans l'épreuve: Antoine accompagne Cléo à l'hôpital puis elle se rend avec lui à la gare. N'étant enfin plus seule, elle n'a plus peur. L'angoisse, la souffrance et l'amertume débouchent sur un état de grâce: "La lumière ne se comprend que par l'ombre et la vérité suppose l'erreur. Ce sont ces contraires qui peuplent notre vie, lui donnent saveur et enivrement. Nous n'existons qu'en fonction de ce conflit dans la zone où se heurtent le blanc et le noir alors que le blanc ou le noir relèvent de la mort." (Agnès Varda)

A noter la présence d'un court-métrage burlesque muet au milieu du film "les fiancés du pont mac donald ou méfiez-vous des lunettes noires" avec le couple vedette de la Nouvelle vague: Jean-Luc Godard et Anna Karina. Agnès Varda joue sur les lunettes de Godard qui lorsqu'il les met lui font voir tout en noir. Godard jeune sans lunettes a des faux airs de Buster Keaton.

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Les fils de l'homme (Children of Men)

Publié le par Rosalie210

Alfonso Cuaron (2006)

Les fils de l'homme (Children of Men)

Les fils de l'homme est moins un film de SF qu'un film très contemporain sur les angoisses liées à l'avenir de l'humanité. Le portrait de Londres en 2027 extrapole à partir des problèmes actuels des métropoles des pays développés: terrorisme (islamiste), catastrophe nucléaire, pollution et épuisement des ressources, lutte contre l'immigration, crise des réfugiés politiques et climatiques, chute de la fécondité (qui atteint dans le film le niveau 0). On pense notamment au Japon qui refuse l'immigration, a un des taux de fécondité parmi les plus faibles du monde et est confronté aux conséquences de Fukushima. Dans le film d'un côté il y a l'Angleterre (une île également) qui est le seul Etat qui fonctionne encore et de l'autre le reste du monde qui est plongé en plein chaos. Mais l'Angleterre de 2027 s'apparente en partie à l'Etat nazi avec un régime totalitaire et policier qui persécute les immigrés et en partie à la Bosnie des années 90 ou au Liban des années 70-80 avec une atmosphère de guérilla urbaine menée par les groupes extrémistes. Dans un contexte où il n'y a pas eu de naissances depuis 18 ans, l'enfant à naître d'une jeune fille enceinte devient un enjeu politique, convoité par les deux camps.

Alfonso Cuaron choisit deux approches diamétralement opposées pour traiter de cette histoire apocalyptique. D'une part une approche réaliste s'apparentant au documentaire avec une caméra à l'épaule et de longs plans-séquences immersifs qui plongent le spectateur au coeur de la guerre, d'une course-poursuite en voiture où d'un accouchement dans les pires conditions possibles. Il avoue s'être inspiré de la bataille d'Alger pour les séquences de guérilla urbaine, un film référence en la matière. De l'autre un sous-texte religieux avec les maux qui frappent l'humanité et s'apparentent à une punition divine, une jeune femme qui révèle sa grossesse dans une étable, la naissance d'un enfant-sauveur (Jésus dans les Evangiles est surnommé "le fils de l'homme") devant lequel les soldats s'agenouillent et font le signe de croix, un protecteur dont le prénom Théo signifie en grec "Dieu", un navire "tomorrow" qui devient une nouvelle arche de noé, une femme qui tient son fils dans ses bras comme une piéta sans parler de la fin où la mère et l'enfant sont sauvés des eaux alors que le protecteur meurt en s'étant racheté (l'enfant portera le prénom de son propre fils défunt).

L'enfant étant noir, le message est clair: l'origine de l'humanité se trouve en Afrique mais l'avenir aussi (au vu des perspectives démographiques). Persécuter les immigrés et réfugiés revient à s'auto-détruire.

