Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

La prisonnière du désert (The Searchers)

Publié le par Rosalie210

John Ford (1956)

La prisonnière du désert (The Searchers)

Ce film beau et profond a été souvent considéré comme le deuxième d'une trilogie fordienne consacrée à l'histoire du western. La Chevauchée fantastique signait son acte de naissance, L'Homme qui tua Liberty Valance son acte de décès et entre les deux, La Prisonnière du désert en montrait la face obscure. Mais j'aimerais apporter une nuance. A l'image de son héros, Ethan Edwards, le film est à la fois sombre ET lumineux. Ce clair-obscur est parfaitement retranscrit dans les célèbres cadrages ciselés qui ouvrent et referment le film. Dans une même image composée à la façon d'un cadre dans le cadre Ford synthétise l'alternance intérieur/extérieur qui caractérise ses films. L'intérieur sombre représente le foyer familial des pionniers, un univers matriciel autant qu'un possible tombeau. La caméra située au fond du foyer filme la porte ouverte dans l'encadrement de laquelle apparaît un bout de l'immensité rougeoyante et monumentale du désert, symbole de l'ouest sauvage que les pionniers soumis à rude épreuve tentent de conquérir et de domestiquer. Les deux mondes peuvent-ils s'interpénétrer? La greffe est-elle possible ou bien l'un des mondes rejettera-t-il l'autre? Quelle nation naîtra de ce "choc des mondes"?

A ce questionnement collectif se superpose une histoire intimiste douloureuse et complexe. L'élément perturbateur de la famille Edwards qui surgit du désert dans le premier plan du film n'est autre qu'Ethan, le frère maudit. Son retour inattendu après huit années d'absence révèle les failles cachées de la famille. Le frère d'Ethan, Aaron ne se réjouit guère de le revoir car les deux hommes sont amoureux de la même femme, Martha qui a épousé Aaron mais semble toujours très éprise d'Ethan qui est resté célibataire. Là-dessus vient se greffer un fils adoptif métis, Martin Pawley qu'Ethan supporte d'autant plus mal que lui-même n'a pas su trouver sa place dans la famille. Mais dès cet instant, l'ambivalence d'Ethan nous est révélée car on apprend que c'est lui qui a sauvé la vie de Martin après le massacre de toute sa famille et l'a en quelque sorte adopté (ce que la suite du film confirmera).

Cette introduction nous donne toutes les clés dont nous avons besoin pour comprendre la suite c'est à dire l'obsession avec laquelle Ethan se lance à la poursuite des Comanches qui ont enlevé sa nièce Debbie et l'incertitude que nous avons jusqu'au bout du sort qu'il lui réserve. En surface, il dit vouloir sa peau car ayant été souillée par les indiens, elle ne fait plus partie de la famille. Ce préjugé raciste est d'ailleurs partagé par les voisins des Edwards qui après leur disparition font figure de famille de substitution. Laurie leur fille (un double de Martha) qui est fiancée à Martin Pawley ne dit-elle pas que Debbie n'est plus qu'un "rebut, vendue de multiples fois" et qu'il vaudrait mieux qu'Ethan la tue? Mais en profondeur, ce qui torture Ethan Edwards est son secret familial, une ambivalence amour/haine liée au fait que Debbie est la fille de la femme qu'il a tant aimé et en même temps la preuve vivante de l'échec de sa vie personnelle puisqu'elle n'est pas sa fille. Deux choix s'ouvrent devant lui: ou la vengeance (supprimer la filiation de son frère) ou la réparation (protéger Debbie ce qu'il n'a pas pu faire pour sa mère). C'est pourquoi le geste instinctif par lequel il soulève l'enfant au-dessus de lui joue un rôle si important dans le film. Il symbolise la reconnaissance d'un lien de filiation plus fort que tout.

En créant Ethan Edwards, Ford s'est montré particulièrement audacieux. Dans un pays très porté sur le manichéisme, il a créé un héros complexe, imparfait, ambigu. Ethan est un sauveur mais lorsque la haine le submerge on le voit commettre des actes cruels et vils et certaines de ses paroles font frémir. S'il réussit à recomposer sa famille à l'image d'une nation désormais métissée, il en reste exclu et devra continuer à errer dans le désert à la recherche de lui-même.

Commenter cet article