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Du silence et des ombres (To Kill a Mockingbird)

Publié le par Rosalie210

Robert Mulligan (1962)

Du silence et des ombres (To Kill a Mockingbird)

Ce très beau film de Robert Mulligan célèbre aux USA mais longtemps méconnu en France est une adaptation du roman de Harper Lee Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur (To Kill a Mockingbird en VO, prix Pulitzer 1961) qui signifie "ne tirez pas sur les innocents". Les innocents se sont les enfants et plus généralement les boucs-émissaires: Tom Robinson, Boo Radley et Atticus Finch.

Le film est à mi-chemin entre chronique réaliste et conte fantastique. L'ambiance expressionniste proche de celle de la Nuit du chasseur nous plonge au coeur des peurs enfantines tout en jetant une lumière crue sur Maycomb, une petite ville d'Alabama durant les années 30 où sévit la ségrégation (le roman et le film sont sortis au début des années 60 au moment de la lutte pour les droits civiques des noirs). Atticus Finch, un avocat intègre et (trop) clairvoyant décide de défendre Tom Robinson, un noir accusé d'avoir violé une blanche (l'obsession des racistes américains). Il découvre la vérité et il l'expose durant le procès. Cela n'empêche nullement Tom d'être condamné mais Bob Ewell, le malfaisant père de la jeune fille violée décide de se venger d'Atticus en s'en prenant à ses enfants, Jem et Scout. Ceux-ci sont par ailleurs fascinés par le soi-disant croquemitaine de la ville, un fantôme qui ne sort jamais de chez lui et qu'ils ont surnommé "Boo". Sans qu'ils le sachent, celui-ci leur fait des cadeaux et veille sur eux. Enfin l'ami des enfants d'Atticus, Dill est inspiré de Truman Capote qui était un ami d'enfance d'Harper Lee.

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La nuit du chasseur (The Night of the Hunter)

Publié le par Rosalie210

Charles Laughton (1955)

La nuit du chasseur (The Night of the Hunter)

La nuit du chasseur est un conte cruel truffé de références bibliques et doté d'un riche sous-texte psychanalytique. Dans un monde où la civilisation s'est effondrée suite à la crise de 1929, deux enfants livrés à eux même sont contraints de retourner à la nature pour échapper aux griffes d'un terrifiant prédateur humain. Les références à M le Maudit et l'expressionnisme allemand avec l'ombre portée du pasteur sur les enfants, les symboles phalliques (couteau, locomotive) ne laissent aucun doute: il s'agit d'un prédateur sexuel (l'argent servant de substitut).

Aucun adulte ne semble en mesure de protéger les enfants. Le pasteur est un substitut du père biologique. Ce dernier a en effet violé psychologiquement ses enfants en déchargeant le fruit de son crime sur eux. Il dissimule l'argent volé (que l'on peut associer au sperme) dans le ventre de la poupée de sa fille et contraint son fils au silence. Un silence qu'il est pourtant incapable de garder devant le pasteur, le lançant ainsi aux trousses des enfants, tel un passage de relai puisque lui-même est condamné à la potence. Le pasteur est donc une version grotesque, monstrueuse, sanguinaire du père. Il n'est pas étonnant dans ces conditions que John, le petit garçon, se tienne le ventre de douleur lorsqu'il assiste à l'arrestation de son père puis à celle du pasteur où il se délivre enfin de son terrible secret (les billets s'échappant de la poupée.)

Face au pasteur, la mère s'avère tout aussi défaillante. Elle se laisse séduire puis détruire sans lever le petit doigt, passive et impuissante. Les autres adultes (voisins, amis) se laissent tout aussi facilement abuser quand ils ne sont pas abrutis par l'alcool ou en proie à des pulsions perverses (sexualité vécue par procuration à travers la veuve). Les enfants n'ont d'autre choix que de fuir pour sauver leur peau et leur âme et d'errer dans la nature jusqu'à ce qu'ils rencontrent enfin Rachel Cooper, l'adulte salvateur capable de les protéger face au monstre. Rachel est le double inversé de Harry Powell sa foi religieuse n'est qu'amour et compassion face à la haine et au fanatisme des discours du pasteur. Ils sont liés dans l'âme humaine telles les mains tatouées de ce dernier, telle la scène où ils chantent des versions différentes du même cantique alors que le pasteur assiège la maison-refuge de la vieille dame et que celle-ci veille, sa carabine à la main.

La présence de Lilian Gish est un hommage au père du cinéma américain D.W. Griffith et à l'art du muet dont le film est imprégné. L'esthétique, sublimée par le chef opérateur Stanley Cortez marque les esprits avec un jeu d'ombres et de lumières d'une grande beauté et puissance expressive. Par bien des aspects la nuit du chasseur s'apparente à un rêve ou à un cauchemar.

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Naissance d'une nation (The Birth of a Nation)

Publié le par Rosalie210

D.W. Griffith (1915)

Naissance d'une nation (The Birth of a Nation)

Considéré hier comme aujourd'hui comme le film matriciel de l'histoire du cinéma, cette fresque suscite le malaise en mélangeant reconstitution historique et vision occidentale du monde (messianique, christique, utopiste, raciste). En effet ce qu'il nous montre surtout c'est l'utopie de l'union des blancs (symbolisée par les mariages entre nordistes et sudistes) contre un bouc-émissaire: le monde noir, montré comme extérieur à la nation américaine. Une scène retirée au montage devait d'ailleurs montrer les anciens esclaves re-déportés en Afrique. Cette vision excède largement le racisme historiquement daté du livre de Thomas Dixon "The Clansman" dont le film est une adaptation. Obsédé par la pureté raciale, Thomas Dixon a une phobie du métissage que l'on retrouve dans le film où les mariages mixtes sont dépeints comme le mal absolu et où le noir fait figure de violeur en puissance de la virginité blanche. Il faut dire que la société esclavagiste et ségrégationniste des USA considérait qu'une seule goutte de sang noir faisait de vous un noir d'où la haine que suscitent les mulâtres, les personnages les plus négatifs du film. De même le KKK est une armée de chevaliers blancs bardé de rouge (défense de la pureté du sang blanc). Si ce racisme biologique a pris du plomb dans l'aile depuis la Shoah, ce n'est pas le cas du racisme historique. Il est encore largement répandu de nos jours dans nos sociétés post-coloniales (comme le montre le discours de Dakar de Sarkozy selon lequel "l'homme africain n'est pas assez entré dans l'histoire") et explique en partie la tolérance bienveillante que continue à susciter le film dont les noirs sont en réalité absents (car ce sont des blancs maquillés de noir qui jouent les rôles de premier plan). Les films pro-nazis de Léni Riefensthal qui présentent bien des points communs avec l'oeuvre de Griffith ne bénéficient pas d'une telle mansuétude. Pourtant ils allient les mêmes qualités cinématographiques (ce sont des chefs d'oeuvre artistiques) à une propagande idéologique à caractère racial. Le tout a assez de force pour séduire c'est à dire manipuler les émotions du spectateur.

Griffith voulait faire un film moins historique qu'allégorique c'est à dire hors du temps. Le problème est qu'au final il manipule l'histoire et les émotions du spectateur contraint de prendre fait et cause pour ces pauvres blancs opprimés par ces méchants noirs, et fait oeuvre de propagande en désignant une communauté opprimée comme étant l'incarnation du mal. Son film a notamment encouragé la renaissance du KKK en 1915.

Comme le dit Pierre Berthomieu dans son analyse des films de Zemeckis (qui détourne les images de chevauchée du KKK de naissance d'une nation dans Forrest Gump, autre fresque dans laquelle l'Amérique s'est reconnue mais qui elle donne la première place aux minorités) "aucune image n'est innocente." De fait naissance d'une nation est celui de la nation blanche la plus intolérante, une représentation que les USA se font d'eux-même qui occulte tout ce qu'ils doivent aux autres communautés. 

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